Heart attack
Sinclair
–– Tu avais tout prévu n’est-ce pas ?
Ç’aurait été trop espérer qu’elle démente. Pire, j’ai l’impression d’avoir une autre en face de moi. Adieu la Drama Queen un peu fleur bleue, quoiqu’hyper collante. Bienvenu à une femme froide et manipulatrice, avec comme qui dirait un grain de folie malsaine dans l’iris.
–– Il faut toujours verrouiller son téléphone avant de s’absenter, quand on a des choses à cacher, grimace-t-elle avec un air de peste qui lui correspond mieux. Il faut bien payer un jour Sinclair. Qu’est-ce que tu crois ? Que tu allais te moquer éternellement de moi de cette façon ? Non, sourit-elle avec une malice qui me donne froid dans le dos. Si je ne peux pas t’avoir, elle non plus tu m’entends ? Pas tant que je serai en vie.
J’aimerais pouvoir lui en vouloir plus que je ne le fais déjà, mais ces paroles trouvent leur chemin jusqu’à ma conscience. Je suis coupable d’une certaine façon, j’en ai conscience. Pour avoir joué avec ses sentiments, pour m’être tout aussi servi d’elle que je ne l’ai fait avec Holy. Dommage cependant pour elle, je ne pourrais rien réparer. Non seulement je n’en ai pas envie, mais mon cœur appartient à une autre.
–– Je sais que je t’ai causé de la peine et j’en suis désolé Danich, mais tu dois comprendre…
–– Je ne veux rien entendre, m’interrompt-elle entre deux gémissements de douleurs alors que je presse avec une certaine maladresse, la poche de glace sur sa cheville.
Mon exhalaison est bruyante, aussi abondante que la frustration qui met en mal tout mon corps. Ce dernier est à l’heure actuelle le théâtre d’une flopée d’émotions toutes différentes. Navré, je suis aussi agacé d’être là et pas aux côtés d’Holy qui doit-être en train de me maudire à tort. Pourvu que le médecin s’amène rapidement pour que je file à sa recherche.
–– Tout se paie Sinclair, me réitère la blonde agrippée à son propre genou, le visage froissé par l’expression de sa désolation et de sa rancœur.
Si je n’étais pas aussi préoccupée par autre chose, j’aurais accordé un peu plus d’importance aux menaces sous-jacentes qu’il me semble déceler entres ses paroles de femme blessée. Pourtant je ressens le besoin de la faire taire, à bout de patience.
–– Si tu avais eu un peu plus d’estime pour toi-même, jamais tu ne te serais laissé embarqué là-dedans. Ce n’était peut-être correct, cependant je n’ai pas menti et tu le sais. Pas une fois, je ne t’ai promis ce que je pouvais pas te donner. Pas plus de l’amour que ce mariage monté de toute pièce, tu te dois de le reconnaître. Et de passer à autre chose, pour ton propre bien. Parce que je te jure, je ne serai pas aussi gentil la prochaine fois que tu me serviras à nouveau un plan pareil. Je ne permettrai à personne de s’immiscer entre Holy et moi, est-ce que c’est clair ? La seule raison pour laquelle je suis encore ici, c’est ta cheville.
Elle s’apprête à riposter, mais on sonne bien avant. Sauvé, ne peux-je m’empêcher de jubiler intérieurement malgré l’anxiété qui persiste. Il doit s’agir de Richard. Je ne tarde pas à en avoir la confirmation une fois la porte ouverte. Toutefois, il n’est pas seul. Mes parents traversent la porte juste après lui. Et à la mine courroucée qui déforme le visage de mon père, pas besoin d’avoir plus de la moitié d’un cerveau pour deviner exactement ce qu’il l’amène. Et ça vaut également pour ma mère qui voue presque un culte d’adoration à Danich qui est pour elle, la fille qu’elle n’a pas eue.
Du soulagement, je passe aussitôt que le sourire amère d’Holy s’impose dans mon esprit, à l’énervement. Une irritation davantage attisée par ma hâte de retrouver ma tigresse, maintenant que mon devoir de bon citoyen est accompli. Je sais qu’il est là pour me forcer à revenir sur ma décision de me mettre un terme à cette farce qu’était ma relation avec la fille du sénateur Barth. Il est tellement à cran qu’il ne prend même pas en compte le fait qu’il y ait des étrangers dans la même pièce que nous, et lance tout de suite les hostilités sous le regard peiné de sa femme.
–– Alors c’est ici que tu te caches. Un nid d’amour ? Qu’est-ce que c’est ? Et surtout, pourquoi est-ce que tu refuses de prendre mes appels ?
–– J’ai beaucoup mieux à faire que d’entendre ce que tu as à me dire papa. J’en ai surtout marre de tes menaces. J’ai pris une décision et je ne compte pas revenir là-dessus.
Il est coupé dans son élan par le docteur qui requiert mon aide pour déplacer Danich jusqu’à la chambre à coucher. J’hésite un moment, loin d’être ravi par l’idée qu’elle s’incruste dans notre intimité, mais une urgence est une urgence. Et sur le moment, il y’en a trois en réalité. Alors je cède et m’exécute aussi rapidement que mon corps me le permet.
–– Je t’ai prévenu Sinclair, enchaîne mon père à seconde où il m’aperçoit. Je n’aurais aucun scrupule à la briser si ose aller contre ma volonté. Ne va pas dire après que je ne t’ai pas prévenu.
J’en ai ras-le-bol de son insensibilité. Je pourrais le lui reprocher, mais je suis comme lui. Pas besoin de pleurnicher quand on peut frapper. Il veut la guerre ? Alors il peut sortir les armes.
–– Fais ça, et je te jure papa…
Un grondement de tonnerre sous mon toit, voilà à quoi ressemble la voix de mon père qui me coupe toute possibilité de poursuivre jusqu’au bout. Peut-être devine-t-il mes intentions et s’y prend de cette façon pour étouffer toute riposte de ma part. Je dirais même que c’est exactement ce qu’il fait. Je le connais trop bien, je lui ressemble tellement.
–– Que quoi ? Tu vas renoncer à ta famille pour cette fille ?
–– Cette fille comme tu l’appelles, c’est la femme que j’aime, d’accord !
Le diable passe. L’annonce tue momentanément toute la maisonnée.
–– Alors cette moins que rien devra en subir les conséquences. J’en ai plus qu’assez de tes décisions…
–– Tu ne vas rien faire du tout, grondé-je encore plus fort que lui, hors de contrôle, hors de moi car touché de la manière dont il ne faut pas, là où il faut.
Touché au cœur.
–– Sinon quoi ?
–– Ne me défie pas papa. Quelque part en toi, tu sais très bien ce que je peux faire.
En d’autres termes, tu balances sur le révolver, je balance sur l’affaire Amélie, quitte à risquer ma liberté. Et le jeu est couru d’avance. J’ai gagné. Même si je perds aussi... Je les perds.
N’étant pas seuls, je ne peux pas lui dire clairement que je parle de cet accident qui a bousculé ma vie et qu’il s’est empressé d’effacer. C’est un homme perspicace, je ne suis pas étonné de le voir s’exorbité. Il m’a compris.
–– Tu ferais ça ? s’indigne-t-il, choqué comme je m’y attendais. Après tout ce que j’ai fait pour toi Sinclair, toi mon propre fils, tu me tournerais le dos pour cette petite idiote… cette criminelle ?
C’est l’hôpital qui se fout de la charité. Holy à côté de lui est une sainte, et il ne se gêne pas pour la critiquer. Ça y est, l’Amérique va mal.
Le corps raidit par la colère, ma mère décide de s’en mêler au moment où je m’apprête à lui balancer quatre vérités pour de bon. Mais ce n’est que partie remise, je compte bien en finir avec tout ce cercle de toxicité une bonne fois pour toute.
–– Arrêtez je vous en prie. Personne n’a besoin d’en arriver là. Vous êtes père et fils.
–– Un fils qui n’a cessé de me compliquer la vie ! s’oppose mon père du tac au tac.
–– Un père qui n’a pas su me montrer le droit chemin ! m’imposé-je à sa suite. Mais tu sais quoi, j’ai déjà fait mon deuil, puisqu’on ne peut plus changer le passer. Je ne vais non plus prétendre que tes décisions n’ont pris en compte que ta propre personne. Tu as aussi pensé à moi, il va de soi. Et je t’ai montré de la reconnaissance et du respect toute ma vie papa, mais là tu vas trop loin. Et puis pourquoi t’indigner ? Je ne fais qu’appliquer les mêmes méthodes que toi. Au chantage, le chantage. Si tu t’avises de t’en prendre à Holy, je te préviens, je n’aurais aucun remord à détruire tout autour de moi.
–– Sinclair ! pleure ma mère.
Et je l’ignore. On ne fait pas d’omelettes sans casser les œufs. On ne va pas au paradis sans souffrir les douleurs de la croix. Je le tiens de cette même bible qu’ils m’ont offerte et dont ils sont loin de respecter eux-mêmes les enseignements. Mais ce n’est qu’auprès d’Holy que toute cette sagesse a pris un sens. Je m’opposerai à la terre entière s’il le faut…
–– Tu trahis ta propre famille pour cette insolente, reprend plus calmement Hamilton Delano, tandis que tout en lui propulse déception et défaite. Cette racaille, cette…
–– J’aime cette femme, papa. Et c’est une battante, une fleur, une reine, mais certainement pas une moins que rien ou une racaille, alors mesure tes mots. Mesure tes mots parce que je ne sais pas moi-même de quoi je serai capable.
La tension est à son comble. Nous nous affrontons. Je ne bouge pas, lui s’avance. Belliqueux dans tout ce qu’il incarne. Malgré cela il ne tente rien, se fige à quelques centimètres de moi, mourant d’envie de me corriger enfin sans courir le risque de le faire, maintenant qu’il redoute de ne plus être en présence du fils qu’il a engendré. C’est dur, haineux, accablant. Et parce que lancer des flammes par un regard n’est qu’une expression, je dirai que l’échange visuel est bleu. Identique, sous deux générations différentes. Pourtant, jamais auparavant je ne me suis senti aussi vivant et léger. La respiration erratique, jamais mon regard ne cille. Il est temps qu’il comprenne. Nous en sommes au point de non-retour. Un nouveau chapitre de ma vie commence, et il n’y est pour rien dans cette évolution.
J’ai beau les aimer, elle passera avant tout désormais.
Alors que j’entame une marche arrière lente pour prendre congé d’eux, et revenir à mes préoccupations premières malgré mon cœur lourd, les vibrations continuelles de mon portable coincé à l’arrière de mon pantalon m’incitent à stopper ma régression. Un appel en absence de Mark, une cinquantaine de messages alarmants, parmi lesquels figurent une vidéo. L’estomac noué et la gorge serrée et douloureuse, je m’empresse de l’ouvrir…
Le sol s’effondre sous mes pieds. Cette expression ne peut être plus vraie qu’à cet instant où mes yeux se posent sur ma reine transformée en bête de foire, au milieu de tous ces téléphones portables derrière lesquels se cachent assurément des monstres d’égoïsme. Aucun ne va à la rescousse de cette fille en plein délire, alors qu’il est impossible de manquer le désespoir, la frayeur et le mal être dans ses yeux.
Elle cri, et je me brise. La déchirure. C’est celle de mon cœur dont les bruits sont aussi fracassant que l’éparpillement du verre qui se répand au sol lorsque Holy balance une bouteille vide sur celles chargées d’alcool, derrière le barman. Elle frappe Mark lorsqu’il fend enfin la foule, et des larmes de colère m’échappent. Puis je me fige, tandis que l’air quitte brutalement mes poumons. Elle vient de s’écrouler… Et mon cœur aussi.
Devant les airs effarés de mes parents, je prends conscience une fois que l’horreur se termine, des spasmes qui ébranlent mon corps. En voulant ranger mon portable, il m’échappe des mains désormais trop moites pour soutenir correctement quoique ce soit. Ils m’interrogent, tout en échangeant des regards interloqués entre eux, mais je n’ai pas la force de répondre. Je peine d’ailleurs à ramasser le téléphone, qu’il me faut l’aide de ma mère pour le ranger à nouveau dans ma poche.
–– Je dois y aller, haleté-je d’une voix éteinte, comme si j’avais couru un dix-mille mètres.
Pourtant je suis froid, paralysé, même si je boue et étouffe de l’intérieur. L’air sonné sur mon visage est loin de décrire mon état réel. J’ai l’impression de vivre soudainement dans un monde où tout est ralenti, avec des lois gravitationnelles complètement différentes, jusqu’à ce que j’arrive à nouveau à dire son nom.
–– Holy…
C’est tout ce qu’il me faut pour passer de la presque inertie à l’hyperactivité. Je ne saurais néanmoins pas me déclarer conscient avec mon esprit plongé dans les souvenirs ––surtout les bons–– et mon cœur saturé par les remords, les regrets et une anxiété oppressante. Ça a bien été prouvé des années aujourd’hui, notre inconscient règne généralement en maître sur la majorité de nos actions. Alors je suppose qu’il n’est pas tant anormal que ça que j’aie conduit jusqu’à l’hôpital où Holy est hospitalisée sans me rendre compte du trajet. Je n’étais pas dans cette voiture de toute façon, trop obnubilé par cette image désolante de ma tigresse pâle et inconsciente à l’horizontale. Quelque part dans mon esprit fou, je suis près d’elle, comme j’aurais dû l’être au lieu de rester auprès de cette vipère de Danich. C’est de ma faute… J’aurais dû…
–– Qu’est-ce qu’il fait ici ce sale type !
La voix coupante et sèche de Faye me sort de ce monde immatériel auquel je me suis accroché pour ne pas faire face à la réalité. La lueur bagarreuse dans ses iris noires me promet les plus cruelles souffrances qui soient. Mais il peut toujours se rentrer le doigt dans l’œil s’il pense réussir à m’intimider avec ce numéro.
–– Holy, avancé-je, sans jamais reculer devant tous les hommes de la famille qui n’ont pas tarder à réagir.
En silence, Dwight tient son cousin par les épaules et Hervey s’érige en barrage entre eux et moi, non sans rappeler son cadet à l’ordre. C’est alors que d’un pas lent et avec air pensif quoique froid sur le visage, monsieur Tiger contourne son aîné et vient se planter devant moi. Ses yeux verts noyés dans la colère et la douleur feraient peur à n’importe qui. J’en ai d’ailleurs un frisson désagréable sur la colonne vertébrale, même si je ne cille pas.
–– Pars d’ici, fils de…
Il se mort le poing et inspire profondément, alors que l’air semble s’être figé autour de nous. Je n’en ai rien à faire de ce qu’il a à dire. Et si je m’écoutais, il y a longtemps que je le lui aurais fait savoir. Mais nous sommes dans un hôpital alors je lui réponds calmement.
–– Je veux juste la voir quelques minutes. Après oui, je m’en irai.
Un rictus déforme ses lèvres pulpeuses. Il est mauvais... et moqueur, je découvre lorsqu’il se prolonge pour laisser sa dentition à l’air libre. Celui-ci disparaît pourtant quelques secondes après, et laisse place à une moue cruelle qui colle très bien avec son visage fermé. Je déglutis, impressionné, conscient d’être à présent en face d’une bête assoiffée de sang. Je devrais m’exécuter, c’est le plus raisonnable… Sauf qu’il est là le problème, j’ai justement perdu la raison.
–– Dégage d’ici, et reste loin de ma fille. Ou tu peux être certain que tu ne vivras pas assez longtemps pour le regretter.
–– Je n’en ai rien à faire de vos menaces. J’ai dit que je restais, et c’est que je compte faire, jusqu’à ce que je sois rassuré qu’elle va bien.
–– Tu n’as rien à faire ici. Tu n’as pas intérêt à tourner autour de ma fille.
–– Et si je l’aime ? Et si elle, elle m’aime ? Comment comptez-vous m’en empêcher, hein ?
Il est évident que mes paroles le ruent doucement vers la folie, bien qu’il se retienne de lancer les hostilités. Le personnel de sécurité qui se tient prêt à intervenir de toute part, y est pour beaucoup dans l’histoire. Il ne saurait en être autrement devant un rire d’où suinte autant de rage.
–– Et si ce n’était pas le cas ? Je trouve bien trop sûr de toi, petit. Laisse-moi quand-même te rappeler que ma fille fréquente déjà quelqu’un d’autre. Ce quelqu’un n’est pas toi, alors je vais te le redire gentiment. Fiche. Le. Camp.
Il n’en est pas question. Je ne peux pas m’en aller. Je resterai dans le coin s’il le faut mais je ne bougerai pas.
–– Je ne peux pas parler pour elle c’est vrai, mais sauf votre respect monsieur, vous ne pouvez pas m’interdire l’accès à cet hôpital. Je veux être là à son réveil, alors j’attendrai. Holy décidera elle-même, quand elle rouvrira les yeux.
Lassé par cette conversation, je force le passage à sa gauche. C’est sans surprise que je me heurte à sa carrure imposante, dont la seule motivation est de m’obliger à déguerpir. Mais je suis catégorique. Et même Holy ne me fera pas partir d’ici sans m’accorder quelques secondes.
–– Dempsey, je t’en prie, l’interrompt sa femme sans quitter sa place aux côtés de Maelys dont le visage est mouillé. Pas de scandale ici. Je crois qu’on en a déjà assez eu pour aujourd’hui. Laisse-le passer.
L’homme met du temps, mais s’exécute tout de même. Il ne s’écoule pas une minute avant que mon regard rencontre celui de madame Tiger. J’en profite pour la remercier en acquiesçant silencieusement, et reçois en retour un regard analyste, plissé d’une certaine rancœur, d’une bonne dose de méfiance et étrangement, d’un brin de sympathie. J’aimerais bien savoir ce qui me vaut l’honneur de cette trace d’apathie, malheureusement, je n’en ai pas le temps, puisque je me fais bousculer par Faye. Les traits fripés de son visage rappellent ceux d’un puma qui met en exergue ses trocs devant son adversaire. Il m’a dans les trous du nez et c’est compréhensible. Pour autant, je n’ai pas l’intention de m’écraser. Pas devant lui en tout cas. Uniquement devant Holy. Le reste… ma famille y compris, peut bien aller se faire voir.
L’intervention rapide du basketteur nous épargne une montée de tension plus exponentielle qu’elle ne l’est déjà. Un duel visuel perdure cependant, jusqu’à ce que ces derniers ne se replient autour de leur mère qui par un murmure hors de ma portée, les apaisent tous. Face à ce tableau, je ne peux m’empêcher de penser à Holy qui me l’a toujours décrit comme étant le réel pilier de leur famille. Force m’est aussi de constater qu’elles possèdent ça en commun, cette aura de noblesse face à laquelle aucune barrière d’irrespect ou de rébellion ne résiste… Même s’il s’exsude plus de froideur de la mère que de fille.
Me sentant épié, mes coups d’œil loin d’être intempestifs ne manquent pas d’être fréquents pour autant. J’aimerais pourvoir m’en passer, cependant, il m’est dorénavant impossible de me concentrer sur quoique ce soit. Et encore moins sur mes pensées d’où ne fusent que la tristesse de la princesse de la tribu assise en face de moi. J’ai l’impression d’être pris au piège entre cette meute de carnassiers qui je sais, ne pourrait pas mieux porter son patronyme. Un faux geste pourrait signer ma fin j’en ai conscience, même si mon orgueil ne se résout pas à baisser la tête devant cette réalité. Il ne faut pas commencer à flancher maintenant alors que le vrai combat n’a même pas encore commencé. Car, même s’il a laissé croire qu’il ne m’avait pas pris au sérieux tout à l’heure lorsque j’ai affirmé mon amour pour Holy, je sais que la vérité elle, est toute autre. Dempsey Tiger m’a plus que cru, sa femme peut-être encore plus et c’est exactement pour cette raison que je sais qu’à partir de cet instant, ma vie et celle de mes proches pourraient devenir un véritable enfer.
J’accueille en silence, mais avec gratitude l’arrivée du médecin. Cette dernière concorde avec celle de la petite bande d’Holy qui bloque comme une seule femme sur moi, avant de poursuivre leur chemin pour des retrouvailles affectives avec ceux qu’elles s’attendaient à trouver surplace. Un moment de répit pour ma peau dont les récepteurs, en éveil malgré moi, se sentaient agressés par les flammes invisibles qui provenaient spécialement des hommes présents dans ce couloir impersonnel.
L’inquiétude est palpable dans les gestes nerveux du cousin d’Holy, quand une colère sourde reste cloitrée sous le calme trompe-l’œil de la star de la balle orange postée à ses côtés. Auprès de sa femme, l’aîné de la famille se fait doux et rassurant, tandis les filles échangent des messes basses non sans lancer des coups d’œil dans lesquels se sont rencontrés au préalable étonnement et inquiétude. Et c’est au moins bon de savoir que la mise à prix de ma tête ne ferait pas l’unanimité.
Les parents sont les seuls à avoir acculé le professionnel de santé que j’écoute, l’air d’être loin dans les étoiles alors que je suis bien plus proche. Juste à côté, dans cette pièce où Holy est certainement allongée sur le dos, et d’où entre et ressort incessamment une infirmière. Son état est stable, certifie ce dernier. Elle dort mais il faut y aller un à la fois, pour la voir. Ils lui ont fait un lavage d’estomac poursuit-il, mais ne savent pas avec exactitude ce qui a provoqué l’overdose. Il aurait dû s’arrêter, mais ne le fait pas. Et parce qu’il croit en avoir vu tant d’autres, se permet de prêter à Holy un statut de junky.
Et il est hors de question que je laisse passer ça.
–– Holy ne ferait jamais ça, d’accord ? Tenez-vous en aux faits, et ne dites pas des choses que je pourrais vous faire regretter.
Conciliant par devoir et peut-être bien parce que ma tronche ne lui est pas inconnue, il lève les mains.
–– Ok parfait, pas besoin de s’énerver. J’essayais juste d’expliquer la situation. Tous les signes semblent indiquer qu’elle…
Je dois passer pour un fou alors que je me cogne de façon répétitive la nuque contre le mur, mais je m’en fiche. Il faut faire taire cet imbécile qui n’a pas idée du tort qu’il est en train de causer à Holy. Pas question que cette déception persiste plus longtemps dans les yeux de ses parents.
–– Holy aime beaucoup trop sa famille. Elle ne prendrait jamais une décision aussi irresponsable que de consommer de la drogue. Pas volontairement. Elle souffrait d’un SPT, j’en conviens. Elle a pris des anxiolytiques sans ordonnance, ça aussi c’est vrai. Mais c’était pour ne justement pas inquiéter les siens. Alors je vous dis qu’il est nul votre diagnostique.
Lorsque je croise le regard lourd de perspicacité et de désirs meurtriers que pose sur moi le cadet de la famille, les paroles d’Holy me regagnent mon esprit et je comprends très vite que je viens me tirer une balle dans le pied. D’après sa sœur il pense ma famille responsable de son accident survenu il y a des mois, en guise de représailles contre les siens. Le sous-entendu caché derrière la théorie que je m’applique à soutenir pourrait donc être la goutte d’eau qui sèmera le trouble dans une poêle pleine d’huile chaude.
–– Monsieur Delano, j’essaie juste de…
–– Vous ferez mieux de vous taire et attendre que les résultats des analyses. Ou mieux, dites-nous plutôt quand est-ce qu’elle réveillera. Elle seule saura dire, ce qui s’est réellement passé. Mais je peux vous assurer qu’Holy n’a pas fait ce dont vous l’accusez.
–– Merci docteur, coupe court à ma suite, monsieur Tiger qui ne tarde pas à m’accorder son attention préoccupée, dès que ce toubib de malheur tourne le dos. Qu’est-ce que tu sais ? me demande-t-il sur un ton étonnement calme, presque gêné, patinant entre son besoin de me réévaluer et celui de redoubler de méfiance.
Nerveux, j’inspire et décroise les bras pour les rejoindre.
–– La mort de son oncle. Elle ne l’a pas surmontée. Coupable, m’étranglé-je, le cœur saccagé par une douleur qui s’épaissit d’heures en heures. Elle se sentait coupable. Elle avait des crises qui la mettaient au plus bas. Elle n’a jamais voulu que ça se sache et donc elle s’aidait avec des anxiolytiques. Je lui ai recommandé une spécialiste. Eva. Et elle va bien mieux maintenant. Elle allait bien.
Les dames s’épanchent en larmes, sauf madame Tiger, malgré la fêlure évidente dans son regard rouge et ses doigts qui se serrent avec désespoir autour du bras de son mari, le seul dont le masque d’impassibilité ne souffre de rien.
–– Humm, se contente-t-il de maugréer, mâchoires vissées, avant de marcher en direction de la chambre de sa fille endormie.
Le dos de mon index s’attarde sous mon nez qui picote, puis je retourne contre mon mur, non sans avoir jeté plusieurs regards vers la porte au bout du couloir. Je la verrai le dernier, la question ne se pose même pas.
Toujours aux aguets, dorénavant mon iris croise plus celle de Dwight. Mes craintes se consolident, il va en parler. Pas avec moi c’est évident… J’ai bien peur qu’une réouverture des hostilités soit en vue.
–– On vous doit une fière chandelle.
La mère d’Holy me sort de ma méditation. Je ne l’ai même pas vue revenir de la chambre de sa fille, ni s’approcher. Je ne réponds rien. Je ne l’ai pas fait pour être remercié. Je veux juste qu’elle vive… Qu’elle m’aime.
–– Je me demanderai toujours comment est-ce qu’on a pu manquer ça, poursuit-elle dos contre le mur, à côté de moi.
Holy adore ses parents, quoiqu’il arrive. Et je sais, ce n’est pas à moi de leur demander des comptes. Mais je mentirais si je disais que je ne leur en veux pas pour leur négligence. Être fort, ce n’est pas ignorer ses faiblesses ou les cacher comme ils l’ont appris à Holy. C’est affronter ses faiblesses, comme on l’a découvert ensemble. Pourtant je persiste dans mon silence. Je sais où est ma place.
–– Vous l’aimez n’est-ce pas ?
C’est le cri de détresse d’une mère inquiète, et je ne parviens pas à passer outre. Pas pour avoir sa sympathie ––ou peut-être bien qu’un peu––, plutôt pour lénifier de peu le chagrin qui double sa voix défaitiste et tourmentée.
–– Plus que ma vie, même si je ne sais pas le lui dire.
Je sens son regard sur moi, mais je garde mes yeux rivés sur le plafond blafard de cet endroit où la mort et la vie s’emboitent d’une manière impressionnante. La vie, c’est tellement fragile.
–– Le chemin va être long.
–– Vous me ferrez surtout barrage, ricané-je dans un soupire nostalgique, sans accorder d’attention au bruit qu’engendre un pas pressés dans le couloir.
C’est le grand silence après cette affirmation. Et on ne le dira jamais assez, qui ne dit mot consent. Aussi, je reste accroché à la blancheur du mur qui m’empli d’une sensation salvatrice de vide.
–– Vous pouvez aller la voir, me réveille soudain la mère d’Holy.
L’apaisement du désordre atomique à l’intérieur de mon cerveau est si brusque qu’il me désarçonne au premier abord. J’avale de travers sous l’effet de la surprise et l’euphorie que provoquent en moi ces mots, m’essuie frénétiquement les mains dégoulinant de sueur contre les pieds de mon jean, avant de m’élancer. Mais à peine j’ai fait deux pas, qu’elle m’interpelle à nouveau. M’attendant au pire, à un renoncement de sa part par exemple, je me raidis de la chevelure à l’orteil. Par chance il ne faut pas attendre longtemps pour qu’elle me soulage.
–– Percez, fait-elle avec un sourire malicieux au coin des lèvres. Percez les murs. Forcez-les portes. Mais forcez-les à vous recevoir.
Je ne crois pas être le plus choqué dans le couloir, même si je sens mon encéphale battre d’incompréhension entre mes oreilles ; pas aussi rapidement que mon cœur, mais bien plus atrocement ma foi. Il explose de la gaieté dans ma poitrine, quand il tressaute une appréhension mâtinée d’incrédulité dans ma tête. Malgré ça, je gagne contre mon corps et parviens à vaincre les freins que sont devenus mes pieds, l’espace de cette séquence conseil.
J’alterne entre excitation et retenue face à la porte une fois que j’en saisie le poignet. Brûlant et froid à la fois, c’est un calme triste qui persiste dans ma chair. Ce n’est ni la satisfaction, ni une totale grisaille. Voudrait-elle me voir ? me demandé-je, nerveux tout à coup, momentanément loin de mon nombrilisme surtout. Elle doit m’en vouloir, et ma présence perturbera qui sait son sommeil. Tout est encore de ma faute, comme c’est le cas pour les derniers drames de sa vie. Je suis le drame de sa vie… J’ai beau le réaliser, je demeure trop égoïste pour reculer. Elle détient les clés de cette porte qui me délivre des enfers. C’est pourquoi elle devra me pardonner, de ne me résous pas à la laisser. Je ne pourrais pas…
Ça ne se décide toujours pas dans ma tête au bout de quelques minutes, alors j’enfonce la porte, conscient d’être le centre des attentions. Il me pleut à nouveau des flammes de purge sur l’anatomie une fois que mes yeux se posent sur elle. Je réalise tout juste, comment en un claquement de doigt elle peut disparaître.
Le temps ne nous appartient pas. Il nous est alloué. Nous avons tendance à l’oublier, avec tous les bruits qui nous entourent. À force de sortir de nous, de nous fuir, on en vient à renier cette vérité. Notre éternité est limitée.
Et à cette instant, devant son corps étendu dans un calme si trompeur qu’il en est révoltant, je me dis qu’il est nécessaire de se poser. De s’arrêter. Il est impératif de retourner à l’essentiel. À ma mortalité. À ce cœur qui bat si fort. À en tout rompre. À la folie. Près de la folie. Ma folie. Ma douce folie. Elle, ce corps, cette délicieuse pulpe par laquelle j’ai retrouvé la vie.
Elle est si belle. Sa peau a perdu cette brillance que je lui envie, mais n’enlève rien à son charme magnétique. Et comme à chaque fois que je la vois, ce besoin de la toucher se fait irrésistible. Pourtant je m’y refuse cette fois, me contentant de l’entourer comme un requin blanc soucieux de marquer son territoire, même si elle m’a si souvent donner des coups au museau, qu’il m’ait arrivé de douter de cette autre vérité…
Nous y sommes cette fois, je peux retrouver un peu de raison, me détendre ici…
Je suis à la maison.
De retour avec un assez long chapitre. Difficile à écrire à écrire 😪😪... Trop soucieuse le rendre émouvant... Je sais pas si c'est gagné et je compte sur vous pour m'éclairer.
Le prochain viendra le weekend. Je prends avec l'autre livre et donc, on va ralentir le rythme.
N'hésitez pas à me laisser vos avis en commentaire. Sur ce je vous embrasse et vous dis à très vite.
Love genre 😜❤️🖤
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