Chapitre 5


   — Et donc, après vous êtes tous partis quand la police est arrivée laissant Pachin, Osanai et les autres de Moebius derrière vous ? récapitula Chifuyu.

  — Oui c'est ça, on avait pas le choix, tout s'est passé tellement vite.

  — Hé, Liv', c'est pas de ta faute, personne n'aurai pu prévoir un tel truc, rien que l'effort d'avoir voulu empêcher Pachin de planter Osanai, c'est bien.

  La main rassurante du capitaine de la première division sur mon épaule, je baissai les yeux sur mes chaussures.

  — Ce que je comprend pas, c'est comment ils ont su qu'on serait là, à cet endroit et à cet heure précise ? Sans oublier, qui à appeler la police, c'était vraiment désert dehors. Plus j'y réfléchis, plus je me dis que Takemichi n'avait pas tord.

  — Qu'est ce que tu veux dire par là ?

  — Il à dit que c'était un piège, que quelqu'un essayait de nous manipuler...Bizarrement, pendant que Mikey, Draken, Pachin et Peyan discutaient de la bagarre contre leur clan. Moebius se pointe.

  — T'as raison, c'est louche, admit Chifuyu.

  — Maintenant Mikey et Draken se font la gueule et ça commence à partir en viande...

  — Steak, ça commence à partir en steak, me reprit le blond auquel je jetai un regard noir sous le ricanement de Baji.

  — « Partir en viande », s'esclaffa-t-il. Livia, t'en as encore d'autres comme ça ?

  — Vous êtes pas censé vous foutre de moi, traduire les expressions en japonais c'est compliqué. Si c'est comme ça, commençai-je en constatant leur fou rire, je m'en vais, vous me méritez pas !

  Tournant à droite, je m'engageai dans une rue qui n'était pas sur notre chemin, vexée mais aussi pour leur faire croire que j'allais vraiment partir pour les forcer à s'excuser. J'espérais vraiment qu'ils me suivent, revenir toute penaude briserait mon égo à coup sûr.

  — Oh, arrêtes de bouder, reviens, tu vas finir par te paumer ! Promis, je ne me moque plus.

  Ce fut Chifuyu qui me retint en premier par le bras.

  — J'espère bien. Tiens, il est où Baji ? demandai-je tournant sur moi-même pour balayer les environs du regard.

  — Il était derrière moi il y a trente secondes pourtant.

  Nous revînmes sur nos pas reprenant le chemin de la rue secondaire. Un chat dont la grande ombre dépassait toute les autres se mit à miauler par-dessus des sons de coups et râles de douleur qui parvinrent jusqu'à nous.

  — C'est quoi ça ? Ca viens d'où ?

  La rue était totalement déserte, les orbes bleus de Chifuyu s'attardèrent un instant sur quelque chose par-dessus mon épaule. Je fis volteface pour suivre son regard dont les sourcils étaient durement froncés. Il s'agissait d'une ruelle, nous nous rapprochions doucement de celle-ci, l'obscurité y était largement dominante comme si c'était un autre monde bien plus obscur et violent qui s'offrait à nous. Je n'avais jamais osé mettre les pieds dans ce genre d'endroit que tous savaient dangereux, un long frisson remonta le long de mon échine et je laissai passer Chifuyu devant. Des formes se mouvaient rapidement, s'entrechoquant toute contre une seule qui les engloutissait en quelques secondes. Baji, cheveux attachés en queue de cheval, était entouré d'une vingtaine de lycéens, tout comme nous, vêtus de leur uniforme scolaire en ce mercredi après-midi. J'avais du mal à croire ce que je voyais, pourquoi Baji se battait-il contre ces garçons qu'on ne connaissait même pas ? La froussarde que j'étais disparu au moment où je le reconnus, m'avançant un peu plus, j'essayais de garder un fasciés neutre malgré l'odeur très nauséabonde qui emplit chacune de mes deux narines, odeur d'égouts mélangée à celle de cigarette et de poubelle. Une raison de plus pour ne pas s'aventurer dans ces sombres parties de la ville.

  — C'est quoi ce délire ?

  — Merde, ils sont nombreux, grommela le blond.

  — On l'a laissé une minute tout seul et il trouve le moyen de s'attirer des ennuis, c'est une blague ou quoi ? Ces types sont de la même tranche d'âge que ceux de Moebius.

  Col de sa victime agrippé dans la main gauche et poing droit brandit, le noiraud nous adressa son habituel sourire carnassier, dévoilant ses canines singulières qui avaient le don de le rendre à la fois intimidant mais aussi incroyablement beau.

  — Bah alors ? Vous attendez une invitation tous les deux ? Bougez-vous le cul !

  — J'attends surtout que tu m'explique pourquoi vous vous tapez sur la gueule.

  Sans même pouvoir répliquer quelque chose de plus, je vis Chifuyu me dépasser pour se jeter dans le tas de lycéens. Trois contre plus de vingt, ils étaient vraiment fous ces deux-là. Les coups s'échangeaient très vite, à mon grand étonnement, le duo de la première division était doté d'une grande coordination. Pendant que l'un parait les attaques des plus costauds, l'autre s'occupait des malins qui voulaient attaquer le noiraud par derrière, ensuite il balayait ses adversaires d'un puissant coup de poing avant de couvrir Chifuyu qui reprenait son souffle.

  — Fumez les, ce sont le capitaine et le vice capitaine de la première division du Toman, c'est une putain d'occasion de se les faire ! hurla l'un des plus âgé.

  Comment en étions-nous arrivé là en quelques minutes seulement ? Ce gang s'attirait toujours des problèmes. Béate, je les regardais se démener comme ils le pouvaient bien que le nombre d'ennemis fût largement supérieur, la puissance de Baji était vraiment impressionnante. Yeux habitués à l'obscurité, je parvenais à distinguer chaque visage, chaque mouvement de tous.

  — Choppez la fille, elle est avec eux ! On a tout gagner à la prendre en otage.

  Une dizaine de paires de yeux se tournèrent instantanément, je me figeai soudainement paniquée, une pression s'abattit alors sur mon corps, pression qui clouait profondément mes pieds dans le sol alors que mon plus grand souhait était de fuir à toute vitesse, loin de cette ruelle et de ces lycéens.

  — Hum, non pas du tout, je ne les connais grave pas, bredouillai-je dans une vaine tentative de mensonge.

  — C'était vraiment de la merde ça, même Peyan fait mieux, intervint Baji en fauchant d'un coup de pied celui qui avait attiré l'attention sur moi. Hé bande de connards, arrêtez de regarder ailleurs les salopes !

  Je laissai passer cette moquerie pour cette fois ci puisque je n'en menais pas large dans cette situation. Un garçon, aux basquettes rouges vives fut le premier à m'atteindre, sa masse corporelle dépassait celle de mon père et bombant le torse pour me faire sentir largement inférieur, l'impression d'être le maillon faible laissa un gout amer et atrocement acide sur le bout de ma langue. Aucun picotement, aucun sentiment de déconnection du monde, je recherchai l'effet qui s'était abattu le jour de l'altercation avec Moebius mais mis à part mes jambes tremblantes, rien de bien similaire ne me faisait me sentir sure de moi ou en sécurité.

  — Viens là, si tu te laisses faire, tu auras moins mal.

  — Bouges de là, ça te plait de t'en prendre à des gens qui ne t'ont rien fait ? Regardes, tes potes se font défoncer, je serai toi, j'y réfléchirais à deux fois avant de faire quoi que ce soit.

  — Fermes là !

  — Wow, quelle répartie ! m'exclamai-je claquant mes paumes entre elles. La capacité de ton cerveau a migré dans tes muscles ? Pas très efficace.

  Jouer la carte du sarcasme et de l'arrogance n'était finalement pas très efficace non plus mais c'était tout ce que j'avais. Tel un buffle, le lycéen chargea, visiblement très en colère pour si peu de provocation, en écho à son cri, Chifuyu m'appela tandis que Baji jurait. La masse corporelle se rapprochait dangereusement, la respiration saccadée, mes membres tremblaient, pourtant, comme un réflexe, je pivotai, il était lent. Livre du self défense, chapitre quatre partie trois : « une frappe avec la main en coupe est un bon moyen pour mettre l'adversaire K.O » Les lignes de mon nouveau livre s'inscrivaient, lettre par lettre dans mon esprit défilant à toute vitesse, chaque détail me revint en tête. Je n'étais pas sans défense, j'avais l'observation des garçons en train de se battre, les conseils du bouquin emprunté à la bibliothèque, seul la pratique avait été rare. Poids du corps répartit sur les deux jambes légèrement fléchies, deux mains paumes ouvertes vers l'agresseur, bras fort en avant l'autre en retrait et enfin, les coudes au niveau des hanches pour se protéger. Profitant de la confusion qui régnait, je chargeais à mon tour le lycéen, son coup de poing maladroit passa tout juste au-dessus mon crane, la scène se déroulait au ralentit ou sans doute était-il seulement trop lent. Un coup puissant avec la base de ma paume en dessous de la mâchoire au niveau de l'oreille fit basculer l'imposant garçon en arrière. Affalé sur le sol poisseux et emplit d'insectes, l'adversaire ne bougeait plus, mon cœur rata un battement, l'avais-je tué ? Dans un long silence reposant, seul le son des talons en bois claquant contre le goudron résonnait dans la ruelle étroite et humide, sa tête était penchée en arrière, ses yeux fermés, j'attendais... sa poitrine se souleva, il était en vie.

  — Alors, toujours chauds pour me prendre en otage les gars ? Le prochain qui essaye de me toucher je lui éclate la gueule, est ce que c'est bien compris ? demandai-je en faisant volte-face. Vous avez vu ça ? C'était cool hein ?

  Un sentiment de puissance différent de ces fois-là ou mon esprit était déconnecté du monde m'avait envahi toute entière, je me sentais forte. Les yeux écarquillés, bouches ouvertes, mines déconfites, peur, c'était ça que je voulais voir chez mes ennemis.

  — J'ai vu que dalle.

  — C'est une blague, c'est toi qui voulais que je me ramène et tu ne regardes même pas ? m'énervai-je.

  — Sinon, moi j'ai vu hein ! fit remarquer Chifuyu non sans manquer de se prendre un coup de poing.

  Tel des chiens en pleine chasse aux lapins, nos adversaires formaient un cercle, emprisonnant mes deux acolytes dans une cage humaine, une ombre se dressa venant largement couvrir la mienne. Dans mon dos, un garçon du même gabarit que le précédent se tenait à l'entrée de la ruelle cachant une grande partie de la lumière. Ses yeux fous me transpercèrent, s'il m'attrapait, je n'arriverai pas à m'en défaire. Agir en première ou se faire démonter ? La question ne se posait pas, fonçant sur lui, une impulsion me fit décoller du sol, mes bottes vinrent violemment se répercuter sur le torse du géant, s'enfonçant dans la masse, nous retombâmes au sol, la secousse me fit basculer en avant et manqua de me faire trébucher.

  — Salope, qu'est ce que tu as fait à mon frère ?

  — Je te conseil d'être plus poli avec moi, un peu de respect, menaçai-je en levant le pied pour venir prendre sa gorge en otage. Désolé pour ton frère, je n'avais rien fait, il ne fallait pas m'attaquer. En parlant de ça, qui êtes-vous ? Pourquoi vous vous en êtes pris à Baji ?

  A défaut de ne pas me sentir à ma place dans cette bagarre, d'être effrayée et peu sure de moi, je n'en laissais rien paraitre, pour devenir une femme forte, il fallait masquer chaque émotion, chaque geste de faiblesse.

  — Rien à foutre de tes questions.

  — Tu gagnes tout à me dire quelque chose, dans le cas contraire, ta trachée va prendre cher, ne penses pas que ce sont des paroles en l'air.

  C'était des paroles en l'air, étrangler quelqu'un, je n'en étais pas capable.

  — On est le groupe Anti-Toman.

  —Pardon ?

  Il y avait un regroupement de personne qui détestaient le Toman ? Plus tard, avec le recul, c'était logique que des personnes se rebellent, nous n'étions pas dans le monde magique des bisounours mais sur le moment, je clignais juste des yeux cherchant une faille à travers l'obscurité pour détecter un quelconque mensonge. Moebius mit hors-jeux, un nouveau groupe apparaissait. Frissonnant, une vive douleur m'engourdit toute l'épaule droite, je m'affalai contre le mur non sans un cri de surprise mêlé à celui de la douleur.

  — Livia ! m'appela Chifuyu d'une voix saccadée plus loin.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top