Family Feud
Sinclair
–– Mais elle ne s’arrête jamais maman, elle encore changé la déco ! s’étonne Holy devant le tapis du vestibule en velours du Kasaï, et les murs d’un gris clairs qui me renvoie aux sous-vêtements qu’Holy porte sous son t-shirt en Dashiki et son jean noir.
Et voilà qui va m’obséder toute la soirée. Et à vrai dire, ce n’est pas plus mal, vue ce qui nous attend. Au moins je saurais où me refugier, sans courir le risque de m’emmerder en plus.
–– C’était plus beau la première fois lorsque nous sommes venus, renchéris-je pour ne pas la laisser parler toute seule, tandis que la domestique venue nous accueillir attend que je lui remettre mon manteau et le blouson en cuir de ma tigresse. C’était plus sombre, plus royal.
–– Je trouve aussi.
La demoiselle en uniforme se retire une fois en possession de nos vêtements, après nous avoir respectueusement salué et appris que toute les deux familles se trouvent dans le séjour. Nous y accédons au bout quelques secondes de marche, après que j’aie fait coulisser une énorme porte dont le verre doit sa rugosité aux jolis motifs savamment sculptés sur toute sa surface. C’est sans surprise que nous retrouvons deux blocs ayant pris la table basse qui rappelle beaucoup une boite d’allumette géante, pour zone de frontière entre eux.
Eh bah, ça commence bien dit donc…
Mais aucun de nous ne se démonte. Holy est courageuse, moi je suis entêté et tous les deux, nous adorons le challenge. Et là où je ne me plais à jouer les provocateurs qu’avec elle, Holy est la reine dans l’art de l’exaspération en générale. Ce n’est donc pas sans sourire que je la regarde s’avancer vers ma mère et faire preuve d’une familiarité qui désarme forcément les siens.
–– Vous êtes ravissante, vraiment, sourit cette dernière avec sincérité au bout trois bises échangés sur la joue. Moi je n’ai pas eu le temps de faire des efforts, Sinclair a tenu à conserver la surprise jusqu’au bout.
–– On ne dirait pas pourtant. Vous êtes très belle.
–– Je n’ai pas cesser de le lui répéter sur la route. Bonsoir maman, je joints-je à elle.
Je prends ensuite ma mère dans mes bras, laissant ainsi la possibilité à ma tigresse de poursuivre avec les salutations auprès du reste de ma famille. Plus chaleureuse avec Neil, elle se limite à de brèves poignées de main avec mon petit frère et mon père. Quand vient le moment de progresser enfin vers les siens, la peste se fige aux côtés de mon aîné, appelle chacun des membres de sa famille sur un ton cérémonieux des plus drôles, puis leur accorde un « bonsoir » collectif et tellement sec qu’on croirait presque que le mot lui brûle la langue. Son attitude a au moins le don de soutirer des sourires des deux camps…
Je ne suis pas l’exemple de ma petite amie, et me rapproche de tout le monde pour échanger des politesses individuelles. Glaciales pour la plupart, aucun ne me rejette pour autant. Nous passons à table tout juste après, entrainant jusqu’à elle, le silence asphyxiant et pesant qui nous a étreint Holy et moi à notre arrivée. Les deux chefs de famille s’asseyent à chaque extrémité de la table et après leurs épouses, suivent leurs enfants. En gros, c’est encore et toujours « chacun chez soi », exception faite d’Holy qui prolonge la rébellion en restant à mes côtés, confirmant sans le savoir, mes allégations auprès de ses parents.
Elle ne me quittera pas…
Celui qui manque de quitter la table par contre, c’est Faye, au moment où mon père insiste pour bénir le repas.
–– Tu reposes tes fesses sur cette chaise, le rabroue Armony sur un ton qui ne tolèrera aucun refus. Il y’en a marre de ton comportement de gros beauf Faye. Tu me refais un coup pareil et je te jure que tu ne pourras pas te tenir debout durant les deux prochaines semaines.
Ce dernier s’exécute sans rechigner sous le regard moqueur et rancunier d’Holy, qu’il ignore pour me fusiller au contraire du sien. La sévérité dont vient de faire preuve ne surprend que de notre côté de la table. Ma mère en reste d’ailleurs bouche bée ––mais je ne saurais dire si c’est d’admiration ou d’indignation, tant l’instant est furtif.
Le silence qui reprend sa place après cette prise de parole correctionnelle, facile l’introduction de la prière. Et comme nous plus sur un champ de bataille qu’autour d’un diner familial, mon paternel se permet quelques libertés.
–– Père éternel nous te rendons grâce pour ton amour. Tu cherchais les misérables, ton amour allait partout. Et même si ce ne sera pas facile ce soir, viens t’assoir à cette table Jésus, et mange avec nous, même s’il n’est pas certain qu’il vienne de toi.
La moins susceptible aux piques non dissimulées de mon père à l’endroit de la famille Tiger, c’est Holy dont le visage rougit sous la pression du rire qu’elle se retient de laisser échapper de sa gorge. C’est plus de la gêne que j’éprouve à cet instant où je tiens parole en me retranchant dans mes souvenirs lubriques. Pourvu que ça se termine vite et que je m’octroie enfin ma récompense. Surtout qu’Holy déborde à présent d’une joie qui lui confère une seconde beauté dont je rêve de m’abreuver jusqu’à l’infini.
–– Amen !
Tant d’emphase ne peut que le rendre ridicule. Je me demande s’il s’en rend seulement compte. Et heureusement Dempsey se propose de le lui faire remarquer.
–– Je vous croyais plus astucieux que ça. Non, ponctue ce dernier un bout d’un petit rire très similaire à celui qui fend généralement les lèvres de ma tigresse, lorsque joue les mauvaises langues. J’entendais plus, novateur. Parce que ce disque-là « les Tiger, gros gangsters du Bronx », il commence à se faire vieux. D’ailleurs j’ai même cru entende votre voix crisser, ricane-t-il avec l’appui de sa femme. Mais on ne peut dire que vous ayez complètement tort. Je ne dois rien à ce cher Jésus moi. Je m’en vais quand-même lui piquer quelques mots que je me fais généreux de vous offrir gratuitement : retirez la paille dans votre œil avant de ne serait-ce que penser à celle de votre voisin.
Un regard froid sur ma personne accompagne ces paroles, et les seuls qui ne le comprennent pas, sont ceux qui ignorent tout de ma seconde identité à savoir, ma famille au complet.
–– Maman je t’adore, mais cette déco est une horreur.
Holy par ces mots, contraint subtilement son père à diriger ses yeux insistants, accusateurs et menaçants, ailleurs autre que sur moi. Si je n’avais pas autant d’aplomb, je crois que je me serais mis à tousser là tout de suite, tant ma pression artérielle est montée en flèche, m’asséchant la gorge au passage. Je n’en reste pas moins assoiffé, et par chance il n’y a pas besoin de passer la barre des centimètres pour mettre la main sur un breuvage. Mais le meilleur des secours est la main de ma tigresse qui, posée sur ma cuisse, vient m’exprimer toute sa tendresse et sa loyauté. Ce contact me décrispe, et celui de nos yeux étincelant de cet amour pour lequel nous sommes résolus à lutter, me redonne ce sourire d’imbécile heureux dont je ne saurais désormais plus me passer.
Je t’aime à la vie, à la mort Holy.
–– Moi je l’aime, et ton père aussi. C’est tout ce qui compte. Pas vrai Sinclair ?
–– Si, bien sûr, fais-je sur un ton de voix dont la douceur ne va en réalité que vers Holy que je ne me résous pas à quitter des yeux.
Elle me le disait encore ce matin et je le confirme : ses tresses fulani en rajoute des tonnes à cette aura de reine qui l’entoure en permanence. Celle-là même qui exacerbe ma virilité sans limites.
–– Et puisqu’on parle de déco, où en est la vôtre ? J’ai cru comprendre que vous aviez emménagé ensemble et que vous la faisiez refaire.
–– Holy s’en occupe, réponds-je après m’être précipité cette fois sur sa main placée près de la mienne, à la vue de tous. Je crois qu’en ce moment, avec la décoratrice, elles en sont au choix des couleurs.
–– Oh, s’émerveille soudain Maelys, vous habitez déjà ensembles. Je n’étais pas au courant. Et depuis quand ?
Le regard mauvais lui présage une réponse des plus venimeuses, alors je décide de prendre les devants, pour calmer le jeu.
–– Il y a deux semaines, à notre retour des Hampton.
–– Comme ça on a pris des aises dans ma demeure, après m'avoir traité de tous les noms d’oiseaux hein.
Je ne sais pas s’il espère se faire sérieux avec la moue sévère qu’il peine à maintenir en coin, mais ça ne fonctionne carrément pas. Plus confiante de jours en jours, Holy l’accueille comme la plus grosse blague de la soirée, par un rire léger qui lui agite néanmoins les épaules.
–– Tu n’as même pas idée papa, souffle l’effrontée avec malice. Mais je suis sûre que ça n’égalera en rien nos prochaines vacances dans leur île privée aux Maldives.
–– Les Delano possèderaient une île privée, s’étonne la mère d’Holy.
–– Un peu plus de cent hectares, ne manque pas de se vanter mon père, le torse bombé comme un coq fier. Deux hôtels, cent appartements à louer, un aquarium, un centre de recherches et un vignoble qui nous permet de produire dans les quarante mille bouteilles par an. C’est le fruit de longues décennies de dur labeur. Et honnête, trouve-t-il encore nécessaire d’ajouter, comme s’il n’en avait pas encore assez fait.
Et ce n’est toujours pas le cas, puisqu’il rebondit la tierce d’après.
–– Nous sommes en ce moment pris par la rénovation du port. Il faudrait en faire quelque chose de plus grand. Vous voyez, tout le monde n’a pas besoin d’aller afficher l’étendue de sa fortune sur Vogue, pour la rendre effective. Mieux, pour se sentir exister.
Dempsey est impressionné, et il ne le cache pas, pour le plus grand plaisir de sa fille. Je peux presque entendre cette dernière crier « prend-toi ça bien dans les dents, papounet » rien qu’au sourire diabolique qu’elle adresse à ce dernier, tout en agitant les sourcils.
–– Chacun ses méthodes mon cher Hamilton, renchéris malgré tout le père de ma petite amie, avec assurance et un brin d’espièglerie. D’aucun choisissent de s’afficher dans les magazines et d’autres de se cacher dans les églises pour prétendre être ce qu’ils ne sont pas. Soutenir des causes en lesquelles ils ne croient pas… Devenir le maire d’une ville dont il méprise les habitants, affûte-t-il davantage son propos, pour ne rien cacher de sa pensée à sa cible.
Un sourire acide succède à la courbe de dégoût que formaient ses lèvres au moment où il jetait sa serviette près de son plat. Coudes à présent sur la table, il joint ses mains devant lui, laissant grossir la tension dans l’écrasant silence qu’a ramenée sa verve. Il le brise lui-même, dès que le bout d’agneau cuit façon méchoui, glisse dans sa gorge.
–– Le résultat espéré est le même dans les deux cas. Il faut bien vendre du rêve. La fortune vient à celui qui l’appelle. Dieu, aussi, termine-t-il sur un ton plus blagueur qui ne contribue qu’à accentuer le malaise à table…
Parce qu’être préparé à une situation ne la rend pas moins dangereuse. Les accords sont récents et les bases sont fragiles. Mais ce ne serait pas une expérience si nous connaissions déjà l’issue de ce diner, n’est-ce pas ?
–– Est-ce qu’on ne pourrait pas simplement essayer de passer un bon moment ? intervient alors ma mère, définitivement du même avis que moi. De la tolérance, rien que ça. Pour les enfants. Ils semblent si amoureux. Et si Dieu le veut, quelque chose de sacré se tissera entre eux, ce qui me fait croire que nous nous verrons souvent. Alors faites un effort, hein Hamilton chéri. Vous aussi Dempsey. Pour le bien de tous.
–– Rien n’est encore joué, il me semble, soupire ce dernier, l’air agacé.
–– Pourvu que ça ne se joue jamais, renchérit mon père sur le même ton sarcastique ––bien que las–– que l’homme à l’autre extrémité de la table.
Cette fois, Holy ne se retient pas d’exploser de rire.
–– Jelissa ne vous en faites pas. Les plus grandes amitiés commencent de cette façon. Je suis bien placée pour le savoir.
–– Ça personne ne peut le nier… mon amour, mime théâtralement Archie à mes côtés, faisant référence à notre dernier passage en ces lieux, lorsqu’Holy m’avait craché à la figure. C’était d’un ridicule, pouffe-t-il, mais c’est sûr qu’on s’en souviendra tous.
Son entrée en matière surprend c’est vrai, mais plus pour le meilleur que pour le pire. Il accompagne ses propos d’une grimace qui détend aussitôt l’atmosphère.
–– Je ne sais pas vous, mais moi je n’y ai pas cru une seconde. On les aurait laissés dans cette salle ce jour-là, qu’ils nous auraient pondus des bébés, direct.
Cette fois c’est le rire général… enfin, Hamilton et Dempsey en moins. Mais Archie n’en tient pas compte en poursuit à parodier cette scène que tous n’ont pas eu le malheur de vivre… et surtout pas dans ma peau. Danaé plus que les autres, en redemande pour mieux embêter sa cousine. Celle-ci ne tarde d’ailleurs pas à riposter avec une grosse blague qui ajoutée à celle de mon petit frère dont l’humeur surprend autant qu’il fait l’unanimité, colore la pièce d’une ambiance que jamais je n’aurais soupçonné. Je ne me retiens pas d’ailleurs d’aller le remercier une fois sortis de table.
–– Tu nous as surpris ce soir.
Moi le premier. Archie, mis à part qu’il n’a jamais eu beaucoup d’humour, soutenait encore mon père jusqu’à ce matin.
–– Tu baves devant cette fille. Et tel que maman l’a dit, il faudra bien qu’on s’y fasse. Alors on va bien essayer de faire un effort.
–– Il est dingue ce Dwight, nous interrompt Neil, essoufflé par un rire qui n’en finit pas. Vous ne devinerez jamais ce que je viens d’apprendre. Tu te souviens de cette fille…
Il ne va pas plus loin, car nous sommes interrompus par le basketteur lui-même. Et à sa suite, Hervey dont les mains demeurent dans les poches de son pantalon, même lorsqu’il nous adresse un bonsoir qui semble lui couter.
–– Et voilà l’heureux du jour, lance Dwight avant même de stationner à mes côtés. Parce que tu as bien conscience que tu as de la chance que ma sœur t’ait choisie toi, plutôt que ce gars… comment il s’appelle déjà ?
–– Peu importe, soupire Hervey. La seule chose que tu te dois de retenir de cette petite conversation est que, s’il arrive quoique ce soit à ma sœur ou si tu oses encore te moquer d’elle ne serait-ce qu’une fois, il n’y aura pas un endroit dans ce monde où tu pourras te cacher. Je te retrouverai, et je te tuerai de mes propres mains.
Au sourire acide qui étire mes lèvres, on ne me croirait pas impressionné par ce dernier, pourtant je le suis. Hervey n’a pas l’air de plaisanter. Je crois d’ailleurs que tout le monde qui peut le voir et l’entendre, en a conscience.
–– Du calme frérot, temporise le basketteur, plus enjoué que son aîné, même si cela ne fait pas de lui un danger des moindres. Ne l’écoute Sinclair ou… comment tu l’as appelé Archie ? … Mon amour, ricane-t-il après mon frère, d’une voix qui se veut similaire à celle de sa sœur. Ce que mon frère essaie de te dire, c’est qu’Holy est fragile et qu’on espère que tu la rendras très heureuse. Elle le mérite.
J’acquiesce en silence, conscient de mériter toute cette animosité et reconnaissant qu’ils aient tous gardé le silence face à ma famille, sur le sujet délicat qu’est ma double vie. L’aîné de la famille Tiger me surprend pourtant en me tendant la main par la suite.
–– C’est comme a dit Dwight. Veille sur elle. Tu nous l’as volé, alors veille sur elle.
–– C’est la prunelle de mes yeux, affirmé-je en serrant sa main.
Mais même par ces mots, je sens que la flamme, la vague chaude, le courant ardent ––ou peu importe ce que c’est–– qui brûle en moi ne trouve toujours pas définition exacte. Ce que je ressens pour Holy est au-dessus de mes forces, de mon intelligence, transcende mon âme au bout chaque respiration.
On a dépassé de loin l’étape de la chair, et je peux sentir mon esprit communier avec le sien… par un simple regard, comme celui que nous échangeons maintenant, par-dessus l’épaule de son frère.
Un frisson si agréable qu’il enclenche une euphorie céleste en moi, me vrille l’échine du fait de ce contact à distance. A-t-elle entendu le cri de mon cœur ? La supplication de mon être, la vénération que sont en réalité mes paroles ? Sent-elle que je suis bien parti pour l’adorer, comme si c’est d’elle que me vient la vie ?
La prunelle de mes yeux… Mais c’est pire que ça, Holy est ma vie.
–– C’est bien ce que je disais, m’extirpe Archie de mes rêves éveillés, il bave devant cette fille. Ça y est on l’a perdu. Sérieusement Neil, tu l’as déjà vu avec un air aussi crétin sur le visage ?
Voilà qui semble rassurer Hervey qui acquiesce avec un demi-sourire sur les lèvres, avant de reprendre sa main pour lui aussi faire face à sa sœur… Ma beauté, ma tigresse, ma reine, ma déesse… Ma, la mienne… et un jour elle sera ma femme, la mère de mes enfants ––Si et seulement si elle le veut bien.
–– Non en effet. Et ça je suppose que ça se fête, non ?
Du même avis mon aîné, Dwight nous fait livrer des coupes de champagne.
–– Je propose qu’on trinque à l’amour et à la famille.
Les verres s’entrechoquent dans une ambiance où la méfiance n’a pas totalement disparu, même si l’apathie n’est plus d’actualité. Je ne peux néanmoins m’empêcher de me sentir heureux. Ce n’est pas parfait, mais c’est tout ce que nous avons… pour le moment.
Excellent début de semaine à tous. J'espère que vous allez bien. J'espère que vous vous marrés en lisant ce chapitre.
Moi en tout cas, ils m'ont bien fait rire Papa Tiger et Papa Delano 🤣...
Trop hâte de vous retrouver pour le suite. Passez une très belle semaine et prenez soin de vous. Ciao.
Love guys 😜❤️
🖤🖤🖤
Alphy.
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