3 - Tōgōkuni Jinja

Yukino rentra au sanctuaire le cœur léger ce soir-là.

Après avoir noté son inscription, Yuzuha Shiba et elle avaient pu discuter un moment.

Yukino avait vu juste, Yuzuha était une fille de caractère avec des valeurs solides.

– N'écoute pas trop Nanao, lui avait-elle dit sur le chemin du retour vers le hall du lycée une fois qu'elles avaient été seules. Elle a tendance à se laisser emporter, mais c'est une gentille fille.

– Oui, j'en suis sûre, avait répondu Yukino. Une personne qui aime le kyūdō ne peut pas être vraiment mauvaise.

Yuzuha avait eu un regard surpris se souvint Yukino.

Yukino avait gardé cette habitude de la vie au sanctuaire de toujours faire preuve de franchise. Son père disait constamment qu'il ne sortait rien de bon des non-dits et de l'hypocrisie.

Il lui répétait aussi souvent : Mieux vaut se taire que de mentir ou dire du mal.

C'était ainsi qu'elle avait été élevée.

– C'est ça, avait reconnu Yuzuha. Au fait, ça fait longtemps que tu es à Tokyo ? J'ai cru comprendre que tu habitais Kyoto, non ?

– Oui, mais je suis venue m'installer ici pour suivre le lycée. J'avais très envie de voir la capitale et surtout de changer un peu de vie.

– Je vois, avait dit Yuzuha. Tes parents n'ont pas fait d'histoires ?

– Ma mère a été longue à convaincre, lui avait avoué Yukino, d'ailleurs, elle pense toujours que c'est une mauvaise idée. Mais mon père était plutôt pour. Il dit que les jeunes doivent faire leurs propres expériences.

Yuzuha avait été surprise.

– J'adorerais avoir un père comme ça ! S'était-elle exclamé. Au lieu de ça, j'ai un paternel invisible et deux abrutis de frangins !

– Deux frères ? Moi, je suis fille unique, mais je crois que j'aurais beaucoup aimé avoir un frère.

– Pas comme les miens, tu peux me croire, lui avait assuré Yuzuha. Le plus grand est un crétin fini avec plus de muscles que de cervelle et le plus jeune...

Elle s'était interrompue le temps de fouiller dans son sac et elle avait sorti son téléphone.

Elle avait montré son fond d'écran à Yukino.

– Ça, c'est lui, avait-elle dit. Il s'appelle Hakkai, avait-elle dit. Il est super beau, non ?

Yukino avait examiné la photo.

– Il est plutôt beau garçon c'est vrai, avait-elle reconnu.

– Et bien est-ce que tu me crois si je te dis que cette andouille n'a jamais adressé la parole à une fille ? Avait dit Yuzuha en rangeant son téléphone. C'est tout juste s'il ne fait pas un malaise quand il y en a une qui vient lui parler !

Yukino n'avait pu s'empêcher de rire.

– Un garçon timide, c'est mignon.

– Non, c'est débile ! Avait asséné Yuzuha. En plus, il est tellement trouillard, qu'il a préféré s'inscrire dans un lycée public plutôt que de risquer de croiser notre autre frère ici !

– Tous les deux ne s'entendent pas ? Avait demandé Yukino.

Yuzuha s'était tue. Son visage était devenu sombre.

– C'est plus compliqué que cela... Avait-elle finalement dit.

Comprenant que le sujet était sensible, Yukino avait changé de conversation.

– Les lycées publics sont très bien aussi, avait-elle dit. Il y en a d'excellents.

– Tu parles, avait dit Yuzuha en rigolant, comme si ce genre de choses l'intéressait ! La seule chose qu'il a regardé c'est : est-ce que je suis avec mes potes !

Toutes les deux avaient éclaté de rire. Les garçons étaient tellement étranges parfois.

Arrivée au niveau des casiers à chaussures, Yuzuha l'avait laissée.

– Je dois y aller, à demain ! Lui avait-il en lui faisant un signe de la main. Tu nous feras une démonstration, d'accord ?

– Si tu veux, avait répondu Yukino.





Elle arriva au pied des marches qui menaient au sanctuaire Tōgōkuni et franchit le haut portail rouge – Torii – qui marquait l'entrée de l'enceinte sacrée. Plus haut, au sommet des marches, Yukino aperçut sa tante en train de balayer les dalles du parvis.

Elle la rejoignit.

– Je suis rentrée, dit-elle.

– Oh, Yukino-chan, ta première journée s'est bien passée ? Ta maman a appelé tout à l'heure, elle voulait savoir si tout se passait bien et si tu avais besoin de quelque chose.

Yukino masqua un sourire.

Sa mère prenait prétexte de tout et de rien pour lui téléphoner et prendre de ses nouvelles de son entourage.

– D'accord, je la rappellerai avant de manger, lui assura-t-elle. Tu as besoin d'aide ?

– Si tu n'as pas trop de devoirs, je veux bien que tu ailles nettoyer le chōzubachi. Avec le printemps, l'eau est pleine de pollen. 

(NDA : chōzubachi ou chōzuya, bassin à l'entrée des sanctuaires shintō et destinés aux ablutions symboliques des fidèles.)

– Très bien, je vais me changer et je m'en occupe. Ensuite j'irai sûrement m'entraîner, je regarderai mes devoirs ce soir.

Yukino gagna la maison qu'elle occupait avec son oncle et sa tante, sur le côté du sanctuaire, et elle enfila rapidement le kimono et le hakama rouge des mikos. 

Dans un sanctuaire, les tâches les plus simples étaient aussi des prières, au même titre que les cérémonies les plus sacrées. Chaque geste était vu comme une offrande faite aux kamis – les divinités shintō – et il devait être accompli avec autant de piété.

Le Tōgōkuni était consacré à trois d'entre eux, deux dieux du bonheur et un ancien samouraï élevé au rang de divinité un millénaire plus tôt et dont on disait aujourd'hui, qu'il veillait sur la région. 

Les kamis du shintoïsme étaient nombreux. Chaque rivière, chaque colline, chaque parcelle de terre pouvait receler un kami et il n'était pas rare que son oncle – comme son père à Kyoto – soit appelé pour calmer le courroux d'un kami avant la construction d'une maison ou lorsque des événements laissaient à penser aux gens que la colère d'un esprit ou d'une divinité pouvait être à l'origine de leurs problèmes. 

Les kamis, contrairement aux dieux occidentaux, n'étaient pas systématiquement bienveillants et beaucoup de rituels visaient à se les concilier.

Le Tōgōkuni jinja, avec ses deux divinités du bonheur, était très fréquentés et les tokyoïtes venaient souvent ici pour tenter de s'attirer leurs bonnes grâces ou leur protection.

Quand Yukino se mit au travail, elle vit que le soleil était encore haut au-dessus de l'horizon. Si elle se débrouillait bien, elle pourrait gagner le petit kyūdōjo du sanctuaire, situé juste avant le petit bois, sur l'arrière du bâtiment principal et y passer un peu de temps.

Une journée sans faire corps avec son arc, lui semblait toujours une journée à laquelle il manquait quelque chose.

(NDA : pour ce sanctuaire imaginaire, je me suis inspiré du Kanda Myojin, un lieu sacré de Tokyo.)





Quelques heures plus tard, Yukino avait emporté son arc – yumi – au kyūdōjo.

Le sanctuaire avait beau être situé en pleine ville, le petit bosquet qui séparait l'arrière du bâtiment du quartier de Sotokanda formait un écrin de nature. Les bruits ne leur parvenaient que étouffés et, pour un peu, on se serait cru à des kilomètres de Tokyo.

Yukino expira et la flèche fila se planter dans la cible avec un choc qui fit vibrer sa poitrine.

Elle abaissa son arc, goûta la sensation de paix qui l'envahissait toujours après un tir, puis se redressa et fit passer une nouvelle flèche dans sa main.

Avant qu'elle ait bandé son arc, un bruit de pas sur le plancher lui fit tourner la tête.

Elle sourit.

– Bonsoir mon oncle, dit-elle. Vous avez passé une bonne journée ?

Le vieux Takao Toma était le frère aîné de son père. Il partageait avec lui cette voix au timbre doux et son goût pour le calme et la méditation.

– À mon âge, dit-il en s'asseyant, le printemps est toujours synonyme de joie. Et toi ma petite fille ? Ta nouvelle école te plaît ?

– Oui, j'ai fait la connaissance d'une élève un peu plus âgée que moi qui pratique le kyūdō. Elle a l'air incroyable.

– Oh ? C'est une bonne chose alors.

Un instant plus tard, il reprit.

– Ta tante m'a dit de te rappeler d'appeler ta maman. Elle s'inquiète pour toi.

Yukino leva les yeux, mais il n'y avait pas de reproches dans les yeux de son oncle, juste de l'amusement. Il ajouta :

– Les mamans sont toujours si inquiètes.

– Je n'ai pas oublié, lui assura-t-elle. J'avais juste envie de me détendre un peu avant le repas. Tokyo est une ville si agitée...

– Oui, je peux comprendre cela.

Il se releva avec peine et reprit.

– Allons diner maintenant, sinon le repas que ta tante nous a préparé va être froid. Ça serait irrespectueux de notre part.

– Tu as raison.

Cinq minutes après, tous les deux quittèrent le kyūdōjo côte à côte.



NDA : Voici le plan d'un sanctuaire shintō pour vous faire une idée, vous en avez certainement déjà vu dans les mangas. Les réunions du Toman par exemple, se font au pied des marches du Sanctuaire Musashi. Si la signification des numéros vous intéresse, j'ai pris l'image sur Wikipédia ! (^▽^)

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