Chapitre 45 : Appel à l'aide

Coucou ! On retrouve Henry aujourd'hui pour un nouvel épisode de « Retour à Dramaland ». Il y a bien une chose qu'il ne faut pas dire à William et il se pourrait qu'il l'ait dite...

https://youtu.be/C2fihvzCJ3A

Chapitre 45 : Appel à l'aide

Les machines qui bipaient à un rythme régulier avaient un effet calmant sur William. Henry allait mieux, beaucoup mieux. Même s'il resterait marqué à vie par l'accident, il reprenait peu à peu des forces. Pour discuter avec lui, William avait mis au point un petit appareil, semblable à une table de ouija, où il suffisait à son ami de pointer une lettre avec son laser, à la manière d'une télécommande, pour qu'une machine à écrire accolée à l'appareil retranscrive l'information. Son invention avait attiré les praticiens de l'hôpital comme des mouches, et il avait promis d'en réaliser d'autres à la commande contre une bonne somme d'argent. Henry s'était habitué assez vite à l'encombrante machine. Étant donné qu'il ne pouvait pas encore ouvrir et fermer la mâchoire, cependant, son ami avait bricolé un serre-tête pour maintenir le laser à sa place.

"Tu es fou, William, lui avait-il écrit la première fois en découvrant l'appareil. Tu pourrais changer la face du monde et tu as choisi de faire des robots de divertissement."

Peut-être que c'était vrai. Il n'avait jamais spécialement ressenti le besoin de briller en société par son savoir. Les professeurs pompeux de l'université l'avaient dissuadé à jamais de côtoyer leur milieu. Pourtant, le vilain petit canard qui bricolait des intelligences artificielles bien loin des circuits imprimés demandés par ses enseignants avait bien grandi et s'épanouissait pleinement dans son originalité. Mieux, la simple pensée que son chèque mensuel était trois fois supérieur au le leur faisait jubiler de plaisir. Il espérait qu'ils s'en mordaient les doigts aujourd'hui.

Une tâche au tableau tranchait néanmoins dans ce rêve un peu étincelant. William n'était pas comme les autres jeunes entrepreneurs en costume qui se pavanaient sur les plateaux de télévision avec leurs bidules révolutionnaires, non, lui, il avait tué des enfants. Et cela suffisait malheureusement à le maintenir à l'écart de la vie mondaine internationale. L'homme qui avait provoqué sa marginalisation définitive de la société se trouvait devant lui, et pourtant, il ne parvenait plus à lui en vouloir. Tous les deux étaient tombés si bas dans les ténèbres qu'il ne restait plus grand chose à sauver de toute manière. Le triste état dans lequel Henry se trouvait suffisait à le lui rappeler constamment.

"Je devais te parler de quelque chose, dit William, après avoir pris de ses nouvelles. Il s'est passé quelque chose de nouveau au restaurant."

Henry fronça les sourcils. Il baissa la tête et forma un mot sur la machine : "Quoi". William joua avec ses mains, nerveux. Il regarda un moment autour de lui, comme pour s'assurer que personne ne viendrait interrompre sa confession. Il prit une inspiration.

"Je t'ai dit que j'avais pris le remplacement quelques temps en garde de nuit... C'était horrible. Ils ne m'ont pas laissé une minute de répit pendant des nuits et des nuits, et j'ai bien crû que Scott ne me proposerait jamais de passer le relai. Mais, la dernière nuit, tout à coup, il n'y avait que le silence. J'ai... J'ai eu peur, j'ai crû qu'ils préparaient une embuscade, ou je ne sais pas quoi. Et puis il y a eu des pas, et dans un réflexe idiot, j'ai attrapé mon flingue et j'ai tiré."

Il garda le silence, peu fier de lui. Il savait qu'Henry ne pouvait techniquement pas parler et donc le juger oralement, mais il se sentait brusquement mal à l'aise. Peut-être que ce n'était pas le lieu pour faire ça. Trop d'oreilles indiscrètes. Il ne pouvait cependant pas s'arrêter là désormais. Henry attendait la fin de son histoire.

"C'était un gamin, chuchota-t-il. Quatre gamins. Ils s'étaient introduits dans le restaurant. Le gosse sur lequel j'avais tiré était déjà mort et... Je ne sais pas... Je ne pouvais juste pas laisser de témoin. Je les ai descendus, un à un. Je... Je n'ai rien ressenti, dit-il, troublé. C'était comme dans un cauchemar. Je me suis débarrassé des corps et j'ai tout nettoyé mais...

— Ils se sont mis à bouger ? tapa Henry.

— Oui. Le lendemain matin, Toy Bonnie était devant la porte. Il m'a directement attaqué. Ces robots-là ne font pas semblants. Il y a autre chose... Je pense qu'il faudrait songer à se débarrasser de la Marionnette, temporairement. La mettre en bas avec les autres. On ne peut plus prendre de risques. Elle devient trop dangereuse."

Henry produisit un grognement inquiétant. Il s'agita sur son lit et peina à retrouver sa concentration.

"Fais pas ça, tapa-t-il sur la machine. Pas bonne idée.

— On ne peut pas risquer de se faire découvrir ! Ce robot a hurlé que j'étais un criminel en boucle et les autres ont menacé de faire la même chose. Ils ne devraient pas, on s'est effacés de leur mémoire, tu te souviens. Combien de temps penses-tu que la police va mettre à faire le rapprochement ? C'est elle qui maintient l'unité. Si on l'éloigne, ils vont être déstabilisés et ça nous fera gagner du temps.

— Ne touche pas Charlie. Elle n'a rien fait.

— Henry, je ne vais rien lui faire, simplement la mettre en bas.

— Non. Elle va devenir comme eux."

William fronça les sourcils et adressa un regard interrogatif à son ami, pas certain de comprendre où il voulait en venir. Il le laissa taper plus d'informations.

"J'ai surveillé. Les robots du Circus Baby's World sont fous. On ne pourra pas les sauver. Ils vont la tuer."

William resta terriblement silencieux. Son visage s'obscurcit en une fraction de seconde et il sentit son cœur battre plus vite.

"Comment ça, on ne pourra pas les sauver ?

— J'ai descendu une caméra pour les surveiller. Funtime Freddy se parlait à lui-même, Ballora a des mouvements cycliques qui relèvent des tocs, Funtime Foxy court en rond et Baby chante toute la journée des chansons glauques. Ils ont perdu la tête. Ils sont partis trop loin pour qu'ils puissent être sauvés.

— Ma fille est là-dessous, Henry, dit-il d'une voix teintée de colère et d'incompréhension. C'est toi qui m'as dit que c'était la meilleure solution pour elle, que... que... tu avais besoin de moi pour que je puisse la sauver. Et maintenant tu me dis qu'elle a perdu l'esprit ?

— Je suis désolé, Willy."

William resta de marbre, le regard dans le vide. Il se releva, arracha le papier de la machine et se dirigea vers la sortie. Henry poussa des grognements sauvages, bestiaux, pour tenter de le retenir. Il se pencha sur le côté difficilement pour essayer de l'atteindre. Une lueur noire passa dans les yeux de William. Il pourrait le pousser, l'abandonner au sol, débrancher les machines et le laisser se vider de son sang. Un instant, il hésita. Mais cela ne ramènerait pas sa fille. Il tourna les talons et claqua la porte derrière lui. D'un pas rapide, il regagna sa voiture et les traits tirés, démarra en trombe.

Mécaniquement, il roula jusque chez lui. Il courut vers la porte d'entrée qu'il laissa ouvert derrière lui et se jeta sur la porte de la cave. L'ascenseur était là, caché derrière une énorme bibliothèque. Il hésita et sa main tremblante appela finalement la machine. Lorsque les portes s'ouvrirent, un étau lui enserra le coeur. Henry mentait. Il devait forcément mentir. La descente lui parut une éternité. Une musique d'attente insupportable lui vrilla les tympans, mauvaise blague à quelques secondes de la fin de sa vie.

Et puis la pièce apparut devant lui, aussi noire qu'il l'avait laissé il y a quelques jours. Au centre de la pièce, l'incinérateur éteint produisait un bourdonnement inquiétant. Cela faisait des années qu'il ne l'avait pas contourné pour s'approcher du grand couloir central, accessible seulement par une plaque de ventilation assez large pour laisser passer un homme. Le mur avait été scellé et bétonné pour prévenir toute tentative de fuite. Il se glissa à l'intérieur et parcourut les quelques mètres qui le menait dans la salle des glaces, un long couloir qui donnait vue à droite sur Funtime Freddy et Funtime Foxy, à gauche sur Ballora, et devant lui sa fille.

Henry n'avait pas menti. Collé contre la vitre, Funtime Freddy agitait Bonbon, la petite marionnette à l'effigie de Bonnie en riant hystériquement, comme possédé. Derrière lui, Funtime Foxy courait de la scène au mur et du mur à la scène, inlassablement. Parfois, un flash de lumière des capteurs thermiques le figeait dans sa course, puis il recommençait, encore et encore. Ballora paraissait en apparence plus calme. La danseuse était sur la scène, tournant sur elle-même, mais de temps en temps, un vilain soubresaut la forçait à se courber. Elle partait alors le corps courbé dans le mauvais sens, à quatre pattes, faire le tour de la pièce à une vitesse folle, comme une araignée prise au piège dans un bocal, avant de reprendre sa position initiale comme si rien ne s'était passé.

Il avança vers la salle de contrôle. Ses yeux parcoururent les deux boutons à sa droite et à sa gauche. Les chocs électriques, censés déstabiliser les robots en cas d'attaque suffisamment longtemps pour fuir. Il caressa la surface lumineuse avec hésitation, toujours dans les yeux avec Funtime Freddy, qui avait décidé de le suivre le long de son avancée. Il l'ignora et poursuivit son chemin. Il n'était pas là pour eux. Sa fille se trouvait à l'écart des autres, dans une pièce plus grande. Pour y entrer, il fallait ici aussi passer par un conduit.

Ce qu'il vit en se redressant ne lui plut pas du tout. Lorsqu'il avait enfermé Elizabeth ici, il avait voulu reproduire sa chambre pour la rassurer. Un lit, des posters, une bibliothèque pour passer le temps. Malheureusement, la disposition des meubles semblait avoir déplu à la logeuse des lieux. Le lit et la bibliothèque était brisés en morceaux, juste devant la vitre. A la grande fissure qui courrait sur le verre, il n'eut pas beaucoup de mal à comprendre qu'elle s'en était servi pour essayer de s'échapper. Une voix enfantine chantonnait à l'arrière, mais il n'arrivait pas à apercevoir l'énorme robot dans l'obscurité.

"On tira z'à la courte paille, on tira z'à la courte paille, pour savoir qui, qui, qui serait mangé, pour savoir qui, qui, qui serait mangé. Ohé, ohé..."

Ses doigts balayèrent la poussière de la console et il chercha du regard le bouton qui gérait la lumière.

"Le sort tomba sur le plus jeune, le sort tomba sur le plus jeune, bien qu'il ne fut, fut, fut pas très épais, bien qu'il ne fut, fut, fut pas très épais. Ohé, ohé..."

La voix manquait d'intonation, mais il pouvait y deviner le ton de sa fille derrière le masque robotique. Sa main trouva enfin le bouton. Il appuya dessus. Il y eut un grésillement et il bondit en arrière de surprise. Elle était là, juste devant la vitre, ses deux yeux verts braqués vers lui. Elle pencha la tête sur le côté avec curiosité et, pendant un instant, William se demanda si elle l'avait reconnue. Elle posa ses deux énormes mains sur la vitre et approcha son visage, comme pour y voir plus clair. Son créateur sentit son cœur battre à tout rompre dans sa poitrine. Il n'osait plus esquisser le moindre geste, yeux dans les yeux avec les restes de son ancienne vie. Circus Baby ne bougea pas. Ses yeux mécaniques allaient de la tête aux pieds de William et inversement, inlassablement. Était-elle en train de le scanner ? Il ne se souvenait plus de ce qu'il avait implanté ou non dans ce robot. Le Circus Baby's World ne datait que d'il y avait trois ans, et il avait l'impression que cela faisait une éternité.

"Liz' ? essaya-t-il après un moment. C'est papa, tu te souviens de moi ?"

Le robot continua son manège, sans répondre. Mal à l'aise, William se releva et s'approcha doucement. Lorsqu'il fut tout proche de la vitre, le ventre du robot s'ouvrit. Une pince de métal traversa le verre à toute vitesse et le saisit à l'estomac. Surpris, le roboticien tenta de reculer pour s'échapper. La vitre était censée être blindée ! Comment avait-elle pu la briser aussi facilement ? Pourquoi essayait-elle de le tuer ? Le robot tira l'homme vers lui, mais la console bloqua son mouvement. Sèchement, elle tira plus fort, lui coupant la respiration sous le choc. Son instinct de survie refit surface avec violence quand il réalisa brutalement que Henry avait raison. Cette chose qui voulait le tuer n'était pas sa fille. Ça ne pouvait pas être elle. Jamais Elizabeth n'aurait lever la main sur lui.

Il posa son pied à plat sur la console et poussa un grand coup. La pince perdit sa grippe et William retomba lourdement au sol. Sans demander son reste, il se précipita dans le conduit d'aération pour rejoindre le couloir. Essoufflé, il se redressa et resta silencieux. Les larmes auraient dû couler, mais aucune ne traversa ses paupières. Il ne ressentait qu'un grand vide et une immense colère, qui grondait un peu plus chaque seconde en lui. A sa droite, Funtime Freddy donna un grand coup dans la vitre en riant hystériquement. William braqua un regard noir sur lui, puis sur le panneau de contrôle à quelques pas de lui.

Il ferma le poing et s'avança à grand pas. Avec un silence et un sang-froid qu'il n'avait toujours pas l'habitude de côtoyer, il abattit sa main sur le choc électrique. Les deux robots reliés au dispositif, Freddy et Foxy, se mirent à hurler de douleur. Il resta appuyé, un sourire malsain plaqué sur le visage, jusqu'à ce qu'ils retournent sur leur scène, secoués de spasmes de douleur. Il ne ressentait rien. Il ne ressentait plus rien. Henry avait brisé les restes d'humanité qu'il restait en lui. Et il allait le faire payer à tous ceux qui se mettraient en travers de son chemin.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top