23 - Camp d'entraînement
Yuzuha, ainsi que ses camarades du club de kyūdō, arrivèrent le lendemain à la première heure pour participer au camp d'entraînement qu'ils avaient prévu ensemble.
Yukino les accueillit en haut des marches du sanctuaire. Elle s'était couchée tôt la veille et elle était maintenant plus en forme.
– Bienvenue ! Je suis contente de vous voir ! Dit-elle.
Elle prit la tête de leur groupe et les guida vers le bâtiment principal.
Derrière elle, les lycéens, d'habitude animés, formaient une petite troupe serrée et silencieuse.
Yukino se retourna à demi.
– Tout va bien ? Dit-elle.
Ce fut Yana qui lui répondit, son sac contenant son arc pressé contre elle.
– C'est juste... que c'est impressionnant, dit-elle.
– Oui, renchérit un des garçons en regardant autour de lui. Rien à voir avec le lycée.
– C'est même presque plus intimidant que les compétitions, ajouta une autre fille.
Yukino les regarda et sourit.
– C'est un endroit comme un autre vous savez, dit-elle pour les rassurer.
Sa tante les rejoignit devant le haiden, la partie du sanctuaire où les fidèles venaient s'incliner après être passés se purifier les mains et la bouche dans le chōzubachi.
(NDA : Pour rappel, le chōzubachi ou chōzuya, est le bassin à l'entrée des sanctuaires shintō.)
– Soyez les bienvenus, dit-elle à son tour. Je suis ravie que Yukino vous ait proposé de venir vous entraîner dans notre kyūdōjo ! Ce vieux bâtiment sert si peu, je trouvais ça dommage !
Tous les membres du club s'inclinèrent de concert.
– Nous vous remercions de nous accueillir, répondit Yuzuha en se faisant la porte-parole. Nous prendrons soin des lieux, vous pouvez compter sur nous !
Les autres acquiescèrent. S'exercer dans un dojo aussi illustre que celui d'un sanctuaire et qui servait normalement aux cérémonies, c'était une chance qui n'était pas offerte à toutes les équipes. Tous en avaient bien conscience.
La tante de Yukino les laissa repartir après leur avoir assuré qu'elle viendrait leur apporter un en-cas en milieu de matinée et le groupe contourna les bâtiments pour s'enfoncer dans le chemin boisé qui menait au dojo.
– C'est dingue, dit un des garçons en levant les yeux sur les grands arbres qui les entouraient, on en oublierait presque qu'on est en plein Tokyo.
– Oui, dit Nanao, l'amie de Yuzuha, d'un ton bas et respectueux en contemplant elle aussi les frondaisons au-dessus de leurs têtes. Ça m'avait impressionné la dernière fois que je suis venue.
Yukino se tourna vers elle.
– Tu es déjà venue ?
Le kyūdōjo était pourtant fermé au public depuis des années.
Nanao hocha la tête.
– Oui, mes parents m'avaient emmenée assister au festival d'été et au tir rituel quand j'étais petite, je m'en souviens encore... Les flambeaux qui éclairaient le chemin, le silence pendant le tir... Je devais avoir quatre ou cinq ans, mais je n'ai rien oublié. J'imagine que c'est toi qui va te charger de la cérémonie cette année ? Ajouta-t-elle.
Yukino acquiesça.
– Oui, mon oncle me l'a demandée et il m'a aussi demandé de m'occuper de la danse kagura. Je vais avoir un été bien chargé !
– Il paraît qu'il n'y a plus eu de tir rituel ici depuis longtemps, intervint Yuzuha.
– C'est vrai, confirma Yukino. Mon oncle s'en chargeait autrefois, mais ses problèmes de santé l'ont obligé à arrêter. Il a de l'arthrite, difficile de tirer à l'arc dans ces conditions, et de toute façon le médecin le lui a déconseillé.
– C'est cool finalement que tu sois venue habiter ici, reprit un autre. Tu vas pouvoir faire renaître ce rituel.
– Imaginez le monde que ça va attirer au festival d'été ! Continua une de leurs camarades. À ta place, je serais malade de trouille !
Yana à côté d'elle opina vigoureusement.
– Moi je crois que je serais tétanisée, dit-elle.
– Je n'en doute pas une seconde, ironisa son amie Haruka.
– C'est déjà arrivé que le kyūdōka manque la cible pendant un rituel ? Demanda une des jeunes filles de première année.
– Bien sûr oui, lui répondit Yukino, mais la cible est beaucoup plus grosse pour les cérémonies, donc c'est plus rare, et si on manque son coup, il reste deux autres flèches.
– Ça doit être considéré comme un mauvais présage, non ?
– Les cérémonies ne sont pas les mêmes ensuite, reconnut Yukino, et elles sont plus nombreuses aussi, alors j'imagine que oui, c'est considéré comme un mauvais présage.
Le restant de la matinée fut consacré à l'entraînement et, quand la tante de Yukino les rejoignit avec un plateau couvert de mini-sandwiches et un thermos de thé vert, tous furent ravis de faire une pause.
Yuzuha et Yukino s'écartèrent pour manger au calme, sous les grands arbres qui ombrageaient le seuil du kyūdōjo.
– Alors... Commença Yuzuha d'une voix hésitante. Comment ça se passe avec Taiju ?
Elle fit quelques pas sur le sentier pour éviter son regard. Elle s'était promis de ne pas intervenir dans la relation entre son frère et Yukino, mais c'était plus fort qu'elle, son instinct de grande sœur reprenait le dessus.
– Bien, lui assura Yukino en la rejoignant. Nous sommes allés au cinéma voir le dernier James Bond vendredi et nous sommes rentrés au petit matin. Je n'ai pas vu le temps passer.
Elle baissa d'un ton et ajouta :
– Il m'a dit qu'il m'aimait et... je l'aime aussi.
Yuzuha la regarda en silence.
Elle était surprise, elle ne s'était pas attendue à cela.
Ou plutôt, j'aurais dû m'y attendre. Après tout, je suis bien placée pour savoir à quel point les sentiments de Taiju sont forts, et même... dévastateurs.
Autrefois, il ne se passait pas une journée sans que Taiju ne leur dise qu'il les aimaient, Hakkai et elle, tout en les battant.
Il disait toujours que c'était de notre faute, se souvint Yuzuha. Qu'il était obligé de faire ça alors qu'il nous aimait. Que c'était nous les responsables...
À ce souvenir, Yuzuha frémit.
Yukino s'en aperçut.
– Yuzuha... Dit-elle dans un souffle. Je n'ai pas oublié ton conseil. Je resterai prudente.
À la fin de la journée, tous se séparèrent sur le trottoir et Yukino leur fit signe de la main pour leur dire au revoir tandis qu'ils disparaissaient au coin de la rue.
– À demain !
Puis elle reprit la direction des marches.
Leur entraînement avait été profitable. Tous avaient pu répéter les mouvements qui leur posaient problème sans être interrompus et même les plus jeunes avaient progressé.
On a toutes nos chances pour les compétitions si on élève ainsi le niveau de l'équipe, se dit-elle.
À ses yeux, le niveau d'un club dépendait de chacun de ses membres, même de ceux qui ne participaient pas aux matchs.
Ce sont eux qui nous soutiennent et ils prennent le relais si jamais un des titulaires a un problème. Leur niveau et leur esprit d'équipe sont aussi importants que ceux de n'importe qui d'autre...
Une silhouette, au pied du mur, lui fit lever les yeux.
D'abord, Yukino eut un regard surpris, puis elle sourit.
Elle rejoignit Taiju en deux pas et vint prendre la main qu'il lui tendit.
– Qu'est-ce que tu fais là ? Lui dit-elle.
– Tu me manquais trop, répondit-il en l'attirant près de lui.
Elle se laissa faire et posa la paume sur son torse.
– Toi aussi tu m'as manqué, dit-elle.
Il prit sa joue dans sa main et caressa sa bouche du pouce.
– Ça s'est bien passé votre petit camp d'entraînement ? Susurra-t-il sans détacher ses yeux des siens.
Elle rit.
– Petit camp d'entraînement, répéta-t-elle. Oui, c'était bien, nous avons tous fait des progrès je crois.
– Cool...
Il semblait ne l'écouter qu'à demi, son attention toute entière focalisée à présent sur ses lèvres.
Finalement, il se pencha et il l'effleura d'un baiser retenu.
– Je t'aime Yuki... Murmura-t-il à voix basse. Je suis sérieux.
Yukino posa sa main sur la sienne et la chaleur de ses doigts se répandit jusque dans son bras.
– Moi aussi, répondit-elle. Moi aussi je t'aime.
Taiju ne resta pas longtemps et quinze minutes plus tard, il avait repris le chemin de sa moto qu'il avait garée dans une rue voisine. Yukino retourna au sanctuaire avec l'impression de flotter au-dessus du sol.
C'était incroyable l'effet qu'il lui faisait. Jamais par le passé elle n'avait connu pareille fièvre à la seule vue de son petit ami.
– Alors voici le garçon en question ?
La voix de son oncle la tira de sa rêverie et elle se tourna vers le vieil homme, une mimique de stupeur sur les traits. Il était debout en haut des marches et il semblait l'attendre.
Takao Toma la rejoignit avec le sourire.
– Je ne vous espionnais pas, précisa-t-il, ta tante m'envoie te dire que le repas est prêt.
– Oh, j'arrive tout de suite ! Répondit Yukino. Je vais juste me changer.
Elle portait encore le kimono et le hakama qu'elle avait mis pour l'entraînement.
Tous les deux reprirent ensemble le chemin de la maison.
– Votre journée d'entraînement s'est bien déroulée ? Lui demanda-t-il. Je n'ai pas eu l'occasion de passer vous voir, je suis désolé.
– Ne t'en fais pas, dit-elle, ça n'est pas grave. Oui, tout s'est bien passé. Ça m'a fait plaisir de voir le dojo si plein de vie, ça va me manquer dans les prochains jours. J'aimerais bien que l'on puisse recommencer peut-être, enfin si ça ne te dérange pas.
– Non, bien sûr que non. Je suis ravi moi aussi que cet endroit retrouve une nouvelle jeunesse. Ce vieux dojo est resté trop longtemps vide.
Après un instant, il reprit.
– Et donc... ce garçon ?
Il avait un sourire curieux sur le visage.
– Il s'appelle Taiju Shiba, lui apprit Yukino. C'est le grand frère de notre capitaine.
– Hmm je vois.
L'allure, comme les tatouages de Taiju ne lui avaient sûrement pas échappés depuis le haut des escaliers et il ajouta en pouffant de rire comme un écolier :
– Tu ressembles vraiment beaucoup à ton père !
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