✦ Chapitre 3 : Les conséquences ✦

Iván avait raison. Cette nuit, le trajet s'est bien passé. Malgré son état d'ébriété, ses conseils, bien souvent avisés, m'ont permis de le conduire à bon port sans laisser une seule éraflure sur sa Ferrari.

Le coup de frein sec de la voiture de mon aîné me ramène à la réalité. Il me dépose, muet comme une tombe, devant Las Encinas.

— Bonne journée, Álvaro ! À ce soir, m'exclamé-je, d'un air plus enjoué que la moyenne.

Le visage fermé, il hoche la tête sans me répondre. Puis, il me fait signe de fermer la portière.

Mon sourire se fane aussitôt et je m'exécute. Il ne me pardonne pas la prise de risque d'hier soir. Et j'ai beau lui répéter que tout s'est bien terminé, il m'en veut de lui avoir caché cette histoire. Je le comprends au fond. Il a eu peur de me perdre. Peur de devoir annoncer à Papa et Maman que leur fille ne reviendrait plus s'il avait appris mon décès alors qu'il était censé me surveiller.

J'ai merdé. Vraiment beaucoup. Sa réaction est tout à fait légitime et loin d'être disproportionnée.

Comme à mon habitude, je n'ai pas réellement réfléchi à la conséquence de mes actes. J'ai foncé tête baissée, semblable à un taureau dans une arène. Devant une foule déchaînée qui scande que le toréador doit gagner. Ce combat inégal, c'est un peu l'histoire de ma vie.

Nous sommes vernis, il ne peut rien nous arriver. Mais il suffit d'une fois. Et tout peut basculer. Le cauchemar, insoutenable, pointe le bout de son nez pour ne plus jamais repartir.

Il faut que je devienne plus responsable et que je prenne conscience des risques que je cours, qui varieront en fonction de mes choix. Non seulement pour moi, mais aussi pour mes proches. Il est temps que je sois adulte.

La mine renfrognée, je passe le détecteur de métaux et pénètre dans l'établissement. Je me dirige vers mon casier d'une démarche déterminée, accompagnée de ma nouvelle camarade, Solitude.

Les lycéens se pressent dans les salles de classe pour prendre les meilleures places, vidant par la même occasion les couloirs habituellement noirs de monde. J'ai cinq bonnes minutes devant moi avant que la sonnerie ne retentisse.

Après avoir retiré quelques livres et cahiers de mon sac, je file à toute allure à la cafétéria. Isadora s'y trouve déjà, accompagnée de Rocio et Rosa.

— Salut les filles !

— Salut Zara ! La forme ? s'enquiert Isadora.

— Toujours ! dis-je en souriant de toutes mes dents. Et vous ?

— Ça va, même si on a sport... peste Rosa. J'ai tellement pas envie d'y aller...

— Personnellement, c'est ce dont j'ai besoin, claironné-je en avançant devant le distributeur.

Je n'attends que ça pour me défouler, me vider la tête et extérioriser toutes ces contrariétés dont j'ignorais l'existence jusqu'à présent.

Mes doigts tapotent le clavier digital de la machine et après un court instant un sachet de biscuits chocolatés en tombe. Ce sera mon réconfort après cette séance grisante.

Motivée comme jamais, j'entraîne ensuite les filles au vestiaire avant de me rendre compte que je ne nous ai pas menées au bon endroit. Face au placard à balais, nous explosons de rire. Quand je disais que je serais capable de me perdre dans cet endroit, je n'exagérais pas. Loin de là !

Rocio prend alors la direction des opérations et nous courons à en perdre haleine jusqu'à la porte.

Dès l'instant où nous posons nos affaires sur les bancs blancs, mon portable se met à vibrer. Je le sors aussitôt, curieuse comme une pie.

Le nom d'Iván s'affiche. Il ne serait pas content s'il le savait, mais après cette nuit mouvementée, j'avais complètement oublié que nous nous étions échangés nos numéros...

De : Iván 🇧🇷

Hey, j'espère que tu vas bien ? De mon côté, ce n'est pas trop la forme. Je ne vais pas venir aujourd'hui.

Ni une ni deux, je lui réponds et lui propose de prendre des notes dans les différentes matières.

J'enfile ensuite ma tenue de sport, m'attache les cheveux en une queue de cheval haute et suis le cortège jusqu'au terrain de basket situé en extérieur.

Les températures sont moins chaudes qu'hier pour mon plus grand bonheur. L'air est respirable. Il fait même bon. Un vent frais s'engouffre sous mon short qui gonfle comme une montgolfière.

Pour l'élégance, on repassera...

Malgré ce manque évident de classe, je me prépare mentalement pour leur mettre la pâtée. Je me force à ne pas penser à la dernière fois que j'ai essayé d'y jouer. Trop tard. Des images affluent et me narguent. Je revois le ballon gonflé à bloc que j'arrache aux mains de l'équipe adverse et alors que je sprinte en direction du panier, je me prends les pieds dans mes lacets défaits, m'écroule au sol de tout mon long tandis que le ballon s'envole dans les airs sans propriétaire, se cogne dans le cercle retenant le filet de basket avant de me revenir en pleine tête avec force. La honte... Si je pouvais éviter de finir avec le front de la couleur d'un schtroumpf cette fois-ci et une bosse, aussi impressionnante que le Mont Everest, j'en serais ravie !

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Le cours de sport s'est terminé sans encombre. J'en suis ressortie zen au possible tant je me suis dépensée. La douche bien fraîche que j'ai prise après a fini de m'apaiser. M'a achevée.

Toute la journée, j'ai eu cette impression de flotter au-dessus de mon corps, d'être là sans être là.

J'ai pris des notes détaillées dans les différentes matières. Tel un automate.

J'ai déjeuné à la cafétéria avec Rocio, Isadora et Rosa. En pilotage automatique.

J'ai participé en début d'après-midi en histoire. Agissant comme une machine. Un robot.

Álvaro lâche le volant lorsque nous sommes en ligne droite et frappe dans ses mains. Je m'ancre à nouveau dans la réalité et cligne des yeux à plusieurs reprises.

— Zara, il faut que tu me guides. Je ne sais pas où habite ton ennemi ou ton copain. C'est celui à qui tu as fait le doigt d'honneur hier matin ?

Contrariée, je tourne la tête vers l'extérieur et regarde le paysage défiler. La façon dont il l'a dit me donne le sentiment que je suis une vraie girouette, qui ne sait pas ce qu'elle veut. Mais, même si ça me peine de l'admettre, il n'a pas tort.

Iván est passé du statut privilégié de jeune homme à abattre, à jeune homme qu'il faut protéger et qui est aussi gentil qu'un oisillon tombé de son nid.

— Il va falloir que tu tournes à droite dans cent mètres, grommelé-je. Puis à gauche. À droite. Et à gauche.

— Doucement. Je ne vais pas tout retenir. Tu vas trop vite. Chaque chose en son temps.

Prenant mon mal en patience, je l'observe prendre les directions que je lui ai indiqué. Après ce qui s'est passé hier soir, je devrais déjà m'estimer heureuse qu'il m'adresse la parole...

— Je suis désolée, tenté-je de m'excuser une nouvelle fois.

— Non, c'est moi. Je m'en veux d'avoir enchaîné autant de verres. J'aurais pu vous ramener tous les deux si j'avais été sobre au lieu que vous vous mettiez en danger. J'ai préféré tout te mettre sur le dos tout à l'heure plutôt qu'assumer mes actes. J'ai été irresponsable.  

— Tu avais envie de profiter de cette soirée en ville avec ton ami, Eric. Ce n'est pas grave. J'ai pu nous amener à bon port. Il y a eu plus de peur que de mal.

— Et tu me promets que tu n'as renversé personne ?

— Je peux te le jurer. Les rues étaient vides dans l'ensemble.

Je me mords l'intérieur de la joue avant d'ajouter quoi que ce soit qui ne jouerait pas en ma faveur !

Je n'imagine pas la réaction qu'il aurait s'il savait à quel point j'ai zigzagué entre les voitures et s'il apprenait que j'ai roulé les feux éteints les trois quarts du trajet sans m'en rendre compte.

Une chance que la Ferrari d'Iván ait eu une boîte automatique ! S'il avait fallu passer les vitesses en plus, nous aurions sûrement fini notre course dans le mur d'une maison.

Et là, je n'aurais pas donné cher de ma peau... Dans tous les sens du terme...

Mon frère s'arrête devant l'immense villa du Brésilien. Je m'extirpe de sa Lamborghini et sonne.

J'attends tellement longtemps que j'en viens à me demander si je ne me suis pas trompée mais la porte qui s'ouvre finalement me prouve le contraire. En peignoir Versace et en tongs, Iván vient à ma rencontre. Il a d'énormes cernes violacés sous les yeux et est un peu pâle.

— Alors, pas trop mal aux cheveux ? le hélé-je, d'humeur taquine.

— Ne m'en parle pas... Je ne suis vraiment pas en forme, ronchonne-t-il. J'ai un mal de crâne qui ne me quitte pas depuis ce matin...

Il se décale pour me laisser entrer quand nous entendons une portière claquer.

— Bonjour, je suis Álvaro, le grand frère de Zara. Je préfère venir avec vous si ça ne vous dérange pas bien sûr.

Non mais, je rêve ! Pourtant culottée, je n'aurais jamais osé m'imposer comme il vient de le faire.

— Bonjour, je m'appelle Iván.

Son ton monotone m'inquiète. Il paraît avoir été rattrapé par les démons qu'il tentait tant bien que mal de maintenir à l'écart depuis le décès de son père.

Et, tandis que je referme derrière nous poliment, j'entends Álvaro discuter avec Iván comme s'il le connaissait depuis toujours...

Il ne peut pas s'empêcher de faire ça avec mes connaissances de sexe masculin pour mieux nous surveiller... Il ne changera donc jamais !

Pendant qu'il lui donne une recette contre la gueule de bois, je sors de mon sac les polycopiés, le tas de feuilles volantes et les cahiers sur lesquels j'ai pris des notes. Je les rejoins dans le salon. Il donne sur une piscine gigantesque et a été aménagé avec goût. Des tableaux d'artistes de renom ornent les murs clairs. Affalés dans un canapé anthracite, les garçons se retournent vers moi.

Iván m'adresse un magnifique sourire, digne de celui d'un acteur dans un film à l'eau de rose.

Mon cœur rate à nouveau un bond. Mes joues s'empourprent. Bordel, que m'arrive-t-il ?

Gênée, je me racle la gorge et fais comme si de rien n'était.

Les yeux rivés sur les affaires que je tiens entre mes doigts, je comble l'espace qui nous sépare et m'assois à mon tour. 

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