Dîner aux chandelles

À neuf heures cinquante-neuf minutes, un jeune garçon se rongeait les ongles au manoir Agreste.

— Arrête de faire ça, c'est insupportable ! pesta Plagg en se couvrant les oreilles.

— J'y peux rien, c'est bientôt l'heure !

— Tu fais ça depuis que tu es rentré du lycée, fais donc une pause !

— Il est dix heures ! s'écria-t-il en sursautant.

— Le camembert soit loué, mon supplice prend fin...

— Plagg, transforme-moi !

Quelques étincelles vertes plus tard, un Chat Noir très nerveux faisait les cents pas dans sa chambre. L'horloge le narguait au fur et à mesure que les minutes passaient. Quand elle afficha dix heures onze, il crut devenir dingue et monta sur le toit-terrasse pour prendre l'air. Cela lui fit du bien de sentir le vent dans ses cheveux. La lune était presque ronde ce soir. Encore deux ou trois nuits et elle serait pleine. C'était une très belle nuit, dommage que la pollution lumineuse empêche de voir les étoiles.

Son bâton émit une sonnerie. Il sursauta violemment et fit tomber son arme à deux reprises avant de calmer les tremblements de ses mains. Le héros avait le cœur au bord des lèvres lorsqu'il décrocha.

— Allô ?

— Bonsoir, Chaton.

— Bonsoir, ma Lady. Alors euh... on devait parler.

— Oui, en effet.

Il l'entendit déglutir, elle aussi était nerveuse. Même s'il estima qu'il l'était bien plus. Il avait tant de questions à lui poser et c'était maintenant qu'il avait un méga blanc. Il n'était pas son meilleur allié décidément.

— Je ne sais pas par où commencer, avoua-t-il en se frottant la nuque.

— Moi non plus, lui dit-elle la gorge serrée.

Elle souffla un peu vivement avant de reprendre :

— En fait, si. Je te dois des excuses. Je suis désolée de mon comportement de ces dernières semaines.

Chat Noir cligna des yeux, dans l'incompréhension. Bon, d'accord. Elle l'avait un peu ignoré mais quand même, ce n'était pas si grave que ça.

— Je m'en remettrai, lui assura-t-il.

— Tu dis ça sans savoir toute la vérité, répliqua-t-elle tout bas.

Il fronça des sourcils, inquiet du ton qu'elle employait.

— Je t'aime, Ladybug. C'est tout ce que j'ai besoin de savoir. Ni plus, ni moins.

— Ce n'est pas mon nom, Adrien ! gémit-elle à l'autre bout du fil.

Il sentit son cœur faire une embardée quand il l'entendit dire son nom, et une seconde quand il sentit la détresse dans sa voix.

— Est-ce que c'est ça le problème ? réalisa-t-il en regardant vers le ciel noir de la nuit. Que je ne sache pas quel est ton nom ? Ma Lady, je t'ai dit qu'il ne fallait pas te forcer. Tu n'as pas à me le dire si cela te fait trop de mal.

Et ça, il le pensait vraiment. Plutôt mourir que de la forcer, même s'il était vrai qu'il voulait également une vraie relation. Impossible de sortir au grand jour avec Ladybug en tant qu'Adrien. Et en tant que Chat Noir, disons qu'ils arriveraient tôt ou tard à un stade de leur relation où les costumes seraient vraiment de trop. Bref.

Mais, il était sincère. Il l'aimait, elle l'aimait en retour. C'était tout ce qui importait, non ?

— Et tu t'imagines avoir une relation viable sans savoir qui je suis en civile ?

Elle lisait dans ses pensées ou quoi ?

— On n'a même pas discuté du fait qu'on soit ensemble ou non, justement.

Petit blanc.

— Tu... ne veux pas ? l'entendit-il demander d'une voix serrée.

— SI ! Bien sûr que si ! protesta-t-il, paniqué à l'idée qu'elle s'éloigne de lui. Mais... je suis perdu. Tout d'abord, tu viens me trouver pour m'avouer tes sentiments puis tu me fuis...

Il se réprimanda en pensée. Il avait l'impression de s'entendre geindre, de presque mendier son affection. Plus pathétique, tu meurs.

Soupir au bout de la ligne.

— Je sais. Je te dois des explications. Et...

Elle dut changer d'oreille, car il entendit le bruit caractéristique du passage de cheveux sur le micro.

— ... et ce serait mieux si on se parlait en face à face.

Chat Noir en mourrait d'envie, même s'il en craignait beaucoup l'issue.

— Où veux-tu qu'on se retrouve ?

Est-ce qu'elle se mordillait la lèvre ? Il n'en était pas sûr malgré son ouïe féline.

— Utilise ton bâton pour me localiser et rejoins-moi là où je suis, lui répondit-elle finalement.

— D'ac-cord.

Il avait la curieuse impression qu'elle avait prévu quelque chose. Pour le moment, il ne savait pas si c'en était une bonne ou pas.

— À tout de suite alors, conclut-elle en raccrochant un peu vite.

Le héros fixa son bâton pendant un moment sans réagir. Qu'est-ce qu'elle faisait là ? Pourquoi cet endroit en particulier ?

Au fur et à mesure de son approche, il commença à avoir des doutes. Des lumières éclairaient un toit isolé. C'étaient des bougies alignées sur le garde-corps. Il sut alors d'où lui venait cette impression familière de déjà-vu. C'était ici même qu'il lui avait donné rendez-vous pour cette fameuse Saint-Valentin qui s'était globalement soldé par un friendzonage dans les règles de l'art.

Bouche bée, n'en croyant pas ses yeux, il explorait la scène cherchant un piège, une illusion, quelque chose qui le détromperait. En vérité, il distingua des différences. Notamment une Ladybug qui se dandinait de nervosité. Il espéra que son masque cache suffisamment ses pommettes qu'il devinait rouge comme des tomates.

— Woh. Je... euh, c'est toi qui as fait tout ça, ma Lady ? C'est très joli.

Il lutta énergiquement contre la tentation des conclusions hâtives : elle aurait fait tout ça pour lui. Chat Noir avait seulement rêvé que ses sentiments soient réciproques, pas qu'elle lui sorte le grand jeu. C'était ça que les filles ressentaient dans les films romantiques où les garçons faisaient une mise en scène chevaleresque pour conquérir leur cœur ? Ce mélange d'excitation et d'émerveillement, cette joie d'être distingué des autres par cet effort particulier ?

On se calme, on se calme. On inspire, on expire. Ce n'était pas le moment de s'emballer.

Ladybug joua avec une de ses couettes.

— J'en ai fait trop, c'est ça ? C'était une mauvaise idée vu ce qui s'est passé ici ? Je le savais ! Je suis vraiment désolée !

L'héroïne se précipita vers les bougies pour les éteindre. Chat Noir attrapa doucement ses mains.

— Du calme, ma Lady ! Je suis touché de l'attention. J'aime beaucoup, je t'assure.

Elle se retourna vers lui les yeux humides et hésitante.

— C'est vrai ?

— Vrai de vrai, lui affirma-t-il avec un sourire rayonnant.

Ils se regardèrent pendant un moment avant de réaliser qu'ils avaient des choses à faire avant de conter fleurette.

— Et donc, commença Ladybug en s'écartant nerveusement quelques pas, j'ai des choses à te dire et je suis terrifiée. Alors, s'il te plaît, ne m'interromps pas. D'accord ?

Il acquiesça d'un simple hochement.

Et attendit.

Encore.

— Ma Lady ? tenta-t-il.

Elle sursauta et tortilla ses doigts. Dire qu'elle était nerveuse semblait de plus en plus un euphémisme.

— Je sais que c'est ridicule mais est-ce que tu peux te retourner ? Ça me rend nerveuse que tu me regardes, expliqua-t-elle en tirant sur une de ses couettes.

Il lui sourit et se retourna en faisant une courbette.

— Je vais m'asseoir aussi si ça te va ?

— Euh, oui, oui ! Bien sûr, mets-toi à l'aise.

Soudainement, Chat Noir était plus amusé par la situation qu'anxieux de la suite. Même s'il y avait de quoi quand même. Ladybug n'était pas sereine mais elle s'était donnée du mal pour créer ce cadre qu'il osait qualifier de romantique, ce qui impliquait qu'elle n'allait pas le jeter. N'est-ce pas ?

Bon d'accord, il n'était pas si rassuré finalement.

Elle pesta. Intrigué, il jeta un coup d'œil par-dessus son épaule.

— Tout va bien, ma Lady ?

Les bras serrés contre elle, elle passa une main dans ses cheveux puis sur sa nuque.

— Ne rigole pas, hein. Mais... ça me perturbe de te voir de dos.

Il se mordit la lèvre et se retint comme il pouvait de rire. Ladybug fit une moue vexée avant de revenir à l'embarras. Chat Noir tapota la natte sur laquelle il était assis et l'invita à le rejoindre.

— Dos à dos ? proposa-t-il.

Sa partenaire hocha la tête et le rejoignit. Elle eut un frisson lorsqu'elle prit appui contre lui avant de finalement se détendre. Ils baignaient dans la chaleur de l'autre, profitant de sa présence, allant jusqu'à poser sa tête sur l'épaule de l'autre.

Puis enfin :

— Je suis tombée amoureuse d'Adrien, il y a plusieurs années de cela, lâcha-t-elle tout à coup. Et non de Chat Noir que je prenais pour un dragueur invétéré. Pour moi, vous étiez deux personnes différentes. Ça a été un choc quand j'ai découvert que vous n'étiez qu'un.

— Pourquoi ? demanda-t-il au bout d'un moment.

Elle s'agita, passa la main sur sa joue.

— Parce que je me demandais si je t'aimais vraiment en fin de compte.

Chat Noir remua inquiet.

— Je me vantais de te connaître par cœur et de t'aimer pour tout ce que tu étais, si parfait à mes yeux. Alors qu'en fait non. Pendant toutes ces années, je t'ai envoyé les roses. J'ai rejeté Chat Noir qui est une partie de toi, expliqua-t-elle la gorge serrée.

— Tu ne pouvais pas savoir. Je ne montre ce côté de ma personnalité que lorsque je porte un masque.

Elle souffla et eut un rire amer.

— Peut-être mais maintenant, je le vois parfois. Des traits d'Adrien chez Chat Noir, des traits de Chat Noir chez Adrien. Vous vous ressemblez plus qu'il n'y paraît. J'étais juste trop aveuglée par mes fantasmes d'adolescente.

— Où veux-tu en venir, ma Lady ? s'inquiéta-t-il alors que la tournure l'interpellait.

C'était très familier.

— N'est-ce pas la même chose pour toi finalement ? Est-ce que tu m'aimes vraiment pour tout ce que je suis sans même savoir qui je suis sans le masque ?

Elle sentit les muscles de son dos rouler sous sa peau et son costume en se redressant.

— J'en suis certain. Je t'aime de tout mon cœur et de toute mon âme.

Ladybug reposa sa tête sur son épaule et se mordilla les lèvres. Il l'entendit renifler avant de reprendre.

— La nuit où je suis venue te rendre visite. Ce n'est pas mon nom que tu as appelé, mais celui de Ladybug. Et ça m'a fait mal, ça m'a fait tellement mal. Je me suis laissée emporter par la situation si familière que ça m'a pris par surprise. J'avais complètement oublié que je portais encore mon masque.

À tâtons, il chercha sa main. Il effleura ses doigts avant de les recouvrir de sa paume et de les serrer doucement.

— Je suis désolé.

— Ce n'est pas ta faute, je ne me suis jamais donnée les moyens pour que tu me remarques, pour que tu me vois vraiment.

N'y tenant plus, Chat Noir se retourna pour regarder son visage. Des larmes roulaient de temps en temps sur ses joues. Il prit son visage en coupe et posa son front contre le sien.

— Je suis tellement désolé, ma Lady. Je n'aurais assez d'une seule vie pour réparer mes torts. Que puis-je faire pour me faire pardonner ?

— Tu m'écoutes quand je te parle ? Ce n'est pas ta faute !

— Toujours aussi dure en négociations, hein ? la nargua-t-il. Nous dirons que c'est un travail d'équipe alors.

Ladybug leva les yeux au ciel, geste qui marquait pratiquement chaque déclaration de Chat Noir. Il se réjouit de constater qu'ils avaient toujours leur dynamique.

— Ma foi, je ne suis pas si différente en civile contrairement à toi. Alors, je t'accorde que tu n'as aucune excuse de ne m'avoir jamais découverte, répliqua-t-elle d'un ton narquois.

Chat Noir tressaillit. Il s'était fait violence pour ne pas chercher à découvrir son identité secrète malgré ses indiscrétions. Mais là, c'était une perche qu'elle lui tendait. C'était étrange d'avoir un réflexe de fuite devant la chose qu'on désire le plus au monde.

— Ma Lady... ?

Pleine de détermination, elle plongea son regard dans le sien.

— Dis mon nom, Chat Noir.

— Je...

— Il faut que tu le découvres pour que nous puissions avoir une chance d'avenir ensemble.

— Pourquoi cette solennité ? Il n'est pas question de vie ou de mort que je sache, si ?

Elle prit à son tour son visage en coupe de ses mains.

— Tu connais déjà mon nom. Depuis le premier jour de notre rencontre.

Il retint son souffle, des visages défilèrent dans son esprit. Il chercha dans sa mémoire le jour où sa vie changea pour le meilleur. Ils se connaissaient donc, forcément quelqu'un de sa classe. Ce ne pouvait être Chloé, ni Sabrina, ni Alya, ni Alix. Ce ne pouvait pas être Juleka, ni Rose pour des raisons évidentes. Il avait été la seule personne à ne pas être akumatisée.

En vérité, non.

Il y en avait une autre.

Elle dut voir que la révélation lui venait peu à peu car elle enchaîna les explications.

— Je ne t'ai pas du tout apprécié ce jour-là d'ailleurs, lui dit-elle toujours les yeux dans les yeux.

Déterminée, courageuse, créative avec un haut sens de la justice et une aversion pathologique pour le mensonge.

Il déglutit avec difficulté.

— Je t'ai pris pour autre ami snob de Chloé venu en renforts pour me martyriser.

Son cœur battait si fort qu'il pensait se briser des côtes.

— Mais, tu es venu t'expliquer. Et tu m'as offert ton parapluie.

Ce n'était pas possible, il devait rêver.

Des larmes coulaient sur son visage tandis qu'il lui souriait comme un imbécile heureux.

— Depuis tout ce temps, commença-t-il fébrilement, mais quel idiot...

Front contre front, leur nez s'effleurèrent. Il embrassa ses joues, cueillant les larmes de celle qu'il aimait tant.

— Tu étais là...

Avant de l'embrasser en soupirant :

— Marinette.

Cette dernière sentit sa poitrine exploser littéralement lorsqu'il prononça le mot tant attendu. Ils s'embrassèrent fougueusement, s'agrippèrent l'un à l'autre, riant, pleurant, ne se lassant plus d'être enfin ensemble.

— Je t'aime, Adrien.

— Je t'aime aussi, Marinette.

Nino avait eu raison. Le meilleur les attendaient tous les deux.



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Finalement, il y aura un petit épilogue ;)

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