8. L'antre du Diable❗(TW)
Si les personnes contaminées ne présentent pas toujours de symptômes, les nervures proéminentes qui se développent sur chaque infecté trahissent leur état critique. Mais, en réalité, la motivation d'Hédi à les voir se foutre à poil répond à un tout autre besoin.
- Allez, trainez pas, insiste-t-il, impatient. Virez tous vos fringues.
- Je comprends que tu veuilles t'assurer qu'on ne mettra pas ton groupe en danger, assure Aïden qui tente de se montrer solide alors que sa souffrance le met à bout de force. Rien ne te garanti qu'on dise la vérité, je sais. Mais je ne peux pas accepter que tu demandes à trois mineurs de se déshabiller devant toi. Alors, je crois qu'on va se passer de votre aide.
- Comment ça ? Non ! Pense à... à ta blessure, lance Émeric.
Connaissant ce trouillard, ce n'est absolument pas ce qu'il allait dire. Mais il se rattrape toujours avec de belles paroles et des pirouettes.
- T'as besoin de soins, Aïden. Et Lobél l'a dit y'a même pas vingt minutes, on a besoin de toute l'aide que ces types peuvent nous apporter. Tu voulais arrêter de surprotéger tes sœurs. Bah c'est le moment ! Elles vont pas fondre d'un coup si on les matte en sous-vêtements.
Et pour une fois, les triplés veulent bien se ranger de son côté. Enfin, plutôt du côté d'Aïden.
- C'est pas grave, murmure Lobél, feignant de ne pas être affecté. On va le faire.
- C'est très grave, au contraire, souffle solennellement Aïden.
Survivant d'abus bien avant la fin du monde civilisé, il sait tout ou presque du sentiment d'humiliation qui rampera sans répit sous la peau de ses cadets s'il accepte cette lubie abjecte et totalement démesurée. Oh, oui... Lui aussi, « flaire » les menteurs ou les coups foireux quand il en croise. Et Hédi en renvoi tous les signes.
- Oui, mais si on te trouve pas de médicaments, ta blessure risque de s'infecter, s'inquiète Lavande. Souviens-toi ce qu'on s'est dit, tout à l'heure. Nous aussi on veut te protéger et nos opinions comptent.
Les yeux ronds de mouron, Lantana hoche vivement la tête.
- Bon, soupire Hédi en avançant de quelques pas. Toi, là... Tu vas servir d'exemple. Déssappe-toi le premier.
Aussi calculateur que perfide, cet homme ne choisit jamais ses proies au hasard. Il sourit alors que tous les regards se tournent une nouvelle fois vers Loïc - le plus balèze du groupe, mais aussi son maillon faible.
Sortit de ses pensées brumeuses, celui-ci cligne des yeux, gêné par les légères sécrétions lacrymales qui s'y accumulent.
- Tu m'as... pris... pour ta pute... enculé ? gronde-t-il difficilement.
Aïden fronce les sourcils, soudain conscient que la situation vient d'empirer alors que son frère et ses sœurs se demandent ce que ces gars ont bien pu refiler à Loïc pour qu'il soit aussi grogui.
Pendant ce temps, Hédi perd patience. Avec un léger déclic, il enlève son cran de sûreté - laissant par la même occasion tomber son semblant de courtoisie - et pointe son arme sur Loïc.
- La journée a été longue, mon gars, j'ai fini de me répéter.
La rage refait surface sur le visage masqué du banlieusard. À ce stade, il se sait foutu. Pour rien au monde il n'enlèvera son t-shirt. Ça signifie qu'il n'obtiendra jamais de médocs de la part de ces chiens de la casse. Alors, grillant sa dernière carte et son ultime câble connecté, la tête brûlée passe à l'offensive.
Loïc tente le tout pour le tout en fonçant vers Hédi comme un taureau de corrida. Et paf, paf... Deux balles fusent à travers le silencieux¹. L'une l'atteint au milieu du thorax, l'autre en pleine tête. La situation dégénère si vite que personne n'a le temps d'intervenir.
Le cri d'effroi de Lavande perce tragiquement la stupeur de la pièce, couvrant aussi bien le bruit du corps sans vie qui s'effondre sur le parquet que la litanie de jurons sortis de la bouche d'Émeric, pelotonné derrière le dossier de son fauteuil pare-balles.
- Chut, chut, chut... susurre le tireur avec un rictus de cinglé. Vous ne voulez tout de même pas attirer des visiteurs indésirables par ici ?
Sidéré par la tournure cauchemardesque des évènements - mais pas étranger à ce genre de pratiques radicales -, Aïden se place machinalement devant ses cadets horrifiés. Les bras écartés pour couvrir plus de surface possible, il souhaite de tout son cœur meurtri réussir à les protéger du danger.
- Il... Il était... inf... infecté, balbutie bien malement Omari.
Dès son arrivée sous ce toit, il a dû se concentrer un maximum pour suivre les échanges des autres depuis son coin en dépit de la peur, de ce sentiment persistant d'impuissance, et de toutes les autres émotions qui le submergeaient. Incrédule, il est à présent incapable de décrocher ses yeux écarquillés de la morsure nécrosée et des veines saillantes apparaissant à travers le col lâche du cadavre.
- Il... n'a rien dit, se rent-il compte à haute voix. Il savait, qu'il avait été mordu... et il ne nous a rien dit.
Attitude de préservation néfaste. Devenue assez commune par les temps qui courent, mais dure à concevoir pour les personnes - comme Omari - chez qui l'honnêteté est une valeur primordiale.
Le souffle raccourci, Aïden détourne tout aussi difficilement son regard de la flaque de sang marron qui s'étale sous Loïc en imbibant ses vêtements. S'efforçant de garder contenance, il enchaine à attention de l'aspirant Lucky Luke :
- Écoutes, mec, nous on n'en savait rien. On ne veut pas de problèmes. On va s'en aller sans faire de vagues, je te le jure. Laisse-nous partir et tu ne nous reverras plus jamais de ta vie.
- Hum... Ouais, mais non, décline Hédi en frottant nonchalamment son crâne avec le canon de son arme. Vous voyez, même avec les meilleures intentions, on peut plus faire confiance à personne en ce bas monde. Alors, à vos places, je me grouillerais de rassurer le type méfiant pour qu'il range son gros calibre.
- D'accord, on va le faire ! Tire pas, supplie Émeric en se relevant de derrière le fauteuil avant de s'exécuter sans tarder.
Transit d'autant de rage que de crainte, Aïden ferme les yeux pour refroidir son esprit ainsi que son corps. Il expire lentement et, la mort dans l'âme, tourne le regard vers ses cadets. La torture s'intensifie dès qu'il tombe sur Lantana et Lavande - blotties dans les bras de Lobél - dont les épaules soubresautent à chaque sanglot dans le cou de leur triplé.
- Je suis vraiment désolé, souffle un Aïden démuni, ses yeux marron plongés dans ceux de son benjamin.
- Je sais... C'est pas de ta faute, brodda, souffle Lobél.
Il souffrira incontestablement de cette requête, à un degré différent de leurs sœurs, à cause de son rapport très conflictuel avec son corps.
Même en condition usuelle, sa dysphorie de genre² rend anxiogène les moments nécessitant la moindre forme de nudité. Plus encore quand des étrangers sont impliqués.
Détachant son regard de son aîné pour se concentrer sur ses sœurs, il prend pourtant sur lui et murmure à ces dernières quelques mots d'encouragement.
- Autant en finir le plus vite possible, mes doudounettes. À trois, on est déjà plus forts que tout, mais avec l'amour d'Aïden, notre mental est indestructible. OK ?
Elles opinent, encore tremblantes de choc après l'exécution sommaire de Loïc.
- Je dis ça, je dis rien, minaude Hédi, mais vous devriez respecter la règle du mètre cinquante. Ce serait con que toute la petite famille soit contaminée si un d'entre vous l'a été par l'autre blaireau.
Il marquait un point. Sauf qu'en naissant du même embryon, en grandissant en partageant une certaine symbiose génétique, ces notions de distanciation basiques paraissent dérisoires. Les triplés sont nés ensemble et sont prêts à mourir ensemble.
Ignorant donc cet avertissement hypocrite, Lobél monte d'un cran dans la transgression des mesures sanitaires habituelles et dépose un baiser sur le front de ses sœurs avant de les lâcher. La fratrie se dévêtit ensuite avec diligence, tandis que le buste et les jambes tatouées d'Émeric sont déjà exposés.
Les cœurs battant la chamade, les mains fébriles, les filles et Lobél enlèvent leurs bas avec une montagne d'appréhension, dévoilant leurs jambes intactes sous deux regards un peu trop appréciateurs.
Conscients des yeux répugnants collées à leurs corps, les gamins bloquent au moment d'ôter leurs larges t-shirts. Ils ne sont définitivement pas prêts à franchir ce cap, malgré toute leur bonne volonté.
Sans crier gare, leur aîné essaie encore de leur épargner ce calvaire en imposant un véto de dernière minute.
- Stop, c'est bon. Vous voyez nos jambes, poursuit Aïden en fixant Hédi, vous voyez nos bras et nos cous. On n'a aucune trace de morsure ni de veines gonflées, alors tu as ta réponse. On n'enlevera rien de plus.
Il n'aurait pas pu supporter le mal-être infligé à ses cadets une seconde de plus. Mais son ton catégorique est aussi à 1000% alimenté par le maigrichon blond, aka Néandertal n°2. Le saligaud qui ne peut résister à ses pulsions salaces et malaxe l'avant de son bas de survêtement dans petites pressions compulsives.
- OK, soupire Hédi, grisé par son pouvoir sur ses proies et d'autant plus diverti par l'aplomb de celui qui tente de se débattre pour sauver l'honneur de ses cadettes.
Gesticulant son arme pour lui rappeler qui contrôle, il ordonne :
- Faites lentement un tour sur vous-même et, si tout est impec', on aura fini.
Le regard larmoyant, les triplés supplient Aïden d'obtempérer. Ils obéissent, par peur de voir une nouvelle balle faucher l'un d'entre eux. Les plus jeunes frissonnant toutefois de dégoût en entendant siffler et chuchoter :
- De beaux petits lots, hein ?
- Ouais, mon gars.
Aïden serre la mâchoire, le cœur déchaîné. Enragé contre ces porcs d'imposer une telle violation à ses cadets, et encore plus contre lui-même de ne pas se bouger le cul pour les en préserver.
Injecté d'autant de culpabilité que de rancune, son sang ne fait qu'un tour. Son corps surchauffe en réponse.
Heureusement, le sixième sens de Lantana lui permet de sentir dans ses tripes le moment exact où son frangin vrille. D'un seul regard, elle comprend qu'il s'apprête à commettre l'irréparable. Anticipant de justesse sa réaction, elle saisit alors fermement ses poignets et le tire avant qu'il ne se rue vers les deux hommes.
- Aïe ! geint-elle en se cramant les paumes sur sa peau embrasée.
Sa prise subite constitue toutefois un ancrage à une réalité autre que la rage le remplissant. Ce contact, aussi court a-t-il été, suffit à rappeler au pied sa conscience furibarde de son frère.
- Aïden, calme-toi, tente-t-elle pour achever d'apaiser sa fureur ardente. On va bien, d'accord ? T'auras jamais le temps de les approcher d'assez près pour les blesser. Alors calme-toi... S'il te plaît.
Les yeux ancrés à ceux de sa petite sœur, Aïden se raccroche aux branches de la raison. Il finit par hocher la tête, ferme à nouveau les paupières afin de calmer son souffle - ainsi que les battements erratiques de son cœur - et parvient tant bien que mal à réguler la température excessive émanant de ses mains.
- Eh ben voilà ! s'enjaille Hédi. C'était pas si compliqué. Hein, mes jolies ?
Aïden rouvre les yeux, à la fois apaisé en tombant sur le sourire aimant de sa sœurette et ravagé que celui-ci soit baigné de larmes.
- Je suis désolé, couine-t-il encore une fois, le souffle court.
- Je sais, grand frère, articule silencieusement Lantana.
- Hé... Le cycliste guyanais, hèle Hédi. Tiens.
Les triplés se retournent en même temps qu'Aïden. Il attrape par réflexe l'objet minuscule qui vole vers son visage et ouvre ensuite sa paume pour savoir ce dont il s'agit.
Un comprimé sécable encore emballé, découpé d'une plaquette comme il en est dorénavant d'usage, gît au creux de sa main.
Hébété, il lève d'abord la tête vers Omari. Mais en voyant le pauvre bougre fixer ses propres pieds de manière quasi religieuse et se griffer nerveusement le dos de la main, Aïden comprends qu'il n'a pas miraculeusement rempli les termes de leur accord. Il reporte donc son attention sur Hédi.
Un énorme sourire dissimulé sous son keffieh, celui-ci annonce :
- J'ai entendu dire que t'en aurais bien besoin. Alors considère ça comme un cadeau de bienvenue. C'est un véritable plaisir de vous accueillir à la Communauté du Fleuve Rédempteur.
À suivre...
Silencieux¹ : dans ce contexte, accessoire tubuleux ajouté au canon d'une arme pour réduire le bruit de détonation.
Dysphorie de genre² : détresse ou souffrance psychologique ressentie par une personne (transgenre) pour qui l'identité sexuée et l'identité de genre sont en désaccord avec le sexe qui lui a été assigné à la naissance.
DONNE-MOI TON AVIS À CHAUD !
~> Comment as-tu trouvé les enchaînements d'événements ? Étaient-ils clairs et assez développés ?
~> T'attendais-tu à ce qu'un membre du groupe d'Aïden soit infecté ?
~> Avais-tu relevé les éléments sur l'état de Loïc au chapitre précédent, ou dans celui-ci ?
~> Que penses-tu de l'aspect surnaturel intégré à l'histoire ?
~> Quelle est ton opinion sur Hédi et les autres membres de la fameuse Communauté du Fleuve Rédempteur ?
PS : Un petit vote si tu as aimé ce chapitre me ferait grand plaisir !
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