7. Surprise !

Courbaturé, toujours fiévreux, les yeux rougis et les muscles bandés comme des cordes d'arc sous l'effet de la rage, Loïc obtempère à contrecœur. Poings serrés à s'en faire blanchir les jointures, il monte la marche sous la menace du canon d'Hédi et entre à la suite d'Omari.

Les triplés se lèvent, soulagés d'enfin les voir réapparaître. Mais leurs mines victorieuses s'assombrissent à l'instant même où des inconnus se pointent dans l'ombre de leurs alliés.

Armés, les deux hommes aux regards vifs stationnent devant la porte d'entrée, juste derrière Loïc et Omari. Ils avisent minutieusement les lieux et les cinq survivants installés dans ce salon coquet, que les couches de poussière sur les meubles révèlent longtemps inhabité.

- Vous vous êtes trouvés une planque plutôt sympa, lance Hédi après un sifflet d'admiration. Je crois pas avoir mis les pieds dans cette baraque avant aujourd'hui.

- Putain... hoquète un Émeric affolé.

Levant les mains par crainte de se faire tirer dessus, alors même que personne ne le vise, il chouine depuis son fauteuil.

- Je savais que Loïc aurait raison. Y'avait que vous pour croire que ces étrangers nous aideraient en échange de-

- Émeric, boucle-la, intime soudain Aïden avec un sévère regard en biais.

Le concerné se rabougrit, vexé. Ignorant encore que la pire des choses à faire dans ce genre de situation est de balancer tout un tas d'informations qui joueront peut-être en leur défaveur.

Aïden a appris assez jeune à observer et laisser les autres entamer le dialogue avant de choisir sur quel pied danser. Raison pour laquelle il jauge en silence les deux inconnus, puis Omari, tout en se levant du canapé au ralenti.

Sans son ami à ses côtés, le gros costaud a l'air encore plus craintif qu'à leur rencontre. Face à son attitude soumise, Aïden déduit que ce sont ces hommes qu'ils espéraient fuir. Se doutant que la réponse - s'il en obtient une - ne sera pas à son goût, il s'attache à masquer sa douleur, ne cherchant même pas à savoir où est passé Dahni et encore moins ce qu'il en est de leur accord.

Appuyé contre le chambranle de l'entrée, Hédi observe toujours le groupe, lèvre pincée sous son foulard tant le contentement l'assaille devant les minois découverts de ces jolies petites métisses apeurées.

- Deux... Quatre... Cinq et une pièce rapportée, compte-t-il en pointant nonchalamment tout ce beau monde du doigt après leur avoir ordonné de se désarmer. Ha ! Famille africaine égal famille nombreuse, hein ?

- Tss, hisse Loïc en s'efforçant de ne pas frotter ses yeux irrités. C'est bien un truc de babtou de penser que tous les renois se ressemblent.

- T'as faux sur toute la ligne, tête de hmar¹. Je suis Maghrébin. Et si je suis si mauvais aux devinettes, vous n'avez qu'à me parler de vous. Je vous écoute.

Incapable de se retenir plus longtemps, Loïc pose machinalement le bras devant sa bouche - déjà couverte par son masque improvisé en tissu - pour étouffer au maximum une toux tenace. Celle-ci lui vaut quand même des regards interloqués, criant silencieusement « Il vient de tousser, là ?! », mais il poursuit sans s'en formaliser.

- Ton pote m'a foutu des coups de lattes dans le dos tout le trajet, halète-t-il ensuite, en sueur. Vous m'avez foutu vos flingues sous le nez en guise de « bonjour » et vous continuez à nous menacer avec vos armes après nous avoir séparés des nôtres... Tu crois vraiment qu'on a envie de faire ami-ami ?

- Justement ! s'énerve Émeric depuis son siège. C'est pile le genre de situation où t'es censé faire ce qu'on te dit !

Hédi ricane, l'attitude insoucieuse.

- Vous devriez écouter le plus malin, s'amuse-t-il. Je croyais que vous étiez en galère. Que vous aviez besoin de médocs, d'une bonne douche, peut-être même d'un repas chaud avant de vous coucher ce soir. Ce sont des petites choses que notre communauté peut vous offrir. Mais si vous ne voulez pas de notre hospitalité...

- Si, si ! insiste l'opportuniste de service. Loïc, lui là, il vient de la banlieue parisienne. Il nous a dit qu'avant, il était chauffeur de bus RATP... Il a presque trente piges et, à part souligner qu'il est aussi bagarreur que débrouillard, y'a pas grand-chose à dire d'autre sur lui. Moi, je m'appelle Émeric. J'ai vingt-quatre ans, comme Aïden. C'est lui, Aïden, souligne-t-il en désignant le concerné de l'index. Je serais sans doute plus de ce monde sans lui. Moi, j'étais tatoueur indépendant dans le 11ème. Un très bon tatoueur, n'en déplaise à mes vieux... Lui, il venait de démarrer une reconversion professionnelle quand la zombicalypse a commencé. Un business de Web design. Mais avant ça, c'était un sportif. Un cycliste, plus précisément, et un bon ! Il a gagné plusieurs grosses compètes dans les DOM². Ah... oui, parce que, sa famille est guyanaise. Ses sœurs et lui ont grandi là-bas jusqu'à ce que leurs parents meurent dans un accident de voiture. Enfin, Aïden il y est resté jusqu'à sa majorité, mais pas les triplés... Alors, je sais pas si tu connais la Guyane française, c'est le territoire où y'a la forêt Amazonienne, et on tombe sur des trucs de dingue ! Comme en Afrique. Genre des crocodiles, des serpents et même des des pumas ou... ou des jaguars ! T'imagines ? À mon avis, vivre là-bas lʼa conditionné à la survie en milieu hostile. Tu vois ce que je veux dire ?

Ouais, ouais. Hédi voit très bien... que quand on n'a aucune compétences utiles, on disserte en long et en large sur celles des autres.

Les piallements intempestifs d'Émeric offrent au moins aux Bui-Mathis une fenêtre pour échanger de leur côté, aussi discrètement que possible.

- Vous en pensez quoi ? commence Aïden, l'attention partagée entre les inconnus, les réponses de ses cadets et le mal irradiant encore dans sa jambe.

- Bah, heureusement qu'on lui a jamais confié nos deux secrets, lance Lantana.

- Je parle de ces deux types.

- Oh... Eux ils sont mauvais, réplique l'adolescente en couvrant les concernés d'un regard dégouté. Mauvais et répugnants.

- Même sans pouvoirs, moi aussi je ressens ça, ajoute Lavande. On peut pas leur faire confiance.

- Ouais. Après tout, ils ont des putains de flingues ! souligne Lobél.

- Langage, le reprend Aïden, l'œil inquisiteur.

- Désolé...

Aïden passe outre les digressions de son petit frère et poursuit :

- Je pense aussi que leurs armes sont la raison pour laquelle on devrait marcher dans leur sens. Ou, du moins, le leur faire croire.

- Hé ! hèle Hédi en remarquant leur aparté. Qu'est-ce que vous faites, là ? C'est quoi ces gesticulations ? Vous complotez ?

- Je suis malentendant et une de mes sœurs est muette, l'informe directement Aïden en vue de noyer le poisson. On communique toujours en langue des signes... On se concertait juste avant de prendre une décision.

Ses cadets n'interviennent pas quant à cette vérité brodée. Leur frère a beau être strict - parfois un peu trop - son instinct les a toujours préservé du pire. Alors, quelque soit la couleuvre à avaler, ils suivront.

- On peut savoir laquelle ? l'interroge le Néandertal en chef, l'œil soupçonneux.

- Coopérer pour survivre. Ce mec-là a tendance à se laisser déborder par ses émotions quand il panique. Il t'as révélé tout un tas de choses dont, j'en suis sûr, tu te fiches éperdument.

- Pas faux... T'as des trucs intéressants à me dire, toi ?

Aïden hausse inconsciemment les épaules.

- Peut-être bien. Tout dépend de ce que tu veux savoir.

Hédi ne perd pas une seconde pour demander :

- Vous débarquez d'où ?

- Orléans, confie calmement le porte-parole autoproclamé sous les regards expectatifs des autres. Le bavard est avec nous depuis le début du dernier confinement et on a rencontré le nerveux l'an dernier. Son groupe nous a permis de quitter l'appartement où on est restés planqués quand le monde s'est effondré.

- Et qu'est ce qui lui est arrivé, à votre groupe ? Pourquoi vous vous êtes pommés à Meung-sur-Loire ?

- Ce n'est pas volontaire. On a dû fuir à l'aurore, hier. Le foyer où on habitait s'est fait envahir par une marrée de morts-vivants. C'était... le chaos total et, dans la panique, on a été séparés des autres.

Mensonges !

Enfin, encore des demi-vérités et quelques omissions.

Le gros coup de bol pour Aïden, c'est qu'Hédi est incapable de renifler ce genre de nuances. Surtout lorsque la tristesse s'y mêle, altérant le fumet de la peur. Et le malheureux se noie dans un océan de regrets, à chaque fois qu'il repense à Grâce.

Que s'est-il donc passé ?

Eh bien, un truc assez moche pour être tu.

La vérité autour de ce funeste drame, c'est que les zombis qui ont submergé le foyer des Acacias n'y sont pas entré par force, ou par accident, mais bien par négligence.

Le responsable de ce désastre ?

Nul autre que Loïc ! Déjà bien connu pour ses bagarres intempestives.

C'était l'erreur de trop. Alors, naturellement, les chanceux ayant réchapés à l'incident l'ont banni de leur communauté. Lui interdisant même de rejoindre les autres résidences de survivants implantés sur la ville d'Orléans.

Grâce, qui refusait d'abandonner son neveu - bien plus âgé qu'elle, soit dit en passant - a choisi de s'exiler avec lui. C'est ainsi qu'Aïden, soutenu par sa fratrie, a accepté de les accompagner dans leur périple vers un nouveau refuge ; le château de Chenonceau.

Hier encore, cela lui semblait la meilleure des décisions à prendre. Il n'aurait jamais laissé sa chère et tendre s'en aller seule, au péril de sa vie.

Si seulement il avait su...

- OK, opine Hédi. Vous avez eu une sacrée vaine de tomber sur nos gars. On a récemment perdu des gens à cause de la Covid, alors on a bien besoin de bras supplémentaires à la communauté. Vous pourrez vous joindre à nous si vous voulez, mais je dois d'abord vérifier que vous n'êtes pas infectés.

Une requête raisonnable, à laquelle presque tout le monde acquiesce, jusqu'à ce qu'il ajoute sans sourciller :

- Déshabillez-vous entièrement.

- Quoi ? s'étranglent presque Lobél et Lavande, tandis que Lantana l'articule en plissant le front, bouche bée.

- Me regardez pas comme ça, se marre Hédi. Vous croyez vraiment que je vais vous demander de jurer sur l'honneur qu'aucun d'entre vous ne cache une morsure, ou une infection qui se propage à vitesse grand V ? Ha ! Non. Je dois le voir de mes propres yeux.

À suivre...

Hmar¹ (arabe) : âne - utilisé comme une insulte.

DOM² : Départements d'Outre-Mer - Guadeloupe, Martinique, Guyane, Réunion, Mayotte.

Je suis à court de questions, lol.

Mais toutes les remarques autour de l'intrigue, la teneur du chapitre et des personnages sont les bienvenues !

PS : Un petit vote si tu as aimé ce chapitre me ferait grand plaisir !

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