L'heure du thé
Marinette était dans un état de stupéfaction proche de la catatonie. Sa perception du temps était étrange, ses pensées fusaient à toute vitesse dans son esprit en proie au chaos alors qu'il lui semblait être beaucoup trop lente pour en saisir une seule.
- Marinette ?
La jeune fille entendit son nom et releva la tête vers Alya qui lui avait touché l'épaule. Elle cligna des yeux deux fois avant de se souvenir où elle était. Elle retint miraculeusement un élan de panique.
- Tout va bien ? lui demanda la personne en face d'elle.
Elle inspira profondément et se força à sourire pour montrer qu'elle se portait comme un charme.
- Tout va bien, Adrien. J'étais juste plongée dans mes pensées.
Ce dernier sembla un instant perplexe mais rassuré, il retourna à la rédaction de son devoir. Depuis leur entrée au lycée, le jeune Agreste avait aménagé un coin inutilisé de sa vaste chambre en zone de travail où ils pouvaient se réunir avec ses amis. Que ce soit pour travailler ensemble, faire des exposés ou juste jouer.
La lycéenne venait souvent avec Alya et Nino. Parfois d'autres se joignaient à eux. Par exemple, Max, Kim et Alix, avec qui ils jouaient souvent à la série des Ultima Mecha Strike. Chaque nouvelle sortie de la licence donnait lieu à une pyjama partie où ils s'affrontaient dans des combats sans merci. Quoi que les deux derniers finissaient souvent par se disputer en comparant leurs performances. Et plus récemment, ils avaient pris l'habitude de s'isoler.
Marinette songea comme leur amitié s'était renforcée avec les années. Pour son plus grand plaisir et à son plus grand désarroi, Adrien était devenu son meilleur ami, au même titre que Nino qu'elle connaissait depuis la maternelle. Enfin... presque. Son béguin pour lui était un secret de polichinelle pour tout le monde, sauf pour lui. Cette tête blonde ignorait tout de ses sentiments mais il fallait reconnaître qu'elle ne lui avait pas donné beaucoup d'indices.
Son regard s'attarda sur son voisin d'en face. Elle détailla la façon dont le soleil jouait dans ses cheveux blonds, les faisant briller comme des fils d'or. Elle observa l'angle de sa mâchoire puis la main qui soutenait son menton pendant sa lecture. Il y avait une chevalière en argent à son annulaire. C'est avec un certain fatalisme qu'elle l'imagina en noir avec l'empreinte vert vif d'une patte de chat.
- Ça ne va pas en s'arrangeant tes rêveries. T'es sûre que tu n'as pas des problèmes d'attention ?
Elle sursauta quand Alya lui donna un coup de coude. Cela attira l'attention de leur compagnon de travail, ce dont elle se serait bien passé. Elle se frotta les yeux en simulant à peine un bâillement.
- Pardon, je ne dors pas très bien en ce moment. Je vais aller chercher du thé, déclara-t-elle en se levant. Cela vous dit ?
Ses deux meilleurs amis acquiesçèrent. Contente d'avoir un échappatoire, elle sortit et prit la direction des cuisines. Elle croisa le gorille ainsi que Nathalie, l'assistante de son père, qui la saluèrent. Il était devenu habituel qu'elle - ainsi que d'autres - soit souvent au manoir, c'était presque une seconde maison. Enfin, était-ce vraiment le cas ? Ne prenait-elle pas ses rêves pour des réalités ?
- Buongiorno, principessa ! la salua le chef Alonzo à son arrivée. Que puis-je pour vous aujourd'hui ?
- Bonjour, chef. J'aimerai du thé pour nous réveiller, mes amis et moi.
- Tout de suite, bella donna !
Elle lui sourit, amusée de le voir déployer ses manières de galant homme italien. Il mit de l'eau à bouillir pendant qu'elle sortait les différents thés. Elle en choisit un noir avec des écorces d'agrume.
- Toujours aussi aveugle ? lança le chef qui déposa un plateau avec un service à thé sur le plan de travail en inox.
Ayant déjà épuisé ses ressources pour réagir avec surprise, elle haussa négligemment des épaules. Même le chef personnel de Gabriel Agreste s'était rendu compte de son intérêt pour le fils de son employeur. Un comble.
- Ce n'est pas de sa faute. Je fais en sorte qu'il ne voie rien. Je n'ai jamais eu le courage de le lui dire, et maintenant...
Elle dosa l'infusion dans un filtre à grain fin et le plongea dans la théière. Le chef Alonzo tritura sa moustache. La jeune fille devait avoir en quelque sorte toucher le fond pour lâcher le morceau comme ça. Il la taquinait gentiment, il ne pouvait légitimement s'attendre à ce qu'une quasi-inconnue se confie à lui.
Elle dut s'en rendre compte. En secouant la tête comme pour chasser des pensées désagréables, elle prit le plateau pour quitter la cuisine.
- Merci, chef.
- Pas de quoi. N'hésite pas à repasser.
Elle sourit en coin et entreprit de monter les escaliers.
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- Tu crois qu'elle couve quelque chose ? demanda Adrien peu après qu'elle l'ait laissé avec Alya.
Cette dernière fit une moue perplexe. Elle avait une théorie toute personnelle qui le définissait comme étant la source principale - si ce n'est la seule - des distractions de sa meilleure amie. Mais bon, ce n'est pas comme si elle pouvait en parler librement.
Tristesse.
- Peut-être. C'est vrai que je lui trouve une petite mine en ce moment. Il s'est passé quelque chose dernièrement entre vous ?
Adrien tiqua.
- Non. Je ne crois pas, non. Pourquoi ça aurait un rapport avec moi ?
Alya le regarda de cet air maternel et un poil suffisant qu'elle affichait en de nombreuses occasions.
- Pour rien. Marinette ne se laisse pas facilement perturber, sauf quand cela a un rapport avec ses proches. Ses parents sont géniaux, avec moi c'est l'amour fou. Nino, c'est impossible qu'il se brouille avec qui ce soit. Chloé est étonnamment calme en ce moment. Donc...
- Donc, cela doit forcément être de ma faute ? conclut-il un peu blessé par le raisonnement de son amie.
La jeune Césaire se rendit compte de la maladresse de son exposé et s'excusa platement.
- Je n'ai pas dit que c'était ta faute, tu n'as rien fait de mal, hein. Tu es la dernière personne que je croirais capable de faire volontairement du mal à Marinette. Je te posais juste une question. J'ai remarqué que vous ne passez plus tellement de temps ensemble ces dernières semaines, non ?
Adrien allait la détromper lorsqu'il se rendit compte qu'elle avait raison.
- Maintenant que tu le dis, elle a décommandé plusieurs fois des soirées UMS. Elle m'a dit qu'elle se sentait fatiguée et avait des devoirs en retard alors je ne me suis pas trop posé de question. Mais peut-être que j'ai fait quelque chose de mal sans m'en rendre compte ?
- Je me trompe peut-être, hein, tempéra Alya. Elle se montre un peu réservée avec moi en ce moment, mais je m'inquiète peut-être pour rien. Elle a ses périodes. D'ailleurs, c'était peut-être la période. Ce qui expliquerait beaucoup de choses...
La dernière remarque était plus une pensée à voix haute qu'une réflexion partagée. Adrien fit comme s'il n'avait rien entendu et continua son devoir.
- Je vais lui parler, déclara-t-il comme pour conclure. Au moins, je saurais de quoi il retourne et si jamais, j'ai effectivement causé du tort, je ferai amende honorable.
- Tu n'as rien fait de mal, Adrien.
Les deux amis sursautèrent. Marinette entra dans la chambre et déposa le plateau sur la table de travail. Elle avait surpris leur conversation et était rentrée sans se donner la peine de feindre qu'elle n'avait pas entendu. Ce n'était pas dans ses habitudes, mais elle manquait de ressources en ce moment. Autant éclaircir les choses tout de suite. Elle ne souhaitait pas le mettre dans une position inconfortable. Plus qu'elle ne l'était déjà.
C'était cruel, se dit-elle, qu'elle sache alors qu'il ignorait tout.
La jeune fille égoutta le filtre avant de le déposer dans une coupelle prévue à cette effet. Elle servit ses camarades avant de s'asseoir. Ses mains encadraient sa tasse, elle caressait la céramique qui irradiait de chaleur. Elle s'en servit comme point de concentration, comme ancre sensorielle pour se raccrocher à la réalité. Marinette inspira à fond avant d'entrer en contact visuel avec le garçon qui occupait ses pensées depuis tant d'années. Elle lui sourit pour le rassurer, mais cela dut ressembler à une grimace.
- J'ai juste beaucoup à penser en ce moment et jouer à des jeux vidéos ne m'y aide pas spécialement. C'est tout.
Alya avait remarqué avec le temps que Marinette avait acquis une certaine assurance pour parler à l'élu de son coeur. Mais là, c'était différent. Il y avait une certaine mise à distance, presque de l'indifférence. Se serait-il passé quelque chose dans cette adorable tête de linotte sans qu'elle n'en ait été mis au courant ? Il allait falloir tirer tout ça au clair.
Adrien ne sut pourquoi mais le ton qu'elle employa lui fit mal. Comme si on l'avait piqué avec une aiguille. Dans la poitrine. Quelque chose dans son ton, dans son expression était fuyant. Mais elle lui avait assuré que tout allait bien, alors quoi ?
- D'accord, dit-il simplement. Fais-moi signe quand tu voudras qu'on se fasse quelques parties. Ça me manque de me faire humilier par toi.
Manquant de s'étouffer en buvant son thé, Marinette rigola en se dissimulant derrière sa main.
- Vraiment ? Ton air dépité me dit le contraire à chaque fois pourtant, le taquina-t-elle.
Il haussa les épaules avec le talent d'un comédien dramatique.
- C'est toujours plus amusant de perdre contre des amis que de gagner tout seul, dit-il avec nonchalance.
L'expression de Marinette se décomposa instantanément. Adrien ne comprit pas quand des larmes se mirent à couler.
- Marinette ? Qu'est-ce qu'il y a ? s'exclama Alya, alarmée. Pourquoi tu pleures ?
La jeune fille aux yeux bleus se rendit compte de ce qu'il se passait et entreprit de s'essuyer les joues comme pour dissimuler la preuve d'un forfait.
- Rien ! Ce n'est rien ! Je... c'est pas la bonne période du mois et je suis un peu émotionnelle. Vous savez ce que c'est, le syndrome prémenstruel ! Tout ça, tout ça !
Sous les regards abasourdis de ses amis, elle se leva, rassembla précipitamment ses affaires et entreprit de fuir.
- Mais enfin, où vas-tu ? s'écria Alya du haut des escaliers pendant que son amie traçait sa route dans le hall d'entrée.
Adrien sur ses talons, ce dernier était totalement perdu et vraiment très inquiet pour sa meilleure amie.
- Je rentre chez moi, je ne suis pas en état de travailler et je vais vous gêner. Bon week-end, on se voit lundi !
La porte du manoir se referma sur le bruit de ses pas précipités sur le marbre du perron.
Alya se retourna vers Adrien qui était autant dans l'incompréhension qu'elle.
- Mais qu'est-ce qu'il s'est passé ?
- Pourquoi j'ai l'impression d'avoir encore fait quelque chose de mal sans raison apparente ? fit Adrien, très perturbé.
La meilleure amie de Marinette se tourna vers lui avec une expression indulgente.
- Je doute que tu y sois pour quoi que ce soit, copain, tenta-t-elle de le rassurer.
Elle passa une main dans sa chevelure flamboyante et soupira.
- Bon. La connaissant, il faut juste lui laisser le temps de se calmer et quand elle se sentira prête... elle viendra nous parler.
- J'espère que tu as raison.
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Adrien avait le sentiment que quelque chose clochait mais il reconnut avec culpabilité qu'il n'était pas vraiment en capacité pour s'attaquer au problème. Son amie semblait aller mal, elle avait besoin de soutien et d'aide. Choses qu'elle s'obstinait à refuser pour d'obscures raisons. Alya était dans le vrai : il fallait accepter son besoin d'espace et attendre qu'elle veuille revenir vers eux.
Ladybug occupait toutes ses pensées depuis la gaffe remontant à deux semaines. Trois akumas, trois purifications accomplies et c'était tout. Pas de commentaire, pas d'échange en-dehors de la nécessaire communication durant un combat. Elle le fuyait. Cela ne faisait aucun doute. Plusieurs heures après le départ d'Alya, lui-même renonça à ses devoirs pour mieux se flageller en silence.
Sa partenaire avait dû rapidement faire le calcul. Il était un garçon de la classe de Marinette, une fille qu'ils avaient déjà sauvée et le seul à n'avoir jamais été akumatisé depuis la première apparition du Papillon. C'était tellement évident qu'il avait envie de se gifler.
Et maintenant, elle le fuyait.
Elle savait qui il était et elle ne voulait pas entendre parler de lui.
- Hé, gamin ! Wouhou !
Le jeune garçon interrompit son broyage de noir quand son kwami pénétra son champ de vision.
- Pardon, je vais te sortir du camembert, dit-il anticipant les réclamations de la divinité gourmande.
Il se leva et sortit une roue sur une assiette en porcelaine fine. Plagg le regarda faire sans dire un mot. Et fait plus extraordinaire encore, il fixa son met favori sans le toucher ! Adrien retint son souffle.
- Oh non, ne me dis pas que toi aussi, tu n'es pas dans ton assiette ! s'exclama le jeune garçon, catastrophé.
La créature leva une patte minuscule pour l'arrêter.
- Je vais bien, c'est juste que j'avais une chose importante à te dire... et que cette beauté me l'a fait oublier. Attends une minute que ça me revienne.
Son porteur se rassit, un peu rasséréné, et attendit. Il attendit quelques minutes avant que Plagg ne lève la tête vers lui.
- Désolé, impossible de me concentrer avec tant de tentation. Laisse-moi deux secondes.
Il se saisit de la roue et l'avala en entier. En une seule fois. Adrien se demanda vaguement comment il pouvait tout ingurgiter aussi facilement alors que son corps était largement plus petit que son repas. Cela demeurait un mystère brisant les lois élémentaires de la physique.
Le ventre distendu, le kwami émit des soupirs satisfaits. Son porteur constata qu'il eut du mal à maintenir sa lévitation et se posa lourdement sur la tête du canapé en cuir.
- Tu te souviens de ce que tu voulais me dire ? relança Adrien.
- Hein ? Quoi ? Ah ! Ah oui... un instant !
Étendu sur le dos et rond comme un ballon, Plagg eut du mal à se redresser. Un peu comme si une tortue était coincée dans la même position, Adrien crut devoir intervenir pour l'aider. Mais quelque part dans sa brume digestive, le kwami se souvint qu'il pouvait voler et usa de cette capacité pour s'asseoir. Il faillit basculer une ou deux fois avant de trouver son équilibre. Pour se donner une contenance, il tenta de croiser les pattes mais son embonpoint l'en empêcha. Le résultat fut au mieux risible.
- Bon, alors, je fouinais du côté des cuisines pendant que vous étiez en train de perdre votre temps à faire des devoirs...
Adrien eut une moue un peu exaspérée. Ce n'était pas la première fois que Plagg faisait le mur, ou plutôt, les traversait en quête de victuailles fromagères supplémentaires. De son point de vue, c'était trop risqué. Il ne voulait pas tenter le diable en favorisant les occasions que son père lui tombe dessus. Le kwami du Chat Noir lui fit remarquer avec une certaine ironie qu'il n'était pas souvent au manoir alors...
- Et j'ai entendu une conversation intéressante entre le chef et Marinette.
- Ne me dis rien alors. C'est à lui qu'elle parlait, pas à moi, l'interrompit le jeune garçon d'un ton résolu.
- Même si elle lui expliquait pourquoi elle était si triste ? le tenta la divinité aux yeux verts.
Oh le fourbe. La tentation était grande, très grande. L'inquiétude et la curiosité se disputaient à la droiture et l'honnêteté.
- Oui, surtout si elle s'est ouverte à lui... et pas à...
- Pas à toi ? souligna le kwami.
Adrien se leva d'un mouvement vif et alla se poster face à l'immense baie vitrée. Il se méprisa pour son attitude boudeuse et le cuisant sentiment de rejet qu'il ressentait. Il pensait être proche d'elle mais apparemment pas assez.
Mais qu'est-ce qui lui arrivait ? Il espérait juste qu'elle allait bien, mais ce n'était pas le cas.
- Alors ? Ladybug sait qui tu es maintenant, hein ?
- Plagg, pas ce soir.
- Gamin, ça fait quinze "pas ce soir". Va falloir faire quelque chose ou ça va te bouffer. Je dis ça pour toi.
Le gamin en question s'appuya contre la baie vitrée, le front contre la vitre froide. Cela lui fit un bien fou. Il se sentait un peu fiévreux et ne savait pas quoi faire. L'idée même que Ladybug le rejette, il en avait la nausée. Il avait tellement besoin de la voir, de... d'essayer d'arranger les choses. De parler peut-être ? Une chose pour laquelle il n'est finalement pas si doué que ça. Il fanfaronne et fait des blagues mais pour ce qui importe, il perd ses moyens.
Il tire sur le col de son t-shirt, il manque d'air, il se sent mal. Épuisé et las, ses mains se meuvent d'elles-mêmes pour trouver appui sur le verre. Sa poitrine lui fait mal, respirer lui fait mal. Sa vue se trouble. Il sert les dents. Des gouttes coulent le long de son nez.
- Hé, gamin... ?
- J'ai dit, pas ce soir, Plagg !
- Je veux bien, mais je crois que tu as de la visite.
- Quoi ?
Il se retourna mais personne n'avait toqué à la porte de sa chambre.
- Qu'est-ce que tu racontes encore ? Plagg ? Plagg !
La lune projetait sa lumière blafarde, découpant la silhouette des montants de ses fenêtres, de la végétation ainsi que la sienne. Solitaire. Le vent agita les grands cyprès mais quelque chose attira son attention. Une autre silhouette.
Son rythme cardiaque grimpa. Il avala sa salive, tentant de garder son calme.
On frappa à la vitre derrière lui. Il sursauta.
Lentement, d'abord sa tête puis ses épaules et enfin, il put faire face à l'origine des bruits.
C'était une silhouette très familière.
Toute en rouge à pois noir.
- Ladybug, murmura-t-il dans la nuit, abasourdi.
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