Going mad
Sinclair
Comment va-t-elle ?
C’est la seule chose que j’ai réussi à ajouter, au lieu de faire la peau à ce crétin. Pourtant c’est tout ce qui cognait à l’intérieur de mon crâne. Écraser le sien, comme le fait avec un vilain cafard. Elle allait bien d’après cet imbécile qu’elle préfère. Et puis d’abord, qu’est-ce qu’elle lui trouve à ce crâneur de seconde zone ? Il est plus grand et alors ? Ou quoi, ce sont les poils de yéti sa came maintenant ? Bien sûr que non, je raconte n’importe quoi pour fuir les vraies questions.
Les non-dits nous séparent. Les secrets nous ont détruits. Les mensonges nous ont tués. Et ma bêtise consolide le tout. Mais ça ne sert plus à rien de ressasser, je l’ai perdu pour toujours. Et pourtant…
Comment va-t-elle, merde ?
Je me le demande chaque jour de ma vie à présent, au rythme de mon cœur qui m’impose la vie. Une vie de forcené, bien qu’ayant enfin retrouvé ma liberté et effacé les dernières preuves susceptibles de jouer contre moi et en la faveur de Diego. Et dire que c’était ce que j’attendais pour enfin passer à l’action avec elle. Moi avant tout, comme toujours. C’était la mauvaise équation, ça l’a toujours été. Je l’ai perdu et finalement, pas de liberté pour moi. Sans en mesurer la portée ni la véracité, un jour j’ai vu en elle ma liberté et n’ai pas hésité à me servir d’elle. Aujourd’hui, je le réalise, mes calculs étaient bons. Plus que bons, et j’ai perdu en gagnant. Las, je me laisse aller au courant. Je n’ai plus rien à rattraper derrière de toute façon. Alors pourquoi aller à contre sens ? Danich et ma mère peuvent bien continuer à parler du mariage comme s’il aurait lieu demain autour de ce diner, je m’en fiche.
Comment vas-tu Holy ? Ma tigresse, réveille mon cœur. Où es-tu ?
Je la cherche, mais elle n’est nulle part à New York. Elle ne veut pas me voir. Ne veut plus entendre parler de moi, c’est une évidence à laquelle je ne me résous pas. C’est la seule réponse à mon incompétence des derniers jours. Pour une fois, je n’ai pas ce que je veux. La douleur est en train de me rendre fou.
Je pousse mon amertume dans le creux de mon estomac avec une gorgée de vin blanc. Momentanément salvatrice, néanmoins elle me pousse lentement mais surement vers l’ivresse. Chacun exorcise son mal être comme il peut. D’aucuns par la médisance comme tel est le cas de ma future femme qui n’a de cesse d’essayer de ramener le sujet des Tiger sur la table, et d’autres comme moi, boivent dans le silence.
–– Je trouve qu’il n’y avait pas assez de monde à cette fête, à croire qu’ils ne connaissent personne. Non, moi je veux une énorme fête.
–– Ils ne connaissent pas grand monde, se permet d’appuyer Archie à qui j’aurais bien donné une claque, si je ne me sentais pas aussi lessivé. Qui veut avoir à faire à des gens pareils ?
Moi !
Mais ce que je désire par-dessus tout à l’instant, c’est me déporter au Japon, histoire d’avoir un diner de qualité, loin des sujets qui me fâchent.
–– J’ai entendu parler de vos accrochages entre deux couloirs, creuse alors le sénateur à l’autre bout de la table, finissant ainsi de me crisper sur tout le long.
Et c’est reparti.
–– Une histoire invraisemblable, ponctue mon père, sans s’arrêter de découper la tranche de viande étalée dans son assiette. Je te la raconterai plus tard, mais le moins qu’on puisse dire, c’est que ces gens sont des sans foi, ni lois. S’il me restait encore le moindre doute là-dessus, à présent je n’en ai plus. Ils n’ont pas hésiter à nous calomnier dans toute la presse. Et de quelle manière ! Hypocritement, sans se salir directement les mains.
–– Seule la vérité blesse, soupire ma mère qui soulève par ces paroles, une monstrueuse vague de colère qui n’affecte en rien le ton de ma voix, mais bien le contenu de mon propos.
Je jette ma serviette sans me soucier de l’endroit où elle atterrit et me redresse.
–– C’est sûr n’est-ce pas ? Seule la vérité blesse, ricané-je, le regard fixé dans le vide, la tête penchée vers la droite pour lui faire croire que je la regarde elle. C’est bien pour ça que les vôtres restent bien fermés à double tour dans des tiroirs. Mais on sait tous qu’aucun ici n’a suffisamment l’âme blanche pour être en mesure de juger les Tiger. Et encore, eux au moins ne passent pas leurs journées à évaluer leurs fautes en fonction de celles des autres.
Je ne pourrais décrire les réactions muettes du monde autour de la table, mon regard d’ivrogne étant voilé par l’image immatérielle d’Holy que je désespère de ne jamais retrouver, aussi bien le jour que la nuit dans mes songes. Le seul que j’entends s’indigner, est mon père qui consolide ainsi son rôle de chef de famille.
Ou plutôt ses intérêts, disons-le enfin, puisqu’il faut aller vers la vérité pour une fois.
–– Sinclair, tu es prié de te contrôler. Il est évident que tu es ivre, et l’alcool te faire dire, n’importe quoi.
Ivre c’est vrai, lucide aussi. Et déterminé à heurter jusqu’au bout.
Désolé papa, mais les premiers verrous en moi commencent à sauter.
–– J’étais là moi aussi ce dimanche, l’ignoré-je royalement en haussant le ton, où tu les as gratuitement humiliés. Mais toi et moi on sait tous qu’il n’y a pas meilleur moyen de cacher ses propres insuffisances qu’en opposant de l’orgueil à son entourage n’est-ce pas ? Ne répond pas, ricané-je face au silence qui s’érige en seul maître des lieux juste après mon cri de fureur, moi je le sais et c’est suffisant, parce que j’ai tout appris de toi. Les Tiger eux au moins s’autorisent à vivre avec leurs fardeaux et n’essaient pas de se racheter une image devant les autres en prétendant être ce qu’ils ne sont pas.
–– Sinclair je t’en prie.
Ça ne sert à rien, fais-je comprendre à ma mère lorsque je dirige explicitement mon discours vers elle. Il est temps qu’elle aussi se regarde dans le miroir. Il est temps qu’ils comprennent tous qu’ils n’ont pas été les seuls à souffrir en silence et à fermer les yeux sur mes erreurs. Eux aussi en ont commis. Moi aussi, j’ai fait l’autruche, et je souffre !
–– Vous pensez que vous valez mieux que ces gens, comme vous dites ? Est-ce que tu lui as pardonné maman ? la questionné-je, le rictus au coin des lèvres, les yeux bien rivés sur elle cette fois.
Elle baisse son regard éteint, touchée là où il faut.
–– Et toi, reviens-je vers mon géniteur recroquevillé dans un silence qui encore ne sert que lui, est-ce que tu lui as pardonné ? Est-ce que tu m’as vraiment pardonné ?
Il ne répond pas, mais cette réponse, tous les Delano la connaisse. Il lance dans ma direction un œil rancunier et n’en reste là que pour me faire taire. Il me connait, ça c’est un fait. Il sait que me pousser me ruerait davantage vers la rébellion. Il sait que je pourrais en dire plus. Tous le savent et c’est pour cette raison que personne ne bouge au moment où je bouscule mon siège pour quitter cette maison asphyxiante.
Comme chaque saint Sylvestre, je fais un tour sur la tombe d’Amelia déposer un bouquet, quémandant un pardon que je n’obtiendrai jamais en fin compte. J’en connais qui à cette heure, regrette l’époque où je me passais de ces diners de famille pour venir me recueillir auprès de cette fille à qui j’ai brutalement arraché la vie à cause de mon insouciance. J’ai gâché leur petite soirée et j’en suis particulièrement fier. Peut-être est-ce pour cette raison que je ne me sens pas l’âme larmoyante cette année, malgré la peine qui me ravage l’intérieur de la poitrine. Ça, l’alcool et les paroles d’Holy qui, il y a un an me ramassait à cet endroit à la petite cuillère.
Ici sont nés mes premiers espoirs. Oui, à cet endroit où je mettais du cœur à venir laisser un peu de mon être années après années, elle m’a redonné une raison. Assis dans ma misère, elle m’a vu, a été juste, et malgré mes laideurs, est restée. Elle n’a pas fait celle qui comprenait, qui avalait toutes mes bêtises. Elle n’a pas fait l’autruche, mais ne m’a pas lâché. Ni ce jour-là, ni après en gardant bien dans son cœur de reine mes secrets alors qu’elle aurait pu s’en servir pour anéantir ma famille... M’anéantir lorsqu’elle a découvert le vrai visage de la bête, le mien.
Je sais pourquoi je ne pleure pas ce soir. Je me sens vide. Ce n’est pas Sinclair en face de cette pierre tombale, c’est un zombie. Lui il est quelque part dans le monde, là où respire Holy, gravitant autour d’elle telle une ombre. Âme en peine, avide de sa lumière. Repas fade à la recherche de sa pincée de sel. Je ne suis pas dans ce cimetière noyé dans le brouillard et l’obscurité, à expérimenter le silence éternel avec le peuple couché. C’est égoïste mais aujourd’hui je ne suis venu à cet endroit que dans l’espoir de la retrouver. De revivre les prémices du sentiment insatiable qui me désarme, et dont le manque me tue à petit feu. Le mince espoir en moi espérait que tout ceci avait signifié quelque chose pour elle. Assez pour la ramener là, près de moi. La ramener à ses promesses.
Elle avait promis de ne pas s’en aller. Aujourd’hui je la cherche. Cette nuit encore, je suis seul. Comme avant elle.
Les mains plongés dans les poches de mon manteau, sur un pas de course, je fuis la cruauté du vent dont les morsures glaciales commencent à me paralyser l’ossature. Pas un chat dans les parages, normal. C’est un jour de fête, et les vivants vivent. Même le croque-mort que j’y croisais souvent ne s’y trouve pas aujourd’hui. C’est à croire que je suis l’incarnation même de la mauvaise fortune. Sur ce triste constat, je démarre et fais appel en chemin au seul allié qu’il me reste. Mark. Sa mère a dû rentrer tout de suite après l’inauguration la semaine dernière, pour assister à une retraite spirituelle ou un pèlerinage, je ne sais plus. Tout ce qu’il y a à savoir de toute façon, c’est que son fils est aussi triste que moi depuis. Et il n’y a pas que son départ qui en est la cause, Danaé n’est aussi jamais venu à l’ouverture du restaurant. Je crois bien que c’est également la fin pour eux… Elles ne font que ça de bien de toute manière ces demoiselles Tiger, écrabouiller des cœurs sur leur passage, et disparaître.
Peut-être faudrait-il tourner la page de notre côté aussi.
Malheureusement, je suis masochiste. Il n’y a pas autre explication au fait que je me sois rendu à l’endroit où nous nous sommes bourrés la gueule elle et moi et moi à cette même période de l’année, il y a douze mois, et à la même table où je lui ai balancé ce que j’avais réellement sur le cœur la première fois. Deux mots : son fichu bar clandestin. C’en fait quatre, pardon !
Rien n’y a changé en fait, si ce n’est l’orchestre, moins morose. Du blues au jazz, même l’escargot aurait fait plus énorme comme pas. Dans la semi-pénombre, les gens sont les mêmes. Pas les visages, ça je ne saurais le confirmer, je parle de l’humeur. Je comprends mieux pourquoi Holy m’y avait trainé, c’est le gite des désespérés. Le lieu d’exil pour les monstres irrités par l’extrême bonheur auquel renvoie le trop-plein de lumières ––qu’elles soient artificielles ou aussi naturelles que ça l’est de sourire–– qui habitent la ville. Ceux à la recherche d’un alcool non censuré pour tout anesthésier leurs douleurs, l’espace d’un temps. Des corps qui ne se supportent plus. Des cœurs éteints. Ceux qui savent d’office que l’année ne sera pas belle.
La vie n’est pas belle… pas sans elle.
–– Tu penses encore à elle pas vrai ?
J’aurais aimé pouffer, mais je rote à la place. Pris de court par ce retour brusque sur la terre ferme, je m’étouffe, tousse pendant quelques secondes.
–– Je ne vois pas de quoi tu parles.
Je n’ai pas envie de voir ! Voilà la meilleure formulation. C’est déjà assez difficile de me mettre minable en sa présence alors ça va… On ne va exagérer non plus.
–– De la petite noire hyper sexy, dans une petite robe noire au décolleté vertigineux.
Je l’entends, sans comprendre. Je sais qu’il parle d’Holy et même si ça me met aux aguets, je reste beaucoup trop sonné pour poser un véritable sens à ce qu’il raconte. Ou alors je suis trop apeuré pour me risquer à conclure par moi-même.
–– Qu’est-ce que tu racontes ?
–– Tu m’as bien compris. Je te parle de la fille assise au bar, là-bas. Elle est arrivée pendant que tu rêvassais à je ne sais quoi.
J’arrête de respirer. Mon cœur est tombé. Mon corps s’est refroidi. Suffisamment pour que je ne sache plus comment bouger. Puis la machine est relancée. Fou, furieux, exalté, mon cœur se met à rebondir tel une balle de tennis cloîtrée. Elle est là. Choqué, j’en perds tous mes moyens alors que dernièrement j’ai prié avec une ferveur de vrai croyant pour cette instant, plus que je ne l’ai fait pour mon âme en dix ans. Elle est là, encore plus belle que dans mes souvenirs dans son look gothique et ses grosses tresses bleues, et moi je ne sais plus comment avaler. Elle est là, en train de se demander en silence si oui ou non elle brûle un papier qui n’aura jamais autant attiré mon attention.
Je suis pas mal inspirée sur l'histoire ces derniers temps alors je profite... Du coup, ceux qui suivent “Born After the Night” attendront un peu 🙏🏾... Je sais c'est assez déconvenable de les délaisser de la sorte, mais promis, dès que je mettrais la pause ici, je mettrai le turbo de ce côté là aussi.
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