27 - Mitsuya
Yukino rejoignit Taiju devant le sanctuaire principal après être allée se changer.
Elle rayonnait, vit-il en prenant sa main quand elle arriva à son niveau.
– C'était incroyable ! Dit-elle. Mais je suis contente que ce soit terminé !
– C'était très impressionnant, dit-il.
– Vraiment ? Demanda-t-elle. Tu as vraiment été impressionné ?
Même plus que cela, se dit-il.
Pendant un instant, Taiju avait eu l'impression de n'être plus lui-même, de se fondre dans la masse des autres fidèles et d'être aspiré par la magie du rituel.
Un comble...
Il était ressorti de cette expérience nettoyé, comme si une vague fraîche l'avait balayé, emportant avec elle une partie de la noirceur de son âme.
Je comprends mieux ce que ces gens recherchent dans ce genre d'exhibitions...
– Allez, dit-il en l'entraînant derrière lui pour couper court à la conversation. Fais-moi visiter ce sanctuaire.
Yukino le suivit.
Elle remonta à son niveau, détacha sa main de la sienne pour passer son bras sous celui de Taiju.
– Je suis heureuse que tu sois venue, dit-elle.
Autour d'eux, le festival battait son plein et les visiteurs arpentaient les allées en allant de stand en stand.
Les enfants s'agglutinaient devant les jeux qui permettaient de gagner des peluches, des jouets ou des poissons rouges, tandis que les adultes préféraient goûter les spécialités culinaires. Les adolescents, surtout les garçons, frimaient au tir à la carabine devant des groupes de filles qui échangeaient des messes basses.
– Qu'est-ce que tu veux faire ? Demanda Taiju.
– J'ai faim, répondit-elle avec assurance. Tout cela m'a creusé l'appétit !
Elle paraissait surexcitée, comme si la tension, après l'avoir tant oppressée, lui offrait un regain de vitalité.
– Ok, dit-il en regardant autour de lui. Tu as envie de quoi ?
De part et d'autre de l'allée s'étendaient des vendeurs de takoyakis – ces boulettes de pâte garnies de morceaux de poulpe sur lesquelles on se brûlait la langue –, des marchands de taiyaki – des gaufrettes en forme de poisson fourrées de pâte de haricots rouges – ou encore des échoppes qui proposaient des brioches à la vapeur, nikuman.
Yukino hésita en allant de l'une à l'autre, avant de se décider pour les brioches.
Taiju la rejoignit. Il en acheta deux barquettes et Yukino se brûla en y mettant aussitôt les doigts.
– C'est chaud mais c'est bon ! Articula-t-elle, la bouche pleine.
Il rigola.
– On dirait une gosse ! Mange plus lentement !
Elle répondit en riant à son tour.
Elle se sentait légère et pleine de bonne humeur. En cet instant, rien n'aurait pu assombrir ses vacances.
– Tu veux bien rester jusqu'au feu d'artifice ? Lui dit-elle. J'aimerais qu'on le regarde ensemble, je connais un coin d'où la vue est magnifique.
– Il y a un feu d'artifice ? Dit-il.
Elle rit.
– Bien sûr ! On dirait que c'est ton premier festival !
– C'est mon premier festival, lui apprit-il.
Yukino cessa de rire.
– Vraiment ? Dit-elle.
– Bien sûr, je suis catholique. Les festivals shintō, je n'y connais rien.
Elle le regardait, surprise.
– Tu es catholique ? Répéta-t-elle.
Elle l'apprenait.
Sans être absents du Japon, les catholiques, comme les chrétiens dans leur ensemble ou encore les juifs ou les musulmans, n'étaient pas très nombreux dans l'archipel.
(NDA : Les chrétiens représentent moins de 0,5% de la population japonaise. Les musulmans sont encore moins nombreux, quant aux juifs ils sont un millier seulement. Autant dire qu'on peut passer sa vie là-bas sans jamais croiser l'un d'eux ! Si le sujet des religions monothéistes au Japon vous intéresse, vous pouvez lire le roman « Silence » de Shūsaku Endō. Il relate le périple de prêtres missionnaires. L'histoire porte sur le catholicisme, mais il donne une bonne idée de la façon dont les religions extérieures étaient perçues à l'époque au Japon.)
– Oui, dit-il avant d'ajouter avec hésitation : c'était la religion de ma mère.
Il n'en dit pas plus, ça n'était pas nécessaire, Yukino avait compris.
Il était catholique parce que sa mère l'était autrefois. En pratiquant cette foi, il avait l'impression d'être encore un peu proche d'elle, de ne pas l'avoir totalement perdue.
– Je comprends, dit-elle.
Tous ses enfants avaient souffert de sa disparition, mais chacun d'eux avait vécu cette épreuve à sa manière et avait cherché du réconfort où il l'avait pu.
Si seulement ils s'étaient rapprochés...
L'absurdité de leurs relations la frappa. La nature humaine peut être tellement déconcertante parfois.
Tous les deux marchèrent un moment en silence.
Finalement, Yukino reprit.
– Est-ce que je pourrais venir à l'église un jour avec toi ?
Taiju baissa les yeux vers elle, étonné.
– Tu veux venir à l'église ?
Yukino prit sa main sans lâcher sa barquette de brioches et serra ses doigts.
– Oui, dit-elle, j'aimerais tout connaître de toi.
Puis elle leva un sourire vers lui et ajouta :
– En plus, je t'ai traîné dans un matsuri, alors c'est le moins que je puisse faire !
Plus tard dans la soirée, tous les deux avaient rejoint une partie moins fréquentée du sanctuaire. Ici, les jeux pour tout-petits pullulaient. Certains enfants s'échinaient à attraper des poissons avec des épuisettes en papier qui se déchiraient une fois mouillées, tandis que d'autres réfléchissaient à quelle ficelle choisir parmi plusieurs dans l'espoir d'emporter l'un des lots qui y était suspendu.
Yukino était en train de regarder deux petits, concentrés sur les poissons rouges, lorsqu'une voix les interpella.
– Taiju ? Qu'est-ce que tu fais là ?
Yukino leva la tête et vit un garçon aux cheveux clairs tirant sur le mauve, accompagné de deux fillettes vêtues de yukatas.
– Oh Mitsuya, répondit Taiju. Tu te balades aussi ?
Takashi Mitsuya était le capitaine de la deuxième division du Tokyo Manji, ce gang qui avait mis fin aux agissements du Black Dragon de Taiju. Taiju et lui se connaissaient depuis que leurs gangs s'étaient affrontés l'hiver précédent. À l'époque, Hakkai était déjà le second de Mitsuya et Taiju voulait le voir rejoindre les rangs du Black Dragon.
C'était la seule fois où Hakkai lui avait résisté.
Après la bataille, les deux aînés s'étaient rapprochés. Taiju brûlait de savoir ce que Hakkai admirait chez Mitsuya au point d'arriver à lui tenir tête, tandis que Mitsuya voulait en apprendre plus sur le plus âgé des Shiba.
Yukino se redressa.
– Taiju regarde ! Dit-elle en lui montrant les fillettes. Ces petites filles sont tellement adorables dans leurs yukatas ! On dirait des poupées !
Elle se baissa pour les admirer et Luna et Mana, les deux petites sœurs de Mitsuya, reculèrent d'abord, effrayées.
– Vous êtes tellement jolies ! Reprit Yukino. On dirait des princesses !
Les deux fillettes échangèrent un regard, avant se rengorger sous le compliment.
– Tu es Yukino ? Dit Mitsuya tandis qu'elle se relevait. Je m'appelle Takashi Mitsuya, je suis un ami de Taiju.
– C'est bien moi oui, dit-elle, surprise. Mais comment me connais-tu ?
Mitsuya tiqua. Elle avait vraiment une manière de parler particulière. Le genre que l'on entendait seulement dans les vieilles familles ou dans les sanctuaires.
Hakkai disait vrai...
– Takemicchou et Hakkai m'ont parlé de toi, répondit-il. Je ne sais pas si tu te souviens d'eux, tu as fait leur connaissance au printemps dernier.
– Le frère de Taiju et un de ses amis, dit-elle, oui je m'en souviens.
Elle se tourna vers Taiju et ajouta :
– Yuzuha me les a présentés le jour où ils sont venus au club. Hakkai a l'air d'être un gentil garçon, mais je ne m'attendais pas à ce qu'il soit si timide. Je crois que je lui ai fait un peu peur.
– N'importe qui lui fait peur à partir du moment où il porte une jupe, fit remarquer Taiju.
Mitsuya ne put s'empêcher de pouffer de rire.
– Tu es dur, dit-il en se reprenant. Il fait des efforts tu sais.
– Ah oui ? Rétorqua Taiju. Je ne les vois pas, moi.
– Commence par le laisser être lui-même, lui répondit Mitsuya sans se démonter. Et là tu les verras.
Yukino les regarda tour à tour.
Mitsuya était loin d'avoir la carrure impressionnante de Taiju, pourtant il n'hésitait pas à lui faire face avec aplomb.
Elle commençait à comprendre ce que Taiju trouvait à ce garçon.
– Je vais faire un tour du côté du jeu des cerceaux, dit-elle, j'ai vu que l'on pouvait y gagner des petits bijoux. Vous voulez venir les filles ?
Mana et Luna n'avaient pas lâché les mains de leur frère, mais le mot bijoux fit naître des étoiles dans leurs yeux. Elles levèrent la tête d'un même mouvement et quêtèrent l'accord de Takashi, le regard brillant.
Mitsuya hésita, mais Taiju le rassura.
– C'est sa famille qui tient le sanctuaire, dit-il, tu peux les laisser aller avec elle, elles ne risquent rien.
Les trois filles s'éloignèrent ensemble tandis que Taiju et Mitsuya leur emboîtaient le pas plus lentement.
– Ta petite amie, hein ? Dit Mitsuya avec un sourire en coin.
– Ferme-la, répondit Taiju en regardant ailleurs.
– Je rêve ou tu es gêné ? Rajouta Mitsuya.
– Hmmf...
Mitsuya n'était pas le moins du monde impressionné par la mauvaise humeur de Taiju. Tous les deux commençaient à bien se connaître.
C'était Taiju qui était venu vers lui le premier quelques semaines après l'affrontement de Noël qui avait fait voler en éclat ce qui restait de la famille Shiba. Mitsuya avait alors vite compris que ce dernier cherchait à se racheter.
Enfin peut-être pas à se racheter, se dit-il, pas encore, mais déjà à comprendre.
Ça lui semblait être une bonne chose. Le premier pas vers un nouveau Taiju.
– Ça a l'air d'être une chouette fille, reprit-il, ça se passe bien vous deux ?
Taiju ne répondit pas tout de suite et quand Mitsuya leva les yeux, il vit qu'il contemplait le dos de Yukino, plus loin.
Cette dernière tenait les petites filles par la main et toutes les trois passaient de stand en stand avec des exclamations émerveillées.
– Ouais, dit-il enfin. Ça se passe bien.
Il y avait pourtant comme une ombre dans sa voix et Mitsuya s'en aperçut.
– Il n'y pas de raison que ça change alors, dit-il pour le rassurer.
À quelques pas devant eux, Yukino jeta un œil par-dessus son épaule.
Taiju et Mitsuya étaient en pleine conversation.
Elle était contente de découvrir que Taiju avait un ami comme Takashi Mitsuya. Il semblait être de ceux qui n'ont pas peur de vous dire la vérité en face, même si cela doit faire mal. Un véritable ami.
Elle ramena son attention sur les petites filles qui la tiraient en avant, impatientes de voir les bijoux.
– C'est par ici, leur dit-elle en les guidant vers le stand qu'elle avait vu plus tôt.
Mieux valait laisser les garçons seuls. Il est des choses que les hommes ne peuvent se dire que lorsqu'ils sont entre eux.
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