8 - Sunshine City
Quand les quatre adolescentes arrivèrent au pied du Sunshine 60, le building qui abritait le centre commercial le plus en vogue du quartier de Ikebukuro, Yukino riait encore.
Yana et Haruka ne savaient pas ce qui la faisait rire, mais la tête de Yuzuha les convainquit qu'il valait mieux éviter de demander.
Elles franchirent les doubles portes vitrées et furent aussitôt frappées par le bruit qui régnaient dans les allées.
Musique, annonces, brouhaha de voix... Le Sunshine 60 ne dormait jamais, ou presque, et les habitants de la capitale venaient des quatre coins de la ville pour y faire leurs achats ou simplement y flâner durant leurs journées de congé, comme aujourd'hui.
En plus des boutiques, le Sunshine City accueillait un musée, des restaurants, un planétarium et même un aquarium, le plus haut du Japon, situé au soixantième étage de la tour qui formait le cœur du complexe, ainsi qu'une terrasse d'observation qui offrait un point de vue incroyable sur les alentours.
– Je veux voir la nouvelle collection de chez Beams ! S'exclama Yana en partant devant.
(NDA : Beams est une marque de streetwear très populaire au Japon.)
Son amie la rejoignit en deux pas.
– Moi j'ai faim avant ! Dit-elle. Viens on va manger quelque chose !
Toutes les deux avaient fait livrer leurs matériels de kyūdō chez elles pour avoir les mains libres.
Haruka se tourna vers Yuzuha et Yukino sans ralentir.
– Venez les filles ! Leur cria-t-elle.
Les adolescentes optèrent pour un salon de thé qui donnait sur la grande agora centrale et qui proposait aussi bien des pâtisseries que des plats simples, et elles s'installèrent en terrasse.
– Où est-ce que vous voulez aller ensuite ? Demanda Yana en dégustant une gaufre couverte de chantilly. Moi j'ai envie de voir les vêtements. WEGO et Beams ont sorti leurs nouvelles collections et je n'ai pas encore eu le temps d'y aller !
(NDA : WEGO est aussi une marque de streetwear, elle est plus orientée vers les jeunes cette fois.)
– Et il faut aussi aller voir les chaussures ! Lui rappela Haruka.
Yuzuha sirotait un bubble tea.
– C'est la première fois que Yukino vient au Sunshine, leur fit-elle remarquer. Il faudrait lui montrer aussi les endroits amusants qu'on y trouve.
Yana et Haruka se tournèrent en même temps vers Yukino.
– C'est vrai je n'y avais pas pensé ! Dit Yana.
– J'avais presque oublié que tu viens seulement d'arriver à Tokyo ! Ajouta Haruka.
– Où est-ce que tu aimerais aller en premier ? Demanda Yana. Au planétarium ? Ou alors au Pokemon Center ? Il est incroyable !
– Yana, c'est pas une enfant, protesta Haruka, ne lui propose pas des attractions pour gamins !
Puis elle se tourna vers Yukino :
– Et si on allait à l'aquarium ?
Yuzuha pouffa de rire.
Toutes les deux étaient amusantes.
– Laissa-la respirer, dit-elle. Il y a des centres commerciaux à Kyoto aussi vous savez ?
Yukino, elle, souriait.
L'enthousiasme de ses nouvelles amies était communicatif et elle était heureuse qu'elles cherchent tant à lui faire plaisir.
– Si nous n'avons pas le temps de voir tout ce que l'on veut aujourd'hui, dit-elle, ça n'est pas grave, nous reviendrons un autre jour. Je serais très contente que l'on sorte à nouveau ensemble !
Yana en eut les larmes aux yeux.
– Oui, on recommencera ! Dit-elle.
Yukino réfléchit et reprit.
– Aujourd'hui, j'aimerais bien voir les nouvelles collections dont parlait Yana. Je n'ai pas beaucoup de vêtements dernier cri, dit-elle en montrant la jupe toute simple et le chemisier qu'elle portait, et je voudrais renouveler un peu ma garde-robe.
De sa vie à Kyoto, elle avait gardé l'habitude de s'habiller de manière très classique et ses vêtements étaient ceux d'une jeune fille de bonne famille. Cela ne la gênait pas vraiment, mais elle voulait profiter de son séjour à Tokyo pour essayer d'autres choses. D'autant que, à Tokyo contrairement à Kyoto, on voyait souvent dans les rues des jeunes gens vêtus de façon excentrique et cela la fascinait.
Je me demande à quoi je ressemblerais habillée comme ça ?
Les yeux de Yana se mirent à briller. Elle se redressa à demi, les deux mains à plat sur la table.
– Ça marche ! Dit-elle. Allons voir les vêtements et faire des essayages, qu'est-ce que vous en dites ?
Les jeunes filles passèrent le reste de la matinée à écumer les magasins branchés du centre commercial, essayant tout ce qui leur faisait envie et jouant à jaillir des cabines comme des stars avant un défilé.
Yukino ne s'était pas amusée comme ça depuis longtemps et même Yuzuha avait les joues rougies par le rire après que Haruka ait pris la pose, des lunettes de soleil disproportionnées sur le nez et une robe à volants rouge vif s'évasant autour de ses genoux.
– Regardez ! S'était-elle exclamée. Je suis Haruna Kojima !
(NDA : Haruna Kojima, un des premiers membres du groupe d'idoles AKB48 très célèbre au Japon.)
Elles finirent par se diriger vers la sortie en milieu d'après-midi, les bras chargés de sacs et le porte-monnaie plus léger qu'à leur arrivée.
– Il faudra vraiment qu'on le refasse, dit Yana.
– Oui, mais pour ça il va falloir attendre que je touche mon argent de poche, lui fit remarquer Haruka. Ma mère va me tuer quand elle va voir tout ce que j'ai acheté !
– C'était indispensable, lui rappela Yana. À quoi ça sert d'avoir une tenue géniale si tu n'as pas les chaussures qui vont avec ?
Haruka disait cela, mais elle n'était pas dans le besoin, pas plus que ses trois camarades. Ces adolescentes fréquentaient tout de même un des établissements les plus chers de la capitale et elles venaient de familles aisées.
Haruka leur montra le parc voisin.
– Ça vous dit qu'on aille manger une crêpe avant de rentrer ? Leur dit-elle.
Un camion de vendeur ambulant était garé au beau milieu et une odeur agréable arrivait jusqu'à elles.
– Je ne sais pas, dit Yuzuha, il est déjà tard. Tu as envie d'y aller Yukino ou bien tu préfères rentrer ?
À côté d'elle, Yukino s'était raidie.
Les yeux tournés vers le parc, elle regardait la silhouette qui venait de disparaître au coin d'une allée, derrière un bosquet d'arbres.
Finalement, elle se tourna vers Yuzuha et sourit.
– Je suis un peu fatiguée, dit-elle. Mieux vaut rentrer, nous mangerons des crêpes un autre jour.
Toutes les quatre se séparèrent l'instant d'après et lorsque Yuzuha eut tourné au carrefour, Yukino se dirigea vers le parc.
Le East Ikebukuro Central Park était constitué de deux parties. L'une était dégagée, ouverte et ornée d'une grande fontaine en pierres adossée aux arbres, tandis que l'autre, à laquelle on accédait par deux petits sentiers qui s'échappaient de part de d'autre de la fontaine, était plus discrète et bordée de grands troncs qui donnaient l'illusion d'arpenter un coin de forêt.
Yukino rejoignit sans hésiter cette dernière et elle s'immobilisa à quelques pas derrière la fontaine en voyant les deux personnes qui s'étaient retrouvées là pour discuter.
La première, celle qui partit au moment où elle arriva, était un garçon aux cheveux noirs et au crâne partiellement rasé qui formait sur le côté de sa tête des motifs de lignes horizontales. La seconde ne lui était pas inconnue.
C'était Taiju Shiba.
Yukino s'avança et il se retourna en l'entendant approcher.
Il sourit.
– Oh, dit-il, mademoiselle la kyūdōka, qu'est-ce que tu viens faire par ici ?
Yukino l'avait aperçu lorsque Haruka leur avait proposé d'aller manger une crêpe dans le parc. Elle s'était aussitôt dit qu'elle devait empêcher Yuzuha et son frère de se rencontrer. Elle n'avait pas oublié l'expression sur le visage de Yuzuha lorsqu'elles avaient croisé Taiju à la sortie du lycée quelques jours plus tôt. Elle n'avait pas envie qu'une mauvaise rencontre vienne gâcher leur journée.
Hors de question que Yuzuha garde un mauvais souvenir de cette sortie.
Le problème c'est que Taiju les avait vues lui aussi et qu'il y avait des chances qu'il décide d'aller à la rencontre de sa sœur.
– Rien de spécial, dit-elle plus pour gagner du temps qu'autre chose. Je faisais les boutiques dans le coin quand je t'ai aperçu.
– Hmm ?
Il s'approcha. Yukino se contraignit à rester sur place.
Il était encore plus impressionnant vu de près. Ses avants-bras devaient facilement faire la taille d'une de ses cuisses et son torse semblait sur le point de faire craquer les coutures de sa chemise.
Sans parler de ce tatouage, dont on apercevait l'extrémité dans son cou.
Il pourrait acheter une chemise plus grande quand même... Songea-t-elle pour elle-même. À croire que ça l'amuse de jouer des muscles ainsi.
Le sourire en coin qui n'avait pas quitté les lèvres de Taiju tendait à prouver qu'elle avait raison. Taiju Shiba aimait jouer de la réaction qu'il provoquait chez les autres.
Yukino se redressa.
Hors de question que son petit jeu marche sur elle.
– Et toi ? Reprit-elle. Que fais-tu de beau par ici ?
Elle lui adressa son sourire le plus rayonnant et Taiju parut surpris.
Il se ressaisit.
– Rien de spécial, répondit-il en reprenant ses mots, je faisais juste des affaires dans le coin.
La façon dont il avait insisté sur le mot affaires, indiquait à Yukino qu'il lui donnait un sens particulier.
Elle ignorait lequel, toutefois elle n'était pas suffisamment naïve pour se faire des idées. Elle imaginait bien quel genre d'affaires se traitaient dans un parc, loin des regards indiscrets.
Il essaie de me faire peur, comprit-elle.
À nouveau, elle refusa de céder à sa manœuvre.
– Oh, dit-elle, j'espère que tout s'est déroulé comme tu le souhaitais ?
Cet échange commençait à l'amuser. Il y avait quelque chose de grisant à discuter avec Taiju Shiba, quelque chose auquel elle n'avait jamais goûté avant.
Le goût du risque... Réalisa-t-elle.
– Je n'ai pas à me plaindre, répondit-il sans se départir de l'ombre de son sourire.
Lui aussi semblait s'amuser de plus en plus de la conversation. Il lui trouvait un côté piquant et léger à la fois.
Comme cette fille, se dit-il.
Taiju mentirait s'il disait qu'il n'avait pas pensé à elle ces derniers jours. Sa silhouette dans le dojo, ses mouvements gracieux et fermes, comme son regard qui paraissait transparent et pourtant si assuré à la fois l'avaient marqué.
C'était pour elle qu'il avait attendu devant le lycée l'autre soir, pour apprendre son nom, et c'était aussi pour la revoir qu'il était venu en cours alors qu'il avait décidé d'arrêter.
Il s'approcha un peu plus et Yukino dut lever les yeux pour soutenir son regard.
– Une jeune fille de bonne famille, lui dit-il dans un souffle, ne devrait pas traîner dans les coins perdus avec des gars comme moi.
– Je peux crier très fort si besoin, lui répondit-elle sur le même ton.
Cette fille avait vraiment réponse à tout.
Il se redressa en aboyant un rire et tourna les talons.
– J'en doute pas un instant ! S'esclaffa-t-il. Allez, rentre chez toi. On se verra au lycée lundi si tu as toujours envie !
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