Chapitre 5
- Bon d'accord, je le connais. Un peu, concéda Anna alors que Rachel était en train de se laver les mains.
- Un peu ?
Anna regarda l'eau couler jusqu'à ce que le robinet s'arrête de lui-même. Jusqu'où devait-elle lui parler de Ben ? Était-il sage de tout lui raconter depuis le début ? Rachel était toujours avide des dernières rumeurs qui circulaient parmi les Terminales. C'était, comme elle lui avait un jour dit, une des raisons pour laquelle elle se rendait à toutes ces soirées. Surtout, Anna savait que sa meilleure amie ne lâcherait pas l'affaire avant d'avoir les informations qu'elle désirait.
Rachel secoua ses mains, faisant voler des gouttes d'eau dans tous les sens. Ses yeux - d'un vert qui lui rappelait souvent le feuillage des arbres des Calanques - ne quittèrent pas les siens. Peut-être était-elle en train de la sonder, de chercher la petite fissure dans laquelle elle pourrait s'engouffrer pour soutirer toutes les informations qui la satisferait.
- On était dans la même classe. Du primaire au collège, fit Anna après un temps de silence.
- Jusqu'au collège ?
- T'es arrivée quand il est parti.
Rachel fronça les sourcils et Anna devina qu'elle était en train de faire le calcul dans sa tête. Ses lèvres formèrent ensuite un petit sourire moqueur alors qu'une petite lueur apparut au fond de son regard. Immédiatement, Anna roula des yeux, certaine des mots qui étaient sur le point de traverser les lèvres de son amie.
- Je vais rien dire maintenant parce qu'il y a trop d'oreilles indiscrètes mais ce soir... (Elle sortit son portable de la poche arrière de son pantalon pour le faire danser devant son visage.) Je vais pas te lâcher.
- Si tu le dis, marmonna Anna en repoussant la main de Rachel qui lâcha un petit rire.
Elles sortirent des toilettes pour rejoindre Noam et Lucas qui les attendaient sous le préau, près de la porte principale du foyer.
- Dis-moi que t'as cinquante centimes, demanda Lucas alors qu'elle arrivait à sa hauteur.
- Tu veux dire en plus de tous les autres cinquante centimes que je t'ai donnés ?
Il la regarda comme s'il ne savait pas de quoi elle parlait - comme si, depuis la Seconde, elle ne lui prêtait pas de quoi boire ses cafés. Même si ces prêts semblaient à durée indéterminée.
- Lucas... commença Noam.
- Tiens, le nécessiteux, attrape, coupa Rachel.
Elle lança une pièce que Lucas attrapa de sa main gauche. Il la remercia d'un signe de tête avant de se diriger vers les machines à café se trouvant dans le foyer.
- La classe veut faire une soirée de bienvenue pour le nouveau, informa Noam en leur montrant les messages qu'il venait de recevoir. Ou de re-bienvenue. Ça dépend comment vous voyez les choses.
- Ils veulent tout le temps faire des soirées.
- Dis pas ça comme si ça te faisait chier. T'es partante ?
- Évidemment.
Anna essaya de se faire petite : sa tête était rentrée dans ses épaules et ses yeux fixaient le bout de ses converses. Avec un peu de chance, se disait-elle, ils oublieraient sa présence - elle se fondrait si bien dans le décor qu'ils continueraient à parler sans directement lui adresser la parole. Elle jeta un discret coup d'œil à sa montre : il restait un peu moins de cinq minutes avant la fin de la pause de la matinée.
- Et du coup, Anna vient ? demanda Lucas qui était revenu avec un gobelet à la main.
Anna jura doucement avant de relever la tête avec un sourire aux lèvres. Il avait toujours le chic pour poser des questions avec le pire des timing. Mais elle se souvenait encore de la promesse qu'elle s'était faite : pour trois refus, elle devait aller à une soirée. Si la lycéenne savait qu'ils ne lui en tiendraient pas rigueur si elle n'y allait pas, qu'ils ne lui forceraient pas la main pour la faire venir parce qu'ils savaient qu'elle n'aimait pas aller en soirée, elle trouvait difficile de leur dire une nouvelle fois non.
- Je viens, répondit Anna. Je dois demander à ma mère mais elle dira oui.
Rachel et Lucas qui lisaient les messages sur le portable de Noam relevèrent la tête. Elle pouvait lire l'incompréhension sur leur visage - si nettement que cela en était presque drôle. Ils la regardaient comme s'ils attendaient quelque chose de sa part, peut-être qu'elle leur dise finalement « surprise, c'était une blague, je viens pas ! », pour qu'ils puissent lâcher un soupir de soulagement, une main sur la poitrine.
Rachel lui donna finalement un coup de coude, un sourire sur le coin de ses lèvres.
- On pourra y aller ensemble.
Anna sourit en retour avant de basculer son regard vers Lucas et Noam.
- On se rejoindra là-bas, finit par dire Lucas. Ils savent pas encore où et quand la faire mais je peux prédire que ça sera chez Lu et que ça se fera vendredi.
- C'est noté madame Irma, répondit Rachel.
Elle se retourna vers Anna, une lueur malicieuse dans les yeux. Il était aisé de savoir ce qu'elle voulait lui dire et demander.
Rachel l'entraîna dans les couloirs, se contentant d'un vague signe de la main quand Lucas leur demanda où elles allaient.
- Pourquoi tu viens à la soirée ? demanda-t-elle.
Sa voix était neutre, sans particulière méchanceté, mais la manière dont la question avait été formulée l'agaça.
- Je pensais que ça te ferait plaisir, répondit Anna un peu trop sèchement à son goût.
Elles s'arrêtèrent au milieu du couloir, certains élèves durent les contourner pour passer, d'autres leur lancèrent des regards curieux. Anna attrapa la main de son amie pour l'emmener dans un coin pour dégager le passage, mais surtout pour que des oreilles indiscrètes ne les écoutent pas.
- Ça me fait plaisir, reprit Rachel, la voix incertaine. Je me demande juste pourquoi, d'un coup, tu veux venir.
- Parce que j'en ai envie ? Et c'est pas encore sûr. Je dois demander à ma mère.
Rachel lui lança un regard, celui qui lui disait « tu sais très bien de quoi je parle ».
Elle ne pouvait pas lui faire part de sa règle ; lui dire qu'elle venait pour lui faire plaisir.
- Donc ç'a zéro rapport avec un certain Benjamin ?
- Ben, corrigea-t-elle.
À la seconde où ce simple surnom glissa hors de sa bouche, Anna eut envie de se gifler. Les étincelles réapparurent au fond du regard de son amie alors qu'un sourire illuminait son visage.
- Je sais à quoi tu penses, et c'est pas du tout ça.
- Oh ? Et je pense à quoi ?
- Je vais pas le dire à voix haute parce que tu sais très bien ce que je veux dire.
Rachel croisa les bras sur sa poitrine et afficha une mine boudeuse.
La sonnerie retentit et Anna remercia tous les dieux existants pour cela.
***
@notrachelgreen : ton ex ?
Anna grogna et regretta d'avoir pris le risque de sortir son portable alors qu'elle était assise au premier rang, juste devant le bureau du professeur. Monsieur Guillot était l'une de ces personnes qui aimaient faire des plans de classe, parce qu'il estimait que cela stimulait leur esprit de ne pas être assis à côté de quelqu'un qu'ils avaient eux-même choisis. Mais Anna ne comprenait pas comment son esprit pouvait être stimulé quand Harlen était celui à côté de qui elle était assise.
Il avait cette mauvaise habitude de décaler son bras pour jeter un coup d'œil sur ses notes, comme si les lire à cinq minutes de la fin du cours lui permettrait de saisir toutes les notions qui avaient été abordées en près d'une heure. Il regardait sa feuille, sans jamais prendre son stylo pour noter quoi que ce soit dans son propre cahier.
Elle détestait la manière dont sa main restait posée sur son avant-bras, comme pour l'empêcher de le repositionner et lui cacher ses notes. La première fois qu'il l'avait touchée de la sorte, elle avait sursauté. Harlen avait froncé les sourcils avant d'afficher un sourire narquois. Depuis, sa main ne quittait pas cette partie de son corps. Parfois, elle sentait ses doigts se resserrer sur sa peau. Cela ne durait jamais plus de quelques minutes, parfois quelques secondes, mais cela lui donnait toujours l'envie de lui hurler d'arrêter cela. De lui crier qu'il n'avait qu'à lui demander de lire ses notes pour le faire.
Mais les mots restaient constamment bloqués dans sa gorge.
@annartsy : pas du tout
@notrachelgreen : qu'est-ce qui peut être encore plus tragique que deux ex qui se retrouvent après des années de séparation ?
Anna détesta le fait que ce message lui arracha un sourire.
@annartsy : tu regardes trop de films
@notrachelgreen : me dis pas que c'est ce trope
@notrachelgreen : celui où la personne la plus importante de ta vie revient et chamboule tout sur son passage
Les doigts d'Anna s'immobilisèrent au-dessus de l'écran de son portable. Elle jeta un coup d'œil sur la gauche pour vérifier que Harlen ne regardait pas dans sa direction et lâcha un soupir quand elle le vit la tête posé sur la table en train de rêvasser. Elle relut plusieurs fois le dernier message comme pour se persuader que Ben n'était pas la personne la plus importante de sa vie ; mais surtout pour se convaincre qu'il n'était pas sur le point de chambouler sa vie qui était déjà très mal en point.
Ben avait été son meilleur ami pendant de longues années, il avait été la personne vers qui elle courait quand quelque chose n'allait pas. Elle avait ri et pleuré avec lui.
Il avait été une personne importante de sa vie.
Mais ce n'était plus le cas.
Il lui avait fallu de long mois pour l'accepter. Même après son déménagement, Anna avait passé de longues nuits à fixer son numéro, à se convaincre de lui envoyer le texte qu'elle avait mis trente minutes à composer. À chaque fois que son pouce survolait la petite flèche bleue, les derniers mots de Ben lui revenaient à l'esprit et elle effaçait chaque lettre, chaque mot, chaque phrase de son message.
Ce manège avait duré trois mois avant qu'elle ne supprime finalement son numéro.
@annartsy : il est pas la personne la plus importante de ma vie
@annartsy : abuse pas non plus
@notrachelgreen : c'est moi la personne la plus importante de ta vie
Anna sourit et rangea son portable dans la poche de sa veste.
Rachel avait pris une place importante dans sa vie. Elle n'avait jamais osé lui avouer mais son arrivée dans son ancien collège, l'année qui avait suivi le départ de Ben, avait été comme une libération à ses yeux. Il était cependant difficile de lui confesser cela sans qu'elle n'imagine être qu'un remplacement, une personne pour combler le départ de son ancien meilleur ami. Elle avait été plus que cela. Elle avait été la seule personne à lui tendre la main alors que les autres avaient continué à lui lancer des regards indiscrets tout en répétant les mots que Ben avait prononcé avant de partir.
Elle ne voulait pas penser à son retour ; au fait qu'ils étaient de nouveau assis dans la même salle de classe ; au fait qu'elle pouvait de nouveau entendre sa voix. Mais il existait cette partie de son esprit, déjà prête à divaguer, à penser que peut-être, il existait un moyen pour eux de recoller les morceaux.
Il s'agissait d'un désir futile et même absurde quand elle se souvenait des mots qu'il avait dit. L'ignorer était tout ce qu'elle pouvait faire pour se protéger.
Son esprit revenait cependant toujours à lui.
Et elle se demandait sans cesse si c'était également le cas pour lui.
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