29 - État de choc

Taiju disparut aussi vite qu'il était apparu.

Debout contre le mur, Yukino n'arrivait toujours pas à faire un mouvement. Choquée, elle fixait l'endroit où le jeune Aido était tombé, le visage tuméfié.

Ce dernier commença à remuer.

Il se hissa contre la benne à ordure derrière lui et il s'y adossa avec un soupir.

Tous les deux se regardèrent avec l'impression d'être les rescapés d'un typhon.

Yukino reprit ses esprits la première. 

Elle se redressa et voulut rejoindre le garçon pour examiner ses blessures. Mais lorsqu'elle essaya de faire un pas, elle s'aperçut que ses jambes ne la portaient plus.

Elle glissa le long du mur et tomba sur les fesses, les membres tremblants et le cœur cognant comme un fou dans sa poitrine.

Qu'est-ce qui s'est passé... ? Se demandait-elle en boucle. Qu'est-ce qui vient de se passer... ?

Elle savait parfaitement ce qui venait de se passer. Elle avait vu le visage de Taiju Shiba. Celui que connaissaient son petit frère et sa petite sœur. Elle avait vu le démon qui avait fait de leurs vies un enfer.

La voix de Yuzuha résonna à son esprit et Yukino sentit sa poitrine se serrer.

Sois prudente...

Une seconde, elle faillit se mettre à pleurer. 

Elle avait eu si peur. Une peur primitive, bestiale, comme elle n'en avait jamais ressentie auparavant. Le genre de peurs qu'une proie devait éprouver devant un prédateur.

Et elle n'avait rien pu faire.

Je n'ai même pas pu bouger... Se souvint-elle.

Elle essayait de calmer sa respiration, en vain. Son corps était parcouru de tremblements irrépressibles, elle était comme tétanisée.

Après plusieurs minutes, elle réussit à se redresser et à rejoindre l'adolescent blessé.

Elle se laissa tomber à côté de lui et sortit un mouchoir de sa poche.

Il avait des hématomes sur toute le visage, vit-elle, et le sang coulait à flot de son nez. Il semblait ne pas vouloir s'arrêter.

– Il faut aller à l'infirmerie... Dit-elle.

Le garçon hocha la tête.

– Oui...

Elle l'aida à se lever et tous les deux se mirent en marche. 

Aido gardait sa manche pressée contre son nez, mais le sang continuait de dégouliner sur sa chemise. Il ne pourrait pas retourner en cours comme ça.




Parvenus à l'infirmerie, Aido s'installa au bord d'un des lits, la tête penchée en arrière.

L'infirmière était sortie déjeuner et Yukino alla rassembler elle-même tout ce qu'il fallait pour le soigner. 

Ses mains tremblaient tellement qu'elle finit par faire tomber ce qu'elle tenait.

Aido la rejoignit.

– Attends... Lui dit-il.

Il se baissa pour ramasser, avant de prendre une bouteille de désinfectant et de regagner le lit où il s'était assis un peu plus tôt pour y déposer le tout.

Yukino inspira profondément.

Elle le rejoignit.

– C'est bon, lui dit-elle en prenant les compresses, je m'en occupe.

Elle les imprégna d'antiseptique et tamponna doucement ses plaies.

Il était en piteux état. Son visage avait commencé à virer au violet par endroits et son nez avait une forme bizarre.

Finalement elle laissa retomber sa main en soufflant.

– J'ai l'impression qu'il est cassé... Dit-elle.

– Oui... Répondit-il d'une voix sifflante. Moi aussi...

Tous les deux n'ajoutèrent rien. Ils ne savaient pas quoi dire.

Yukino baissa la tête.

– Je suis désolée... Murmura-t-elle.

Elle se sentait coupable, alors même qu'elle savait parfaitement qu'elle n'y était pour rien.

– Tu n'y es pour rien, dit-il comme s'il avait lu dans ses pensées. Tu n'as pas à être désolée.

C'était la vérité, elle le savait, pourtant elle n'arrivait pas à le faire entrer dans sa tête.

Il lui semblait confusément qu'elle devait se sentir coupable, sans savoir de quoi.

Je n'ai rien à me reprocher, le seul coupable, c'est Taiju.

Chaque fois qu'elle revivait la scène, elle frémissait en revoyant le regard qu'il lui avait lancé.

Elle finit de soigner le garçon du mieux qu'elle put et alla ranger les compresses restantes et la bouteille de désinfectant.

– Je crois que tu devrais aller à l'hôpital... Dit-elle. Il faut faire examiner ton nez par un médecin.

– Oui, dit-il en se levant. Tu as raison, c'est ce que je vais faire. Je vais appeler ma mère.

– Tu veux que j'aille te chercher tes affaires ? Lui demanda-t-elle.

Son téléphone était certainement resté dans son sac, en classe et elle comprendrait qu'il n'ait pas envie d'être vu dans les couloirs avec cette tête. 

L'adolescent secoua la tête.

– Ça n'est pas la peine, ça ira, dit-il, t'en fais pas.

Il rejoignit la porte et, une fois la main sur la poignée, il se tourna vers elle et essaya de sourire.

– C'est plus impressionnant que ça en a l'air tu sais, dit-il en s'efforçant de fanfaronner. Nous les garçons, on aime bien se battre, c'est rien.

Il essayait de la rassurer, mais il ne put s'empêcher de grimacer quand ses blessures l'élancèrent.




Une fois qu'il fut sorti, Yukino resta seule dans l'infirmerie.

Il faut que je retourne en cours.

Pourtant, elle n'arriva pas à bouger.

Les images de l'intervention de Taiju ne cessaient de revenir la hanter. Le moment où il avait attrapé ce garçon par le col. Le bruit de son poing s'écrasant sur son visage. 

Mais surtout son expression lorsqu'il s'était tourné vers elle et la terreur qu'elle avait ressenti quand elle s'était imaginée qu'il allait la frapper.

Finalement, elle se précipita dehors et courut en direction des toilettes.




Là, elle se regarda dans le miroir et l'image que lui retourna son reflet la bouleversa. La fille en face d'elle avait le regard hagard, les traits blêmes et les lèvres tremblantes. Yukino ne se reconnaissait pas.

Elle se pencha pour s'arroser le visage d'eau. Mais il n'y avait rien à faire. Son cœur continuait à tambouriner follement contre ses côtes et il refusait de se calmer.

Les mains posées sur le rebord du lavabo, elle regarda l'eau couler sans réussir à se reprendre.

Un bruit de pas dans le couloir la fit sursauter et elle alla s'enfermer dans une cabine sans comprendre pourquoi elle faisait cela.

Un instant plus tard, une fois de nouveau seule, elle s'assit sur le couvercle, remonta les genoux contre la poitrine et les entoura de ses bras.

Puis elle enfouit son visage dans ses bras et se mit à pleurer.

Au début, elle sanglota en silence. Elle ne voulait pas qu'on l'entende, habitée par une sorte de honte qu'elle ne s'expliquait pas. Mais au bout d'un moment, elle se mit à pleurer plus fort sans parvenir à s'en empêcher.

Les hoquets qui lui secouèrent la poitrine les minutes suivantes lui faisaient mal, mais ils lui faisaient du bien en même temps. Elle avait besoin de laisser sortir toute cette douleur et cette peur qui l'oppressait.

Quand la sonnerie de reprise des cours retentit, elle n'avait toujours pas bougé.




Lorsqu'elle sortit de la cabine, l'après-midi était presque écoulé.

Elle se sentait mieux à présent. L'étau qui l'avait empêché de respirer s'était desserré, même s'il était toujours présent.

Elle s'approcha du miroir.

Ses yeux étaient rouges, vit-elle, mais ils n'avaient plus cette expression qu'elle leur avait vue plus tôt.

Elle s'aspergea une nouvelle fois le visage pour faire dégonfler ses paupières, puis elle inspira et expira profondément avant de revenir à la contemplation de son reflet.

Elle se sentait mieux. 

Mais ça n'était que le début, elle le savait.

Maintenant, elle allait devoir agir.

Mais pas tout de suite. On ne prend pas de bonnes décisions quand on est bouleversé.




À la fin des cours, Yukino rejoignit sa classe pour récupérer ses affaires. 

Ses camarades s'étaient étonnés de ne pas la voir revenir, mais elle leur expliqua qu'elle s'était sentie mal. Ça n'était pas un mensonge.

Une fois dans les escaliers, elle réfléchit.

Est-ce que je vais au club ?

Elle n'avait qu'une envie, rentrer chez elle et se rouler en boule sous sa couverture. Mais elle se ressaisit et releva la tête.

Je ne vais pas me cacher, s'intima-t-elle fermement. Je n'ai rien fait de mal.

En plus de cela, elle devait expliquer à Yana ce qui était arrivé à Aido avant que les rumeurs ne le fassent à sa place. Ce genre d'histoires se propageait tellement vite dans un établissement et la vérité était déjà suffisamment terrible comme ça.

Restait à savoir ce qu'elle allait dire à Yuzuha.

Yukino n'avait pas le moindre doute, elle lui dirait la vérité. Restait à savoir comment elle allait s'y prendre.

Je ne voudrais pas la bouleverser elle aussi en lui rappelant de mauvais souvenirs...

Une autre chose aussi tournait dans sa tête. Une pensée désagréable qui ne se laissait pas oublier.

Le fait qu'elle soit restée figée pendant que Taiju frappait ce garçon.

Le seul qui avait des reproches à se faire, c'était évidemment Taiju, mais avec le recul son manque de réaction la mortifiait.

Moi qui faisait preuve de tellement d'assurance... En définitive, on ne sait jamais comment on va réagir dans ce genre de cas.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top