— Ça va ? signe Lantana après un léger coup de pied à Lobél, qu'elle s'inquiète de voir servir de la soupe à la grimace en se pressant le bas-ventre avec deux doigts.
— J'ai juste l'impression de me faire trancher de l'intérieur, grogne l'intéressé sans la regarder. Sinon, ça va, ouais...
Serrant les dents sous les œillades compatissantes de ses sœurs, Lobél réajuste son masque chirurgical par-dessus son nez et laisse l'arrière de sa tête tomber sur les murs vert menthe aux dessins d'animaux en tout genre.
Avoir des crampes abdominales n'est jamais très drôle. Ça l'est encore moins quand on marine dans la salle d'accueil d'une clinique vétérinaire – revisitée en pièce de quarantaine –, le derrière posé sur les coussins ramollis d'un affreux banc en bois.
Dire qu'ils auraient pu se reposer dans des chambres. Certes petites, mais au moins un minimum confortables... Seulement, pour ça, il aurait fallu que leur groupe se sente assez en confiance dans ce nouvel environnement.
Puisque ce n'est pas absolument pas le cas, la fratrie a décidé de rester ensemble dans le hall d'accueil. Soit, le plus près possible de la porte !
L'attention des filles finit par dévier des plis torturés sur le front de Lobél. En cause, les pas qui émanent du couloir menant à l'arrière du bâtiment. Du même mouvement, elles lèvent la tête vers Aïden qui en débouche mollement. Masque chirurgical au visage à l'instar des autres, l'esprit et les jambes dans le coton, il contourne le muret délimitant l'espace d'attente afin de rejoindre sa fratrie sur les bancs.
Lors d'une courte visite suite à l'annonce de leur arrivée inattendue à la clinique, le père Thomas leur a expliqué – avec cette courtoisie charmante propre aux prédicateurs – qu'ils étaient confinés dans ce bâtiment et non « prisonniers ».
Après s'être personnellement excusé pour le zèle de son bras armé – le rustre dénommé Hédi – le saint homme a insisté sur le fait que les jeunes gens sont en effet libres d'aller et de venir à leur guise dans les parties communes. À savoir la salle d'accueil, les toilettes, la pièce servant de salle de bains et deux des cabinets de visite réaménagés en chambres d'appoint destinées au courts séjours des nouveaux arrivants. Ceux-ci devant d'abord être déclarés covid-négatifs avant de se voir attribuer une place pérenne dans cette collectivité – dont ils ignorent encore la véritable ampleur. Seul l'accès à la pièce stratégique où sont stockés une partie des vivres, du matériel divers et les médicaments leur est interdit. Ces derniers, on le leur a promis, sont toutefois fournis consciencieusement aux membres actifs de la communauté lorsque la situation le requiert. Comme ça a été le cas pour Aïden.
— Tu t'es pas séché les cheveux, constate Lavande avec de gros yeux.
Visiblement peu dérangé par les mèches humides qui trempent son t-shirt, le concerné jette un œil distrait aux deux étrangers montant la garde devant la porte vitrée. Puis, après un regard tout aussi bref vers Émeric – qui essaie de roupiller tranquille, allongé sur un des bancs, le bras replié sur son visage – Aïden se justifie en un mot bien pensé :
— Flemme.
— Ouais, je vois ça, soupire sa cadette. Viens là. Je vais le faire pour t'éviter de tomber malade. Ensuite, tu vas changer de haut. Celui-là est tout mouillé et avec la chance qu'on se traine, si tu chopes la crève, ces fous vont penser que c'est la COVID et te servir le même traitement que Loïc.
— Ne parle pas de malheur ! s'anime Lantana, marquée au fer rouge par cet évènement plus qu'aucun autre.
— On n'est jamais trop prudent, Nana...
Tout aussi résigné que sa sœur, Aïden reste silencieux et avance comme un spectre.
Tandis que Lantana se lève pour aller farfouiller dans leurs sacs respectifs, posés de part et d'autre sur leur banc, il s'assoit à même le sol lisse, entre les pieds de Lavande, et la laisse s'occuper de lui. Cette dernière remercie machinalement Lantana en langue des signes lorsqu'elle lui tend de quoi éponger puis attacher la masse de cheveux de leur aîné.
Si l'apathie d'Aïden passe pour une fatigue écrasante au yeux de ses frère et sœurs, Hédi en connaît la cause et s'en réjouit intérieurement depuis son poste d'observation.
Accoudé au guichet d'accueil, le saligaud prend un énorme plaisir à détailler les nouvelles venues – sur lesquelles le grand frère n'est plus en état de veiller. Ses longs silences contemplatifs n'ont jusqu'ici été ponctués que par de rares remarques à voix basses, toutes lancées pour faire comprendre à la blondinette installée dans le fauteuil qu'il a trouvé « des poupées bien plus mignonnes et bien moins en cloque » à couvrir de ses ardeurs.
— Je pense pas qu'ils oseront chercher l'embrouille, eux, souligne-t-il en tournant son regard menaçant vers Eevelin. Leur clan est soudé, mais c'est justement ce qui fait leur faiblesse. Ils ont bien trop peur qu'on bute un des leurs en représailles pour tenter quoique ce soit. Tu piges, p'tit cul ?
Raide comme un bout de bois sous ces insinuations à peine voilées, Eevelin se retient de justesse de plisser les yeux dans une grimace.
Si elle veut pouvoir tenir son poste à la clinique ce soir et espérer convaincre le père Thomas de l'autoriser à assurer la permanence alternée de ces quinze prochains jours, elle ne doit pas laisser paraître sa douleur. Heureusement, c'est sa terreur qui domine à la simple idée que ces monstres s'attaquent à celui qu'elle aime. Elle opine donc, sans toutefois réussir à éviter le reflex de caresser son bébé à l'endroit où il vient de donner un grand coup en réaction à son état de stress extrême.
— Bon, je vais me dégourdir les pattes. Tu sais ce que t'as a faire, ma jolie, susurre le malotru en se penchant pour enserrer le menton de la finlandaise.
D'une main calleuse, il la tient fermement et ancre ses orbes sombres dans ses yeux verts effarés.
— Un des gars va patrouiller devant la porte. Ton petit toutou indien et son pote attardé ne pourront pas approcher sans qu'on s'en rende compte. On vous tient à l'œil à durée indéterminée, alors vous avez plutôt intérêt à respecter vos engagements envers la communauté.
Craignant de perdre le contrôle de la sauvageonne qui sommeille au fond d'elle, Eevelin n'ose même pas se libérer de cette prise écœurante. Elle se concentre sur son bébé et détourne le regard en continuant à masser son ventre pour l'apaiser. Ce n'est que lorsqu'Hédi s'en va enfin qu'elle prend une grande inspiration et parvient à se détendre, malgré l'odeur de chien errant et le ricanement gras qui traîne dans le sillage de la raclure.
Enfin confortablement calée dans le fauteuil ergonomique de l'îlot d'accueil, un livre ouvert sous le nez, la finlandaise continue d'observer les nouveaux du coin de l'œil en se demandant quand elle pourra tenter une approche.
Pour l'instant, c'est tout à fait impossible. Elle sait que ces jeunes ne lui font pas plus confiance qu'elle n'a confiance dans les promesses de protection du Père Thomas.
— Elle nous surveille, constate Lantana en lançant un œil méfiant vers le guichet d'acceuil.
Elle attend le moment propice pour attirer l'attention de sa fratrie afin de poursuivre :
— Je ne sens rien de mauvais émaner de cette fille. Elle a surtout l'air d'avoir peur, mais on ferait mieux de rester sur la communication en LSF.
Lobél est toujours prostré par son mal de ventre et Lavande termine tout juste d'attacher les cheveux mouillés d'Aïden avec un foulard, façon « doudou créole ». Les deux opinent.
Pendant que leur aîné change de t-shirt, les adolescents reviennent sur le discours pompeux du Père Thomas. Ils évoquent la façon détachée dont il s'est excusé pour le comportement de Hédi et la mort brutale de Loïc, juste avant de justifier ces mesures drastiques par la nécessité de garder le Mal éloigné de leur communauté.
— Il croyait sincèrement en ses promesses, assure Lantana.
— Mais cet endroit a tout l'air d'une secte de fanatiques complètement barrés, insiste Lavande. Sans oublier les deux pervers ! On peut pas leur leur faire confiance.
— On ne peut pas... faire confiance à ceux qui prétendent... agir au nom d'un dieu. Jamais, signe paresseusement Aïden, toujours assis par terre.
Même dans le coaltar, il lui est impossible d'oublier ses tourments, jadis infligés par un de ces « hommes de dieu ».
— Ils veulent nous garder confinés pendant quinze jours, enchaîne Lantana. Le temps d'être sûr qu'on n'est pas contaminés même sans présenter de symptômes... Mais si un d'entre nous en manifeste d'ici demain...
— Il risque de se faire exploser le crâne, lâche Lobél face à la retenue craintive de sa sœur. On doit se tirer aussitôt que possible.
— Oui, dès que... je serai en état de participer au plan. Mais... Pas un mot de notre fuite à Émeric. Il... Il ne comprend rien à rien. Il essaiera de nous convaincre de rester et ses jérémiades... ne feront qu'attirer l'attention.
— Franchement, je vois pas ce que tu lui trouves. C'est vraiment qu'un idiot, s'agace Lantana.
Elle toise Émeric – allongé sur le banc d'en face – sans s'en cacher.
— On a déjà abordé ce sujet en long, en large et de travers, lui fait remarquer Lavande en roulant des yeux.
À la grande surprise des triplés, un rire inopiné s'échappe des lèvres d'Aïden.
— Ouais... L'organe qu'il utilise le mieux n'est pas son cerveau. Faut juste s'y faire.
— Wow ! s'étonne bruyamment Lavande, avant de poursuivre en sourdine. Aïden qui nous sort une blague salace ?
— Et qui enfonce le pleurnichard au lieu de le défendre ! ajoute Lantana.
— Du jamais vu, termine Lobél.
La fratrie explose de rire.
— Vous parlez encore de moi derrière mon dos ? se plaint Émeric qui a bougé son bras de ses yeux, d'abord alerté par le rire d'Aïden puis par le cri de Lavande.
— Tout ne tourne pas autour de ta petite personne, crache cette dernière.
— Ouais... Sauf que je sais quand vous parlez de moi, assure l'intéressé en signant d'une main le mot « pleurnichard ».
Même désintéressé par la langue des signes, le brun en reconnaît quelques-uns, notamment ceux utilisés de manière récurrente pour remplacer la nécessité d'épeler leurs prénoms.
Ce mot-là – bien qu'il ne le comprenne pas – est devenu son qualificatif il y a bien longtemps.
— Et c'est moi qui suis susceptible, glousse Aïden.
— Je crois que tu planes, grand frère, se marre à son tour Lavande alors qu'Émeric se renfrogne dans son coin. Et je crois que j'aime bien quand tu planes. Ils t'ont refilé quoi comme médoc ?
L'aîné soupire et s'étale négligemment sur le dos aux pieds de ses sœurs.
— Je sais pas trop, mais ça me rend... bizarre. Je me sens, super léger... et tout lourd à la fois.
— Tu devrais en prendre plus souvent, plaisante Lantana.
— Non, non, non, réfute Aïden en agitant un index réprobateur dans sa direction, la bouche pâteuse et les yeux à peine ouverts. La drogue, c'est mal. Faut pas... en prendre. Jamais.
Une fois de plus, le bougre est bien placé pour le savoir.
— Sauf pour atténuer les douleurs d'une blessure au mollet, avance Lavande.
— Ou des crampes au ventre, geint Lobél.
— Oui... conçoit Aïden tandis qu'il replie ses bras gélatineux sur son abdomen. Peut-être... Peut-être que... je pourrais partager mon prochain cachet, avec toi... Si t'as encore mal d'ici là.
Lobél grimace de plus belle.
— J'ose espérer que ça se sera calmé.
— Moi aussi, soupire l'aîné, les paupières papillonnantes. Bon sang... Je suis vraiment déphasé. Il faut que... je dorme un peu, avant de–
— Oui, repose-toi, brodda, souffle Lavande.
Un sourire attendrit aux lèvres en dépit de son inquiétude, elle se penche vers lui pour caresser les petits cheveux rebelles s'échappant du foulard noué autour de sa tête.
— De toute façon, on peut pas partir temps que t'es dans cet état, souligne Lantana en scrutant les yeux fermés et les traits relâchés de leur frère habituellement si vigilant.
DONNE-MOI TON AVIS À CHAUD !
~> Le développement de ce chapitre où on revient aux événements présents est-il clair ?
~> Si non, toutes les remarques et les avis sont bienvenus !
~> Que te fais redouter ce chapitre ? Que penses-tu qu'il pourrait se passer dans le prochain ?
PS : Un petit vote si tu as aimé ce chapitre me ferait grand plaisir !
Note exceptionnelle :
L'écriture de 3TC est dorénavant en pause, jusqu'à l'an prochain.
Je veux profiter de cette période pour faire des échanges et récolter le max de retour possible afin d'ajuster mes premiers chapitres et mieux continuer sur la suite.
Il s'agit d'une aventure de très longue haleine, sur laquelle j'espère sincèrement que vous m'accompagnerez. Que ce soit par plaisir de me lire ou durant des échanges.
Pour le coup, j'accepte les demandes en dehors de mes projets d'entraide. Donc si vous ou des connaissances êtes intéressés, on peut en discuter par MP. 🥰
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