The choir don't sing our song, so how to sing ours ?

                         Holy










–– Au vue des considérations qui précèdent et des éléments de preuves dans leur ensemble, la cour déclare l’accusé coupable, pour les crimes de blanchiment d’argent et d’incitation au crime.



Mon regard s’aplatie, sous le poids de cette douloureuse condamnation. L’impression de voir le monde tomber n’est pas seulement une illustration pour moi à cet instant, elle relève du vécu : c’est mon monde qui s’effondre, mes rêves qui s’émiettent dans ce vent de justice certes, mais un châtiment quand-même. Les mâchoires serrées, la gorge aux portes de la combustion instantanée et le regard brouillé, je le regarde sans plus le voir. Ça y est c’est fini. Putain, je suis finie…


Mes parents pressent fort mes épaules et mes mains dans les leurs, présents plus que jamais à mes côtés, présents aujourd’hui comme toute ma vie je l’ai souhaité, mais il est déjà trop tard. Trop tard, parce que je me sens mourir. Semy nous a quitté, Diego et Danich l’ont suivi. Si avant j’ai pleuré le premier et ignoré les deux autres, me voilà à présent condamnée à les envier, même si je les maudits tous aussi, parce que tout est de leur faute. Surtout celle de Danich, ce petit esprit moutonnier qui s’est pris pour une louve aux canines acérées. Qu’elle brûle bien en enfer. C’est elle qui les a volés ces papiers, ces preuves incriminant Faye, c’est elle qui les a envoyés au FBI pour se venger, pour m’anéantir, pour me briser. Et voilà, c’est fait. Je suis finie…


Et puis merde, lui aussi est responsable. Sinclair ! Pourquoi les avoir des papiers aussi compromettants ? Lorsque nous étions en froid, c’était sa garanti pour que je garde le silence, mais après… Quelle imprudence ! Putain d’enfoiré de merde, et sa fichue excuse, son fichu soi-disant besoin de garder le contrôle ! Putain de vie de merde ! Putain, je suis finie…

Je n’ai plus que mes yeux pour pleurer à présent. Ils pleuvent, sans honte, au milieu de ces étrangers, sympathisants et ennemis. J’ai beau me mordre l’intérieur de ma lèvre inférieure sans compassion aucune, ils n’arrêtent pas de couler. C’est pour dire, je suis vraiment finie…



–– La cour prend néanmoins pris en compte, reprend le Juge Gering, après plusieurs coups de marteaux destinés à ramener le silence dans la pièce, l’esprit coopératif et la bonne foi dont a fait preuve la partie incriminée. Notamment les regrets sincères du client de maître Delano et le fait qu’il soit venu se dénoncer. Ainsi je condamne à cinq d’emprisonnement ferme et à verser une amende de cinq millions de dollars américain, en guise dédommagement pour le tort causé aux finances publiques, l’accusé Sinclair Bertram Delano ici présent…
Voilà pourquoi je suis finie. Sinclair, sans en parler a personne est allé voir le procureur, quelques heures après l’arrestation de Faye et a reconnu avoir forcé ce dernier à blanchir de l’argent par des menaces de mort. Résultat, Faye s’en est sorti avec une vulgaire amende pour obstruction à la justice avec des circonstances atténuantes, et Sinclair…



Je l’ai perdu. Voilà pourquoi je suis finie. J’ai le cœur fissuré depuis des semaines passées sans le voir. Des semaines que je le hais, le maudis, tout en l’aimant et en l’admirant. Des semaines à voir ma vie, celle que nous avions prévu construire ensemble, nos projets, tout… je regarde tout me filer entre les doigts, comme de l’eau entre les mailles d’un filet de pêche. Impuissante. Partagée entre mon égoïsme et ma citoyenneté. Mon amour et ma famille.

Voilà pourquoi je tourne de l’œil, trop bête sur le moment pour comprendre et consentir à une décision aussi logique. Trop lâche aussi pour affronter mes peurs, pour soutenir pour si peu de temps son regard, pour tenir tête aux ombres qui dansent aussi bien dans ses prunelles que dans les miennes. Dépourvue de toute assurance, la carcasse de celle que je pensais avoir trouvé en la personne de Sinclair, pour faire face à l’assistance.


J’entends crier mon nom, mais non seulement je n’arrive pas à revenir, je n’en ai plus envie. À quoi cela me servira de toute façon, quand on vient de m’arracher le cœur et de le jeter au feu ? Comment suis-je supposée vivre avec la poitrine ouverte, d’autant plus qu’il n’y aura pas de remède pour moi ? Comment vais-je respirer, si on vient de m’enlever mon air, ses yeux, le seul ciel au-dessus de ma tête ? Non, non et non, je refuse de vivre comme ça. Je le lui avais dit, il était prévenu. Je lui avais dit que je ne supporterais pas de le perdre, alors qu’il se les garde ses supplications à présent. Maintenant qu’il m’a trahi, craché sur les promesses qu’il m’a faites, en me condamnant à nouveau à la solitude.

Il s’agit bien de ça. Jusqu’au bout, on s’était dit. Jusqu’au bout, tu parles…


Faisant fi des suppliques et des ordres qui fusent autour de moi, tous empreints de tristesse et de douleur, trempés de détresse et de désespoir (ah, le désespoir ! la représentation même de ce que je suis allongée contre je ne sais quoi), et destinés à me faire réagir, je me laisse simplement, bercé par une mauvaise foi bien placée, aller à ma mort. Je suis finie…

Sinclair l’a fait, Sinclair me l’a fait. Il m’a achevé…






                                                                              ***






L’impression de chuter dans un gouffre sans fin me sort en sursaut de ma semi-mort. Le souffle soupé après un douloureux hoquet, je me plie en deux pour relever mon buste, quitter mes draps, le seul gouffre sous mes jambes en réalité.
Ou pas, enfin de compte. Ça ne prend qu’une seconde pour que ma main, en se heurtant au vide accablant de la partie occupée par Sinclair il y a encore peu, me le rappelle. La même seconde qu’il me faut pour bondir hors de ce lit maudit, et passer en mode destruction totale.

Sans surprise, je commence par le lit, le témoin de de toutes les plus belles nuits de ma vie. Je le veux hors de ma vue, loin comme tous ces souvenirs qui me minent et dont il est la preuve tangible. Le témoin aussi d’un nouveau départ, après mille et un risques pris, un nombre incalculable d’épreuves traversées, des cœurs brisés, des lois transgressées et des croyances révisées. Le témoin de tout ce à quoi j’ai renoncé, des défis relevés, de mes anciennes peurs brûlées. Le témoin de tout ce à quoi j’ai dit oui, à tort, m’en rends-je finalement compte, maintenant que je suis sur la paille, ruinée… sauvagement ruinée de tout espoir, joie et d’amour ––probabilité de rebondissement avec, j’en suis réduite à zéro, un néant absolu.


Alors je le débarrasse du drap, jette le matelas et frappe sur celui-ci, tout objet à ma portée. Jusqu’à l’épuisement de mes membres. Et quand je n’en peux plus, ma voix prend le relai. De toutes mes dernières forces, je crie, m’éraille la gorge, forçant sur celle-ci alors qu’elle n’a plus aucun crachat à donner. Je crie, terrifie mon ouïe, tellement qu’à un moment, je ne m’entends plus. Je crie, persécute mes yeux de mes doigts en les acculant à travers mes paupières closent, très en colère contre les eaux dont elles débordent à un haut débit, sans assécher leur source. Je crie, fort, très fort, avec la force du cœur. C’est mon cœur qui pleure. Je pleure mon âme-sœur. Mon amour perdu. La vie me l’a à nouveau pris, mon cœur est à la dérive.



–– Arrête Holy, m’implore ma mère, sortie de nulle part. arrête je t’en supplie, tu vas finir par te tuer.



Pas de bol, peut-être est-ce exactement ce que je souhaite. Mais c’est sans compter ses souhaits à elle. Une fois de plus, pas de bol, mais pour moi par contre, parce qu’elle, elle a de quoi retenir son amour à côtés, moi en l’occurrence. Là où j’ai échoué à remuer le monde entier pour retenir ma vie auprès de moi, il ne lui faut qu’une étreinte féroce pour me ramener au sol et mettre fin à mes pulsions de mort.

Si seulement tout était si simple pour tous. Si seulement c’était si facile de le ramener lui, ici.



–– Maman je veux mourir. Je vais mourir sans lui.



–– Holy il n’est pas parti. Pas pour toujours, il va revenir ma chérie. Il va…



Le drame de ma vie l’accable, elle s’étrangle, ses paroles de consolation s’effacent. Impossible de ne pas remarquer qu’elles n’ont pas leur place. Cinq ans, un an, deux semaines, un jour, c’est tout aussi bien du temps fichu, qu’une seconde de gaspillée. Du temps hors de notre portée, dans une existence ou il nous est justement compté. En cinq ans, nous aurions pu nous marier, voyager, avoir des enfants… nous aimer en toute légitimité ––tout ce dont on a rêvé. Cinq années, une minute, peu importe, c’est une éternité, aussi infime soit-elle. Tout est question de référentiel.


Une autre main se pose sur mon épaule gauche. Au parfum de lilas qui force la barrière de morve érigée dans mes narines, je devine la présence de Jelissa. Elle et ma mère sont mes nouvelles colocataires depuis deux semaines. C’est que je n’arrive à voir personne d’autre. C’est aussi qu’elles sont les seules avec suffisamment de cœur pour me supporter en ce moment, tout en restant lucides. C’est peut-être qu’elles sont les seules avoir senti à peu près la douleur qui m’a englouti depuis la fin du procès où je l’ai perdu. Mon père a criblé un mur de balles le jour de ma sortie d’hôpital, tellement je faisais peine à voir, mes frères s’en sont foutus à la gueule à la première visite et j’ai simplement chassé Neil et Danaé, malade de jalousie, seulement en m’imaginant leur bonheur.



–– Sois forte…



–– Vous taisez-vous ! m’en prends-je violemment, quoiqu’à tort, à Jelissa. Vous devez être bien contente maintenant, il m’a…a… m’a quitté.



–– Tu sais que ce n’est pas vrai Holy. Il a fait ce qu’il fallait.



Oh, ils disent tous ça ! J’ai été à ça, d’entendre mon père l’appeler superman, lui qui n’a d’estime que pour très peu de personne. Mais putain, qu’est-ce que je m’en branle ! Aucune de ces éloges, ne sert mes intérêts. Il n’est pas là, il ne le sera pas avant cinq foutues années de merde, soixante mois infernaux, deux cent soixante semaines de calvaire. Mille huit cent vingt-cinq jours à errer comme une âme en peine. Quarante-trois mille huit cent heures sans intérêt à passer toute seule. Deux millions six cent vingt-huit mille minutes à subir le froid d’une vie cernées d’obscurité. Cent cinquante-sept millions et six cents quatre-vingt mille secondes d’inertie, à vivre autant de morts par secondes, à souffrir le martyr dans le seul fait de respirer loin de lui.

Mais il y a pire : ses souffrances à lui, le malheur sur sa tête, sa liberté perdue, nos cœurs déchirés en suspension, vestiges d’un combat à mort qui s’est soldé par une sombre défaite. Un bordel monstre entouré de silence. Un silence de tombe, un silence à mille angoisses. Il donne froid dans le dos, souffle la peur. Celle que j’éprouve à l’instant. Mon éternelle peur du vide.



–– Tu ne peux pas continuer comme ça Holy, reprend ma mère entre deux halètements. Tu es censée le voir aujourd’hui, tu t’en souviens ?



Comment l’oublier ? Si seulement je pouvais l’oublier…

Je donnerais tout pourtant, je le jure. Je donnerais tout pour remonter le temps et me forcer à ne pas le croire, tout faire pour m’obliger à ne jamais tourner mon regard dans sa direction. Ne pas aller dans cette église de malheur. Parce que j’ai eu beau ne pas le reconnaître dans le passé, c’est à cet instant-là que ma vie a basculé. Pour le meilleur, puis pour le pire, aujourd’hui. Alors oui j’ai des regrets. Certaines nuits, je le maudis, avec la force que je mets à serrer son odeur contre moi.
Sinclair dans l’air, le drame de ma vie.



–– Je n’y vais pas. Je… je ne veux pas le voir, il m’a abandonné…



–– Ça suffit Holy, ça suffit maintenant ! Regarde la vérité en face et arrête tes enfantillages. Ce n’est pas ainsi que je t’ai éduqué. Que ce serait-il passé d’après toi, si Faye était allé en prison ? Tu lui aurais pardonné, hein ? Répond, mais sois honnête ! On sait tous que c’est Sinclair qui l’a obligé à blanchir cet argent. Aurais-tu continué de le regarder en face s’il s’était défilé ? Tu as entendu sa mère, il a fait ce qu’il fallait. Il a reconnu ses torts et tu devrais être fière de lui.



–– Tu crois peut-être que je ne le sais pas ?



–– Et alors !



–– Rien du tout maman. Rien du tout parce que de toute façon, personne ne peut me comprendre. Ça fait si mal, sangloté-je les doigts crispés sur mes cheveux pour mieux m’endolorir le cuir chevelure.



Elle tique, à bout de patience je le sais, mais resserre son étreinte tout en passant abruptement sa main dans mon dos. Elle finit par se radoucir, attendrie par mes spasmes dont l’intensité vient de doubler.



–– Tu dois comprendre Holy, il ne reviendra pas de sitôt. Tu dois comprendre aussi sa décision. Il l’a fait pour toi. Ce garçon fait tout pour toi. Si tu n’arrives plus à le croire lui, alors crois en moi. Je l’ai vue à l’œuvre à plusieurs reprises, et même si ça a été difficile à accepter et à croire, est l’homme que j’ai espéré que tu rencontres un jour.



–– Alors, tu ne dois pas beaucoup m’aimer, toi non plus, pour me souhaiter une pareille souffrance. Une maladie aussi coriace, incurable et pourtant, tellement ravageuse. Je m’effrite. Et ce n’est pas plus mal, j’aimerais tant que le vent m’emmène.



–– Allez ma belle, me console Jelissa, ma main prisonnière dans la sienne à présent. Ne dis pas de telle chose. Ce n’est pas la fin. C’est un début, il faut que tu le vois ainsi. C’est la meilleure preuve d’amour qu’il pouvait t’offrir.



Mes yeux font mal, mais je n’arrive pas à les maintenir fermés. Ma gorge brûle, mais je ne me lasse pas de l’érafler. Je veux me faire mal, très mal, dans l’espoir que ma vraie peine se perde au milieu de cette autre forme de douleur.



–– Quelle belle preuve d’amour que de m’abandonner. Enfin de compte vous aviez raison, nous deux c’était voué à l’échec. D’ailleurs il a préféré attendre son procès sous les verrous plutôt que de passer ce temps avec moi. Je crois qu’il s’en a rendu compte lui aussi. Nous deux, c’était une erreur. Le geste à bannir, à éviter. La catastrophe à prévenir. Et maintenant je suis cassée.



Aucune d’elle ne tente plus d’essayer de me raisonner. Elles doivent l’avoir compris, je ne suis perméable à rien. Pas même à l’objet de ma perte, mon plus grand trésor. Pour moi le monde s’est arrêté, aucun de mes souhaits ne pourrait être exhaussé dans de brefs délais… le désespoir, la mort de mes espoirs, le deuil de ma vie est fait. Il ne me reste donc plus qu’à pleurer.

Par chance Jelissa le comprend enfin…



–– Pleure mon enfant. Pleure, mais ne renonce pas.










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Le prochain chapitre arrive sous peu.

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