9 - Introspection
De retour chez elle, Yukino ne savait toujours pas quoi penser de cette rencontre. D'un côté, elle devait reconnaître que Taiju Shiba était captivant. Il avait une présence magnétique, presque animale, et, à son contact, elle sentait un délicieux frisson d'excitation mêlée de peur la parcourir. Mais d'un autre...
Il est dangereux... Je ne sais pas à quel point, mais je le sens...
Yukino n'avait pas le moindre doute à ce sujet. Taiju Shiba n'était pas ce qu'on appelait un garçon fréquentable.
Pourtant, elle savait qu'elle le reverrait.
On se verra lundi si tu y tiens.... Lui avait-il dit.
Lui aussi semblait habité de sentiments partagés à son égard.
Durant toute leur conversation, il avait passé autant de temps à tenter de la faire fuir qu'à effacer l'espace qui les séparait.
Si tu y tiens...
C'était ses mots.
Est-ce qu'il s'imagine que la décision ne viendra que de moi ? Se demanda-t-elle. Mais pourquoi ne le dit-il pas simplement s'il a envie de me revoir ?
Elle ne comprenait pas son attitude. Pourquoi la repousser si c'était pour lui proposer de se revoir la minute suivante ?
Leur première rencontre lui revint à l'esprit et, avec elle, les deux premiers mots qu'il lui avait adressés.
Refais-le.
Étendue à plat ventre sur son lit, Yukino se mit à pouffer de rire.
Quel genre de personnes dit ça sans même se présenter ?
Son rire s'éteignit peu à peu.
Elle devait admettre que ces manières brutales participaient de cette aura qu'il dégageait. Comme une espèce de diamant brut.
On dirait un garçon qui a été élevé parmi les loups... Il n'a pas de parents ma parole ?
Yukino faillit se remettre à rire, mais elle se souvint des paroles de Yuzuha.
J'ai un paternel invisible et deux abrutis de frangins.
Elle n'avait pas parlé de leur mère. Connaissant Yuzuha, cet oubli n'était pas accidentel.
Elle est peut-être partie, ou bien alors elle est décédée. Les accidents arrivent.
Yukino se laissa rouler sur le dos et contempla le plafond en essayant d'imaginer ce que cela faisait de grandir sans mère, mais elle ne put y arriver.
Si j'avais perdu maman, comprit-elle, je sais que papa aurait été là pour moi... nos liens se seraient même resserrés dans cette épreuve.
Leurs situations à Yuzuha et elle étaient très différentes.
J'ai un père qui m'aime et je ne sais pas ce que c'est d'avoir des frères et sœurs.
Si elle en croyait les paroles de Yuzuha, tout ce qu'elle avait, c'était un petit frère timoré qui n'adressait même pas la parole à l'autre sexe et un grand frère qui tenait plus de la bête que de l'être humain.
Elle n'a pas dû recevoir beaucoup d'affection quand elle était jeune... Pas étonnant qu'elle paraisse si dure maintenant.
Même dans une famille aisée, on pouvait rencontrer des situations très difficiles. Finalement, l'argent ne vous protégeait pas de tout.
Ses pensées revinrent à Taiju et Yukino sentit ses joues chauffer. Elle porta les mains à son visage.
Depuis quand je suis attirée par les mauvais garçons, moi ?
Son corps réagissait instinctivement en sa présence, mais elle n'aurait su dire encore si c'était de l'attirance ou juste de la fascination.
D'ailleurs je n'ai jamais vu quelqu'un d'aussi grand, il doit faire au moins deux mètres !
Sans être particulièrement petite, Yukino était dans la moyenne des filles japonaises et un homme de la taille de Taiju lui semblait gigantesque.
Sans compter sa carrure...
En dépit des plaisanteries qui lui étaient venues à l'esprit un peu plus tôt sur le choix douteux de sa chemise, elle avait été impressionnée par son envergure.
Je ne savais même pas qu'il existait des japonais de ce gabarit, il ne doit pas savoir ce que c'est que passer inaperçu !
Elle rit pour elle-même avant de revenir à la contemplation du plafond.
Et moi, je veux quoi ? Se demanda-t-elle.
Elle prit le temps de se calmer et réfléchit.
Les relations amoureuses n'étaient pas un terrain inconnu pour Yukino. Elle avait beau avoir grandi dans un temple, elle avait déjà fréquenté des garçons. Un an plus tôt, elle était sortie avec un des élèves de sa classe. Un jeune homme toujours en tête de classement, excellent sportif et très populaire. Tous les deux s'étaient fréquentés pendant pratiquement huit mois et ils avaient même couché ensemble, un soir qu'elle était allée chez lui pour réviser.
Yukino l'avait fait pour en apprendre plus. Le sexe l'intriguait, on disait tellement de choses sur le sujet qu'elle brûlait de se faire sa propre opinion.
Après coup, elle devait reconnaître que ça n'avait rien d'exceptionnel. Passés les baisers et les caresses qui étaient plutôt agréables, le reste s'était avéré ennuyeux.
Ça ne vaut vraiment pas tout le tapage que l'on fait autour...
Elle préféra revenir à la personne qui lui occupait l'esprit.
Taiju Shiba.
Est-ce qu'elle souhaitait le revoir ? Est-ce qu'elle avait envie de plus ?
Je ne sais pas... Se dit-elle En fait, il est trop tôt pour que je me sois fait une idée.
Elle réfléchit et ajouta pour elle-même :
En plus, il n'y a pas que moi qui ai mon mot à dire. Tant que je ne sais pas clairement ce qu'il veut, inutile de m'imaginer quoi que ce soit...
Sur cette décision, elle se leva. Elle avait envie de s'entraîner un peu avant le dîner. Le tir à l'arc avait toujours eu le don de lui éclaircir l'esprit.
Deux jours plus tard, Yukino rejoignit le club de kyūdō du lycée après sa journée de classe.
Yana et Haruka lui emboîtèrent le pas aussitôt que la cloche eut sonné. Elles avaient toutes les deux amené leur matériel et le sac contenant leur arc dépassait de leurs épaules.
– Je n'ai pas pu m'empêcher de le sortir hier et de le regarder une bonne partie de la journée, reconnut Yana.
– Moi aussi ! Avoua Haruka. Quel dommage qu'il n'y ait pas de kyūdōjo près de chez moi, je serais allée m'entraîner !
– Vous auriez dû venir au sanctuaire, leur dit Yukino. On aurait pu s'entraîner toutes les trois et passer du temps ensemble.
Les deux adolescentes tournèrent vers elle un regard éperdu de reconnaissance.
– Tu serais vraiment d'accord pour qu'on vienne chez toi ? dit Yana.
– Évidemment, lui dit Yukino. C'est un sanctuaire, mais on y vit comme partout ailleurs. En plus, mon oncle ne pratique plus le kyūdō à cause de ses problèmes de santé et ma tante n'en a jamais fait. C'est vraiment dommage que je sois la seule à utiliser le dojo.
Yana se tourna vers Haruka.
– Qu'est-ce que tu en penses Haruka ? Dit-elle. On pourrait y aller ensemble la prochaine fois, ça serait une bonne idée, et puis on pourrait aussi demander à Yuzuha senpai de nous accompagner ?
– Oui, tu as raison ! S'exclama Haruka. Comme ça, on pourrait s'entraîner toutes les quatre et on deviendrait super fortes ! Je suis sûre qu'on peut remporter les éliminatoires haut la main si on fait beaucoup d'efforts !
Les épreuves qui allaient décider des équipes qui s'affronteraient au tournoi national allaient bientôt commencer et Nanao, le bras droit de Yuzuha au club de kyūdō, ne manquait jamais une occasion de le rappeler aux jeunes recrues.
– Cette année, le titre est à notre portée ! Disait-elle. Ne lâchez rien et on y arrivera ! Kazemai n'a qu'à bien se tenir !
Elle leur avait raconté à tous la désillusion qu'avait connu le club quelques mois plus tôt lorsque l'éternel adversaire de Ikubunkan, le lycée Kazemai, leur avait soufflé la victoire en quart de finale de la coupe.
Les trois adolescentes arrivèrent au pied des escaliers.
– Dis-moi Yukino, reprit Yana, tu n'aurais pas un conseil à nous donner pour que l'on progresse, comment est-ce que tu fais toi par exemple pour ne jamais manquer la cible ?
Yukino réfléchit.
– En fait, dit-elle, je ne me préoccupe pas vraiment de la cible.
– Comment ça ? S'étonna Haruka.
– Je ne saurais pas trop l'expliquer, dit Yukino. Mais disons que ce que je cherche à atteindre c'est une sorte d'équilibre intérieur, de paix. Lorsque je me sens calme, un peu comme la surface d'un lac, la flèche atteint naturellement la cible.
Yana et Haruka gardèrent le silence, surprises. Elles ne s'étaient pas attendues à cette réponse.
– En fait, dit Haruka, c'est toujours comme une cérémonie pour toi.
Yukino sourit.
– C'est ça, dit-elle, je ne connais pas d'autre kyūdō.
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