Nothing else to say

                    Sinclair









Si j’avoue que son côté foldingue est définitivement celui que je préfère, est-ce que ça fait de moi un détraqué mental ? Peut-être, mais peu importe, parce qu’à l’instant je me sens au paradis, entouré des flammes de sa fureur. Le poisson que je suis en ce moment n’aura jamais été aussi à l’aise dans les eaux, après autant de temps passé dans le désert ––et ce, même si la flotte est aussi chaude qu’agitée. C’est comme rentrer enfin à la maison alors que tout espoir de retour avait disparu sur un chemin de bataille. Les conditions ne comptent pas, le confort ne compte pas. Je suis là, avec elle et mon cœur revit… Je reviens à la vie.


Je ne sais pas depuis combien de temps je me suis oublié, absorbé devant son visage de poupée boudeuse après qu’elle ait consenti à prendre place dans ma voiture, non sans brandir le fallacieux prétexte du froid carnassier qui règne en maître hors de cet habitacle, mais il est évident que je ne suis pas le seul à me retrouver dans cet échange silencieux et sensuel et même, sensoriel. Son corps dit tout ce qu’elle se refuse à confesser en âme et conscience. La chair de poule sur sa peau en témoigne. Partant de son faciès oblongue et anguleux dont les lèvres pincées restent incurvées tandis que les yeux continuent de foisonner d’éclairs, à ses cuisses serrées sans discrétion, en passant son buste mis en valeur par un décolleté insolent. Pas étonnant que je bloque dessus plus que sur n’importe qu’elle autre partie de son anatomie toute aussi délicieuse. Pauvre homme que je suis… et en manque d’elle ––c’est à préciser–– je respire mal, et ça fout en bien de malade. Cependant le plus incroyable c’est l’effet que je lui fais. La savoir encore réceptive à ma présence m’allège d’un poids énorme. Je sors enfin la tête des eaux, retrouve un peu de cette toute puissance qu’en un regard elle me confère.


Que dire alors de cette lèvre qu’elle aspire avec cette lueur toute aussi lubrique que celle qui traîne dans mon œil à moi ? Je pourrais la prendre ici, comme à notre première fois qu’elle ne me le reprocherait pas… Ou si quand-même. Je connais le spécimen. Plus fière, tu meurs. Et j’ai des choses à me faire pardonner. Et puisque se faire pardonner auprès d’Holy revient à faire plus qu’une semaine de pénitence, je peux toujours courir. Et vite !

Néanmoins, je tente quand-même une approche en laissant glisser le plat de ma main sur sa cuisse dénudée qui n’en finit pas d’enflammer le contenu de mon pantalon au même titre que le sang entre mes veines. Même si j’aurais voulu voir un miracle se produire, j’accueille sans surprise sa main réprobatrice avant d’exploser de rire pour mieux la taquiner. 



–– Pour quelqu’un qui ne voulait que parler, je trouve que tu t’intéresses bien trop à mon décolleté mon gars. Ou alors tout ça n’est en réalité qu’un prétexte pour me mettre à l’horizontal. Et si c’est le cas, tu peux toujours rêver petit merdeux.



Le cœur battant à une vitesse folle sous l’irrigation de frissons agréables qui l’électrocutent, mon hilarité redouble.



–– Ah ma tigresse, tu sais mieux que personne qu’il n’est pas toujours nécessaire de se mettre à l’horizontal pour prendre son…



–– Je descends je te préviens si tu fais encore le malin.



Je lève les mains en signe de reddition.



–– d’accord, on s’en va.



–– Il était temps, souffle-t-elle, exaspérée à en croire ses yeux qu’elle roule après s’être à nouveau adossée.



Je démarre dans la seconde qui suit, sous son regard se voulant menaçant sans réellement y parvenir vue qu’il donne plus envie de rire qu’autre chose. Le trajet se passe dans le silence total. Et ce n’est pas faute d’avoir essayé de relancer la conversation. Mais ma tigresse a subitement repris cette mine éteinte qu’elle m’a laissé comme unique souvenir avant que les parois de ce fichu ascenseur ne se referme il y a deux mois environ. Concentrée sur la ville immergée dans des lumières multicolores de lampadaires, de guirlandes et autres, elle semble être en conclave avec elle-même. Et le débat doit-être des plus sérieux, à en juger le silence sépulcral qu’elle observe elle, la personne la plus friande de bruit que je connaisse. J’en aurais eu presque peur si Evaluna ne m’avait pas rassuré sur son état de santé lorsque je me suis rendu à son cabinet dans l’espoir d’obtenir des nouvelles de sa patiente. Un échec cuisant ça été, bien évidemment, lorsqu’elle m’a sorti avec une moue navrée au coin des lèvres, les recommandations d’Holy. Mais bon, tout ceci est derrière moi à présent. J’espère juste que ça le sera pour toujours.

Les toussotements de mon élue s’élèvent au moment où nous amorçons l’allée menant au garage de l’immeuble abritant ce que j’aurais voulu appeler notre chez nous ––ce qui me vaut la naissance d’une vague d’inquiétude autre que celle de me faire repousser tel un malpropre par la femme que j’aime. Mais dans sa perspicacité elle anticipe mon geste et m’intime de continuer en par des grands gestes de sa main et de sa tête, alors que sa toux ne s’arrête pas. N’étant plus qu’à quelques mètres du point d’arrêt, je m’exécute, tout en multipliant les coups d’œil dans sa direction, le corps entier désagréablement crispé.



–– Eh, me rué-je sur elle, à la seconde où je me gare, les sourcils froncés, l’estomac noué. Doucement, soufflé-je avec douceur alors qu’affolé.



Elle se penche vers l’avant, après avoir attrapé la pochette que je lui tendais tousse encore à l’intérieur pendant un certain temps, tandis que je me contente de la réconforter avec des caresses dans le dos. Dès que la quinte de toux cesse, je sors à la hâte et contourne le véhicule sur un pas de course pour aller lui ouvrir. Mieux, pour à aller la portée. Nous serons bien plus rapides ainsi. Je crois qu’il lui faut pour commencer, de l’eau.



–– Je peux marcher, proteste comme je m’y attendait cette dernière.



–– Ne fait pas ta tête de mule Holy. Si ça te gêne tant que ça de te retrouver dans mes bras, mets ton manteau et grimpe sur mon dos. Il faut t’hydrater et te trouver un comprimé. Il devrait en avoir là-haut.



Elle me donne raison une fois de plus en choisissant mon dos. Je vais ramper, c’est avéré.



–– C’est bon ! scande-t-elle dès qu’elle aperçoit la porte de l’appartement, je t’ai assez respiré comme ça. Et crois-moi, une de plus et c’est ton odeur qui me tue.



Affaibli par cette énième pique, je la laisse descendre. Même si je sais qu’elle le fait exprès et qu’elle ne le pense peut-être pas ce qu’elle vient de m’avancer, ça fait mal d’entendre la rancœur à peine voilée dans sa voix. Ça me rappelle surtout que je fais des efforts aussi. Qu’elle n’en tient pas compte. Ça me rappelle que j’ai aussi mes blessures, et que parfois j’ai juste besoin qu’elle ouvre les yeux sur celles-ci. Je ne suis pas en pierre.

Sans lui lancer un regard de plus, je fonce vers la porte, ouvre et m’engouffre à l’intérieur, m’efforçant de renoncer à ma nature de gentleman. Sur le même pas, et empli de la même humeur, je vais dans la chambre, fouille quelques tiroirs à la hâte avant d’aller lui chercher de l’eau dans la cuisine. Sur le point de la rejoindre, je me fige sur son regard troublé qui parvient de peu à apaiser la colère dans le mien, parce que je n’ai pas besoin de plus pour comprendre qu’elle s’est rendu compte de son tort.

Oui, je peux être susceptible et alors ?



–– C’est fou comme tu peux être gentil à certains moments, lance-t-elle en quittant le mur contre lequel elle prenait appui. Et puis l’instant d’après il faut se réveiller, conclut-elle, nostalgique en attrapant le verre d’eau qui suit de très près, le médicament dans sa bouche. Merci.



Elle tente ensuite un sourire, mais je ne sais pas, la nervosité commence à me gagner, en plus de cette envie de bouder qui persiste. Parler avec le cœur, je ne sais pas faire ça, et pourtant ce sont ces seuls mots qui se jouent en boucle dans mon encéphale. Alors je ne souris pas, et elle se crispe, grimace de malaise avant de me contourner pour rejoindre l’ilot où s’est en partie joué la scène qui a signé notre déchéance. Mon reflexe est automatique, ma main grimpe jusqu’à la cicatrice sur ma tempe laissé par sa fourchette.

Je ne sais plus parler, ni comment me déplacer, trop acculé par une vague d’émotions nocives et tellement virulentes. J’ouvre grand la bouche pour laisser passer autant d’air que nécessaire, pour éteindre le feu qui commence à s’épaissir dans mon gosier, mais rien n’y fait. Je brûle, et plus du même feu qu’il y a quelques heures aux côtés de son corps de déesse. Je brûle de rage, de colère, de haine, mais surtout de culpabilité. Hanté par mes remords. Je viens de franchir les portes du purgatoire.



–– Tu devrais quand-même penser à te réinventer Sinclair. Cet endroit n’a pas changé d’un poil. Et avec les mauvaises ondes qui y résident, je me demande comment tu fais. Je ne serais pas surpris si on m’apprenait qu’elle est hantée cette baraque.



–– C’est justement pour ça qu’il faut y revenir. Pour exorciser nos démons.



Elle rit. Non, elle se force à rire, revêtant son masque de sarcasme, puis fonce vers le salon dans un long soupire. J’ai beau être d’une humeur de chien à présent, ça ne m’empêche pas de baver devant ses fesses rebondies. Je le jure, elles souffriront le martyr lorsque le moment sera venu.



–– Si j’étais toi j’aurais peur, enchaîne Holy à peine je la rejoins. Les esprits ça possède, on ne sait jamais. La dernière fois ça ne s’est pas bien terminé pour toi que je sache.



–– Les fantômes ça n’existe pas.



–– Bien sûr, pouffe-t-elle, le regard vissé sur ses ongles vernis de rouge. Tu en sais des tonnes sur le sujet monsieur… je t’aurais appelé le croque-mort mais…



–– Tu veux arrêter de faire l’enfant pour qu’on l’est enfin cette conversation ! En adultes.



Il aurait fallu que je me fasse plus sévère, puisque mes paroles ont l’air d’avoir glissé sur elle comme de l’eau tiède. Le moins du monde impressionné, elle pousse la farce plus loin en ricanant.



–– Donc j’allais dire croque-mort et…



–– Holy !



–– Quoi ? me répond-elle aussitôt après s’être éjectée de son siège, plus peste que jamais.



Tu l’aimes Sinclair… Ne l’oublie pas.



–– Il faut qu’on parle, soupiré-je plus calme sur le coup.



Elle hausse brièvement les sourcils, hautaine à n’en plus finir. Presque méprisante dans sa façon de me regarder. Je crois que cet endroit nous met tous les deux de mauvaises humeurs. Mais c’est bien ce qu’il faut pour guérir, j’en suis convaincu. C’est ici qu’il faut qu’on se regarde, qu’on se déchire, qu’on se reconstruise. Parce que c’est ici qu’on s’est aimé. Qu’un nous est né, avant d’être tué.



–– C’est important, l’imploré-je du regard, accablé par le poids de mes émotions entortillées.



Je la regarde tomber dans le fauteuil et allonger les pieds sur la table, dans le seul but de me pousser à bout. Et si ça ne l’était pas encore pour moi, à présent c’est clair : mademoiselle cherche la bagarre. Et je ne suis pas sûr d’avoir envie d’y changer quelque chose, même si je prends place en silence devant elle.



–– Bébé t’écoute.



Oh mais tu ne crois pas bien dire. Bébé…

Pourtant je me garde sourire comme j’en ai envie. C’est maintenant ou jamais, je me connais. Je pourrais me dégonfler à tous moments. Et dire qu’il ne s’agit de mots, de cœur et cette minuscule ogresse.



–– Euh… Je…



–– Hun-hun, psalmodie celle-ci en agitant le doigt dans les airs. Je te préviens, tu me refais le coup de l’église, je te promets, je te fais bouffer ta langue et je me casse. Alors tu parles Sinclair. Et avec le cœur de préférence, termine-t-elle sur une note d’humour qu’elle aurait elle-même voulu éviter.



Le poing contre ma bouche, je la regarde par-dessus les cils, nerveux et surtout, doublement amoureux lorsqu’elle écrase un sourire après le clin d’œil furtif que je lui destine, me voulant charmeur pour alléger mes propres lourdeurs. Elle rougit, et je souris contre le plat de ma main, impressionné par la tonne d’émotions par lesquels je suis passé en si peu de temps.



–– Je t’ai parlé de l’accident déjà, alors on ne va plus s’y attarder. Mais tout est parti de là. Je… je n’ai pas pu passer à autre chose, je n’arrivais pas à dormir et j’avais besoin de me libérer. D’alléger le poids qui s’était amassé sur mes épaules, même si mes parents prétendaient le contraire. Alors je suis allé voir Diego. Ou Mahès, précisé-je, certain que cette appellation-là, elle la connait.



J’en ai vite la confirmation lorsqu’elle s’exorbite, avant de cligner des yeux.



–– C’est lui qui gère la zone maintenant, je crois…



J’acquiesce en silence, interrompant ainsi la suite de son intervention.



–– Il s’appelle Diego, et je suis Memphis.



Elle ferme les yeux après avoir sursauté, comme si elle essayait de se protéger d’un danger. Et bien entendu, le danger c’est moi. C’était déjà difficile de le savoir alors le voir dans ses yeux, c’est… Je n’ai pas les mots.



–– Le bras droit de Mahès, souffle-t-elle pour elle-même, celui qu’on appelle l’âme obscure dans la rue. Papa a toujours dit que Mahès était trop stupide pour avoir été en mesure de régner aussi longtemps dans le secteur. Je peux dire que l’ai ma réponse maintenant. C’était toi le cerveau pendant tout ce temps.



On pourrait presque penser qu’elle me complimente alors qu’il n’en est rien. L’effroi dans ses yeux et l’écœurement sur la ligne tordue de ses lèvres m’assassinent. À un moment, elle n’en peut plus de me regarder, se lève et me tourne le dos. Mille vies ne suffiront pas à m’enlever cette image de la tête. J’en souffrirai jusqu’à ma mort. Mais quand faut y aller, faut y aller. Il faut en finir, et pour une fois, j’ai envie de croire en la force de l’amour. J’ai envie de lui faire confiance… Espérer.



–– C’était moi, oui. Mais j’ai tout abandonné. Et c’est là que tu interviens, avec ta famille.



Cette seule mention suffit à ramener son beau visage sur ma misérable personne. À présent elle est froide, menaçante, féroce comme je l’aime, cruelle comme je la redoute. Et tellement belle que je ne me sens pas coupable de bander effrontément devant elle à un moment aussi critique.



–– Diego était le frère d’Amelia, la surprends-je en fuyant son regard de plus en plus monstrueux et accablant. J’avais besoin de me libérer, de me racheter… Je sais, ça ne justifie rien, mais j’y suis allé. Je suis allé lui demander de me faire payer en nature, j’étais prêt à mourir pour… retrouver un peu de paix, mais il m’a laissé la vie sauve et… j’ai commencé à travailler pour lui. Comme dealer au début, vue mon jeune âge et finalement, comme gestionnaire de ses affaires quand j’ai eu la majorité et les compétences. Les années sont passés et j’ai vite compris que j’avais commis une erreur. J’avais merdé et je n’aimais pas celui que j’étais devenu. Un monstre encore pire que celui que j’étais déjà. J’ai surtout compris qu’il ne me laisserait jamais partir comme il l’avait promis. Pire, il a menacé ma famille après l’échec d’un de ses coups. Un vol de pierres précieuses dont il m’a tout de suite accusé, parce que j’étais celui qui avait tout organisé pour le transport. Mais en réalité tout ce qu’il voulait, c’était se débarrasser de moi comme il l’a toujours souhaité. J’ai vu la chose arriver de loin et j’ai pris mes dispositions. Dixie m’a aidé comme d’habitude à attirer ton frère dans un des casinos clandestins où se font escroquer des gens bien visés, et la suite tu la connais.



–– Tu t’es rapproché de moi pour le faire chanter et le salir. Mais jusque-là…



Son abattement, achève de me fendre le cœur. Je cherche de l’aide dans le vide en quittant mon siège pour me mettre à tourner en rond. Les mains dans mes cheveux, je lutte contre des rugissements en tirant sur mes racines sans pitié. Normal, je n’en mérite pas.



–– Ce n’était pas pour le faire chanter, même si ça a aussi servi. Le plan était de vous compromettre suffisamment pour provoquer une collision dévastatrice entre ta famille et Diego. Je savais que ton père est l’un des seuls à pouvoir réduire Mahès en bouilli alors je n’ai pas hésité. Et en te séduisant j’aurais eu de quoi me protéger dès que mon manège aurait été mis à découvert. L’idée était de kidnapper, le temps de conclure un marché avec ton père qui je savais, aurait dirigé ses foudres vers moi dès qu’il aurait compris.



–– Je ne sais pas si je dois dire heureusement, mais tu te serais bien planté si tu avais persisté dans cette voie, parce que mon père n’a plus rien à voir avec la rue. Tout ça est loin derrière nous maintenant.



Je ne peux m’empêcher de lâcher un petit rire moqueur, n’étant pas habitué à tant de naïveté venant d’elle.



–– C’est là que tu te trompes ma tigresse. Cesser les magouilles, ne signifie pas qu’on renonce à son influence dans la rue. De toute façon, la rue ne quitte jamais qui y laissé son sang. Il n’y a pas deux façons que de la quitter, si ce n’est par la mort. Tu penses vraiment que vous auriez eu une vie aussi paisible tes frères et toi si ta mère et ton père avaient tourné le dos à la rue ? Non, vous vous seriez à peine installer à L’Upper East Side qu’on vous aurait retrouvé tous morts le lendemain. On ne garde de l’ascendant sur ses ennemis qu’en restant proches d’eux, en les gardant sous contrôle. Et surtout par la contrainte, lorsqu’il s’agit d’argent et de pouvoir. Et les Tiger continuent de régner sur la rue, même s’ils l’ont quitté, parce que tes parents s’en assurent chaque jour. Crois bien qu’il n’y a rien dans le Bronx qui leur échapper et la seule raison pour laquelle je suis passé entre les filets c’est parce que Diego avait besoin de me garder comme une pochette surprise, son arme secrète contre ses concurrents et le moment venu contre la dynastie des Tiger qui nuit à l’extension de sa suprématie. Alors je peux te l’assurer, ton père n’a qu’à claquer des doigts, et Diego est un homme bon pour les charançons.



Je l’entends s’écrouler sur le fauteuil sous les effets du choc. Les révélations sont invraisemblables, je le sais, mais ne fait rien pour la soulager. Le faire entrainerait notre condamnation, quoique je doute qu’il en soit autrement, même après cette libération des plus difficiles. Cependant, pour la première fois, je frôle l’utopie de la liberté. C’est douloureux, mais c’est bon.



–– Je… Je n’en savais rien. Je… Ils ont toujours dit que…



–– Et c’est vrai Holy. Ils sont sortis de là. Plus de drogue, plus d’escroquerie et je t’en passe des meilleures, mais ils ont tous ces gens à leur botte. Entre informations compromettantes, et preuves accablantes, ils ont assez pour faire tomber le Bronx tout entier et savent s’en servir. Et avec la place qu’il se sont fait ici à Manhattan tu peux bien deviner jusqu’où ils peuvent avoir le bras long… Ton père est homme intelligent, souris-je, et ta mère est redoutable, comme toi. Je sais de quoi je parle. Mais ce n’est pas le sujet et il y a encore un paquet à raconter, inspiré-je après un long moment de silence pendant lequel je l’ai regardé me dévisager sans état, comme un scientifique se voulant dépourvu de toute émotion devant un mystère à élucider.



–– Ouais, tu vas me dire que tu es tombé amoureux et que tu as renoncé à ton plan, et patati patata, n’est-ce pas ?



J’aurais voulu, mais non.



–– Non, une autre solution s’est présenté et j’ai choisi de ne pas te faire souffrir.



Elle semble déçue malgré tout. Et je la comprends. Et si je n’étais pas aussi stupide peut-être me jetterais-je à ses pieds, les baiserais en lui criant cet amour dont je ne sais plus quoi faire, mais je suis stupide. Et toujours incapable de dompter ma fierté d’homme.



–– Ok, et qu’est-ce qui s’est passé ? murmure-t-elle, en enfouissant son visage dans sa main ouverte.



J’hésite un moment à la rejoindre. Puis finis par abandonner lorsqu’elle reporte son regard rouge sur moi.



–– J’ai découvert qu’il s’était lui-même volé et qu’il avait une famille. Je les ai séquestrés et exigés qu’il me rende ma liberté en échange. Et mon argent.



–– C’est à eux que Mark rend constamment visite, conclut-elle, la tête posée sur ses genoux quelle a plié, comme une enfant triste.



–– C’est ça.



À nouveau le grand silence prend place au milieu de nous. Je ne suis plus qu’un gros cœur à la dérive, transpirant l’embarras, la peur et la douleur devant sa personne roulée en boule, visage contre sa peau.

Puis elle bondit hors de son siège et je sais que l’heure est venue… Celle redoutée, celle attendue. L’heure de se battre. Aussi rangé-je aussi loin que possible mes remords pour rester que l’homme, dans tout ce qu’il a de vrai, tel qu’il voudrait-être perçut par elle. Moi, sans filtres ni faux-semblants.

C’est maintenant que tout commence. C’est maintenant pour un à jamais.



–– Tout ce que j’entends c’est l’histoire d’un homme tellement égoïste. Moi, moi, moi. Je, je, je. Et les autres alors ? est-ce que tu y penses Sinclair ?



Est-ce que je m’attendais à celle-là ? Mais pas du tout.



–– Attend, tu es en train de me reprocher d’avoir voulu rester en vie là ? Tu aurais voulu que je meure avoue le.



–– Et si je disais que oui, ça changerait quelque chose ?



En pleine face ! Dans mes dents. Et putain de merde, je suis KO.



–– Qu’est-ce que j’aurais bien voulu entendre de la fille qui m’a buté, hein ?



Elle explose de rire. Un rire sans joie.



–– C’est exactement ce que je disais. Tu ne penses vraiment qu’à toi. Tu ramènes tout à toi.



–– Parce que tout ceci est à propos de moi ! m’égosillé-je, à bout de nerf, renversant sur mon passage la table basse en essayant de réduire entre nous. Tout ça, c’est mon histoire. Ce sont mes erreurs, mes batailles, mes victoires !



–– Et ça te donne le droit de dévaster autour de toi peut-être ? Tu ne t’es jamais dit qu’il n’a pas toujours été question de réparer quoique ce soit ? Cette fille est morte, putain ! Qu’est-ce que tu aurais voulu changer à ça ? As-tu seulement pensé qu’il n’y a et qu’il n’aura jamais de remède à ça ? Non bien sûr, finit-elle par murmurer, essoufflée, puisque tu n’as encore et toujours pensé qu’à toi. À ta douleur. À ton sommeil. Ton si précieux sommeil Sinclair. T’es-tu seulement excusé une seule fois auprès de Diego ? Réellement, sans poser ta vanité de petit privilégié et ton statut d’homme fort sur la table ? Jamais, répond-elle pour moi, sachant d’avance que c’est la bonne réponse. Tout comme tu ne t’es jamais excusé auprès de moi, pour avoir joué avec mes sentiments. Parce que oui, j’en ai ! Je n’en ai pas l’air comme ça, mais j’en ai Sinclair, gémit-elle en se détournant de moi. Il y a des fautes qu’il vaut parfois mieux ne pas essayer réparer Sinclair, tu aurais dû le savoir. Une vie n’en remplace pas une autre.



Chargé à bloc, je crame sous ma propre chair. Persécuté par la douleur contenue dans ce sermon que j’aurais voulu accueillir avec humilité, puisqu’étant en effet coupable, je vais en roue libre. Et je le regrette, mais c’est tout moi. Ça a mis tellement d’année pour construire l’homme que je suis aujourd’hui qu’en ce simple fait, je trouve l’audace d’être l’enfoiré qui lui répond effrontément, même si je sais d’avance que je vais m’en mordre les doigts.
Finalement elle avait raison, les mauvais esprits sont bien là.



–– Tu aurais voulu que je me tue à petit feu comme toi c’est ça ? Ce n’est pas de ma faute si tu es aussi faible et…



Je n’ai pas le temps de mener ma méchanceté jusqu’au bout. Elle me fait taire avec une gifle que j’aurais mieux fait de recevoir le jour où tout a basculé dans ma vie.



–– Tu n’es qu’un monstre Sinclair, s’affole-t-elle d’une voix brisée qui me détruit encore plus que la gifle que j’ai reçue. Bon sang comment ai-je pu manquer ça ? Tu es pire que de la merde, vocifère-t-elle avec dégoût, légitime dans tout ce qu’elle incarne.



Je le sais. Je sais tout ça et pourtant. C’est si difficile à avaler. Si difficile à reconnaitre que je me contente de toute rejeter. De m’enfoncer, pour laisser croire que rien ne m’atteint. Ainsi ai-je été éduqué. Conscient d’être en train de me noyer dans le déni, il a pourtant toujours été question de garder le cap, préserver les apparences, sauvegarder ma réputation. Dans cet abysse sans fond, je me suis laisser tomber. Aux premières loges de ma chute, en empruntant le même canevas, deux parties de moi débattent. L’homme en colère contre ceux qui lui ont privé de la rédemption et du châtiment qu’il recherche ardemment d’une part, et de l’autre le petit garçon apeuré qui veut être réconforté et donc en colère contre cette femme qui a la maturité de se faire plus clairvoyante que ma mère autrefois. En résumé, je veux ses cris, ses coups et sa sainte colère, mais je veux aussi ses caresses, son étreinte et le réconfort de sa voix rassurante qui m’apporterait compréhension plutôt que correction.

C’est totalement fou, j’en ai conscience. Loin d’être sain. Et devant sa fureur, la peur l’a emportée. La bêtise aussi. Et il est trop tard, lorsque je me réveille.

Avec le cœur… Avec le cœur.



–– Holy…



–– Ne me touche pas Sinclair. Plus jamais.



–– Je t’en prie Holy. Pardon, pardon, pardon. J’ai fait n’importe quoi. Je ne pensais pas ce que j’ai dit. J’ai peur Holy.



–– Ce n’est plus mon problème maintenant, me balance-t-elle en essuyant ses larmes avant de se pencher pour ramasser son manteau.



Je ne croyais pas mon cœur capable d’aller encore plus vite. Elle ne pas partir, me répété-je à usure dans ma tête jusqu’à ce que ma bouche donne vie à cette supplique. Contre la porte, bien décidé à lui barrer la route, je brave sa rage, mais ne la laisse pas partir. Mes ecchymoses auront tôt fait de disparaitre en quelques jours, mais Holy je la perdrai à jamais si elle s’en va.



–– Va la rejoindre. Va lui balancer tes vacheries à elle, s’acharne ma tigresse au rythme de ses poings.



Dès que je réussis à maitriser son agitation en enserrant ses poignets dans mes mains, je fais en sortes d’échanger nos rôles. Elle contre la porte et moi devant elle. Proches, tellement proches que ça pourrait-être la position parfaite pour me perdre en elle, pour laisser exploser mon désir, et mon cœur.



–– C’est toi que je veux Holy. Et je te parle avec le cœur. Je ne suis pas l’homme parfait qu’il te faut je le sais. Putain je le sais, me décomposé-je d’une voix brisée par les larmes que je n’arrive plus à retenir. Mais j’ai besoin de toi. Je te l’avoue, j’ai besoin de toi. Tu me connais, j’ai peur et je dis et fais n’importe quoi, mais j’ai besoin de toi Holy. Pour respirer et encore. Ne t’en va pas…



–– Tu ne peux pas me demander ça Sinclair. Tu vas te marier avec elle.



Elle a enfin cessé de se débattre, épuisée par les spasmes causés par les sanglots qui déforment sa voix.



–– Non, non, non. Pas de mariage Holy. Je n’ai jamais été d’accord avec ça. Et si je m’y suis plié c’est seulement parce que mon père me fait chanter, reniflé-je avant d’éponger la ligne humide sur ma joue. L’arme, ce n’est pas la même que celle que tu as utilisé et il menace d’aller la remettre à la police et de porter plainte contre toi. C’est la seule raison pour laquelle j’ai joué le jeu. Mais je peux te promettre que ça n’arrivera pas. Je me meurs sans toi Holy. Je t’en prie, tu dois me croire. J’avais besoin de temps pour tout penser, et je crois que j’ai une solution. Encore un peu…



Mon flow est rapide. Un rythme presque aussi vertigineux que celui des battements erratiques de mon cœur en berne aux portes du tartare.



–– Je ne sais pas Sinclair, soupire-t-elle bruyamment en s’étirant pour s’extirper de ma prise. Je découvre un homme totalement différent de celui qui m’a fait rêver. Et je ne sais pas si je pourrais prendre sur moi.



Non, non, non.



–– Je suis le même bébé. C’est celui que je suis avec toi que je veux être Holy. Holy…



Elle me fait taire en secouant sa tête avec frénésie, résolue à en finir. La fin. Ma peur. Elle me rejette. Je le redoutais. Mon cœur se serre de plus belle. Les larmes grossissent. Je touche le fond. Avec fracas et mon égo pleure. Humilié, voilà comment je me sens devant ce bout de femme pour qui je viens de me couper en deux en renonçant à moi. La colère. La honte.

Je l’avais dit à Mark. Je serais resté le même après mes aveux. Elle ne comprendrait pas. Je l’avais dit. Elle ne m’aime pas assez. Et si elle veut s’en aller, je ne peux pas la séquestrer.



–– Tu m’as fait trop de mal. J’ai beau le vouloir, je n’arrive pas à te pardonner. Pas du tout.



–– Et toi, tu es irréprochable peut-être ! Qu’en est-il du mal que tu m’as fait à moi hein ? Qu’en est-il du mal que tu me fais là, tout de suite. Tu m’arraches le cœur après m’avoir fait croire qu’on irait jusqu’au bout.



–– Tu ne peux pas comparer…



–– Je t’en prie Holy ne raconte pas des bêtises. Moi aussi je t’en veux tu sais. Je t’en veux pour m’avoir donné de l’espoir et de me l’avoir ensuite repris. Et là, tu es en train de refaire la même chose.



–– Ce n’est pas pareil Sinclair ! Comment pourrais-je te pardonner après tout ça ? Je n’en ai pas la force…



–– Seulement quand il s’agit de moi n’est-ce pas, laissé-je à nouveau exploser ma colère. Parce que je ne compte pas suffisamment n’est-ce pas ? Je n’ai jamais compté, comme tu as voulu me faire croire n’est-ce pas ? Pas plus qu’un des gars que tu jettes aux ordures lorsque tu en as marre, pas vrai ?



Sonnée, ses lèvres marrons s’entrouvrent et ses yeux rouges se plissent d’incompréhension.



–– Tu ne peux pas me dire ça…
Et soudain, j’assimile la défaite. Mes épaules s’affaissent et ma tête bascule en arrière.



–– Si je peux. Je peux parce qu’on sait tous que tu fonctionnes de cette façon. Tu aimes et détestes à la fois, mais tu ne quittes jamais. Pas ceux qui importent pour toi. J’ai voulu m’accrocher à cet espoir en t’ouvrant mon cœur Holy, parce que je ne veux pas te perdre. Mais j’ai eu tort, comme trop souvent dans ma vie. Tu as levé cette arme sur moi et tu m’as tiré dessus. Et là, tu t’en vas. Mais, inspiré-je grandement, la mâchoire crispée en hochant la tête, tu as peut-être raison. Tu n’as pas à prendre ça sur toi. Je n’ai pas le droit de te demander de me pardonner. En fait tu as raison, réalisé-je vraiment tout à coup, c’est allé trop loin et je ne peux pas revenir en arrière. Je ne peux rien refaire. Et à vrai dire, je n’avais pas prévu tout ça, lui apprends-je entre les gestes abondants de mon index qui nous désigne tous les deux.



La tête baissée, elle encaisse sans rien dire. Et comme on dit, qui ne dit mot consent. Au bout d’en moment, je sens quelque chose se déchirer en moi. J’aimerais me rebeller contre ce silence qui vaut mille mots, mais tout en moi me cri que je ne devrais pas. Finalement, elle raison, parfois il n’est pas question de réparer quoique ce soit. Juste vivre avec. Prendre entièrement ses responsabilités. Souffrir et espérer que notre malheur apaise les douleurs de l’autre à qui on a fait de la peine… Sortir de son égoïsme.


Alors je n’aurai peut-être pas mon éternité avec elle, cependant je veux bien garder cette leçon d’humilité, tout comme je sais que je pourrais toujours compter sur sa loyauté. Et elle sur la mienne. Je perds peut-être l’amour de vie ce soir, mais je sais que ma vie ne sera plus jamais la même. Que j’ai grandi. Et merde, qu’est-ce que ça fait mal…



–– Je te raccompagne, brisé-je enfin le silence.



–– Non, oppose-t-elle illico de sa voix grave qui donne l’impression de ne pas avoir été utilisée depuis des lustres. Je vis chez mes parents, je vais appeler un taxi, c’est mieux.



Voilà donc pourquoi je ne la trouvais pas.

Je la regarde faire après avoir opiné du chef, la bouche amère, les yeux aussi engorgés que les siens. Dès qu’elle raccroche, je marche vers la porte et l’ouvre pour elle, le regard rivé vers le sol car, incapable de faire autrement. Son pas est d’abord timide, puis se hâte lorsqu’elle dépasse le chambranle et constate que je reste dans ses pattes jusqu’au rez-de-chaussée, jusqu’au trottoir, jusqu’à ce qu’elle s’engouffre dans le véhicule jaune et emporte avec elle mon cœur. Puisque je sais, que ce n’est pas un au revoir.

Adieu mon amour…







Larguez les commentaires !!! Je vous lis...
Chapitre difficile à ecrire mais j'ai tenu. Comment le trouvez vous ?

😭😭😭... Je retourne à l'écriture de la suite. J'ai vraiment envie de boucler cette histoire elle me hante beaucoup trop. Ahaha. Voilà je vous donne rendez-vous demain sans faute.

Love guys 😜❤️

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top