35 - Azabu Church

Parvenu sur le parking où il avait laissé sa moto, Taiju s'arrêta une seconde pour jeter un œil au contenu de l'enveloppe que venait de lui remettre Koko.

Tous les documents concernant le compte bancaire sur lequel ce dernier avait déposé les fonds issus de leurs anciens trafics se trouvaient là. Taiju n'aurait qu'à se présenter à la banque, prouver son identité, et il serait à la tête d'une petite fortune qui allait lui permettre de donner vie à son rêve.

Enfin...

Il referma l'enveloppe et la rangea dans sa poche avant d'enjamber sa moto.

Il savait déjà comment il allait investir cet argent. Une tour était en construction à Ginza, le quartier connu pour ses boutiques de luxe, à même pas deux pas du boulevard où les plus grandes marques avaient pignon sur rue. Ce serait l'endroit idéal pour ouvrir un restaurant étoilé.

Taiju imaginait déjà les immenses baies vitrées qui laisseraient la lumière entrer à flots durant la journée et offrirait, le soir, un point de vue inoubliable sur la capitale.

Maintenant, il faut que je trouve un chef... un des meilleurs. J'ai entendu parler de plusieurs types qui ont travaillé en Europe ces dernières années. Je vais tâcher d'en engager un.

Taiju ne regrettait qu'une chose, c'était de ne plus pouvoir faire appel aux services de Koko désormais.

Ce mec m'aurait été bien utile pour monter ma boîte. Tant pis, je me débrouillerai sans lui.

Un instant, il se demanda si Inupi et Koko se rangeraient un jour ou s'ils continueraient à évoluer dans le milieu de la délinquance.

C'est plus mes affaires, mais je me demande des fois s'ils savent où ils vont... enfin si Koko sait où il va, parce que Inupi le suivra quoi qu'il fasse.

Du temps où il dirigeait la dixième génération du Black Dragon, les liens entre les deux garçons ne lui avaient pas échappé. Taiju ne savait rien d'eux ou de leur histoire, mais il se doutait qu'il y avait plus entre ces deux-là qu'une amitié d'enfance.

Ils n'ont pas l'air d'être en couple pourtant...

Il repoussa cette idée dans un coin de sa tête. Ça ne le regardait pas. Maintenant, il allait se lancer dans les affaires, mais avant cela, il avait une chose à faire...  Remercier la puissance divine des bienfaits qu'elle lui avait accordés.




Le week-end suivant, Yukino descendit de la moto et leva les yeux vers la flèche du clocher qui se dressait au-dessus d'eux.

– C'est très impressionnant, dit-elle en lui rendant son casque.

Taiju le déposa sur la selle et il lui prit la main.

– Tu n'es jamais entrée dans une église ? Lui demanda-t-il.

Quand il lui avait dit, quelques jours plus tôt, qu'il comptait aller prier, elle avait insisté pour venir avec lui.

Elle n'avait jamais vu une église catholique de près et y était encore moins entrée, mais cette religion, si différente de la sienne, l'intriguait.

Elle secoua la tête.

– Non, jamais, dit-elle. Je suis déjà passée devant des églises, il y en a aussi à Kyoto même si elles sont rares, mais je n'y ai jamais vraiment prêté attention.

Elle mit sa main en visière pour examiner l'architecture. Cette dernière était très différente des lieux saints shintō auxquels elle était habituée. Ceux-là étaient le plus souvent réalisés en bois pour rappeler leur proximité avec la nature, alors que le bâtiment qu'elle avait sous les yeux était tout en pierres de taille, surmontées de sculptures en bas-relief et d'une croix en marbre qui étincelait sous le soleil.

Il s'en dégageait une impression de force et de solidité, sans doute destinée à donner aux visiteurs une idée des valeurs de la religion qu'il abritait.

– On y va ? Dit-elle en l'entraînant en avant.

Les marches s'élevaient au-dessus d'une esplanade couverte de gravier blanc jusqu'à une haute porte en bois sculptée et Yukino se retourna à demi parvenue en haut.

La présence d'une église en plein cœur de Tokyo n'avait rien d'exceptionnelle. Ici, les building cotôyaient les temples et les sanctuaires, et seul l'exotisme d'un bâtiment qui semblait tout droit sorti du Moyen-Âge européen attirait l'attention.

La première chose qui la frappa en entrant, ce fut l'odeur.

De l'encens... S'aperçut-elle.

Quels que soient les sanctuaires, finalement les rites avaient souvent des traits en commun.

La seconde chose qu'elle remarqua, c'est la fraîcheur qui régnait entre ces murs de pierre.

Il fait même froid en réalité, se dit-elle en ramenant les pans de sa veste fine contre elle dans un frisson.

Taiju s'immobilisa après avoir franchi le seuil et il la regarda.

Yukino leva les yeux vers lui et elle se demanda une seconde pourquoi il la dévisageait ainsi.

Puis elle comprit et sourit.

– Tu pensais que j'allais être foudroyée sur place ? Lui demanda-t-elle.

– J'avoue que je me suis posé la question un instant, répondit-il.

Yukino étouffa un rire et elle le laissa devant une imposante vasque en pierre contenant un fond d'eau.

Taiju alla y plonger le bout des doigts avant de se signer les yeux clos. Il rejoignit ensuite les bancs en bois et s'installa à mi-chemin de la nef, les mains croisées et le front bas.

Yukino vit qu'il avait sorti un chapelet de sa poche et qu'il l'égrenait avec lenteur. Pour ne pas le déranger, elle commença à faire le tour des lieux.

L'église catholique de Azabu était située au nord de Azabujūban, dans un quartier résidentiel qui abritait essentiellement des petits immeubles et des magasins de proximité. D'après ce qu'elle avait compris, la ville avait grandi autour de l'église bâtie pratiquement cent-vingt ans plus tôt. C'était un record de longévité pour une construction japonaise. Généralement, les bâtiments n'étaient pas destinés à durer si longtemps dans ce pays et même les temples étaient régulièrement reconstruits, que ce soit en totalité ou en partie.

La petite église était bordée sur deux côtés par des fenêtres cintrées, séparées par des gravures et des images en couleur issues de l'ancien et du nouveau testament.

Yukino les examina en silence une à une.

La plupart représentait des scènes angoissantes d'agonies et de chagrin, mais elle remarqua tout de même plusieurs planches montrant la mère de Jésus tenant son fils, encore bébé, dans ses bras, une expression touchante sur les traits.

C'est vraiment très différent de ce que je connais...

Elle poursuivit sa visite jusqu'à arriver devant le chœur et l'autel décoré ce jour-là d'un imposant bouquet de lys blancs posé sur une nappe immaculée.

Le parfum des fleurs se mêlait à celui de l'encens, lui rappelant les sanctuaires dans lesquels elle avait toujours vécu et elle resta là, un moment, comme à se recueillir.

Ce fut la voix de Taiju qui la tira de sa rêverie.

– Yuki ?

Elle tourna les yeux vers lui.

– Tu as fini ? Dit-elle.

– Oui.

Il jeta un instant un œil au crucifix qui les surplombait avant de se diriger vers un des bras du transept, cette partie de l'église qui coupait la nef à angle droit.

Yukino lui emboîta le pas.

Là, elle découvrit un renfoncement dans lequel avait été dressé un porte-cierges recouvert de plusieurs dizaines de bougies, de la plus modeste à la plus impressionnante. Certaines étaient éteintes et leur cire avait coulé sur le métal, formant des stalactites pâles, mais la plupart brillaient encore vivement, donnant à l'alcôve des allures de grotte sainte.

Ici aussi, des gravures avaient été accrochées. Elles étaient plus grandes que dans la nef principale et la lueur qui montait des cierges faisaient danser les scènes qu'elles représentaient et semblait leur donner vie.

Taiju glissa de l'argent dans l'urne voisine et il alluma une bougie qu'il ficha sur une pique du râtelier avant de joindre à nouveau ses mains.

Yukino le regarda faire avant de le saisir par la manche.

– Est-ce que je peux le faire moi aussi ? Lui demanda-t-elle.

Ce rituel lui rappelait celui qui consistait à faire sonner une cloche en bronze à l'entrée d'un sanctuaire shintō après avoir déposé de l'argent dans le saisenbako – le coffre en bois où les fidèles plaçaient leurs offrandes – pour attirer l'attention des divinités et appeler leur bienveillance sur soi et sur ses proches.

Taiju la regarda, surpris, puis il opina.

– Bien sûr, dit-il.

Comme il l'avait fait un instant plus tôt, Yukino tira de l'argent de son sac et le déposa dans l'urne avant de choisir une des bougies laissées à disposition des croyants.

Elle en choisit une petite qu'elle alluma à la flamme de celle que Taiju avait déposé la minute d'avant et ficha la sienne à côté.

Elle joignit alors les mains, les frappa l'une contre l'autre comme elle l'aurait fait dans un sanctuaire et s'inclina, les yeux fermés.

Ne prenez pas ombrage de ma démarche ni de ma présence en ces lieux et ayez la bonté de veiller sur ceux que je chéris.

Lorsqu'elle rouvrit les yeux, elle vit Taiju qui la regardait toujours, stupéfait.

– Qu'y a-t-il ? Dit-elle.

Il secoua la tête.

– Rien.

Pendant un instant, il avait été envahi par un sentiment étrange en la voyant, là, à côté de lui, à prier comme il le faisait.

Cette fille me fait perdre tous mes moyens... Murmura-t-il pour lui-même en ramenant les yeux sur les bougies sans comprendre cette sensation qui s'agitait dans sa poitrine.

Mais la vérité, il le savait, c'est qu'il était heureux.


NDA : vous avez vu l'église ?? Je l'ai choisie pour sa ressemblance avec celle du manga... Je ne sais pas si c'était à cet endroit que l'auteur pensait, mais c'est possible après tout.

(人^ᴗ^)⋆˙⟡♡

Les japonais n'ont plus vraiment de problème avec les religions monothéistes comme ça a pu être le cas par le passé. En fait, leur propre foi regroupant de nombreuses divinités, ils n'ont aucune hésitation à intégrer les dieux des autres religions dans leur panthéon. C'est ainsi qu'un japonais peut participer à une cérémonie bouddhiste un jour, une cérémonie shinto le lendemain et avoir des croyances catholiques, juives ou musulmanes.

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