2. Plan d'action
Loïc expose fièrement lʼidée de génie qui vient tout juste de le frapper.
— Lobél et Aïden, vous êtes les plus rapides. Donc, les plus à même de vous barrer fissa après avoir rameuté les zonz de lʼautre côté de la rue. Pendant ce temps, Émeric et moi on va former une barrière face à lʼentrée quʼon a vu avec les chariots restant sur le parking.
— Quʼest ce qui nous dit quʼy en aura ? sʼinquiert Lantana.
— Jʼen ai vu au moins trois, assure Lobél.
— Les morveuses, poursuit Loïc sans se laisser distraire, vous allez nous aider et vous démerder pour empêcher les zombis traînards de nous chicoter pendant quʼon vire les barricades rassemblées devant la porte. Les deux autres esquivent la horde et nous rejoignent. Puis voilà, le tour est joué ! Pas de quoi se prendre la tête.
Alala... Cʼest quand même hallucinant que ce type-là ne sʼétouffe pas avec lʼarrogance dont sa poitrine regorge.
Malgré leurs votes favorables, Lobél et Lavande sont eux rongés par la trouille. Rien quʼà sʼimaginer foncer au milieu dʼune horde – aussi prévisible soit cette dernière –, leurs palpitants tambourinent tout aussi fort que ceux de leurs frères et sœurs. Sinon plus ! Lʼidée que soutenir une telle entreprise puisse coûter la vie à un dʼentre eux étant insoutenable.
Victime de leur angoisse commune, Lantana est prise dʼune tachycardie subite. Tournant sur place, essoufflée sans raison apparente, les yeux partout et nulle part à la fois, la pauvre laisse filtrer sa terreur en quelques mots furtifs.
— Cʼest sûr, on va tous y rester...
Pleine dʼempathie, Lavande saisit sa manche dans la seconde et tente de rassurer sa sœur – peut-être bien de se convaincre aussi par la même occasion.
— Ça va aller, ma belle. Les Bui-Mathis sont toujours là pour veiller les uns sur les autres.
— Elle a encore quelque chose à redire, la muette ? sʼimpatiente le fin stratège.
Comme le reste de sa fratrie, le sang de Lobél ne fait quʼun tour.
— Elle a surtout un prénom ! La prochaine fois que tu lʼappelles autrement, toi et moi on va avoir un problème.
Privation, fatigue, deuil... Autant de facteurs qui réduisent drastiquement la patience de chacun, mettant ainsi les nerfs à rude épreuve. Le taux dʼimpulsivité dans un corps si chétif tire pourtant un soupir dédaigneux à Loïc. Avalé par ses vêtements dʼhiver et le gros masque de ski réfléchissant posé sur son front, Lobél nʼa absolument rien de redoutable ; avoir les armes aux poings nʼy change rien. Ceci dit, Loïc lâche lʼaffaire quand son regard moqueur croise les yeux mitrailleurs dʼAïden.
Libérant le loustic de sa prise silencieuse, Aïden détourne lʼattention vers sa sœur. Le visible chagrin de cette dernière adoucit instamment ses prunelles brunes acérées.
— Ne fais pas attention à ces conneries, ma puce. Tu connais le proverbe à propos du chien qui aboie.
Lantana opine et, la connaissant, Aïden devine le sourire de façade caché sous le tissu couvrant le bas de son visage.
— Oui, tʼen fais pas... Je sais quʼil y aura toujours des cons qui essaieront de me réduire à mon handicap. Ces deux-là ne valent même pas peine que je gaspille mon énergie. On a plus important sur le feu, comme éviter de mourir aujourdʼhui.
Contrairement à ce que peuvent laisser penser ses mots, la petite est toujours morte de trouille. Assez pour que la corde sensible dʼAïden vibre furieusement. Il refoule difficilement un réflexe encore bien présent : le besoin de prendre sa sœur dans ses bras pour la consoler, la rassurer sur les évènements à venir. Il se résigne toutefois à montrer sa profonde compassion, à distance, dʼun simple geste contre son cœur.
Pourquoi tant de retenue ? Tout bonnement car les contacts physiques deviennent bien trop risqués suite aux longues expositions au virus. Voilà plus de 24h quʼils déambulent parmi des vagues éparses de morts-vivants. Lʼaspirant au titre du frangin de lʼannée craint plus de mettre en péril la vie de sa sœur que la sienne, même si les deux sont intrinsèquement liées.
Tout comme Lavande, Lobél lance un coup dʼœil machinal vers eux, histoire de suivre leurs échanges. Lʼaîné profite dʼavoir capté son regard pour reprendre :
— Nana a raison, réagir à chaque provocations de ton nouveau pote ne nous avance en rien.
— Dites, ça va, les messes basses ? gronde enfin Émeric, bras croisés alors que Loïc le darde discrètement dʼintervenir depuis quelques minutes déjà. Vous savez que je déteste quand vous communiquez comme ça sans parler.
Un comble pour celui qui refuse catégoriquement de « perdre son temps » à apprendre la langue des signes !
— Ce plan dʼaction inquiète Lantana, informe Aïden dʼune voix placide. Il mʼinquiète aussi.
— Ouais ben, soyez pas si pessimistes et on nʼaura pas la guigne, décrète un Loïc relativement calme bien que ces tergiversations le gonflent.
— Cʼest vrai, ça pourrait marcher, ose Lavande puisque Lobél boude encore suite à la remarque de leur frère.
— Sauf quʼon nʼest pas dans « Walking Dead », là. Cʼest la vraie vie ! Si la situation devient chaotique, on ne sʼen sortira pas comme par magie.
— Ma sœur a de gros doutes et, une fois de plus, moi aussi. Admettons que tout fonctionne comme prévu jusquʼà ce quʼon entre. On se replie comment si la galerie marchande est bondée de morts-vivants ?
— Aïden... Tu peux vraiment pas tʼempêcher de jouer les rabat-joie ? se blase Émeric.
Question rhétorique, puisquʼil passe son temps à sʼen plaindre.
Sauf que, quand tout part en vrille, le râleur est bien le premier à se réjouir que les tendances pointilleuses de son plan cul leur garantisse un plan B.
— On cassera les vitres ? lance hasardeusement Lavande.
— Ouais ! Cʼest vrai, ça. La façade quʼon vise est vitrée. Même dans lʼurgence on trouvera bien un truc assez lourd pour la péter.
— Cʼest de la pure folie, murmure Aïden.
Pivotant sur lui-même, il ne peut que secouer la tête, désemparé. Si ça nʼéquivallait pas à risquer bêtement la contamination, il se plaquerait les mains sur le visage de frustration. Pour autant, moins de trente minutes plus tard, les six survivants se faufilent sur lʼinterminable parking de lʼHyper U.
Eh oui... La faim justifie les moyens.
Slalomant entre des épaves de voiture, sur lesquelles la végétation sauvage reprend ses droits, ils bravent leurs peurs à bout de souffle et erradiquent fébrilement quelques menaces esseulées de leur route, jusquʼà rejoindre lʼabri à chariots le plus proche et le plus sûr. Dos à dos, Aïden et son cadet prennent ensuite la tête des opérations, tremblants dʼhorreur mais plus alertes que jamais.
Le cœur au bord des lèvres, battant à tout rompre, ils parviennent craintivement à se frayer un chemin au milieu de la cinquantaine de zombis éparpillés le long de cette zone hostile.
— Allez... On est juste là, frais et appétissants.
— Ouais. Venez nous choper, bande de mochetés ! invective Lobél, deux tons plus fort que son frère.
Pas cool, le body shaming¹. Ce cri du cœur a au moins le mérite de marcher. Les zonzons serrent les rangs et boitillent, bras tendus, ou traînent leurs misérables carcasses dans dʼaffreux simulacres de grognements aux échos de gargouillis étranglés.
Lʼeffroi... Ces bruits écœurants... Lʼodeur répugnante de charogne les prenant à la gorge malgré leurs masques, ou les asticots et autres insectes ayant élu domicile sur ce qui, jadis, a été la peau de ces hôtes cauchemardesques ? Difficile de déterminer la cause exacte des violentes nausées assaillant les deux jeunes hommes.
Coté gloutons décérébrés, les plus téméraires jouent des épaules pour devancer le reste du troupeau et rencontrent inévitablement les pointes affûtées des frères.
Vlan ! Paf ! Coups de pieds acharnés... Ils donnent tout pour se protéger alors quʼils attirent le plus gros de la horde vers le terrain vague de lʼautre côté de la route. Pendant ce temps, les quatres autres survivants se planquent derrière lʼabri. Tout autant à lʼaffût de leur environnement, ils trépignent dʼun cocktail étourdissant dʼadrénaline et dʼémotions azimutes en attendant le moment propice pour foncer vers la façade vitrée.
— Maintenant !
Loïc sʼélance avec ses chariots dans une grande allée clairsemée. Les autres foncent dans son sillage et les deux filles les débarrassent admirablement du mort qui sʼimmisce à leur suite.
— Foutues gamines ! grogne Émeric quand elles ralentissent sans raison apparente.
Il comprend vite que les truelles de Lavande ont sauté hors des grandes poches de sa ceinture de jardinage durant sa course effrénée, mais préfère la jouer individualiste et marque Loïc à la culotte – sans lʼavertir de lʼincident – pour garantir sa propre protection.
— Crotte...
Lavande jure en immobilisant difficilement les chariots afin de ramasser ses armes. Les deux hommes ayant tracé la route, seule Lantana attend sa sœur. Transpirant le stress par tous ses pores, elle écarquille dʼun coup les yeux, épouvantée.
Surgissant de derrière les restes dʼune Twingo, un zombi miniature se jette sur le dos de sa sœur accroupie. Lantana se précipite à son secours. Le cri inaudible qui sort de sa bouche quand Lavande tombe à la renverse, aux prises avec lʼenfant zombi, lui déchire la poitrine.
Et puis, BAM ! Sa batte de baseball fracasse le crâne de la charogne ambulante.
La respiration effrénée, Lantana repousse tout de suite le cadavre du pied et lance un second coup de batte au nouvel indésirable qui les aborde. Elle tombe ensuite à genoux auprès de sa sœur.
— Je vais bien... Je vais bien, répète cette dernière, totalement essoufflée.
Paniquée, Lantana la palpe de manière compulsive.
— Cʼest bon, Nana, il a pas réussi à me mordre.
Lantana opine et aide Lavande à se relever, pile au moment où le son grave dʼun klaxon résonne.
À quelques mètres du parking, sur le terrain vague, leur aîné vient dʼabandonner une corne de brume manuelle enroulée de gros scotch pour distraire les zombis pendant quʼils courent vers lʼHyper U.
Malgré lʼenvie insistante de scruter le retour de leurs frères, les filles se précipitent aussi vers lʼentrée du centre commercial. Y débarquant à grandes enjambées, elles ajoutent leurs chariots à ceux déjà placés pour bloquer le passage aux possibles traînards.
Haletants, Aïden et Lobél arrivent à peine quelques minutes après elles.
— Ça va ? sʼinquiètent-ils en chœur.
Vifs hochements de tête et pas le temps de geindre sur ses malheurs. Les chariots ne suffisent pas longtemps à maintenir les morts-vivants, toujours plus nombreux. Le vacarme des planches frappées par Émeric et Loïc détourne leur attention du sifflet constant de la corne de brume et les attire vers le groupe aux abois.
— Grouillez-vous ! sʼimpatiente Lobél.
— On fait ce quʼon peux !
— Pousse-toi, ordonne Loïc, lassé des jérémiades et de lʼinefficacité dʼÉmeric.
Le concerné sʼexécute en catastrophe en le voyant prendre un semblant dʼélan. Il assiste, médusé, au massacre par coup de bélier de ce quʼil restait des entraves en tout genre amoncelées devant ce qui était autrefois une porte automatique.
Le flanc droit douloureux après sʼêtre vautré au sol en beauté, Loïc se redresse pourtant dans la seconde pour jauger le hall. Les autres le rejoignent rapidement et bloquent lʼouverture avec les chariots et tout ce quʼils peuvent balancer dedans, dessous... Bref, un peu partout afin de garder les morts à lʼextérieur.
— On est dedans, sʼémerveille Loïc, atrocement satisfait que son plan ait fonctionné. Je vois aucun zonzon, Casse-bonbon.
Cette remarque sʼadresse forcément à Aïden. Pour une fois, elle amuse aussi les autres. La pression retombe et son rire bourrin provoque une hilarité générale incrédule. Émeric tourne sur lui-même, se touchant un peu partout pour être bien sûr quʼil nʼa pas été mordu.
— Dieu merci ! Je suis entier.
— Cʼétait moins une, mais on a réussi, déclare Lobél en fixant son grand frère.
Une façon comme une autre de lui faire comprendre qu’être lʼaîné, ou même le plus avisé, ne signifie pas qu’il a toujours raison.
À suivre...
Body shaming¹ : expression issue de l'anglais qui signifie « honte du corps » ; cela concerne toutes les remarques malintentionnées ou maladroites qui se moquent d'une personne ou l'humilient en fonction de son apparence (beauté selon différents critères, poids, taille, forme du corps, etc).
DONNE-MOI TON AVIS À CHAUD !
~> As-tu été tenu(e) en haleine durant les actions ?
~> Comment as-tu trouvé leur description et celle des zombis ?
~> T'es-tu déjà fait un avis sur certains personnages ?
~> Que penses-tu de la narration ?
~> Que penses-tu de l'atmosphère ?
PS : Un petit vote si tu as aimé ce chapitre me ferait grand plaisir !
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