Remus Lupin était un homme brisé. Totalement brisé.

Lorsqu'il était enfant, l'attaque de Greyback l'avait laissé presque mort. Il avait survécu, et il avait dû vivre avec la dure réalité : il était un loup-garou, et sa vie ne serait jamais plus comme avant. Son père le regardait avec tristesse et désespoir, sa mère avait peur de lui.
Jusqu'à ses onze ans, il avait été persuadé n'avoir aucun avenir : il serait un paria à jamais.

Dumbledore avait été le premier à lui tendre la main. C'était le Directeur de Poudlard en personne qui s'était déplacé et qui avait convaincu ses parents de le laisser venir étudier. C'était inespéré pour lui, que de pouvoir prétendre à un diplôme, et il avait développé envers le sorcier une admiration sans failles.
Il y avait eu des aménagements pour ses transformations mensuelles, et Remus avait ancré dans sa chair l'idée même qu'il ne devait pas s'approcher des autres élèves.

Il arriva à Poudlard comme un jeune homme solitaire, bien trop sérieux pour son âge. Il ne se mêlait jamais aux autres, et il passait son temps à étudier. La seule façon qu'il avait de remercier Albus Dumbledore était de se montrer un élève brillant après tout.

Les Maraudeurs avaient été une renaissance à ses yeux. Il avait eu des amis, des amis sincères qui s'étaient souciés suffisamment de lui pour apprendre à devenir animagus en toute illégalité afin qu'il ne soit jamais seul sous sa forme lupine. Ses amis l'avaient entouré encore et encore, lui donnant de l'affection et la sensation que peut-être il avait un futur.

Il avait conscience que parfois James et Sirius allaient trop loin, surtout quand ils s'en prenaient à Severus Rogue. Mais il détournait le regard. D'abord, parce qu'il leur devait tant qu'il ne se voyait pas s'opposer à eux franchement. Ensuite parce qu'il n'aimait pas vraiment le Serpentard silencieux et renfermé.

Il voyait un écho de ce qu'il aurait pu devenir sans ses amis dans cet adolescent maussade et toujours seul, et ça le rendait furieux, irrationnellement.

Ses années Poudlard avaient été une vraie bouffée de bonheur. Une parenthèse enchantée en dehors de la dure réalité de la vie.
Après le diplôme, James avait épousé Lily, les Maraudeurs avaient rejoint l'Ordre du Phénix. James et Sirius étaient devenus Aurors tandis que lui cherchait encore ce qu'il pourrait faire pour gagner sa vie. Même s'il refusait leur aide, ses amis veillaient à ce qu'il ne manque de rien, malgré son absence d'argent flagrant.

Sa vie s'était brisée le soir d'Halloween, lorsque James et Lily avaient été tués. Il avait été absent, envoyé par Dumbledore en Roumanie pour contacter un chef de meute de loup-garou pour s'en faire des alliés. A son retour, il avait appris que ses amis adorés avaient été assassinés par Voldemort, que Sirius avait tué Peter et qu'il était à Azkaban.
Il avait refusé d'y croire au début, et il avait dû prendre une potion calmante pour éviter de se transformer en loup et faire un carnage.

Une fois que son esprit avait accepté les faits, il avait refusé d'aller voir Sirius. Il ne pourrait jamais lui pardonner ce qu'il avait fait. Trahir James et Lily, tuer Peter... Il le haïssait avec passion celui qui avait été l'un de ses meilleurs amis.
Fou de douleur, il n'avait pas une seul fois pensé au fils de James, le petit Harry qu'il avait pourtant tenu régulièrement dans ses bras. Il avait écarté toutes les tentatives de discussion des membres de l'ordre, comme Molly Weasley qui le suppliait d'aller demander des explications à Sirius.

Puisqu'il n'avait plus d'amis en vie et que Voldemort était neutralisé, Remus quitta le pays sans un regard en arrière. Il y avait bien longtemps qu'il n'avait plus rien pour le rattacher à l'Angleterre et il pouvait oublier sa peine en changeant de vie.

Et pour changer de vie, il avait changé. Sa condition de loup-garou était un obstacle infranchissable et il était loin de la vie rêvée. Il vivait comme un bohémien, sans argent, sans attaches. Il ressemblait à un miséreux, et peu importait ses résultats exceptionnels aux examens de Poudlard : personne n'irait accorder sa confiance à un homme devenant un animal enragé une fois par mois...

Lorsqu'il avait reçu le hibou de Dumbledore, lui apprenant que Sirius était sorti de prison, il s'était tendu. Il n'avait pas cherché à savoir pour quelle raison celui qui avait été son ami avait la chance de quitter Azkaban. Il avait juste répondu à l'appel de Dumbledore et il était rentré en Angleterre.

Son vieux mentor lui sembla terriblement fatigué lorsqu'il lui annonça que quelqu'un avait habilement manoeuvré pour faire libérer Sirius. Remus ne pensa pas un seul instant que son ami puisse être innocent : il y avait sept ans qu'il était convaincu de la culpabilité de l'homme.
Il suivit Dumbledore jusqu'à Azkaban, puisque le vieil homme semblait persuadé que Remus pourrait peut être l'aider à ramener Sirius à la raison avant de le maîtriser pour l'enfermer de nouveau. Mais l'ancien Maraudeur était déjà parti, leur échappant de peu.

Un bref instant, Remus se souvint du Gryffondor joyeux et impulsif qu'avait été Sirius, et il se demanda ce qui avait provoqué un tel changement d'avis chez lui. Comment après avoir combattu le mal aux côtés de ses amis, après avoir renié sa famille avait il pu rejoindre les ténèbres ?

Le loup-garou décida qu'il était prêt à interroger Sirius sur sa trahison. Si sept ans plus tôt il n'avait pas voulu savoir, maintenant, il avait besoin de réponses.
Il connaissait parfaitement Sirius - ou il avait cru le connaître - et il était certain qu'il pourrait le débusquer, où qu'il soit terré. Il sillonna l'Angleterre, se rendant à chaque endroit que Sirius connaissait, cherchant aussi bien un homme qu'un grand chien noir.

Cependant, Remus se rendit rapidement compte que Sirius semblait s'être littéralement évaporé de la surface de la terre. Si Dumbledore sembla furieux de l'apprendre, Remus en développa un léger malaise. Son instinct lui hurlait que quelque chose n'allait pas, qu'il y avait bien trop de choses incohérentes dans tout ce qui s'était produit depuis la mort de ses amis.

Plutôt que de quitter le pays une fois encore pour reprendre sa vie de vagabond, Remus décida de rester en Angleterre, histoire de comprendre ce qui se passait autour de lui.

Prompt de demain : porte ouverte