Backup on our Bullshit

                      Holy







Plus que quinze minutes de route, et nous serons à Manhattan. Ouais, il faut retourner à la réalité, là où chaque heurt affecte terriblement le corps et de manière réel.

Rentrer en voiture n’y a pas changé grand-chose, au final. Deux heures de route ne m’ont jamais semblées aussi courtes. Et s’il ne s’agissait que de ces heures… aucune semaine ne m’a jamais parue aussi brève. Aussi brève que belle… intense !

Les bonnes choses ne durent jamais, c’est bien connu, et nous n’échappons pas à cette règle. J’ai le cœur gros malgré la quiétude que Sinclair y a déposé par de grandes bouffées d’amour. Plusieurs raisons peuvent expliquer cette anxiété, mais la plus imminente reste le détour que nous ferons chez ses parents pour saluer sa mère. Elle a quitté l’hôpital il y a deux jours et par chance, ne s’en sort qu’avec quelques restrictions alimentaires et une période convalescence assez longue. J’ai beau ne pas l’apprécier, son rétablissement me fait plaisir. Son fils est soulagé, et moi je suis apaisée, car je n’aurais pas pu vivre avec ma conscience si elle avait gardé ne serait-ce qu’une séquelle.

Sinclair dit qu’elle sera heureuse de me rencontrer, mais je n’en suis pas convaincue. Pas après tout le dédain et les insultes toutes plus salissantes les unes que les autres, auxquels j’ai eu droit, chaque fois que nos chemins se sont croisés. Et de ce que je sais, elle aime beaucoup Danich. C’est même une fille pour elle, a-t-elle déclaré dans un magazine à l’annonce du mariage de Sinclair Avril dernier, alors le coup de la prise de conscience, on en reparlera dans… dix minutes.

Je suis si nerveuse qu’aucun mot n’arrive plus à franchir le seuil de mes lèvres. Ce n’est pourtant pas l’envie qui me manque. Quand je suis avec Sinclair, normalement j’ai toujours envie de dire quelque chose, de le faire rire, de l’emporter dans mon bruit, comme lui, il réussit à me bercer de silences le soir avant de m’endormir.

–– Leurs avis ne comptent pas Holy, me fait remarquer Sinclair, comme s’il était dans ma tête.

Après cette semaine, j’en suis plus que persuadée, cependant vingt-trois années d’éducation ne se jettent pas à la poubelle en un claquement de doigt. « La famille c’est le plus important au monde », voilà dans quoi j’ai été éduquée toute ma vie. Et là je ne parle pas que pour moi, ça me fend aussi le cœur de savoir qu’il est prêt à tourner le dos à la sienne pour nous. Même si je ne ferai plus rien contre notre relation, ça ne m’empêche pas de continuer à prier secrètement pour que nos parents finissent par comprendre.

–– Je sais, souris-je, toute timide. Tu m’aimes et ça me suffit.

Et je le pense vraiment, malgré que ma petite mine peut laisser croire le contraire. Elle parvient d’ailleurs à soutirer une onomatopée étrange ––assez brouillonne car inarticulée–– au canon assis à mes côtés, puis un long silence. Pas de ceux remplis de paix. Plutôt un calme noyé sous le malaise.

–– Nous fonderons une famille tous les deux de toute façon. C’est dans l’ordre des choses non ?

Là mon cœur fait un salto arrière. Le morceau est si gros qu’évidemment, il ne passe pas. Qu’il soit gros n’implique pas qu’il soit désagréable. Dans le cas de figure, il est tout sauf de mauvais goût. Mais comme je l’ai dit au début, il est trop gros, trop brusque. Et dans la foulée, j’oublie de ne pas le blesser.

–– Avec les bébés et tout ça ? grimacé-je sans mesure, prise d’une peur soudaine.

J’assiste écœurée par moi-même, au douloureux spectacle de sa mâchoire qui se crisper sous la peau vierge et blanche de son visage. Puis pour mieux m’accabler, ses raclements de gorge ne tardent pas à venir confirmer ce que je sais déjà, je viens de faire une belle boulette. Mais merde, je ne pouvais pas prévoir qu’il allait me sortir ça.

–– Laisse tomber, de toute façon nous sommes arrivés.

Je détourne le visage par simple réflexe, avec dans le cœur une douleur inhabituelle. Par chance elle est vite remplacée par l’appréhension, même si cela ne suffit pas à effacer la bribe de conversation que nous venons d’avoir. Cette partie de l’histoire qui m’a échappée. Ou que je me suis peut-être occultée par peur de trop espérer. Parce que l’idée en elle-même ne me déplaît pas, au contraire… elle m’effraie juste… encore.

–– Ne bouge pas, je vais t’ouvrir.

Je devrais le retenir pour en parler, je sais. La tristesse dans ses yeux est un merdique mélange de déception, de rancœur et étrangement, de peur. Elle est interpellatrice, je sais, mais même alors que je me sens comme la pire petite amie du monde, je le laisse ouvrir sans rien moufter. Pour la simple raison que je ne suis pas prête à avoir cette conversation. J’espère qu’il comprendra.

J’ai vite ma réponse lorsqu’il prend ma main dans la sienne, et qu’après avoir entrecroisé nos doigts, la presse comme s’il n’allait plus la lâcher. Les larmes me montent aux yeux, tandis que plus bas dans ma gorge se forment des nœuds brûlants. Ce n’est pas de la peine. Plutôt de la gratitude. Et c’est par elle cette fois que je ne me retiens pas de requérir son attention pour lui dire toute la tendresse que j’ai pour lui. Le baiser est chaste et pourtant plein de promesses. Même et surtout de celles qui dépassent encore mon entendement sur le moment.

Je crois qu’il les a entendus et qu’il a lui aussi senti le vent magique qui nous a étreint l’instant de ce baiser. Tous comme les miens, ses iris brillent intensément. On croirait presque qu’il a le soleil dans les yeux. Des soleils de la couleur de l’amour. Des soleils bleus d’amour. Bouleversée ne sera jamais assez suffisant pour décrire ce que je ressens. Et bien que je ne sois pas certaine de saisir ce qui est en train de se passer, je sais pourtant que je vendrais mon âme au diable pour demeurer dans cet état de… grâce.

Tout est si parfait. C’est parfait de savoir qu’il restera, même quand nous ne serons pas en phase. C’est assurément cette certitude qui me fait réaliser que pour lui je dirai oui à tout.

–– Tu vas attraper froid, fait-il, rompant par la même occasion la féerie du moment par sa gorge qu’il ne cesse de racler et ses yeux qu’il cligne à outrance, comme si on y avait versé de l’eau salée.

C’est toujours si drôle de le voir rougir, j’en redemande. Je n’ai malheureusement pas le temps d’aller à la quête de cette gêne infantile qui va lui si bien au teint et à l’âme, des pas furieux attirent notre attention à l’autre bout de l’allée. Ils perturbent tant notre tranquillité que celle de l’air ambiant par leur intensité. Papa Delano est dans le place, et pas du tout content que j’y sois, moi aussi.

–– Comment oses-tu ramener cette fille ici ?

Pour avoir connu les colères de mon père, la sienne me paraît presque légère. Cela ne fait pour autant pas de lui un danger des moindres. Même que non. C’est juste un homme pour qui l’image et la réputation valent un cœur. Habitué à vivre dans la mesure et à évoluer sur des chemins tous tracés, il en a fini par oublier qu’il lui coule du sang dans les veines. Après tout, c’est bien de ça qu’il vit le politicard.
Oui, j’ai souvent pensé à lui. À toute cette famille d’ailleurs. Parce qu’elle importe pour Sinclair et que lui est à présent tout pour moi. Je veux essayer de comprendre, m’ouvrir et sortir de mes à priori.

–– Bien le bonsoir à toi aussi papa. Merci, je vais très bien et toi ?

–– Je te déconseille fortement de jouer à ça avec moi. Je veux que cette…

–– Fais bien attention à ce qui va sortir de ta bouche papa, ou je te jure que je ne réponds plus de rien.

Son attitude chevaleresque m’honore, mais je décide quand-même de lui reprendre ma main, prête à obéir à son père qui n’a pas si tort quand on y pense. On savait que ça pouvait arriver et moi, je déteste m’imposer…

Moi oui, Sinclair non. Aussi se refuse-t-il de me lâcher la main. Même qu’il la presse si fort que j’en viens à grimacer de douleur.

–– Reste à côté de moi ma beauté, m’ordonne-t-il, alors que ses yeux demeurent accrochés à ceux de son père. Je suis venu rendre visite à ma mère, poursuit-il, cette fois à l’endroit de son père. Mais d’ici, nous partirons ou nous entrerons. Tu es libre de choisir, c’est ta maison.

Les deux hommes s’affrontent. On ne dirait pas pourtant, à en croire leurs visages stoïques. Maintenant je sais de qui Sinclair tient aussi bien son caractère d’aiglefin que son élégance naturelle. Des yeux peu avisés verraient deux sosies de différentes époques. À tort, bien entendu, car comme tout bon élève, Sinclair a valeureusement dépassé le maître. Mon amour est un joueur d’exception. Le meilleur que je connaisse. Il sait où, comment et quand frapper. Sa qualité première, Sinclair sait écouter.

–– Très bien, entrez. Mais c’est juste pour ta mère, prend-il soin de préciser en s’attardant enfin sur moi.

Plus méprisant comme regard, tu meurs. Mais malgré que ce dernier ait réussi à me heurter, je lui oppose un sourire d’une arrogance sans nom. Il ne m’aime pas et moi non plus, voilà qui est dit.

Le reste du chemin jusqu’à la chambre de Jelissa se fait sans plus aucun autre souci. Archie m’ignore sans me manquer de respect. Neil me surprend avec une accolade chaleureuse, avant de soutirer du rouge aux joues de son frère, en revenant sur la déclaration d’amour que m’a fait ce dernier sur Instagram, pour mieux me voler mon cœur ––ou l’emprisonner, tel que je l’espère.

L’aîné de Sinclair nous apprend aussi que Maggy est à son cours de danse, ce qui chagrine un peu Sinclair. Il aime cette gamine comme si c’était la sienne et à travers ses récits et les brèves rencontres que j’ai eu avec la petite, je peux dire qu’elle aussi détient désormais une place dans mon cœur. Plus charmant que ses petits frères, Neil réussit à détendre l’atmosphère pendant tout le trajet, et même lorsque nous tombons sur Danich, une fois la porte de la chambre à coucher de leur mère ouverte.

–– J’ai je crois un peu oublié de vous dire que le mauvais esprit était là, chantonne-t-il sur un ton qu’il sait, nous tiendra Sinclair et moi, pour seuls auditeurs. Ignore la Holy, parce que les mauvais esprits ne survivent pas autrement par l’attention qu’on leur porte. Plus tu y crois, plus ils te hantent.

En plus d’être amusée par l’inflexion et les mimiques qu’il colle à ses paroles, je me sens soutenue et ça m’aide à faire passer la pilule. Je ne m’attendais pas à une quelconque considération de la part de Jelissa, mais j’avoue être quand-même déçue. Comme si au fond de moi, j’avais inconsciemment espéré que Sinclair ait eu raison. Ce n’est définitivement pas le cas et que la fille du sénateur soit là alors qu’elle était au courant de ma venue le prouve à suffisance.

–– Mauvaise langue, ricane Sinclair qui fait semblant de tousser, pour brouiller les sons. Même si pour fois tu as bien raison.

–– J’ai toujours raison, renchérit l’ainé avec plus d’assurance cette fois, en tendant le bras vers sa mère. Salue maman.

–– Coucou chéri, sourit cette dernière en se laissant baiser les deux joues. Sinclair fiston, tu es enfin là. Comme tu m’as manqué.

Et à peine son fils dans ses bras qu’elle retrouve la mine fraîche d’une fleur en pleine éclosion, alors que le soleil a privé New-York de sa présence aujourd’hui, abandonnant tous les habitants à la laideur d’un ciel gris et d’un air glacé.

–– Bonjour maman, l’embrasse-t-il à son tour, sous mon regard attendri.

D’autre part, je fais tout pour appliquer à la lettre les recommandations de Neil. Ignore le mauvais esprit. Mais punaise, comme c’est difficile. Bien sûr que la nana est venue en mode en mode chasseuse. Parce que soyons honnêtes, de sa robe assimilable à une seconde peau à son regard sublimé au khôl et aux fards, tout est beaucoup trop parfait pour ne correspondre uniquement qu’à une toilette ordinaire, faite dans le seul but d’aller rendre visite à une personne en réadaptation qui plus est.

Elle me cherche la connasse. Elle cherche mon mec, et donc elle me cherche. Toutefois, je vais rester calme. Elle gagnerait trop à me mettre hors de moi, puisqu’à la seconde où ma folie me retombera dessus, je serai l’hystérique et elle, la gentille et jolie petite fille. On aura tôt fait d’oublier qu’elle a frappé en premier.

–– Quelle surprise, sourit hypocritement le « mauvaise esprit ». Bienvenues.

Oh ! Parce qu’elle se prend aussi pour un membre de la famille… Quand on y pense bien, ce n’est pas totalement faux.

–– Merci Danich, minaudé-je sur le même ton douceâtre qu’elle. Tu es magnifique.

–– Oh c’est gentil. Toi par contre, tu m’as l’air… fatiguée. Tiens, je n’avais jamais remarqué tous ces petits points sur ton visage. C’est assez…

–– Sans aucun doute ce qui fait de ton visage, le plus beau au monde, l’interrompt Sinclair assis dorénavant près de sa mère. Viens là ma beauté.

Un silence pesant s’abat dans la pièce après la petite série de toussotements moqueurs qu’a lâché Neil, à la suite de Sinclair. Pour le reste de la salle, je suis Holy la fille un peu intimidée parce qu’elle se sent quelque peu en terrain miné, alors qu’à l’intérieure, je suis une cheerleader au top de ses performances, en train de scander haut et fort le nom de mon amour. Sa réponse surpasse de loin celle clichée que j’allais assurément servir à Danich, à savoir qu’on n’a pas vraiment le temps de dormir quand on a un voisin de lit aussi enflammé que Sinclair ––ce qui je crois, aurait été légèrement acidulé compte tenu des lieux et des circonstances, et nous en serons venus à ce que je redoutais déjà : passer pour l’hystérique de l’année.

Je n’aurais pas pu me défendre sans avoir à l’adresser et Sinclair l’a compris, l’a anticipé, m’a protégé.

Il y a peu encore, je ne savais pas qu’il était possible d’aimer autant quelqu’un. J’étais surtout loin de m’imaginer jusqu’où tout ça pouvait aller. Avant aujourd’hui, je ne savais pas qu’il était possible de brûler d’amour. Juste d’amour, pas de désir, mais d’amour tout simplement. Être en surchauffe, acculée tant par des vapeurs que des liquides, tous incandescents et en être brulée jusqu’à l’âme. C’est martyrisant, puis magique, puis euphorisant.

La connexion est réelle, lorsque je pose mon regard sur lui, ou insère ma main dans la sienne, c’est bouleversant. Au point d’en être émue aux larmes.

Plongée dans les profondeurs de son âme, à travers un regard par lequel le bleu parvient encore à m’éblouir, je réapprends à respirer. On est loin des spasmes et de la violence de la passion. Nous sommes à l’épicentre même de la paix et du silence. Elle est étrange, mais si appâtant cette impression que tout s’est tu en moi, pour ne laisser que son nom résonner encore et encore, comme si je viens de trouver ma vérité.

Sinclair…

–– Pardon, m’excusé-je une fois revenue de ma transe, sous le coup de la pression des doigts de Sinclair autour des miens, en épongeant mon visage.

J’ai dû y rester un certain temps, vue que je n’ai pas remarqué le départ de la fille aux regards pervenche. Aussi beaux que venimeux. Et nulle autre part dans cette pièce je ne les retrouve. Pas même chez la mère de Sinclair. Non, dans ses iris, j’ai la plus étonnante surprise de trouver de la tendresse.

–– Ne vous excusez pas Holy d’avoir un cœur en excellente santé. Vous aimez, et êtes aimée en retour, qu’y a-t-il de plus beau ?

Interloquée, je cherche du réconfort dans les yeux de son fils à ses côtés. Dans son acquiescement, je trouve la force émotionnelle qu’il commençait à me manquer après le tour de montagnes russes que je viens à peine d’achever.

–– Rien en effet.

–– Soyez la bienvenue chez nous. Et bien sûr je m’excuse pour la présence de Danich. Je ne l’attendais pas, mais veuillez pardonner mon manque de tac. J’aurais dû la faire partir avant, mais vous aurez surement le temps d’apprendre que je suis particulièrement faible avec ceux que j’aime.

–– Et si tu m’écoutais un peu plus maman, tu la rayerais de cette liste. Je le dis, cette fille dégage un truc qui ne me plait pas. Appelez ça comme vous voulez, mais mon instinct ne m’a jamais trompé.

Sinclair m’en a parlé. Il paraît même qu’il lui arrive de faire des rêves prémonitoires. Certaines anecdotes m’ont laissé sous le choc, bien que je continue de croire que ce n’est que de la superstition.

–– Neil, le rabroue sa mère.

–– N’en parlons plus d’accord, s’interpose finalement mon petit ami, clôturant ainsi le sujet « blonde aux yeux pervenches ».

L’atmosphère plus apaisée, le reste de la visite se passe beaucoup mieux que ce que je m’imaginais en venant. Sinclair avait raison, sa mère est bel et bien prête à faire des efforts. Nous ne sommes pas plus amies qu’avant ma visite, cependant nous aimons toute les deux un certain beau gosse au regard hypnotique, et c’est une raison assez suffisante pour apprendre à nous respecter et à nous tolérer ––pour un début, a-t-elle ajoutée en pressant ma main, lorsque le moment de partir est arrivé.

Contrairement à ce à quoi je m’attendais, je suis sorti de chez les Delano avec le regard plein d’étoiles. Mis à part Hamilton, pour moi, tout le reste m’a bien reçue ––même Archie je trouve, sans hypocrisie.

La route jusqu’à mon immeuble se passe en chanson, sur des morceaux cultes de Nas. Et c’est sur la première note de I can, que mon cœur se serre, lorsque nous amorçons l’entrée du parking souterrain. Je ne veux pas rentrer. Non, je ne veux pas le quitter. Pourtant il le faut. C’est l’heure et je n’ai plus qu’à me comporter comme une grande fille et ne pas pleurer ––tout ce qu’il y a de plus difficile quand on sait que ma gorge en feu est déjà à elle seule, un supplice énorme.

–– Voilà, nous sommes arrivés.

Si mes oreilles ne subissaient pas elles aussi les effets accablants des chaleurs mornes qui ravagent mon être à cet instant, j’aurais juré que Sinclair vient de soupirer.

–– Ouais, tenté-je de sourire.

Un échec lamentable, mes émotions me reviennent en pleine face, même si je gagne à moitié la bataille en nous épargnant une crise de larmes.

–– J’ai l’impression d’être devenue une fontaine dernièrement. C’est de ta faute, parviens-je néanmoins à rigoler cette fois.

Sinclair coupe le moteur et m’accorde toute son attention, puis m’offre un mouchoir.

–– Tu crois ça fait de moi un oignon géant ? Plus sérieusement, reprend-il une fois que l’écho de nos rires se raréfie dans l’habitacle, tu as entendu ma mère. Il y a rien de plus beau au monde que de voir l’amour couler de tes yeux.

Je grimace, impressionnée par ses talents de poètes.

–– Quel beau parleur.

–– Tu aimes ça toi aussi. Et dans tous les manuscrits que j’ai lu sur « comment séduire une femme ? », quand je me suis lancé à ta conquête, eh bah, ça revient à chaque fois. Il faut savoir leur parler.

–– Tu as fait ça ?

–– Ouais, ricane-t-il. Quand on ne sait pas, vaut mieux apprendre au lieu d’improviser et courir le risque de se rater et de gâcher du temps par la même occasion.

Une ampoule s’allume dans un coin de ma tête, ce qui fait froncer mes sourcils et lui lancer un regard un chouïa incrédule et méga surpris.

–– Attend, tu es en train d’affirmer que tu ne savais pas comment t’y prendre pour séduire une femme avant que le besoin de me séduire ne s’impose à toi ?


–– C’est exactement ce que je suis en train de dire miss Tiger. Sans vouloir me vanter, se vante-t-il tout de même, quand on a un visage et un statut aussi avantageux que le mien, on n’a pas besoin de faire beaucoup d’efforts avec certaines. Puis disons que j’étais également un peu flemmard. Ou peut-être que j’avais autre chose à penser je ne sais pas, mais dans les deux cas, l’amour je n’y croyais pas trop alors… pourquoi s’époumoner pour quelqu’un qui ne compterait finalement pas ?

Il reprend sa position initiale devant le volant, et étend sa main au-dessus de celui-ci. Au sourire mélancolique sur ses lèvres, je sais d’avance que nous sommes sur le point de replonger dans notre douloureux passé. Et pour ce faire, je garde mes yeux rivés sur lui. Ce n’est plus tant l’explication qu’il s’apprête à me donner sur ce qu’a été nos débuts à ses yeux, mais bien sa beauté. L’aura énigmatique qu’il dégage et qui le rend aussi redoutable qu’attrayant.

–– Je n’étais pas non plus le mec qui détestait l’amour, non. Seulement je ne le comprenais pas. Et chaque fois que je regardais mes parents, je le comprenais de moins en moins. Avec toi, j’avais l’excuse parfaite. J’avais des intérêts. Mais je me suis surtout menti à moi-même pendant tout ce temps. Il y avait pleines d’autres manières d’obtenir ce que je voulais de vous. Faye n’est pas aussi courageux que toi, c’était facile.

Son rire, même si beau, suinte l’amertume. Il demeure malgré tout, ma lumière.

–– Je me suis trouvé des excuses pour ne pas voir ce qu’il m’arrivait. Ce soir-là au bar, j’étais soul, mais je n’ai pas menti. Tu étais sur ce stade basket avec ton frère et lorsque Mark m’a fait venir près de la fenêtre, mots pour mots j’ai dit « n’importe quel homme tuerait pour l’avoir ». Je ne le savais pas encore, mais je parlais de moi.

Pourquoi sait-il parler à mon âme ? Pourquoi m’aime-t-il autant ? Tout ce que j’ai vécu avec lui me semble si irréaliste, que j’ai parfois le sentiment que je vais me réveiller. C’est flippant, ça c’est un fait, mais j’apprends chaque jour à composer avec. Jusqu’au bout nous sommes-nous promis, et cela ne sera possible qu’avec de perpétuels efforts, j’en ai pleinement conscience.

–– Lui si je le rate aujourd’hui, ce sera pour toujours.

Sinclair me regarde, hagard, il ne comprend pas. Ses yeux grands ouverts, lui confèrent une innocence à en faire fondre un iceberg, l’hiver battant son plein. Le coup de chaud qui s’en suit n’a donc peut-être rien de surprenant, c’est néanmoins par lui que je me ressaisis et fuis momentanément ces yeux qui excellent à me faire perdre toutes capacités cognitives. Les yeux à présent tournés vers mes mains, tandis que mon esprit a par lui-même remonté le temps, j’arrive enfin à revivre la scène de l’église.

–– C’est ce que je me suis dite en venant saluer ta famille, à la sortie du culte. Mais avant il y a eu miam miam, non d’une pipe et toutes les choses ridicules dont tu me sais capables. Je ne sais pas si ça été le coup de foudre chez moi, mais à partir de ce jour-là, tu n’as plus jamais quitté ma tête. Pour ce qui est de mon cœur, je ne sais pas… je crois que j’ai pris conscience de ce que j’éprouvais, le soir de la saint Sylvestre.

–– Le soir où tu m’as ramassé à la petite cuillère, rigole ce petit con.

–– Le soir où tu m’as donné de ta personne pour la première fois, corrigé-je, soucieuse de ne garder que le bon. J’avais ta confiance, ça signifiait tellement pour moi. Je n’en ai pas dormi de la nuit, tant j’étais émue et…

–– Je t’ai brisé le cœur le lendemain.

Cette fois, il n’y a rien à nuancer.

–– Oui.

Et à partir de là, le silence reprend sa place de maître sur les lieux, aussi léger que quiet. Il facilite la communication de deux cœurs qui peuvent à présent s’entendre et se comprendre, quand même ils ne se parlent pas. Je sais qu’il y est retourné lui aussi. Retourné dans ce passé qui nous a fait, à coups de défaites, tout simplement parce que j’y suis et l’y retrouve à l’instant, moi aussi. À la recherche de tous les indices qui nous ont échappés et des instants gâchés, nous sommes, pour des raisons plus constructives que celles qui nous animaient il y a quelques mois encore, lorsque nous mettions un point d’honneur à nous blesser sciemment l’un et l’autre.

–– Viens vivre avec moi.

Il lâche ça comme ça, et mon cœur repart dans l’extrême. Je réalise alors la chance que j’ai d’être assise. L’impulsion si brusque de mon cœur m’aurait fait connaître la dureté du sol si m posture était autre.

–– Quoi ? Je veux dire, tu en es certain ? C’est une énorme décision. C’est…

–– C’est dans l’ordre des choses. Et c’est ce que je veux.

–– Moi aussi.

Il tend la main vers moi, je la saisie sans hésiter une seule seconde et nous restons à nous regarder, longtemps… à songer l’avenir l’un dans les yeux de l’autre. Je sais qu’il le voit. Quant à moi, tous les sens de mon corps l’expérimentent. Mon avenir, je l’ai sous mes yeux, je le respire, le touche, l’entends et conserve encore son goût en bouche. Mon avenir c’est Sinclair.

Le visage aimant de Bertha qui me l’a souvent rabâché me vient en esprit sur cette pensée, et ainsi nous revenons à la réalité.

–– Mais alors on garde Bertha, hein. C’est comme une mère pour moi et elle a besoin de son travail.

–– C’est ton appart à présent. On fera ce que tu veux. En plus je l’aime bien moi aussi, cette vieille impertinente.

–– Tu es prévenu, tu éviteras de dire ce genre de choses devant elle d’accord ? Bertha peut devenir une vraie teigne quand elle s’y met, je te jure. Si tu ne me crois pas, demande donc à Danaé. Je ne compte plus les matinées qu’elles m’ont gâchées avec leurs guéguerres…

Et je parle et reparle, heureuse de rouler en direction de mon nouveau « chez moi ».

                         

Je publie avec un jour d'avance simplement parce que je ne serai pas disponible demain.

Alors qu'avez vous pensé du chapitre ? Il plaît? Et ce pas, on l'attendait ou pas ? EN tout ce cas, je suis gaga de Sinclair 😍🤩...

C'est le calme plat en ce moment dans leurs vies. J'espère que vous savourez. Les montagnes russes reprennent bientôt évidemment, sinon ce ne serait pas drôle 😝... Je dis ça, je dis rien... Mais pas pour tout de suite soyez rassuré.

Allé, laissez vos impressions en commentaires, ça me fait vraiment plaisir. Et n'oubliez pas de voter pour que l'histoire ait sa chance sur la plateforme, c'est important 🤗😜.

Et sur ce, je vous dis à très vite. Prenez soin de vous et bon dimanche. Ciao.

Love guys 😜❤️
🖤🖤🖤
Alphy.

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