Affaires de famille
Sinclair
–– Alors la princesse au bord de la panique, se jeta dans les bras du prince. Pas pour l’embrasser, hein… Seulement pour lui chiper son épée, et ainsi retourner affronter valeureusement le méchant Bob.
–– C’est quoi cette princesse qui met des jeans maman ?
–– Une princesse guerrière Awe-chérie, se hâte de répondre Chiding dont les pieds sont étendus sur les cuisses de sa mère assise au bord du lit. Comme maman.
–– Je me disais bien qu’elle l’avait inventé cette histoire, ronronne Awera à deux doigts de s’endormir sur l’épaule de sa grande sœur. Elle ne ressemble pas du tout aux princesses de mes livres.
–– Toi non plus tu ne ressembles pas à ces princesses, et tu n’en es pas moins jolie et précieuse mon cœur. Nous sommes tous différents et précieux en ce sens-là. Vue ?
–– Hun ! acquiesce faiblement la petite.
–– Est-ce que je peux continuer maintenant ?
–– J’aurais dit non, soupire Chiding qui a toujours préféré les histoires d’aventures. Parce que tu nous as déjà raconté le plus important et que le reste ne sera que bisous-bisous, câlins-bisous, mais Awera sera triste. Alors vas-y.
Holy amusée, feint d’être offusquée et lui pince gentiment la joue, puis va dorloter celle d’Awera non loin.
–– Tu es en train de remettre mes talents de conteuses en doute poussin ? C’est mon histoire, je te signale. Et donc je peux la changer à ma guise.
À ces mots, elle se lance dans une série de chatouilles ; et avec elles, des onomatopées chantées, pour amplifier l’ambiance festive et bruyante dans la pièce. Ma fille ainée rit, crie, se tord et envoie des coups inoffensifs à sa maman qui se refuse de mettre fin à ce joyeux supplice, tandis qu’à leur côté la cadette s’est endormie, paisible contre toute attente, confirmant ainsi ce qu’a l’habitude de dire sa sœur : Awera dort comme un mort.
–– Aïe maman ! s’époumone la petite à bout de souffle. J’en peux plus de rire.
–– Ah ! Ah ! C’est d’accord j’arrête les chatouilles, mais avant : qui s’est qui est la meilleure conteuse, hein ?
Nouvelle attaque de doigts sur le ventre de mon joli minuscule tyran.
–– C’est toi ! répète cette dernière entre des ricanements saccadés et ahanés, jusqu’à ce qu’Holy retire ses outils de torture.
Le joyeux vacarme se poursuit pourtant sur plusieurs secondes encore. Holy et Chiding ont un lien très spécial, renforcé par leurs nombreux points communs ; alors il n’est pas rare de souvent les trouver ainsi, en train de converser et de s’amuser comme de vieilles camarades d’écoles. D’autant plus que la petite, ne l’est en réalité que de corps. Elle possède un esprit vif et son raisonnement n’est pas semblable à celui d’une gamine de six ans.
–– Eh bien, te voilà exaucée. Plus d’histoire pour ce soir, ta sœur s’est endormie…
–– Comme un mort, rigole Chiding en étalant la couverture sur celle-ci.
–– Chiding…
–– Hier je l’ai pincé pendant son sommeil, et elle n’a même pas bougé d’un centimètre.
–– Tu vas arrêter d’embêter ta sœur pendant son sommeil mon cœur, soupire Holy de fatigue, en lui tirant l’oreille cette fois.
Nouvelle séquence de fou rire qui finit par retomber lorsque je décide enfin de signaler ma présence.
–– Allez, il faut dormir à présent.
–– Bonne nuit maman.
–– Bonne nuit mon amour.
Et elle dépose un baiser sur son front après l’avoir couverte.
–– Tu es la meilleure maman au monde, je t’aime.
–– Oh la la ! s’émeut Holy en ébouriffant légèrement ses cheveux. C’est tellement gentil ce que tu dis. Moi aussi je t’aime de tout mon cœur.
Holy se penche ensuite pour lui murmurer un truc que je n’entends pas, mais vu les réticences de ma fille je devine aisément que ça a un lien avec moi. Elle et sa sœur m’en veulent de leur avoir fait faux bond au diner, et refusent de me parler depuis cette nuit-là… J’ai beau être triste, en colère aussi, je ne peux leur en vouloir, et surtout je comprends cette réaction. Il y a quelques temps encore, j’étais très proches d’elles. Elles étaient les filles à leur papa, alors qu’aujourd’hui je suis de plus en plus absent ––pour leur bien, c’est sûr, mais elles n’ont pas besoin de le savoir.
Ceci n’apaise en rien l’immense souffrance en train de refroidir et d’alourdir mon être, devant le rejet de ma fille. C’est un supplice, même si leur mère m’assure que ça va passer et qu’elles ne me détestent pas vraiment. Et donc avec le cœur gros et le visage en feu, je quitte la chambre, incapable d’en subir davantage. Ce n’est pas par manque d’humilité ; c’est parce qu’intérieurement, je sais que la situation n’est pas prête de s’améliorer. Je serai souvent absent. Le danger cours, et si elles n’en ont pas conscience, c’est bien parce que j’y veille de toutes mes foutues forces.
–– Cesse de boire, survient ma femme au bout d’un temps que je ne pourrais quantifier. Je t’ai dit qu’elles ne t’en veulent pas. Elles sont juste tristes.
Elle me connait par cœur. Et du reste, cette étrange habitude de punir avec les liqueurs brûlantes de l’alcool me vient de ce soir où nous nous sommes rencontrés au cimentière. Je parle de rencontre ; pas seulement en terme de retrouvailles, mais surtout de rattachement… Pour moi c’est ça la vraie rencontre : ce moment où deux âmes se confient l’une à l’autre.
Une fois la porte du bureau refermé, elle vient à la quête du verre et la bouteille, puis refait le chemin inverse pour les mettre or de ma vue. Je la laisse faire, la regarde entrer et sortir comme un spectateur passif, affalé négligemment dans mon fauteuil. Que dire de toute façon ? Je crois en avoir déjà assez fait tout à l’heure à la fête. Il vaut mieux pour moi de ne pas envenimer la situation. Ma femme est en colère, même si elle prétend le contraire avec cette bonne figure qu’elle garde malgré notre accrochage à la fête.
–– Allez viens, on va prendre un bain et se mettre au lit. Tu es fatigué Sinclair. On va profiter du calme pour se faire du bien, m’invite-t-elle dans un murmure lascif, avant de me surprendre, en me mordillant le lobe de l’oreille.
Est-ce bien ce à quoi je pense ? Je ne tarde pas obtenir ma réponse, lorsque cette dernière se met à califourchon sur moi et se met à remuer ses hanches. Putain, non ! Quelle poisse ! Sur le coup, c’est moi qui ne peux la toucher ; j’ai mal à la queue comme un névrosé de guerre. Et pour cause, il y a deux jours je me suis fait percer la quéquette sans lui en parler. Et après un calcul rapide, ce soir n’est certainement pas le bon pour me lancer. Op, op, op, il faut trouver une issue.
–– Holy pour tout à l’heure…
Bingo ! Et même si ça me déchiquète les entrailles, je tiens la bonne approche pour saboter son humeur joueuse et lubrique. Sur un souffle hargneux, elle se hisse sur ses deux jambes, soulage notre trésor familial par la même occasion, et contourne par le bureau par la suite. Ouf ! J’ai eu chaud. Et encore, ce n’est pas terminé ; il faudra aussi trouver le moyen de la convaincre de nous doucher séparément. Je n’ai aucune idée de comment elle va réagir un découvrant le prince Albert fraichement installé sur mon gland ; surtout maintenant que son appétit sexuel semble de retour. Moi qui voulait de cette façon la soulager en me contraignant à l’abstinence avec ce piercing, c’est raté.
–– Nous ferons mieux d’avoir cette discussion demain Sinclair.
–– Et pourquoi pas maintenant ?
–– Parce que je n’aurai rien à te dire de constructif. Je ne suis pas sûre de beaucoup t’aimer à l’instant et je pourrais être blessante sans le faire exprès, alors que ce n’est que temporaire. Évitons les conflits inutiles, voilà.
Sur un pas traînant je la rejoins, bien décidé à mener mon stratagème jusqu’au bout.
–– D’accord, ma tigresse. J’ai compris. Mais je veux que tu répondes quand-même à une question.
Celle-ci roule des yeux. Son irritation va grandissante, si je me fie à la distance qu'elle maintient, malgré mes efforts pour la combler.
–– Je t’écoute.
–– Pour le diner de l’autre soir, est-ce que tu m’en veux toujours ?
Je ne m’attends pas du tout à sa réponse. Au pire, j’envisageais une réplique cinglante, mais certainement pas me retrouver avec sa langue mue d’une agilité perverse, contre la mienne. Et tandis qu’elle l’entrelace, ses mains descendent vers la braguette de mon pantalon, mettant à nouveau tout mon corps en alerte. La torture est des plus extrêmes… Je veux, mais ne peux ni ne dois y céder ; il en va de ma santé. Aussi la repoussé-je à contrecœur, avec le plus de délicatesse possible. Seulement, Dieu sait que cela ne servira à rien…
–– Je veux une réponse Holy.
L’œil inquiet, elle m’observe pendant un court instant, puis revient à la conquête de mes lèvres.
–– Je ne t’en veux plus, content ?
Je suis au pied du mur, acculé par la voracité de ma femme qui semble au summum de l’excitation. Je n’ai plus vraiment le choix…
–– Oh oui, madame Delano ! Tu sais comment me parler, j’adore ça ma tigresse. Mais je suis désolé, je ne pourrais pas te faire l’amour ce soir. En tout cas, pas avec ma queue.
Aussitôt dit, elle chasse mes doigts de son entrejambe et s’éloigne d’un air scandalisé.
–– Et moi je ne veux rien d’autre, finit-elle par s’énerver. Et puis, on peut savoir pourquoi ?
–– Parce que, bégaie-je en fouillant dans ma tête une excuse assez plausible… Tu l’as dit toi-même, je suis fatigué et… et il y a peu je me suis masturbé et…
–– Alors bas les pattes connard !
–– Est-ce que ça me donne le droit de t’appeler connasse moi aussi ? plaisanté-je au mauvais moment, ce qui me vaut un regard meurtrier, puis un doigt d’honneur pointé avec rudesse.
–– Essaie un peu pour voir…
–– Ah ! Holy c’était juste pour rire, voyons.
Ce n’est certainement pas ce soir que l’en convaincrai. Pour autant je ne renonce pas à essayer de la rattraper dans le couloir. De toutes les façons, nous sommes censés dormir sur le même lit, alors à quoi bon repousser l’inévitable ? Enfin, c’était ce que je croyais, jusqu’à ce que mon téléphone ne se mette sonner et que m’apparaisse sous les yeux, le numéro de téléphone de mon beau-père. Je renvoie l’appel, l’informant de la sorte, qu’un message serait plus approprié. Voilà donc comment la seconde d’après, mon téléphone teinte à nouveau, annonçant la réception du message du message de Dempsey qui me demande de les rejoindre chez eux, pour une réunion urgente.
–– Mon amour ! l’imploré-je, toujours à ses trousses. Bébé, s’il te plait.
Fuir n’est plus d’actualité, lorsque je referme la porte de notre chambre à coucher. Sans surprise, je la retrouve au-dessus du berceau de Raymond.
–– Holy, viens là.
–– J’ai entendu ton téléphone sonner, tu dois t’en aller n’est-ce pas ?
–– Oui, mais…
–– Alors vas-y, souffle-t-elle d’une voix à peine audible, sans un seul regard pour moi.
Je ne saurais dire qui de la tristesse ou de la colère obstrue ses voies respiratoires, et à vrai dire, ça n’a pas grande importance sur le moment, car le rendu est le même : ma femme est malheureuse, et ça me rend malade de rage.
–– Promis je reviens dans une ou deux heures, ânonné-je au bord de la panique, ce ne sera pas long.
Personne ne croirait que je sois en train de m’adresser à elle, à la manière dont elle m’ignore, rebrousse chemin vers la table de chevet pour se boucher les oreilles avec ses écouteurs qui y reposaient. Je soupire de lassitude, à défaut chialer comme un gosse en suivant chacun de ses mouvements, à moitié perplexe, effaré et dévasté… Et comme pour ne rien arranger à ma situation, les mots de Mike me reviennent en mémoire…
À la bonne heure hein ? Mon cul, putain ! Va te faire foutre rouquin de malheur !
Non, non, non ! Ma femme m’aime… Je le sais, elle me l’a dit et ce n’est ni une lâcheuse ni une menteuse. Elle et moi traversons une mauvaise passe, comme le font de nombreux couples, c’est tout… Tout va s’arranger, j’en suis certain.
Holy est patience, Holy est amour, Holy est compassion… De ce fait, je suis d’autant plus minable de me comporter de manière aussi peu correcte avec elle, mais il le faut. À présent il n’y a plus qu’à me remuer les méninges plus vite que d’habitude, histoire d’en finir rapidement et de remettre de l’ordre dans mon foyer.
Le chemin jusqu’à mon véhicule ––ma Porsche noire que j’aime plus que le reste des autos stationnées dans notre parking souterrain–– est un calvaire. Et celui jusqu’à la maison de mes beaux-parents, l’est deux fois plus. Elle est atterrante cette impression d’être assis sur des ronces, englué d’une étrange sensation de chaleur accablante dont l’effet immédiat est de me faire suer à grosse gouttes, alors qu’au creux de mon estomac persiste la froidure d’un nœud immatériel peut-être, mais bel et bien efficace.
Chaud-froid… Sahara-Sibérie… De façon alternative, je nage en plein dans les extrêmes, là. Non, c’est mon train quotidien depuis que ma femme m’a comme qui dirait, passé la corde aux couilles. Oui, parce que c’est bien par-là que ça commencé entre nous… Une histoire de fesses pour mieux nous mentir, avant que le cœur ne reprenne ses droits et nous la fasse à l’envers ––pour le meilleur et pour le pire.
–– Pour le meilleur et pour le pire… C’était ça le deal, ma beauté.
Je me revois en train de lui susurrer ces mots à l’oreille le soir de notre mariage, face à la mer agitée ; je peux encore l’entendre le répéter avec le sourire, lucide et consentante, et j’en ai la gorge noué d’émotion. Elle était si belle, elle est toujours belle de toute les façons. Et cette même mer m’en est témoin, je voudrais tellement pouvoir ne lui offrir que le meilleur, mais aussi difficile que cela soit à accepter, certains faits échappent et échapperont toujours à notre contrôle. C’est une vérité aussi vieille que ce monde né sans nous… La preuve par excellence de la supériorité de la nature. Et pourtant j’essaie.
De toutes mes forces j’essaie mon amour… Mais je n’y peux rien si parfois je te fais aussi pleurer, alors que, plus que tout au monde, j’ai horreur de ça. Sauf que voilà, toi et moi nous sommes engagés en âme et conscience, décidés à nous battre pour ce que nous avons trouvé l’un auprès de l’autre… Alors je t’en supplie, n’abandonne pas tout de suite… Pas si vite.
–– Allez mon vieux, fin de la pleurnicherie. Tout est pour elle de toute façon, elle comprendra le moment venu.
J’exhale jusqu’à la dernière vapeur contenue dans mes poumons avec vigueur. Il me faut du courage, il me faut de la sérénité, et deux fois plus de légèreté.
Dans la cours des Tiger m’attend Ada, la nouvelle cheffe de sécurité de Liv et Dempsey, depuis l’attentat ratée qu’avait commandité le sénateur Barth ––ex à ce jour, car il nous a précédé en enfer. Ne surtout pas se référer à son joli minois extrêmement noir ni à silhouette presque chétive, cette donzelle tire, que ce soit à l’arc ou au pistolet, avec une précision chirurgicale. Et ce n’est qu’une de ses qualités parmi tant d’autres ; de toute manière, son statut parle pour elle. On ne devient pas responsable du bien-être de Liv Tiger avec des références et un palmarès ordinaire.
–– Bonne arrivée monsieur. Ils sont dans le séjour.
–– Merci. Et cette main ? m’enquiers-je, en pointant de l’index roulé le bandage à l’extrémité de la veste.
De nature très humble, elle s’incline par réflexe, sans départir son sourire enfantin.
–– C’était un léger bobo monsieur. Je vais bien, ne vous en faites pas.
J’acquiesce, mais bien sûr que je m’inquiète. Ce qu’elle qualifie de léger bobo n’est autre que le résultat d’une violente chute grâce à laquelle nous avons évité le pire, le soir de ce fameux diner manqué. Liv lui doit la vie, autrement cette balle, elle l’aurait reçu en plein cœur, et non pas à la surface de son bras ; et nulle ne sait de quelle folie Dempsey aurait été capable.
–– Les patrons sont dans le séjour, ils n’attendent plus que vous.
Je m’exécute après lui avoir rendu son sourire, mais me renfrogne très vite en remarquant qu’il y a plus de gardes qu’à l’accoutumée. Les italiens sont-ils repassés à l’attaque ? Rentrez au plus vite, est la première tâche à accomplir pour en avoir le cœur net.
–– On reçoit le président ou quoi ? C’est quoi cette affluence ?
Les deux hommes qui discutaient jusque-là à bâton rompu, détourne comme un seul homme, le regard vers moi, avec la même expression grave sur le visage. De quoi renforcer mes doutes, surtout que je ne vois nulle part ma belle-mère adorée.
–– Approche-là fils, m’invite Dempsey, d’une main affectueusement tendue, il n’y a pas de temps à perdre.
Eh oui, mon beau-père et moi sommes devenus les meilleurs amis du monde. Mieux encore, toute la trinité diabolique à savoir : Dempsey, Liv et Yuri, m’a finalement adoptée comme faisant partir des leurs. Et qu’on se le tienne tout de suite pour dit, ça s’est fait à coups de grandes prouesses… Mais quand on parle famille, est-il vraiment nécessaire de nommer ainsi, tous les sacrifices consentis à faire pour la protéger contre l’adversité ? Assurément non. Disons simplement que je suis plutôt bien parti pour les succéder valeureusement dans cette lourde tâche qui est de veiller sur les intérêts de nos familles assez problématiques.
–– Un verre ? le succède Yuri qui par nervosité, renifle bruyamment et avec frénésie.
–– Volontiers.
–– Du rhum tout simple alors, me précise ce dernier. Il n’y a aucun employé de disponible dans la maison pour te préparer ce fameux nectar d’ananas.
–– Sacré nectar d’ananas, hein, ricane mon beau-père affublé de son éternelle moue sardonique. Ah ! Amour, quand tu nous tiens !
Et ils vont dans un fou rire étouffé par leurs bouches maintenues fermées. Celui-ci n’a rien de moqueur, bien au contraire… C’est le jus préféré de Holy. Il est aussi devenu le mien au fil des années. Pourquoi ? Comment ? Je ne saurais le dire.
Mais toujours est-il que la première fois qu’ils m’en ont fait la remarque, ils m’ont aussi avoué être contents au final qu’Holy m’ait choisie comme époux. « Je t’aime bien petit, m’a même souri Dempsey pour la première fois, à une semaine de mon mariage avec sa fille » ; et pourtant, pas une seule fois avant cette nuit-là, alors qu’à plusieurs reprises je leur avais sauvés la mise lorsque Barth est revenu à la charge pour se venger contre nous, il ne m’a soufflé le moindre remerciement.
–– Ouais c’est ça, grimacé-je à mon tour en attrapant le verre d’alcool. Et si on passait plutôt au vif du sujet ? Ce n’est pas tout, mais je suis à deux doigts d’être éjecté du lit conjugal à cause de ces réunions tardives.
–– Holy ne fera jamais ça ! apparaît soudainement ma belle-mère, le bras gauche soutenu par une attèle. À moins que tu ne lui donnes l’ultime raison du genre : infidélité et compagnie. Qu’elle verra alors comme un ordre d’expulsion. C’est l’une des premières choses que j’ai appris à mes filles : ne jamais rester là où elles ne sont plus les bienvenues… Tout le reste, en général, on gère dans la famille. Faites-moi de la place les garçons, je vais prêcher ce soir.
L’inquiétude me clou le bec. Elle est façonnée par tant de chose, mais sur le moment, je ne parviens pas à rester aussi serein qu’eux, conscient de la menace qui pèse sur nous depuis un moment déjà. Les italiens ont lancé l’assaut ici-même, il y a quelques jours, en guise de premier avertissement. Et quel avertissement ! C’était clairement une démonstration de force… Comme pour dire « s’ils peuvent percer la forteresse de Liv et Dempsey, ils peuvent nous achever tous autant que nous sommes, en un seul claquement de doigt ».
Du moins, ce n’est que mon hypothèse ; une parmi tant d’autres, mais les patriarches trop insouciants d’après moi, compte tenu de la gravité des faits, ne semblent pas la partager… Pas même celle dont la chair souffre encore de cette attaque.
Il doit me manquer une donnée, ou alors je suis passé à côté d’un détail qui leur a semblé évident ; voilà pourquoi je laisse à mes yeux seuls, parler pour moi. C’est Yuri qui se lance dans l’explication tant quémandée par mes iris en agitation.
–– Ta source nous as contacté. Tes informations étaient bonnes Sinclair.
Bien sûr qu’elles le sont. Je les ai reçus de l’une de mes plus fidèles alliées. Eom n’est pas qu’une prostituée hors échelle, c’est aussi l’une des meilleures Stalkeur qui courent ; très exactement parce qu’ils ne sont pas nombreux en mesure de la relier à cette profession-là. Alors si elle dit que les Belluci ont découvert que Liv a maladroitement cafté sur eux dans le passé, en essayant de se sortir du bourbier dans lequel Barth nous a tous entraîné, c’est qu’effectivement, le sniper personnel de ces derniers, nous a belle et bien dans le viseur.
–– Et grâce à elle, Ada et son équipe ont pu remonter jusqu’au tireur.
Eom va devoir m’expliquer pourquoi je suis le dernier à avoir été mis au courant de tout ceci. Je veux bien comprendre qu’il s’agisse d’une affaire de famille et qu’entre mes beaux-parents et moi il n’y ait plus vraiment de secrets, mais elle travaille à mon compte… Bien entendu, je le garde sous silence.
–– Et donc, c’est quoi la suite maintenant ? demandé-je plutôt.
–– Le plus prudent serait de leur donner ce qu’ils demandent, propose Yuri…
Il n’a pas terminé qu’un cri retentit dans la maison.
–– Hors de question !
Liv serait née à l’époque des conquêtes que sans aucun doute, elle aurait été cheffe d’armée. Même dans l’impulsion elle conserve la froideur d’une machine de guerre bien huilée et destinée à la victoire, quels qu’en soient les moyens. Il n’y a pas à dire, c’est elle le cœur de cette famille… Holy n’a jamais abusé dans ses affirmations.
–– Chérie, Shark n’a pas tort… Tu as vu ce qu’ils t’ont fait ? Tu as du mal à l’accepter, mais la bataille avec ce sénateur de malheur nous a coûté plus de plumes qu’on ne saura jamais en mesure de repiquer. Ils nous tiennent en laisse…
Pour moi, le mot est faible… Barth était à ça de nous achever, galvanisé par une colère dite sainte. L’entreprise dont le sort est en train d’être débattu à l’instant a frôlé la faillite, en plus des nombreuses vendettas de gangsters qu’il a fallu affronter par la suite… Des tombeaux ont été ouverts, l’intoxication n’était donc pas des moindres. Venir à bout de toutes cette débâcle nous a coûté à tous la peau du cul. Alors je peux facilement comprendre le refus catégorique de ma belle-mère.
–– Et alors ? Attendez, vous êtes en train de me dire que renoncer au travail de toute une vie, à l’héritage de ma famille, tout ce pour quoi j’ai tant lutté, presque à en perdre l’âme, est mieux ?
–– Cette entreprise ne vaut aucune de nos vies Liv ; et ce n’est certainement pas le gros de nos biens, s’échine à la convaincre son mari, dont la voix est elle aussi montée d’un décibel. Nos enfants sont financièrement indépendants, et il n’est pas tard pour recommencer…
–– Putain de couilles molles va ! Et depuis quand les Tiger reculent devant ces d’italiens véreux de mon cul ? Cette guéguerre on l’a déjà gagné dans le passé, on peut recommencer… appui-t-elle en martelant la table basse en bois d’ébène, de son majeur.
Sans quitter le canapé dont les broderies au fil d’or scintillent sur du velours sombre, Dempsey pivote à moitié vers l’amour de sa vie.
–– Et à quel prix ? Tu as pensé à nos petits-enfants ?
–– Ça n’a jamais été facile pour nous grand-père, ironise cette dernière, pince-sans-rire. Mais aucun de nous n’a jamais reculé. On ne va pas commencer aujourd’hui. Non ! Je m’y refuse, et je vous l’interdis ! Vous m’entendez ?
–– Liv, sois raisonnable…
–– J’ai dit non, Shark ! Un non définitif !
Toute cette effusion d’émotions ne nous avance à rien. Et le temps reste la seule ressource jouant à la fois pour et contre nous. Aussi il n’est pas très intelligent d’en perdre la moindre seconde. Je ne prétends pas être plus soucieux que quiconque, seulement, j’ai la ferme intention de profiter encore longtemps des visages de ma femme et de mes gosses… ce qui ne se fera qu’en élaborant rapidement une stratégie claire et nette.
–– Et si on essayait de gagner du temps, lâché-je à brûle-pourpoint, tout juste au moment où mon beau père allait de nouveau objecter.
–– En voilà une sage décision ! s’écrie Liv en se hissant avec la même emphase, sur ses jambes.
Je ne sais pas si elle est sage, cependant une chose est certaine, je pense comme elle… Après avoir tant donné, lutté avec autant d’acharnement et énormément perdu dans cette histoire, il m’est tout bonnement absurde de ne serait-ce qu’envisager de tout abandonner. Ça s’appelle de la brimade ; et je me retiens de le qualifier de vol, cet excès de gourmandise dont font preuves les Belluci, même si d’autres y verraient simplement le prolongement d’une vieille querelle datant de l’époque où les deux familles se disputaient des bouts de trottoirs, pour s’assurer d’intoxiquer le plus de personnes possibles...
Et ce n’est un secret pour personne, j’ai horreur d’être malmené. À cette table-là, du vivant de cet ignare de Diego, je crois déjà avoir donné suffisamment de jetons.
–– Ne l’encourage pas dans cette folie Sinclair, me tance Yuri d’un ton las auquel son exaspération n’échappe pas.
En fin compte, elle sonne plus comme un vent de résignation, face à l’entêtement de Liv qui désormais, ne sait plus garder au repos sa silhouette élancée. Je ne saurais dire avec exactitude le pourquoi de cette citation qui dit « ce que femme veut, Dieu le veut », mais en ce qui concerne notre famille, la confiance est et demeure la cause suprême de ce choix d’action. Liv tuerait, mourrait pour n’importe quel membre de sa famille. La folie serait donc de croire qu’elle nous livrerait aussi facilement au lion… Je le sais, ils l’ont su bien avant moi. C’est pour cette raison que, tout de suite après, Dempsey vient raser les dernières tergiversations qui nous empêchaient toujours de poursuivre à ce niveau.
–– Et comment on s’y prend ?
J’ai bien une idée, mais je laisse d’abord le soin à la grand-mère de mes filles, de s’exprimer…
–– On fait profil bas pour le moment, énonce celle-ci avec son flegme habituel… On met tout le monde à l’abris et on fonctionne comme toutes les autres fois.
Ce qui revient à régler le problème à l’insu du reste de la famille… Si je suis d’accord avec elle, ne voulant en aucun cas voir Holy s’inquiéter pour les enfants, et dans la foulée, perturber sans le faire exprès, leur équilibre, ce n’est définitivement pas le cas de mon beau-père.
–– Tu crois que c’est prudent de laisser les enfants dans l’ignorance ? Je me dis que s’ils sont au courant, ils sauront mieux se défendre.
Sa tête désapprouve avant ses mots. Liv cherche l’étincelle de lucidité dans chacun de nos regards, mais pas un seul d’entre nous, n’arriver à discerner cette vallée vers laquelle elle veut nous ruer.
–– Personne n’aura justement à se protéger de rien, relance-t-elle avec passion, accompagnant ses mots de grands gestes fébriles de sa main libre. J’ai dit qu’on se replie, insiste-t-elle. Le but de la manœuvre est justement d’entretenir ce semblant de sérénité pour pouvoir gagner du temps. Et bien entendu, je ne m’attends pas à ce que ces gros beaufs gobent aussi facilement la chose. En revanche, je suis prête à parier tout ce que vous voudrez, qu’ils se méprendront forcément. Nous allons leur demander du temps, ce qu’ils vont bien entendu nous accorder croyant qu’ils auront une longueur d’avance. Ils croiront qu’on leur prépare le même coup que dans les années précédentes… Vous vous en souvenez les garçons…
–– La tactique de la terre déserte, complète Yuri vers qui les doigts de cette dernière pointent.
–– Exactement. Et c’est là qu’on les surprendra à nouveau mes chéris. On va faire comme l’ancêtre Samory… on va tout brûler !
Exsudant de charisme, elle conclut sur un ton triomphant, le visage éclairé d’une lueur malicieuse. Il n’y a pas à dire, son idée meilleure que la mienne. Et au silence contemplatif qui règne dans la salle, nul doute ; elle vient de nous mettre tous d’accord.
–– Très bien, reprend-elle au bout d’un moment, sûre d’avoir remportée la partie. Je vais vous expliquer le plan dans ses moindres détails. Mais avant toute chose, sache Sinclair, que tu seras notre pièce majeure…
Et c’est ainsi, que pour la énième fois dans nos vies, le jeu est relancé.
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