Chapitre 2
Sa journée se passa bien. Savoir qu'il aurait un week-end tranquille, un week-end où il pourrait dormir, sortir, faire uniquement ce qu'il voulait lui avait rendu le sourire.
Même l'annonce de la double otite d'Ernestine ne put l'effacer. Finalement, ce n'était pas si grave. Elle serait parfaitement bien soignée par ses grands-parents.
Mais lorsqu'il rentra chez lui, toute sa bonne humeur s'envola. La maison paraissait bien trop grande sans ses enfants. Tout était trop calme.
Il préféra fuir plutôt que de rester seul. Il envoya quelques messages à ses amis, les prévenant qu'il allait grimper. Son sac dédié se retrouva sur son dos et quelques minutes après, il enfourcha son vélo.
En arrivant à la salle, il dit bonjour aux gens qu'il connaissait, discuta un peu plus avec quelques-uns et s'échauffa. Tout son corps y passa. Il prolongea les exercices quand il arriva à ses doigts. Il s'était déjà suffisamment blessé par le passé. Ce n'était pas de bons souvenirs.
Il prit le temps de faire plusieurs fois d'affilée la salutation au soleil. Il l'avait tant répétée que même s'il ne l'avait pas faite ces derniers temps, il la connaissait par corps. Les gestes et les positions s'enchaînèrent sans qu'il n'eût besoin d'y réfléchir.
Et enfin, il enfila ses chaussons. Il commença par des blocs faciles. Bien trop faciles pour lui. Il aimait ça. Ne faire presque aucun effort. Juste faire un mouvement après l'autre. Ses amis se moquèrent un peu de lui. Il ne s'en offusqua pas. C'était un jeu. Bien vite, il l'abandonna. Les challenges que les autres se lançaient étaient bien plus intéressants.
Pendant les deux heures qui suivirent, il oublia tout. Sa fatigue, ses enfants, sa peine, la douleur dans sa poitrine. Elle s'était presque évaporée. Effacée par l'effort physique. Par l'amitié. Le partage. La bonne humeur qui régnait toujours. Les essais manqués comme les victoires.
Ça râlait, jurait, criait « allez » dans tous les sens. Ça se congratulait aussi.
La fatigue les rattrapa tous. Alban fut l'un des premiers à rendre les armes. Les derniers mois l'avaient un peu affaibli.
Il prit une douche rapide et se rhabilla. Il s'apprêtait à partir quand l'un de ses amis l'interpella.
— On va boire un coup et manger un morceau en ville. Tu viens ?
Il hésita. Il savait qu'il devrait rentrer dormir. Que c'était la meilleure chose à faire. Mais Damien insistait.
— Allez, Alban. Ça fait des semaines qu'on t'a pas vu. Viens.
— Ok.
Le sourire de son ami ne lui échappa pas. Une nuée de vélos se rua sur le centre ville. Ceux qui étaient en voiture avaient réservé des places dans ce bar qu'ils fréquentaient très souvent après leurs séances de blocs.
Leurs sujets de conversation tournèrent autour de la saison de ski qui se profilait, des projets sportifs de chacun. L'abandon qu'Alban avait ressenti pendant qu'il grimpait resta encore un peu. Il appréciait d'entendre parler de tout cela. Les thèmes abordés, il les appréciait particulièrement. C'était toute sa vie. Puis petit à petit, sa réalité réapparut. Ses priorités se trouvaient maintenant à mille lieux de celles de ses amis.
Damien remarqua tout de suite qu'il se renfermait. Ce n'était pas son meilleur ami pour rien.
— Ça te dirait une session demain à Rioupéroux ? Rien que tous les deux. En fait, tu es obligé de dire oui. J'ai repéré des blocs parfaits pour faire des photos et il me faut un modèle. Et je sais déjà que tu n'as rien de prévu.
— C'est ma mère, c'est ça ? Vous vous liguez tous contre moi ?
Un petit sourire ironique apparut sur le visage de Damien.
— Ça te pose un problème ?
Oui. Cela lui en posait un. Mais il devait avouer également qu'il appréciait le geste.
Lui aussi sourit ironiquement.
— Absolument pas. Que tu joues au meilleur ami attentionné est une vraie bénédiction.
— T'es con.
— Il y a des choses qui ne changeront jamais.
Ils calèrent les détails dans leur coin pendant que les autres parlaient des fêtes qui approchaient. La fatigue les rattrapa et ils se séparèrent en se souhaitant une bonne nuit.
Alban regagna ses pénates. Il jeta ses affaires dans l'entrée, elles pouvaient attendre. Il se déshabilla à la va-vite et se jeta sur son lit.
Il dormit du sommeil du juste. Sans aucune interruption. Au fond de lui, le brin de conscience qui restait en permanence en alerte s'était mis en veille. Au repos. Tant et si bien que ce fut le jour qui le réveilla. Il avait oublié de fermer ses volets.
Il traîna un peu au lit avec un bouquin après avoir avisé l'heure. Il avait le temps. Il se plongea dans les pages de ce polar sur lequel il n'arrivait pas à avancer. Bien que prenant et haletant, il n'arrivait jamais à en lire plus de deux ou trois pages. Comme il n'arrivait pas à le lâcher, il se leva et traversa sa maison, les yeux rivés aux lignes et prépara machinalement son petit-déjeuner. Il mangea sans jamais quitter son livre des yeux. Le calme alentour lui permettant de tourner les pages aussi vite qu'il le faisait habituellement.
L'heure tourna. Il dut malheureusement abandonner l'ouvrage pour se préparer à partir. Damien ne serait pas en retard. C'était l'une des personnes les moins à l'heure qu'Alban connaissait hormis lorsque le sport entrait dans la balance.
À l'heure dite, son ami sonna à la porte. Tout était prêt. Alban avait même eu le temps de téléphoner à ses parents pour prendre des nouvelles des enfants. Ernestine allait mieux avec les antibiotiques. Marius bricolait avec son grand-père. Tout allait bien.
Ils prirent la route. La musique résonnait dans l'habitacle couvrant le silence assourdissant qui s'était installé entre les deux hommes. Pourtant ils avaient des choses à se dire, des sujets à aborder. Alban regardait le paysage défiler par la fenêtre du côté passager tandis que Damien restait concentré sur la route.
Ce dernier tapotait en rythme sur le volant, battant la mesure de la chanson. Elle lui permettait de prendre sur lui. Il ne voulait pas brusquer son ami. Les derniers mois avaient été bien trop difficiles. Il ne le savait que trop bien. Il avait perdu un être cher lui aussi ce jour-là. Cela devait bien faire une heure qu'ils roulaient quand il en eût assez.
Il décida de ne pas aborder les sujets délicats dès le départ.
— Ça va le boulot ?
Alban se crispa à ses côtés. Pourquoi réagissait-il ainsi ? Il ne dit rien pendant quelques secondes et enfin, sa voix calme et posée brisa le silence.
— Carole m'a proposé un poste de chef de projet.
— C'est génial !
Devant l'absence de réaction d'Alban, Damien douta de sa réponse.
— Ça ne l'est pas ?
— Si. Bien sûr. Mais honnêtement, je ne vois pas comment je pourrais gérer plus de responsabilités quand je m'en sors à peine avec mon poste actuel.
— Ce n'est certainement pas ce qu'elle pense si elle te le propose.
— Peut-être...
— Non. Pas peut-être. Elle connaît ta situation et sait très bien que tu ne voudras pas changer ni ton organisation, ni tes priorités, non ?
— Effectivement. Mais honnêtement, je ne sais pas si je veux le poste.
— Pourquoi ?
— J'en rêvais avant. Maintenant, je ne suis plus sûr que ce soit le cas. Je ne suis plus sûr de vouloir grand-chose.
— Tu dois avancer, Alban.
— C'est facile à dire.
— C'est clair. Mais bordel, tu sais qu'elle détesterait te voir comme ça.
— Ta gueule.
Enfin, il réagissait. C'était exactement ce que Damien cherchait.
Retrouver son ami. Pour un instant, il l'avait libéré. Il le laissa parler. Il lui avait ordonné de se taire de toute façon.
— Elle n'est plus là. Alors ne fais pas comme si elle pouvait encore donner son avis.
— Effectivement.
Un sourire satisfait apparut sur les lèvres d'Alban. Il s'effaça dès que Damien rouvrit la bouche.
— Sauf que tu sais que j'ai raison. Alors oui, ce n'était pas ma femme. Mais je l'aimais autant que toi. Tu ne peux pas nier ça. Il n'y a pas qu'à toi qu'elle manque.
Alban chercha ses mots. Mais aucun ne vint. La douleur s'empara de sa poitrine et au lieu de se laisser aller, de la montrer à Damien, il la refoula au plus profond de lui et fuit le regard de son ami.
Les derniers kilomètres se firent dans le silence pesant qui avait repris possession de l'habitacle.
Leur journée s'annonçait mal. Ils sortirent leurs affaires, Damien les mena là où il désirait faire des photos.
Ils s'installèrent en échangeant uniquement des onomatopées. Mangèrent sans s'adresser la parole. Alban toujours renfermé sur lui-même.
— Bon, tu as fini ? Il y a peu de chances que je prenne ta tête en photo mais si tu pouvais éviter de tirer la tronche, on passerait un bien meilleur moment. Et puis, sérieux, regarde ce beau caillou...
Damien eût l'impression de dire le mot magique. Le visage d'Alban toujours renfrogné s'ouvrit petit à petit. Il continua à lui parler plus en détails des lignes qu'il avait remarquées et qui, pensait-il, rendraient le mieux sur les clichés.
Il était dans son élément. Ce n'était pas son métier. Seulement sa passion. Pourtant, il pensait un peu plus chaque jour à unir les deux. À faire que l'un devienne l'autre. Les demandes affluaient. Il suivait de plus en plus de sportifs dans leurs courses. Ils étaient ravis de son travail. Mais il hésitait. Ce qui le retenait était que ses meilleures photographies, les plus vraies étaient celles qu'il faisait de ses amis. Elles avaient beau être travaillé comme toutes les autres, il émanait d'elles quelque chose de plus. Un sentiment. Une émotion.
Il en parla tout naturellement avec Alban. Alors qu'ils s'échauffaient, ils se lancèrent dans des diatribes dignes des plus grands orateurs. Pesant le pour et le contre. Oubliant la rancoeur qui, à peine une heure avant, les éloignait l'un de l'autre.
Ils finirent par conclure alors qu'ils regardaient la série de clichés que Damien venait de prendre que ça valait le coup de se lancer.
À travers l'objectif de l'appareil photo, Alban grimpa. Il retrouva le plaisir de toucher le rocher. De sentir le grain du gneiss sous ses doigts. L'air était froid mais le soleil de décembre leur donnait quand même un peu de chaleur. Il se réchauffa rapidement et ôta les couches de vêtements qui entravaient ses mouvements. Ces derniers se délièrent, se firent plus précis, plus hardis aussi. Et l'œil de Damien ne manquait rien. Ici, les doigts arqués sur une réglette, là, le talon crocheté. Les muscles que l'on voyait jouer sous le t-shirt. Les grimaces sous l'effort. Le sourire triomphant une fois le bloc réussi. Ce sourire à la fossette unique du côté gauche qui avait séduit Margaux alors qu'ils n'avaient que treize ans.
Malgré les quatre ou cinq petits degrés qu'il faisait dehors, Alban finit par poser son haut. Il n'avait jamais été frileux.
Ils étaient drôles à regarder, les deux amis. Le grimpeur avec son bonnet vissé sur sa tête duquel s'échappaient quelques mèches de ses cheveux peut-être un peu trop longs pour certains, ses doigts blancs de magnésie, qui transpirait malgré le froid. Le photographe, le frileux, qui ne pouvait envisager de quitter sa doudoune et qui, malgré ses mitaines, avait les doigts gelés. Le contraste était saisissant. Amusant. Ils riaient eux aussi. Ils avaient pour un temps laissé tout ce qui n'était pas l'escalade un peu plus loin, sur le parking.
Bien trop vite malheureusement, le jour tomba. Sous le couvert des arbres, cela arriva tôt. Ce n'était pas grave. Alban n'aurait pas pu grimper plus longtemps de toute façon. Son corps ne lui aurait pas permis. Ils plièrent les crash pads, rangèrent leurs chaussons et l'appareil photo.
Leur bonne humeur ne fut pas mise en sac en même temps que leurs affaires. Et autant pour l'un que pour l'autre, c'était bien. La route se passa dans la bonne humeur.
Une fois, devant chez Alban, ils déchargèrent de concert la voiture et entrèrent se mettre au chaud. Le propriétaire des lieux leur sortit des bières.
Installés sur le canapé, ils discutèrent encore un peu de photos et bientôt, Damien se prépara à partir. Cependant il ne pouvait se résoudre à ce qu'ils se séparent si tôt. D'autant plus qu'il avait encore besoin de parler à son ami.
— Tu veux venir manger à l'appart ce soir ?
— Seulement si ce n'est pas toi qui cuisine...
Damien était doué pour énormément de choses mais faire à manger n'en faisait pas partie. Il essayait quand même régulièrement. Sans grand succès.
— J'ai progressé depuis la dernière fois que tu es venu.
— Permets-moi d'en douter.
Damien explosa de rire.
— Tu as peut-être raison. En fait, Caro n'est pas là et je pensais commander des pizzas.
— On peut tout aussi bien les manger ici. Et comme ça, pas besoin de ressortir.
— Ça me va.
— Où est ta chère et tendre ?
— Chez ses parents. Je n'avais pas une envie folle d'aller les voir.
— Ça, je te crois. Ils vous tannent encore ?
— Ouais. Et franchement, je n'en peux plus. Du coup, j'y vais seulement quand je n'ai vraiment pas le choix.
— Je comprends.
C'était vrai. Il avait toujours soutenu ses amis dans leur décision de ne pas avoir d'enfants et d'en adopter un. Ils n'avaient pas de problèmes médicaux mais s'étaient toujours dit qu'ils préféraient aider un enfant plutôt que de peupler un peu plus la Terre. « D'autant plus qu'on va leur laisser un monde vraiment pourri... ». Caro finissait toujours ses diatribes comme cela.
Ils avaient réussi à convaincre et faire accepter leur choix à tout le monde sauf aux parents de la compagne de Damien. Et Alban savait à quel point cela énervait son ami. L'attristait aussi.
— Et vous en êtes où ?
Damien ne répondit pas tout de suite. Il ménagea le suspense. Alban crut qu'il avait fait une gaffe en posant la question et ne savait pas comment rattraper le coup. Il cherchait une diversion quand Damien ouvrit enfin la bouche.
— On nous a attribués un enfant. Ça y est.
— Attends... Tu me sors ça comme ça... Comme si tu me disais que tu allais à la boulangerie. Mais bordel, c'est génial !
— Oui.
— Vous l'avez su quand ?
— Jeudi. Je voulais te le dire en face et hier soir, on était trop nombreux et ça ne regardait pas les autres.
— J'suis vraiment trop content pour vous.
Il serra l'épaule de son ami. Et enfin, celui-ci réagit. Sa voix se cassa quand il reprit la parole.
— C'est une fille, Alban. Une petite fille de un an.
L'émotion était à son comble. Une larme roula le long de la joue du futur père.
— Avec Caro, on voulait savoir si tu voudrais bien être son parrain. Enfin son parrain... Pas pour l'église ou la mairie. Seulement pour nous. Et elle évidemment.
La gorge d'Alban se serra. Il grava dans son esprit les détails alliés à cette conversation. La nuit noire au dehors. Les lumières du sapin qu'il avait fait avec Marius le week-end d'avant et que machinalement, il avait allumées en rentrant chez lui. Ce sapin qu'il avait eu tant de mal à faire. Le cœur n'y était qu'à moitié. Ses pieds et ceux de Damien posés sur la table basse devant eux. Les bouteilles de bières abandonnées sur le plateau de bois. Margaux et Caro les réprimandaient constamment quand ils faisaient cela avec elles. Ce soir, ils pouvaient.
Il répondit enfin.
— Bien sûr.
— Merci. J'ai encore un truc à te demander avant qu'on commande à manger. J'ai les crocs.
— Quoi ?
— Si jamais il nous arrivait quelque chose, on voudrait que ce soit toi qui l'élèves.
Alban se doutait de la demande de son ami. Il lui avait fait la même avant la naissance de chacun de ses enfants. Il savait que c'était se tirer une balle dans le pied que d'accepter alors qu'il était père célibataire et qu'il s'en sortait à peine. Mais il ne pouvait rien refuser à Damien.
— Ok.
— Juste ok ?
— Ouais. C'est la réponse que tu m'as faite quand je te l'ai demandé aussi. Tu veux quoi de plus ?
— Rien.
— Bon, j'avoue qu'accepter est légèrement suicidaire. Mais il ne vous arrivera rien et au pire, si je sais en gérer deux, ça marchera avec trois.
C'était la première fois qu'il osait prendre sa position en dérision. Et Damien trouva cela bon signe.
Ils commandèrent à manger et pendant qu'ils attendaient leurs pizzas, Alban demanda de nombreux détails à son ami. D'où venait sa fille ? Comment allaient-ils l'appeler ? Quand serait-elle avec eux ? Autant de questions auxquelles Damien donna les réponses qu'il pouvait. Tout était encore très flou.
Naturellement, le sujet dévia sur Ernestine et Marius. Et Alban, qui était fermé comme une huître le matin même, s'ouvrit à son ami.
Il évoqua leur quotidien. Les moments difficiles qu'il devait gérer seul. Ce qu'il détestait. Ce qu'il appréciait malgré tout. Ils reparlèrent de son travail. De la proposition d'avancement. Mais aucune décision ne fut prise.
Leur repas arriva, ils se disputèrent comme un vieux couple pour payer. Damien eût le dernier mot. En mangeant, ils reprirent leur conversation où ils l'avaient arrêtée au moment où le livreur avait sonné.
Ce n'est que quand ils eurent fini de reprendre des forces que la conversation qu'Alban redoutait tant arriva.
— Tu as eu des nouvelles du procès ?
— Non. Enfin si. Jean-Paul et Roselyne me tiennent au courant.
— Et ?
— Il doit commencer en mars.
— Tu vas y aller ?
— Non. Ça ne changera rien.
— Même pour voir que justice sera rendue ?
— Elle est où la justice ? Ils sont en vie. Margaux non.
Damien savait qu'Alban avait raison. Rien ne la ramènerait. Qu'ils restent dix, vingt ans ou le reste de leurs jours en prison.
— Parfois je voudrais qu'ils crèvent. Et après, je me dis que je préfère qu'ils vivent avec toutes ces morts sur la conscience. Je me dis que, peut-être, ils regrettent. Qu'ils ont ouverts les yeux et se sont rendus compte qu'ils ont été embrigadés.
— Mouais...
L'air sceptique de Damien n'échappa pas à Alban. De toute manière, il ne croyait guère en ses propres mots. Il cherchait seulement à trouver encore un peu de bon en l'homme. Son côté utopiste tentait de ressortir, essayant de prendre le pas sur la rancœur, sur le dégoût profond qu'il ressentait.
Mais dans le fond, il ne croyait plus en rien. Plus depuis ce jour d'avril. Ce jour, où les hommes qui allaient être jugés avaient pris les vies de cinquante-trois personnes. En réalité, il y en avait bien plus. En exécutant de sang-froid tous ces gens, ils avaient détruit des familles entières. Ils avaient détruit la sienne.
Et jamais, Alban ne s'en remettrait.
— Elle me manque.
Ces mots, il ne les disait pas. Tous les jours, il avançait. Il n'avait pas le choix. Pour ses enfants. Pour Ernestine qui ne se souviendrait jamais de sa maman. Pour Marius qui avait grandi trop vite. Qui avait perdu son âme d'enfant.
Des larmes lui montèrent aux yeux. Ses mains passèrent dans ses cheveux. Dans ses boucles avec lesquelles Margaux jouait tout le temps. Comme si ce petit geste allait faire s'évaporer ses pensées. Faire disparaître la peine et la douleur. Ramener le temps d'avant.
Mais rien ne changeait jamais.
Ce soir-là, pourtant, à la différence de tous les autres, il se laissa aller. Il n'avait pas à se cacher devant son ami.
— Si tu savais comme elle me manque. C'est si dur.
Damien se rapprocha et passa son bras autour de ses épaules. Ils restèrent comme cela longtemps. Le temps d'évacuer la peine et le manque. Le temps de se ressaisir, de reprendre une contenance. Le temps de ressentir toute l'amitié à travers un seul geste. Une seule étreinte. Quelques mots lancés dans le silence de la pièce n'auraient rien apporté de plus.
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