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Le train est si morne ce matin. Tu me regardes depuis des heures, tu as abandonné ton livre et je me suis retourné vers la vitre. Il y avait un corps dans ton cercueil hier, l'enterrement avait un goût de sel. La pluie était acide. Je suis désolé d'avoir tant échoué, je suis désolé d'y avoir cru. Le bruit des vagues se répercute à l'infini contre mon crâne et c'est terrible d'avoir eu tant d'espoir. C'est comme faire tomber les arbres en fleurs, éclatés en fragments de cristal contre un sol de béton.
Ton regard me brûle la nuque, ton regard d'onyx et d'azur mêlés, que j'ai vu perdu dans le sel. Je t'ai infligé tant et ta douleur, tu l'as embrassée. J'aurais du mieux t'aimer, ces deux dernières années. J'aurais du te renvoyer plus de sourires, rire avec toi, t'écrire de plus belles chansons. J'aurais du faire tellement mieux. Tu étais parfait.
Ça va ?
Oui, oui, ne t'inquiète pas.
Je sais bien que tu ne me crois pas. Tu n'ouvres plus ton livre. Tu cherches ma main, je sens la tienne effleurer doucement mon poignet. Je te la refuse et je me sens cruel. Mais peut-être que la seule solution... Non. Je ne peux pas. Pardonne-moi, je suis encore trop égoïste.
C'est de ma faute ?
Non.
Et puis je revois ton corps entre les flammes, tes lèvres qui s'ouvrent, le cri qui sort de toi. Toi qui me cries de sauter, de partir, de vivre et de te laisser mourir. Depuis le début je suis si égoïste. Je n'ai aimé ta voix que dans mes chansons, n'ai aimé ton visage qu'embrasé de soleil. Tu n'aurais jamais du prendre ma main. Je n'aurais jamais du l'accepter. Il n'y a plus d'avenir et je t'ai tant volé.
Si. C'est de ta faute. Entièrement de ta faute.
Ces mots portent ma voix, ces mots n'ont pas de couleur et s'écoulent dans un rythme effréné. L'homme aux yeux immenses n'ose plus nous regarder. La femme à l'ordinateur a arrêté de taper.
Je crois que je ne t'aime plus. Ça fait longtemps que j'y pense. Il n'y a plus grand chose entre nous, je t'écris des chansons et tu les chantes mais dans le fond on sait aussi bien l'un que l'autre qu'elles ne sont plus exceptionnelles. Tu ne m'inspires plus. Je ne sais plus si il faut rester.
Tu ne dis rien et tu ne me regardes plus. J'ai tourné court, le virage était serré. Cette voie-là est sombre, mais je ne regrette pas. Peut-être vivras-tu. Et tu retrouveras de beaux rêves, tu continueras à peindre, tu resteras toi, baigné dans le soleil où je n'ai jamais réussi à te voir. Et tu seras vivant, loin des flammes et loin des vagues. Je t'aimerai toujours et toi tu seras loin. Ça va marcher. Ça doit marcher.
Les mots que tu prononces, murmurés, presque un souffle, presque un soupir, me brisent.
Je ne te crois pas.
Il le faut pourtant. Je ne pourrai pas les répéter. Je ne pourrai pas. Je n'ai pas ce courage, je n'ai jamais pu regarder les fleur fanées, jamais pu essuyer tes larmes. Ce sont les miennes que je ne retiens plus. Et elles s'écroulent une à une sur la banquette de tissu vert. Elles s'écroulent en silence. Je n'ai plus la force de refuser ta main dans la mienne. J'ai encore échoué. Pardon, mon amour. Je suis bien trop lâche pour te sauver.
Je suis bien trop lâche pour vivre une vie sans toi. Et c'est pourtant ce qui arrivera, n'est-ce pas ? C'est ce que me promet l'étrange femme enveloppée de châles sombres, c'est ce qu'elle m'assure. Je vis avec ton fantôme depuis trop longtemps et je disparais moi aussi, englué dans cette réalité étrange où ce qui doit arriver arrive toujours, peu importe le chemin et peu importe le lieu. Nous sommes d'éternels perdants alors pourquoi, oh dieu, s'obstine-t-on à me faire croire qu'il y a un espoir ? Je suis bien trop faible pour cela.
Alors je dis, je dis que je ne te mérite pas, je dis que je suis désolé, que tu devrais partir, que tu ne devrais pas vivre avec moi, je le dis et je sais que ta main ne s'en resserre que plus autour de mes doigts. Je suis cruel, Taehyung, je n'arrive pas à te laisser partir.
Mes parents nous accueillent avec ce sourire étrange qu'ils ont toujours, éternellement étonnés qu'on vienne toujours les voir dans leur trou. Je les embrasse sur les deux joues et toi aussi. Déjà tu déballes les tableaux que tu as emballés et mon père te remercie avec un grand sourire, louant une fois de plus ton talent avec la même sincérité que la première fois. Pourtant, je t'ai dit qu'il ne faisait pas souvent de compliments. Il les accroche tout de suite dans la grande salle, entre deux autres de tes œuvres.
Ma mère remarque que tu refuses de me lâcher la main, mais elle ne dit rien, elle parle sans s'arrêter de l'orage de ce soir, qu'on ne devrait pas partir trop tard parce que les trains sont annulés, mais on sait bien qu'elle serait ravie de nous voir rester. On lui répète de ne pas s'inquiéter.
Je suis incapable de ne pas apprécier cette journée. Tout allait si bien. Tout était si parfait. Et quand l'image fulgurante de ton corps étendu me frappe, je la fixe un instant et la balaie lâchement. Je suis cruel aujourd'hui. Je devrais me haïr, me détruire. Même ça, je n'y parviens plus.
Cette journée là finit comme toutes les autres. Nous repartons par le même train. Mais tu ne lis pas, tu serres toujours ma main sans un mot. Je me surprends à penser qu'on devrait offrir des fleurs à ma mère, la prochaine fois. Elle adore jardiner.
Ce soir-là, il reste un fragment de lumière sur ta joue que la fumée vient étreindre.
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