4 - Kyūdō
Le lendemain, Yukino se rendit au club de tir à l'arc après les cours.
Cette fois, elle avait apporté sa tenue et son matériel. Le sac contenant son arc dépassait de son épaule.
Les lycéens utilisaient généralement des arcs modernes en fibres de carbone achetés en magasin de sport, mais elle leur avait toujours préféré ceux en bambou fabriqués par un artisan. Ils étaient plus difficiles d'entretien, plus capricieux en quelque sorte, mais elle leur trouvait plus de personnalité, presque une âme, et le son qu'il rendait n'était pas le même à ses oreilles.
– Aujourd'hui, expliqua Yuzuha aux quatre jeunes recrues du club assis sur leurs talons devant elle, je vais vous expliquer en quoi consiste exactement les huit étapes du tir. Ensuite, nous passerons aux exercices.
Elle se tourna vers Yukino et lui fit signe d'approcher.
– Yukino nous servira d'exemple, reprit-elle, elle pratique le kyūdō depuis qu'elle est petite et elle a déjà remporté plusieurs compétitions.
La nouvelle que la championne des collèges se trouvait parmi eux avait fait le tour des membres du club plus tôt et tous avaient maintenant hâte de la voir à l'œuvre.
Nanao, l'amie de Yuzuha, s'installa en bout de dojo pour ne rien louper.
Elle était presque aussi tendue que la corde de son arc.
– Il existe huit phases distinctes dans un tir, expliqua Yuzuha, et elles doivent toutes être accomplies avec la même concentration.
Yukino se mit en place et, autour d'elle, le silence se fit.
Comme à chaque fois qu'elle se préparait à décocher, elle sentit son esprit se vider.
Le calme l'envahit et ses pensées s'apaisèrent tandis qu'elle expirait.
Yuzuha commença ses explications.
Face aux cibles, Yukino exécuta une à une les étapes que Yuzuha décrivait.
Peu à peu, son corps, son arc et sa flèche ne firent plus qu'un et quand elle souleva son arc au-dessus de sa tête, ses bras n'en étaient plus qu'une extension.
Elle l'abaissa, son souffle suivant le rythme de ses mouvements, et sentit qu'elle avait atteint l'harmonie.
Elle libéra sa flèche qui fila dans un sifflement vers la cible.
La corde frémit, laissant échapper ce son si caractéristique du kyūdō – le tsurune – et le tchonk ! de la flèche qui s'était fichée au cœur de la cible ne fut suivi d'aucun bruit.
Quand elle se retourna, Yukino vit tous les visages levés vers elle.
Nanao avait la bouche ouverte et ses camarades avaient les yeux écarquillés. Même Yuzuha s'était tue.
Le tir de Yukino ne ressemblait pas à celui que Yuzuha leur avait montré la veille. En fait, il ne ressemblait à rien de ce qu'ils avaient vu par le passé. C'était celui d'une miko, d'une prêtresse, en train d'accomplir une cérémonie. Il s'en dégageait une telle sérénité, une telle pureté, qu'ils avaient l'impression d'avoir été balayés par un vent frais qui les avait nettoyés jusqu'au fond de l'âme.
La différence avec le tir tout en puissance et en assurance de Yuzuha était si flagrante, que même les novices l'avaient perçue.
Tous les deux avaient atteint la cible, pourtant ils n'avaient rien d'autre en commun.
– On aurait dit un oiseau qui prend son envol... Souffla une jeune fille de première année.
À côté d'elle, sa voisine opina sans réussir à dire un mot. Elle était encore sous le choc. Jamais elle n'aurait pensé que le kyūdō pouvait provoquer ce genre de sensations.
La seconde suivante, elle sourit, la poitrine pleine de chaleur.
Moi aussi je veux apprendre à faire ça ! Se dit-elle.
Yuzuha les parcourut des yeux.
Yukino Toma était vraiment une recrue de premier ordre.
À la fin de la séance, les élèves entreprirent de ranger le matériel qu'ils avaient utilisé et Yukino se dirigea vers Yuzuha.
– Shiba senpai, l'appela-t-elle.
Yuzuha se retourna.
– Appelle-moi Yuzuha, lui dit-elle. Shiba senpai ça fait trop formel.
Yukino se reprit.
– Très bien, Yuzuha... J'aimerais m'entraîner encore un peu, est-ce que tu accepterais de me laisser fermer le club ce soir ? Je te promets que je rangerai derrière moi et que je ramènerai la clé en salle des professeurs.
– Oui, bien sûr, lui assura Yuzuha. Mais pourquoi ? Tu n'es pas satisfaite de l'entraînement d'aujourd'hui ?
Même si elle redoutait de l'entendre, Yuzuha craignait que les exercices qu'elle avait proposés n'aient pas plu à une championne du niveau de Yukino.
– Oh si ! C'était très bien ! J'ai appris de nouveaux exercices et tu es vraiment un très bon professeur, simplement j'ai l'habitude de m'entraîner davantage.
– Vraiment ? Reprit Yuzuha, intriguée. Par curiosité, combien de temps t'entraînes-tu chaque jour ?
Yukino réfléchit.
– Je ne compte pas en heures, dit-elle, mais en tirs. Généralement, je tire une centaine de flèches par jour, parfois davantage.
Autour d'elles, les autres membres du club s'étaient figés, abasourdis.
– Cent ? Bredouilla une jeune fille de deuxième année.
– C'est possible ça ? Dit une autre.
Les lycéens se regardèrent.
Rien d'étonnant à ce que Yukino ait atteint un tel niveau avec une pratique aussi intensive depuis l'enfance.
Même Yuzuha était sous le choc.
– Tu peux rester, répondit-elle enfin. Je n'y vois aucun inconvénient.
– Je te remercie !
Taiju s'arrêta sur le parking presque vide du lycée, le moteur de sa moto grondant sous lui, et il regarda les alentours. L'endroit était réservé aux professeurs en temps normal, mais à cette heure, personne ne lui dirait quoi que ce soit.
– Et même si quelqu'un venait, dit-il tout haut, il n'aurait qu'à aller se faire foutre.
Il n'était pas du genre à se laisser dicter sa conduite, et surtout pas par un fonctionnaire.
Il coupa le contact et enjamba l'engin. Il n'avait pas un gros effort à faire, il était si grand qu'il lui suffisait de lever la jambe pour mettre pied à terre.
Tandis qu'il se levait, les amortisseurs de la moto chuintèrent et le deux-roues se souleva de plusieurs centimètres.
Il faut dire que Taiju Shiba était plus qu'une force de la nature. C'était une véritable montagne de muscles avec qui personne, ou presque, ne pouvait rivaliser.
La veille, il ne s'était pas présenté à la rentrée des classes.
Il n'en avait rien à faire du lycée. De toute façon, il ne comptait pas y revenir.
Trois mois plus tôt, le gang qu'il avait fait renaître de ses cendres avec Inupi et Koko avait été écrasé par deux types. Seulement deux. Et même lui avait été vaincu par un gamin qui lui arrivait à peine au-dessus de la ceinture.
– Foutu nabot de mes deux... Grommela-t-il en se dirigeant vers l'entrée.
Mais celui qui l'avait le plus marqué, c'était ce petit blondinet qui avait refusé de lâcher l'affaire alors qu'il n'était pas de taille. Celui qui avait ouvert les yeux à Hakkai et fait de lui un homme alors même que Taiju essayait d'y parvenir depuis qu'ils étaient gosses.
Qu'est-ce qu'il a que je n'ai pas ? Se demandait-il encore.
La réponse, il la cherchait toujours.
Mais il voulait bien admettre désormais qu'il avait fait fausse route avec son frère.
Comme avec Yuzu d'ailleurs...
Toutefois, il se faisait moins de soucis pour Yuzuha que pour Hakkai.
Elle a plus de couilles que la plupart des mecs que je connais...
Même s'il ne l'admettrait jamais, Taiju admirait le courage de Yuzuha. La façon dont elle avait tenu bon face à lui toutes ces années l'avait impressionné.
Et avait rendu plus insupportable encore la lâcheté de Hakkai.
Mais tout cela, c'était du passé.
Après sa défaite, il avait quitté la maison familiale pour aller squatter à l'hôtel et, quelques semaines plus tôt, il avait enfin trouvé un appartement.
Aujourd'hui, il venait rendre ses clés à Yuzuha.
Il ne mettrait plus les pieds chez eux. En tout cas plus sans y être invité. C'était fini.
Il contourna le bâtiment et entendit le choc des flèches sur la cible avant d'apercevoir le kyūdōjo.
Il avait vu juste, Yuzuha était encore en train de s'entraîner.
Qu'est-ce que sa sœur pouvait bien trouver à ce sport de tapettes ? Le tir à l'arc ne demandait aucun effort. En plus, il n'y avait que les filles et les mecs faibles qui utilisaient des armes. Les vrais hommes se battaient avec leurs poings.
Yuzu avait bien tenté de lui expliquer autrefois, mais Taiju n'avait rien compris.
Il avait été question de connaissance de soi, de fermeté, de contrôle de ses émotions... Taiju l'avait regardé comme un imbécile.
Le but, c'était bien d'envoyer la flèche au milieu de la cible, non ? Alors c'était quoi ces conneries ?
Il contourna le bâtiment et commença à s'interroger. Ça n'était pas le bruit qu'il entendait d'habitude quand Yuzuha s'entraînait.
Une nouvelle flèche frappa la cible et Taiju frémit.
Ce son. C'était comme si une vibration lui avait empli la poitrine.
Il s'immobilisa et écouta à nouveau.
Non, ça n'était pas Yuzuha. Il en était sûr à présent.
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