Partie 25

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Emma avance encore à travers Alexandria, les épaules soudain plus voutées, comme assommée, découvrant les ravages laissés par la dernière attaque des Sauveurs. Plusieurs maisons sont défigurées, les structures apparentes, noircies, rongées par le feu. L'église blanche n'est plus, nombre de jardins non plus. La maison 101 reste intacte, tout comme la sienne, en face, dans la diagonale, comme un fait exprès. Comme si Negan savait où taper, où cela allait faire le plus mal : pouvoir se réinstaller chez soi en n'ayant que toutes les pertes qu'il aura causées sous les yeux, en permanence, comme une plaie ouverte et qui ne se fermera jamais. A moins de partir, de laisser tomber.

Mais s'ils l'ont ramenée là, c'est pour rester. Pour continuer, pour reconstruire.

Daryl trottine, en petites foulées, les quelques mètres qu'il a perdu pour menacer ouvertement Eugene et écouter les informations de Rick. Il rattrape la femme et arrive à sa hauteur sans grande difficulté. Les mots de Rick résonnent encore dans sa tête, tambourine dans son coeur qui s'emballe. Mais il les garde pour lui. Emma n'est pas prête. Pas encore.

Ils arrivent sous le perron de la 74. Emma pénètre à l'intérieur de la maison, se faisant une triste joie de revoir Tara, espérant qu'elle va bien, prête à lui donner le réconfort que la jeune femme aura certainement besoin en passant un moment avec elle.

Elle veut la revoir.

Elle veut la remercier d'avoir pris soin d'elle ici même. Lui dire qu'elle a enfin compris ses sentiments... Son baiser.

Elle veut juste la revoir et elle est sur le point de le faire enfin.

Mais c'est un homme, inconnu, qui l'accueille, d'un sourire doux et bienveillant. Elle tourne la tête vers le chasseur qui se tient à sa droite.

"Em', j'te présente Siddiq... l'informe-t-il. Tara est... plus là... pour l'instant... comme se justifiant.

Emma fronce les sourcils en le fixant. Il ne sait si Tara reviendra ou pas à Alexandria ou si elle restera avec les femmes du Sanctuaire. Ils auront le temps de voir ça. Il aura le temps de lui parler de tout... plus tard. Tout est encore trop frais, trop nouveau.

"Il va s'occuper de toi... désignant le jeune homme d'un mouvement de menton en le fixant, comme évitant de poser les yeux sur la femme à côté de lui, volontairement. C'est le nouveau doc' du coin...

-J'étais interne en fait... se justifie le jeune homme aimablement.

-On s'en fout... râle Daryl pourtant sans animosité.

-Em... ? regardant la femme, ne relevant pas le commentaire de l'homme bougon.

-Emma... elle s'appelle Emma, indique Daryl, le ton plus exaspéré cette fois.

-Emma... Vous pouvez vous installer s'il vous plaît ?

La femme s'approche de la table et après un temps d'hésitation, grimpe avec quelque difficulté. Elle regarde tout autour, comme si cette pièce n'était pas celle où elle a failli perdre la vie. Le rouge, tout le rouge a disparu, comme jamais existé...

Daryl s'est encore avancé, ne la quittant pas des yeux, sachant qu'elle est occupée à ne pas le voir, l'observant à regarder partout au dessus d'eux. Il réalise qu'elle se tenait déjà sur cette table avant que tout ne parte encore en vrille.

Les deux hommes se tiennent de chaque côté de la femme, séparés par ses jambes recouvertes de la jupe à fleurs.

"Que puis-je pour vous ? la regarde le jeune homme, toujours souriant.

Il voit bien son visage tuméfié à plusieurs endroits, ses deux scleres un peu injectées de sang. Mais c'est à elle de s'exprimer. De mettre des mots sur ses maux. Pour entamer leurs rétablissements.

Assise sur la table, revenant à lui, les pieds dans le vide, Emma retire ses chaussures en poussant sur les talons faisant tomber les bottines l'une après l'autre dans un son lourd sur le plancher. Puis elle relève le voile léger de sa longue jupe, révélant ses tibias, ses mollets, et ses pieds constellés de coupures plus ou moins profondes, plus ou moins coagulées.

"Putain d'merde... jure l'interne, tout sourire envolé, suivant son mouvement des yeux.

Tout en regardant le nouveau, Emma attrape deux doigts de la main de Daryl qui est à sa portée, appuyé qu'il est contre la table, sur sa droite, sa main à plat sur le matelas fin, les doigts écartés à à peine quelques centimètres de sa jupe. Elle serre son auriculaire et son annulaire dans sa paume, aussi fort qu'elle peut.

Daryl fixe les genoux maigres et blancs de la femme près de lui avant de sentir ses doigts enserrant les siens. La main d'Emma est quasi bleue, couverte d'hematomes, les quatre phalanges sont gonflées.

Carl.

Et maintenant ça, c'est déjà de trop pour cette seule journée.

Ses deux doigts pris maladroitement par la femme sont pourtant bien là où ils se retrouvent. Mais ignorant pourquoi, il s'écarte subitement.

"Je vais vous laisser faire... Je te laisse... baragouine-t-il, regardant à peine la femme, la faisant lâcher sa prise d'un geste un peu trop nerveux du bras, regrettant d'avoir du lui faire sans doute mal à la main, se dirigeant déjà vers la porte de sortie.

-Je vais devoir recoudre certaines... commente Siddiq se penchant pour mieux regarder le dessus des pieds meurtris. Mais put... comment vous vous êtes fait ça ? découvrant les plaies encore ouvertes, profondes, dans la chair des mollets fins. Vous vous êtes faite bouffer par quoi là ? On dirait des... crocs... ? approchant un doigt curieux.

Mais Emma ne l'écoute plus, s'étendant sur la table, ne posant doucement que ses talons, pour exposer au jour toutes les morsures de Lucille.

Elle n'entend que les mots de Daryl qui envahissent sa tête. "Je te laisse"...

Elle a vraiment perdu Carl il y a cinq minutes.
Elle a perdu Daryl il y a deux secondes.

"Il va falloir revenir tous les jours pour que je change vos bandages... à la main... et aux jambes... Pour les agraphes... cela devrait aller... Mais on va se voir quelques temps maintenant, d'accord ? demande Siddiq, son sourire bienveillant revenu sur ses lèvres mates.

Emma hoche la tête alors qu'elle chausse lentement ses bottines sur ses pieds bandés.

"Je sais que c'est douloureux... compatit-il en la regardant faire. Mais ça va aller... dites vous que c'est le quotidien des ballerines... ! plaisante-il.

Emma s'interrompt, levant son regard orange sur le jeune homme qui ravale son sourire et sa blague sous l'expression de ces yeux qui s'assombrissent comme une fin d'après midi de novembre. Mais elle sourit du coin de la bouche, voulant le rassurer. De toutes manières, elle ne connaît pas de ballerine. Les ballerines, ce n'est pas compatibles avec une apocalypse, c'est comme un bisounours au milieu d'un champ de tir, ou pendu à une corde dans un arbre...

Ils ne se connaissent pas, et il vient de passer une heure à la soigner, à recoudre, coller, ou agrafer toutes ses plaies. Il lui a aussi remis les doigts de sa main droite dans leur sens naturel. L'envie de parler lui est passé, alors elle ne fera pas de commentaire, même si elle ne veut pas se comporter en ours grincheux avec le jeune homme. Parce qu'il y en a déjà un parmi eux et qu'il a déjà fait sa connaissance.

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Emma retourne chez elle, Daryl a disparu, comme d'habitude. Mais elle ne lui en veut pas. Elle n'éprouve plus rien depuis quelques minutes maintenant. Il a bien d'autres choses à faire que de se soucier d'elle.

Traversant le salon, elle ramasse l'Eagle resté à terre et le glisse dans son holster machinalement. D'où qu'il vienne, il fait partie d'elle dorénavant. Il lui a sauvé la vie dans la cours du Sanctuaire. Ils ont déjà une longue histoire ensemble. Et il reste toujours lui même avec elle, jamais fâché, jamais rancunier.

Elle tient le poing américain du bout des doigts, qu'elle vient lâcher dans l'évier, tâché des restes de Simon.

Elle s'approche du comptoir et trouve la tasse de café refroidi. Elle la dépose a son tour dans l'évier. Elle déclenche la bouilloire remplie d'eau, puis s'immobilise enfin devant le bac. Deux ennemis se rapprochent. L'un mort, l'autre l'ayant laissée. Elle va devoir bannir ce mot de son vocabulaire.

La maison est silencieuse. Mais Emma écoute. Attentivement. Elle sait qu'elle n'est pas vraiment seule. Pas besoin de s'en convaincre.

"Prend soin de lui Lisa... Je t'en prie... il est si jeune... souffle-t-elle entre ses dents.

Ses mots sont couverts par le sifflement aigu de la bouilloire.

Elle sert un grand mug d'eau chaude avant d'y plonger un sachet de thé pioché au hasard dans le pot à disposition sur le plan de travail.

Armée de sa tasse fumante entre les doigts, pour la moitié immobilisés entre des ateles, Emma ressort de sa maison vide.

"Tu viendras quand tu seras prêt. Prend ton temps mon ange... Je reste là." murmure-t-elle pour elle même.

Elle déambule encore dans les rues qui s'éveillent des survivants d'Alexandria. L'odeur de fumée, de feu, de bois calciné envahit toujours l'air. Elle ne sait si c'est mieux que celle des rôdeurs. Ce nouveau décor lui brise le coeur et en même temps elle se sent comme étrangère.

C'est Eugene qui a raison. Elle ne fait plus partie de ce groupe. Ni ici ni ailleurs. Ils auraient le droit de la rejeter, de la bannir. Elle peut le comprendre aujourd'hui. Elle ne s'est pas battue avec eux. Elle s'est battue de l'intérieur, mais à quoi bon au final ?

Ses pas l'arrêtent devant la maison de Morgan, devant les petits escaliers qui descendent dans son sous sol.

"Emma ?!"

La femme se retourne lentement. Dwight s'approche rapidement mais ralentit sous le regard de plus en plus sombre de la brune.

"Tu es debout... dit-il à voix plus basse, esquissant un sourire en s'approchant.

Emma ne dit pas un mot, le fixant intensément, laissant ses sourcils se froncer encore.

"Je suis désolé... continue-t-il. Vraiment."

Elle se contente de ciller et il prend ça pour une invitation à poursuivre.

"Je t'ai perdue dans la cohue... Le groupe de Rick m'a accueilli, à la sortie...

Emma baisse la tête sur la tasse fumante qu'elle tient comme elle peut entre ses deux mains, comme fascinée par la couleur pâle de son thé blanc.

Puis s'accroche au cou du blond de sa main meurtrie, se hissant sur ses pieds douloureux, se tenant contre lui juste le temps d'une seconde, juste le temps de sentir les mèches filasses lui chatouiller le nez, avant de s'écarter aussi vite.

"... Je suis désolé pour... commence le blond, décontenancé mais se raccrochant à la phrase qu'il répète en boucle comme une introduction à toute conversation.

-Fous lui la paix, Dwight !

-Ok... recule encore le blond, levant les mains en signe de reddition, ne lâchant pas des yeux la brune qui le fixe aussi.

-Tu lui fous la paix, sérieux... s'approche encore Daryl, tel un chien de garde accourant à sa mission instinctive.

L'homme se tient entre eux deux. Emma ne voit plus Dwight. Comme elle ne voyait plus Jesus dans la cours de la Colline. Mais la colère qu'elle a ressenti la première fois est absente ici. Daryl est en mode surprotecteur. Il va falloir qu'elle s'y fasse. Pendant un temps du moins... Le temps que sa main retrouve une couleur normale, tout comme ses jambes, et sa figure... après il se détachera bien d'elle. Pour l'instant, elle est convalescente et le connaissant, il ne peut l'abandonner. Mais dans quelques jours c'est ce qu'il fera.

Il va la laisser. Il l'a dit.

Il va l'abandonner. Elle l'a compris.

Il va falloir qu'elle explique aussi sa nouvelle relation avec Dwight. Mais elle n'en n'a pas l'énergie présentement.
Surtout que Daryl est déjà à fleur de peau visiblement. Mais quand ne l'est il pas ? Quand elle est absente certainement.

Tandis que les deux hommes se mesurent toujours en silence, elle tourne encore la tête vers les petits escaliers.

Sortie de leur vigilance, elle descend lentement les marches, posant sa tasse sur le petit rebord à hauteur du trottoir, dans un bref bruit clair de verre contre pierre.

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Petite transition, présentation avec Siddiq, ça peut toujours servir. Coucou avec Dwight.... on sait jamais...😁

Reste un mois de publication à ce chapitre...


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