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On t'a enterré sous les arbres en fleurs. C'étaient les premiers jours d'avril et le soleil était presque rose. Il y a eu des pétales déposés sur ta tombe. Mes parents ont pleuré l'un contre l'autre, les tiens ne sont pas venus. Ils étaient toujours en Amérique et ne voulaient pas en entendre parler. Je n'ai même pas mérité de chanter. Je n'ai pas pu parler. Mon père l'a fait comme il sait toujours le faire, de sa voix grave sans mélodrame. Il n'a pas osé me regarder.

Je ne suis pas resté près de ta tombe, je suis retourné chez mes parents. On a mangé un gratin sans parler. Je n'ai rien avalé. Il y avait comme un goût de cendre sur mes lèvres. Je suis parti sans rien dire et j'ai marché vers les champs. Le soleil d'avril était encore brûlant, il y avait des arbres pliés par le vent. J'ai marché jusqu'au colza et je me suis allongé sur la route oblique. J'ai fermé les yeux.

Je pouvais sentir ta chaleur contre ma paume. Mes larmes ont coulé à la verticale. Le soleil s'est couché sur moi et j'ai tant prié pour ne pas me réveiller.

Puis il y a eu ta main sur mon épaule et tes lèvres contre ma joue. J'ouvre les yeux doucement sur le ciel pâle, à travers la fenêtre, et les bruits de la ville du dimanche matin. Tu es accroupi à côté du matelas, un grand sourire qui éclaire tes traits, déjà habillé. Il y a une odeur d'œufs brouillés, et un peu de peinture verte sur ta joue gauche. Tu as l'air d'un enfant.

Il ne faut pas partir, Taehyung, restons ici à jamais.

Tu ris, et tu me pousses un peu.

Allez, lève toi, Min Yoongi ! On doit enregistrer le refrain avant de partir !

Alors je dis que je suis sérieux, restons-ici, il fait beau, promenons-nous dans la ville, allons dans des musées et dans les parcs. Il n'y a jamais personne dans les rues le dimanche. Mes parents nous pardonneront. Je souris autant que je peux et effleure la peinture sur sa joue. Tu ne cesses de rire. Et puis tu dis, ok.

Je te tiens la main dans la rue, je te tiens la main dans les musées. On prend des photos sur le pont, on prend des photos dans les parcs. Les arbres sont en fleurs, le vent les fait s'échouer sur nos têtes, et tu ris, et je te regarde comme je n'ai jamais su te regarder. Ta veste qui est beaucoup trop grande, ton sourire qui est beaucoup trop grand, la peinture verte que je n'ai pas osé enlever. Je sais que tu l'as remarquée.

C'est beau comme le ciel, aujourd'hui. C'est beau comme les étoiles en plein jour. Faites que la nuit ne vienne jamais.

On a croisé quelqu'un de connu, il regardait droit devant lui, sans rien voir. On s'est promis de ne jamais devenir comme ça si jamais on devenait célèbres. Tu serais devenu célèbre, Taehyung, avec ton talent et tes couleurs d'autrefois. Mon cœur bat de plus en plus vite. C'est déjà le crépuscule, c'est déjà la fin de cette journée. Mes parents ont appelé, ils étaient un peu agacés, surtout inquiets, mais j'ai dit qu'on avait plus de travail que prévu. Ce n'était vraiment pas grave.

Mon cœur bat plus fort que jamais. C'est déjà la fin.

On va manger au restaurant. On n'avait rien prévu, on devait manger les restes. On mange des crêpes, il n'y a pas grand monde dans les salles, ce soir. Je refuse de penser que ce sont les derniers instants. Je t'ai enterré trop de fois pour ne pas prier pour ce que ce soit la dernière fois, mais trop de fois aussi pour oser l'espérer. Il y a la mort qui te fixe depuis le fond de la salle.

On rentre tard, on rentre sous l'orage, on rentre sous la pluie et sous le vent. Ta veste est trempée, mon béret s'est envolé. Mais tu ris comme un enfant. Je ne peux plus rire, il est trop tard. Il est trop tard et j'espère qu'il est assez tard. On voit la fumée de loin, et je sais déjà que c'est une autre voie. La nuit noire est éclairée d'une doucereuse lueur orange.

On court jusqu'à l'immeuble en flammes. Tu pleures en disant que j'ai perdu toutes les chansons, toutes les partitions, tous les enregistrements, sans penser un instant à tes toiles. Je te serre la main, oui, cette fois c'est moi. Je ne pleure pas. J'attends sans respirer, j'attends sans penser que la vie décide si elle veut te garder. Je lui promets tout, je lui donne tout, si elle accepte. Je me vends et je vends le monde tout entier.

Un policier s'approche de nous en criant de dégager, on lui dit qu'on habite là. Il s'excuse. Il n'y a plus rien à faire, il dit, le feu a pris il y a une demie heure seulement. L'orage s'est abattu sur une antenne qui n'a pas su l'absorber. Tout l'immeuble est calciné. Il faut partir. Il va bientôt s'effondrer.

Alors je te tire, je te dis, viens. Viens, c'est fini.

Tu regardes les flammes trop longtemps, trop près. Et je lâche ta main. Tu es écrasé par les lambeaux qui s'écroulent, par les flammes qui pleuvent au-dessous de nous.

Tu ne souriais plus. 

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