30 - Grande sœur
Yukino rejoignit le groupe de lycéens qui attendait devant le dojo.
Quand Yana la vit arriver, elle vint à sa rencontre.
– Yukino ! Dit-elle. Je ne t'ai pas vue dans ta classe en passant ! Tout va bien ?
– Oui, j'étais aux toilettes, répondit Yukino, je ne me sentais pas très bien, mais ça va mieux maintenant.
Haruka les rejoignit. Elle la regarda à son tour.
– C'est vrai que tu es pâle... Reconnut-elle. Tu es malade ? Tu es sûre que ça va aller ? Tu devrais peut-être te reposer ?
L'arrivée de Yuzuha évita à Yukino d'avoir à répondre.
Une fois changés pour l'entraînement, Yuzuha les rassembla.
– Nous avons échoué au pied du podium, leur dit-elle lorsque le silence fut revenu dans le petit groupe. Mais nous nous rapprochons un peu plus du sommet à chaque fois, alors ne lâchez rien ! L'année prochaine sera la bonne !
Son bref discours suffit à les remotiver.
Yana jeta un œil autour d'elle alors que tout le monde se dirigeait vers son matériel.
– Aido kun n'est pas là ? Remarqua-telle.
L'autre garçon, celui qui était dans sa classe, lui répondit.
– Il s'est blessé ce matin, lui apprit-il. Apparemment il a fait une mauvaise chute pendant la pause déjeuner. Sa mère est venue le chercher pour l'emmener chez le médecin.
– Oh... Laissa échapper Yana, déçue. J'espère que ça n'est pas grave.
– Ne t'inquiète pas, la taquina Haruka, il est solide ton amoureux !
Yana piqua un fard et Haruka prit la fuite en riant tandis que Yana la prenait en chasse pour la faire taire.
L'échange n'avait pas échappé à Yukino.
Ainsi, le jeune Aido avait raconté qu'il était tombé. Elle pouvait comprendre. Dans un établissement comme le leur, se retrouver impliqué dans une bagarre, même si l'on n'avait rien fait, ça pouvait vous causer des problèmes.
Elle revit le visage tuméfié de l'adolescent et fronça les sourcils.
Moi aussi, j'espère que ça n'est pas grave...
À la fin de l'entraînement, Yuzuha rejoignit Yukino tandis que les autres commençaient à ranger leurs affaires.
– Yukino, je pourrais te parler dans une minute ?
– Oui, bien sûr. Ça tombe bien, moi aussi je voulais te parler.
Elle alla déposer son gant et son arc pour prendre sa bouteille d'eau avant de revenir vers Yuzuha à qui le camarade de Aido était venu demander un conseil.
Quand il eut terminé, toutes les deux le regardèrent s'éloigner.
– Je suis contente de voir que tout le monde a l'air motivé malgré notre défaite, dit Yuzuha.
– Oui, répondit Yukino en suivant son regard, c'est grâce à toi, tu sais trouver les mots justes.
Yuzuha ne dit rien.
Une fois que l'adolescent fut loin, elle se tourna vers Yukino.
– Yukino, quel est le problème ?
Yukino la regarda, surprise, et Yuzuha poursuivit.
– Tu es différente aujourd'hui. Les autres pensent peut-être que c'est de la fatigue, mais moi je vois bien que ça n'a rien à voir avec du surmenage. Tu as l'air... bouleversée. Qu'est-ce qui ne va pas ? C'est mon frère ? Il a fait une connerie ?
La clairvoyance de Yuzuha laissa Yukino sans voix.
– Oui, reconnut-elle enfin. Tu as raison, c'est Taiju...
Lorsque tous les membres du club eurent quitté le dojo, Yukino lui raconta la scène à laquelle elle avait assistée sans rien lui cacher et Yuzuha l'écouta en silence.
Quand elle eut fini, la sœur de Taiju lui prit vivement le visage entre les mains.
– Est-ce qu'il t'a frappée ? Dit-elle en la scrutant sous toutes les coutures. Tu peux me le dire ! S'il a levé la main sur toi, il va voir du pays ce gigantesque crétin !
Yukino posa une main sur la sienne.
– Non, rassure-toi, dit-elle. Il ne m'a pas fait de mal. Pas à moi. Mais je ne comprends toujours pas ce qui lui a pris.
Elle réfléchit.
– ... Peut-être, dit-elle avec le recul, qu'il s'est imaginé que Aido et moi...
– Arrête ça, la coupa Yuzuha sans la lâcher.
Yukino lui jeta un regard étonné et Yuzuha reprit.
– Ne lui cherche pas des excuses, dit-elle. Mon frère s'est comporté comme un gros con, c'est tout.
Elle souffla, recula et fit quelques pas, irritée, les bras croisés sur la poitrine.
– Décidément il n'a pas changé ! S'exclama-t-elle. Toutes ces belles paroles... ces beaux discours... Tout ça pour en arriver là !
Yukino ne dit rien. Elle pouvait comprendre sa colère. Taiju s'était comporté comme il l'avait toujours fait. Avec brutalité et sans explication.
Yuzuha revint vers elle et elle se planta sous son nez.
– Ne prends pas mal ce que je vais te dire Yukino, dit-elle. Mais tu devrais le quitter. Taiju ne t'apportera jamais rien de bon. Je suis bien placée pour le savoir. Un jour il t'enverra à l'hôpital, c'est inévitable, et ce jour-là il sera trop tard. Tu n'as qu'à prendre ça comme un conseil de grande sœur.
Elle avait raison, Yukino le savait. Ce genre d'hommes ne changeait pas. On n'était pas dans un roman à l'eau de rose ou dans un film romantique. Un homme violent retombait toujours tôt ou tard dans ses anciens travers.
Un vent froid lui traversa la poitrine. Elle avait l'impression que son bel été venait brutalement de s'achever.
– Oui, dit-elle. Je pense que c'est ce que je vais faire...
Yuzuha la laissa peu après.
Yukino lui avait demandé si elle pouvait rester pour s'entraîner et rapporter elle-même la clé du dojo en salle des professeurs.
– Le kyūdō m'aide à me détendre, lui avait-elle dit, et aujourd'hui j'en ai vraiment besoin.
– Évidemment, avait répondu Yuzuha.
Avant de sortir, elle s'était immobilisée sur le pas de la porte, la poignée dans la main.
– Est-ce que tu veux que je vienne avec toi, lui avait-elle demandé, quand tu iras parler à Taiju ?
Yukino avait réfléchi.
Est-ce qu'elle avait peur de Taiju au point de se faire accompagner pour le rencontrer ?
– Non, avait-elle dit. Tout ira bien, ne t'inquiète pas.
Elle n'était sûre de rien en réalité, mais elle avait bien l'intention de reprendre le contrôle de sa vie.
Taiju y a fait entrer une violence à laquelle je n'avais jamais été confrontée, se dit-elle, c'est à moi d'en reprendre les rênes. À moi et à personne d'autre.
Elle savait que ce serait difficile. Une telle expérience laissait des traces qui ne s'effaçaient pas. Mais elle était déterminée.
Elle aussi était capable de fermeté.
Mais avant cela, il faut que je me calme.
Et le kyūdō avait toujours eu le don de l'apaiser.
Debout sur le pas de tir, Yukino encocha une nouvelle flèche.
Elle inspira, bloqua sa respiration et les battements de son cœur ralentirent.
La seconde suivante, la flèche fila et se planta dans la cible, à côté des autres.
Autour d'elle, la nuit avait commencé à tomber et les chants des oiseaux, dans les arbres qui bordaient le kyūdōjo, s'étaient tus. Même les voitures sur la route voisine étaient moins nombreuses à présent.
Cela faisait plusieurs heures qu'elle était là, encochant, bandant, tirant sans s'arrêter, si ce n'est pour aller récupérer ses flèches.
Peu à peu, ces dernières s'étaient rapprochées du centre de la cible et elles formaient maintenant un faisceau serré au milieu du cercle de papier. Comme ses pensées, qui s'étaient calmées, lui laissant l'esprit clair.
Taiju était un enfant. Un enfant disproportionné, mais un enfant tout de même avec les réactions d'un tout petit qui n'aime pas être contrarié.
Ce n'est pas à moi de l'éduquer. C'est triste, mais c'est ainsi.
Elle savait qu'elle ne pouvait plus rien ni pour lui ni pour leur relation. Taiju avait fait son choix.
À lui d'en assumer les conséquences.
Un bruit dans son dos lui fit dresser la tête.
Yukino ne se retourna pas. Elle n'en avait pas besoin. Elle savait très bien qui venait d'arriver.
Taiju.
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