51 - Fureur

Yuzuha et Taiju gagnèrent une petite pièce à l'écart mise à la disposition des familles qui souhaitaient s'isoler un peu lors des funérailles.

– Qu'est-ce que tu veux Yu ? Demanda Taiju.

Il gardait les yeux fixés sur le jardin que l'on apercevait par la fenêtre parce qu'il était certain que s'il se tournait vers sa sœur, il lirait le reproche sur son visage.

Il avait laissé mourir Hakkai. Il avait abandonné leur petit frère. Une fois de plus.

Il n'était qu'un moins que rien comme frère.

Pardonne-moi Hakkai...

– J'ai parlé au flic chargé de l'enquête, lui dit Yuzuha. Et tu ne vas pas croire ce qu'il m'a dit.

Taiju lui jeta un œil par-dessus son épaule. Il ne s'attendait pas au tour que prenait la conversation.

Yuzuha reprit.

– Mitsuya et... Hakkai – elle avait buté sur le nom de son petit frère, la gorge serrée – ne sont pas les seuls à avoir trouvé la mort. Dernièrement, Ken Rūygūji, Chifuyu Matsuno, les frères Kawata, mais aussi Haruki Hayashida, Ryohei Hayashi... ils ont tous été assassinés.

Taiju se tourna vers elle.

– Tout le Toman...? Dit-il.

Yuzuha hocha la tête.

– C'est ça, dit-elle. Tous les cadres historiques du Tokyo Manji sont morts. Hormis Mikey. Tu sais ce que ça signifie ?

Une expression féroce apparut sur le visage de Taiju.

Oui, il le savait parfaitement.

– Ils ont fait le ménage, dit-il.

Ces dernières années, le Toman, le petit gang de bōsōzokus que Manjirō Sano, alias Mikey, avait créé quand il était jeune, était devenu le plus grand clan criminel de la capitale, loin devant les anciens clans yakuzas qui avaient dû s'incliner devant sa montée en puissance.

Et aujourd'hui, le Toman venait de couper définitivement les ponts avec son passé en supprimant les personnes qui l'avaient fondé.

Un nouveau Toman venait de naître. Ou plutôt, le Toman, tel que tous l'avaient connu autrefois, n'existait plus désormais.

Taiju n'avait jamais eu à faire directement à eux, mais il en avait entendu parler et les rumeurs qui étaient parvenues jusqu'à lui faisaient froid dans le dos. Meurtres, trafic de drogues, chantage, extorsion... il n'était aucun crime dans lequel le Toman n'ait pas trempé.

– Je ne sais pas ce qui se passe au sein du gang, dit Yuzuha, mais quelqu'un a dû estimer qu'il était temps de se débarrasser des anciens.

Taiju serra convulsivement les poings.

– Ces bâtards... Gronda-t-il. Ces putains de bâtards ont tué Hakkai...

Yuzuha le regarda un instant en silence.

Elle s'approcha à son tour de la fenêtre.

– Qu'est-ce que tu vas faire ? Lui demanda-t-elle.

– Ce que je vais faire ? Rugit-il. Je vais tous les défoncer ! Voilà ce que je vais faire !

Il se ressaisit aussitôt.

Non. Il ne devait pas se laisser emporter. Il n'était plus le boss du Black Dragon, il ne faisait plus partie de ce monde-là désormais. C'était fini pour lui les guerres de gang. À présent, il avait une femme qui risquait de se retrouver en danger s'il faisait n'importe quoi, sans oublier sa sœur.

La porte s'ouvrit dans leurs dos avant qu'il ait dit un mot et Yukino entra.

La voix de Taiju lui était parvenue alors qu'elle attendait dans le couloir et elle n'avait pas eu besoin de plus pour comprendre.

Durant une seconde, elle resta debout sur le seuil à se tordre les mains d'angoisse.

Puis elle les rejoignit et prit les doigts de Taiju entre les siens.

–  Taiju ne fais pas ça... Souffla-t-elle, paniquée. Je t'en supplie...

– Yuki...

– J'ai peur, reprit-elle sans le laisser finir. Je ne veux pas qu'il t'arrive quoi que ce soit.

Ce fut Yuzuha qui répondit.

– Elle a raison Taiju, dit-elle. Peu importe comment on regarde les choses, toi et moi nous ne faisons pas le poids face au Toman. C'est fini tout ça.

Elle détourna et ajouta :

– Moi aussi je voudrais leur faire payer ce qu'ils ont fait à Hakkai, mais... nous devons regarder la réalité en face. Le Toman est un monstre que nous ne pouvons pas abattre.

Ses épaules tremblaient de fureur.

Yukino et elle avaient raison, comprit Taiju. C'était un combat perdu d'avance. S'il se jetait aveuglement dans l'affrontement, le Toman n'hésiterait pas à écraser tout ce qu'il avait bâti et à s'en prendre à Yuki.

Parce que ça n'est pas une bataille que l'on peut gagner avec ses poings.

Ce constat le fit grincer des dents.

Il réussit à se calmer et demanda à Yuzuha :

– Et toi ? Dit-il. Qu'est-ce que tu vas faire ?

Yuzuha se tourna vers eux. Une lueur de détermination brillait dans son regard. Elle semblait avoir déjà réfléchi à la question.

– Je vais partir, dit-elle. Quitter le Japon.

Yukino et Taiju demeurèrent pétrifiés.

– Comment cela ? Dit Yukino.

– Je ne peux pas rester ici, reprit Yuzuha. Tout me rappelle Hakkai... mon travail... le moindre coin de rue...

Elle s'interrompit et inspira pour retrouver une contenance et refouler les larmes qu'elle avait senti monter.

Puis elle ajouta :

– J'ai eu une proposition il y a quelque temps, dit-elle, à Los Angeles, dans une grande agence de mannequinat. Au début, je ne pensais pas l'accepter, mais maintenant je crois que c'est exactement ce qu'il me faut. J'ai pris déjà un billet d'avion. Je pars après-demain.

– Si vite ? S'affola Yukino.

Yuzuha hocha la tête.

– C'est ce qu'il y a de mieux à faire, dit-elle.

Taiju lui, n'avait pas lâché les doigts de Yukino.

– Tu es décidée n'est-ce pas ? Dit-il.

Yuzuha ne répondit pas, mais son regard le fit pour elle. Elle ne changerait pas d'avis.




La cérémonie fut plus pesante encore que Yukino l'avait redouté. Tout dans la pièce semblait l'écraser, depuis les bouquets de fleurs blanches au parfum trop lourd, jusqu'aux paroles du prêtre bouddhiste chargé de la cérémonie.

(NDA : Au Japon, les cérémonies funéraires sont généralement bouddhistes. En effet pour le shintoïsme, l'idée d'un monde après la mort n'existe pas, même si les âmes des morts pour eux sont bien réelles. Pour faire simple, la religion shinto se charge le plus souvent des cérémonies ayant trait à la vie : mariage, naissance, etc, tandis que le bouddhisme s'occupe lui des cérémonies liées à la mort et aux commémorations.)

Sans compter que demain auront lieu les obsèques de Mitsuya.

Cette pensée lui serra le cœur comme dans un étau.

C'était inhumain de perdre ainsi deux personnes à la fois.

 En plus de cela, au chagrin d'avoir perdu le frère de Taiju et Yuzuha, et Takashi Mitsuya, venait de s'ajouter celui du départ de Yuzuha.

Je la comprends, se dit Yukino. À sa place, je ferais sûrement la même chose.

Mais cela ne lui en brisait pas moins le cœur.




Le surlendemain, le couple accompagna Yuzuha à l'aéroport de Tokyo Haneda.

Au milieu de la foule des passagers qui sillonnaient le terminal en tout sens, Yukino se sentait toute petite. 

Elle se serra contre Taiju sans savoir quoi dire.

– Yuzuha... Commença-t-elle.

Yuzuha la coupa aussitôt.

– Ne fais pas cette tête, lui dit-elle. On se reverra. Vous viendrez en vacances et vous baverez d'envie quand vous verrez que je suis devenue plus riche que vous.

Yukino réussit à esquisser un sourire.

– De toute façon, ajouta Yuzuha, Los Angeles est la ville pour réussir dans la mode, alors je serais inévitablement partie tôt ou tard.




Après le départ de Yuzuha, la vie reprit peu à peu son cours, même elle semblait avoir perdu toute saveur.

Yukino scrutait à présent les visages de chaque client, se demandant si derrière ces sourires ne se cachaient pas un des meurtriers de Hakkai.

La peur était entrée dans sa vie et elle ne paraissait pas prête d'en sortir.

Taiju, qui n'était pas d'un naturel démonstratif, se referma encore un peu plus.

La culpabilité le rongeait, Yukino le savait, mais il n'y avait que le temps qui pourrait le soulager de ce fardeau.

Il prit l'habitude d'aller à l'église tous les jours prier pour le repos de son frère et passait là-bas de longues heures dans la petite église que leur famille fréquentait par le passé.

Ce fut un de ces soirs, alors que le restaurant venait de fermer en fin de journée et que Yukino était dans le bureau en train de remplir des papiers, que Taiju revint en compagnie de deux hommes qu'il avait rencontrés là-bas.

– Installez-vous, leur dit-il en leur désignant l'espace VIP, sous le grand aquarium. Faites comme chez vous, c'est moi le patron.

Takemichi Hanagaki, un ancien proche du boss du Toman, mais aussi l'homme qui avait mis fin à la carrière de Taiju en tant que chef de gang douze ans plus tôt, jeta un œil impressionné autour de lui.

– Vraiment ? Dit-il. C'est ton restaurant ?

Hanagaki était un petit homme au regard clair et naïf et à la masse de cheveux sombres et indisciplinés.

Il contempla un instant le requin qui nageait au-dessus d'eux et finit par s'asseoir, une expression inquiète sur les traits.

À côté de lui, Naoto Tachibana, un inspecteur de police et un ami de Hanagaki, prit place sur la banquette.

Il n'aimait pas cet endroit et il n'aimait pas Taiju Shiba. Mais il avait compris que ce dernier pouvait leur en apprendre plus sur le Toman et Tachibana ne voulait pas laisser passer cette chance.

Comme Taiju, Naoto avait perdu un proche, tué par le Toman. Hinata Tachibana, sa sœur et l'ancienne petite amie de Hanagaki, avait été assassinée un peu auparavant.

– Takemichi me dit que vous pourriez nous aider dans notre enquête, entra-t-il directement dans le vif du sujet.

Taiju tourna les yeux vers lui.

– Que les choses soient claires, dit-il, je n'ai aucune envie de collaborer avec la police, mais après ce que le Toman a fait à mon frère, ils l'ont bien cherché.

Takemichi déglutit.

Ce soir, il allait peut-être enfin découvrir les pièces manquantes du puzzle.


NDA : J'ai joué un peu avec la chronologie ici, en effet dans le manga, Takemichi revenait tout juste des obsèques de Mitsuya et les morts de Hakkai et de Mitsuya étaient plus espacées dans le temps.

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