21 - 𝘑𝘦 𝘵'𝘢𝘪𝘮𝘦
– Si tu veux voir ce qu'il y a sous mes vêtements, dit Taiju, il va falloir attendre un peu.
Yukino leva vers lui un regard blasé.
– Tu crois me faire rougir avec ce genre de répliques ? Lui répondit-elle, autant te prévenir, ça ne fonctionne plus.
– Vraiment ?
Il baissa vers elle un regard brûlant que Yukino soutint un instant, avant de se réinstaller dans son siège, le rouge aux joues.
Pourquoi est-ce qu'il me fait cet effet-là ? Se demanda-t-elle en essayant de se concentrer à nouveau sur le film.
Devant eux, un vieil homme se retourna pour leur faire signe de se taire et elle revint se blottir contre Taiju en silence.
Au bout d'un moment, ce dernier reprit dans un murmure à peine audible.
– Mais pour répondre à ta question, dit-il, ils descendent très bas.
Yukino leva vers lui un regard interrogatif et il ajouta :
– Mes tatouages.
– Tes ? Releva-t-elle d'une voix plus aiguë qui lui attira un regard de l'homme devant eux.
Taiju esquissa un sourire, mais il ne répondit pas.
– Taiju Shiba, reprit Yukino dans un sifflement bas, combien de tatouages as-tu ? Et tu peux m'expliquer comment il se fait qu'on te laisse entrer au lycée avec ? J'ai vu un élève se faire réprimander cette semaine juste parce qu'il s'était fait percer une oreille !
– Ça n'est pas comme si je pouvais les enlever... Lui fit-il remarquer avant d'ajouter : en plus, dans ce genre d'écoles, tu sais bien comment ça marche : il n'y a que le fric qui compte. File-leur un gros paquet de pognon et ils deviennent aussitôt aveugles. Ton gamin à la boucle d'oreille devrait en prendre de la graine.
Il n'avait pas tort, elle le savait. C'était ainsi que marchait le monde. Pas avec des beaux principes et des règles admirables valables pour tous.
Yukino croisa les bras sur la poitrine et, à côté d'elle, Taiju ricana de plus belle.
– Tu es contrariée ? Dit-il. Tu détestes avoir tort, c'est ça ?
Elle lui lança un regard, mais ne dit rien.
Elle se renfonça un peu plus dans son siège, le bras de Taiju posé sur ses épaules.
Depuis qu'elle était petite, Yukino avait l'habitude de s'entendre dire qu'elle était intelligente et plus sensée que les enfants de son âge.
Mais à présent qu'elle fréquentait Taiju, son monde était sens dessus dessous.
Il frappait son frère et sa sœur... et pourtant lui et moi, nous sommes là, au cinéma, nous prenons du bon temps tous les deux... Il a lui-même reconnu qu'il dirigeait un gang et qu'il trempait dans des affaires louches et pourtant je ne vois pas le problème...
C'est alors qu'elle comprit.
Je suis nettement moins parfaite que tout le monde l'imagine... Moi aussi, j'ai une facette sombre, comme n'importe qui, et quand je suis avec lui, j'ai le sentiment que je n'ai pas à la cacher.
– Non, dit-elle enfin. Je ne déteste pas avoir tort. Ce que je déteste, c'est vivre avec des gens avec qui je dois être parfaite tout le temps. Pour un peu, ça me donnerait envie de hurler.
Taiju lui coula un regard, mais Yukino garda son attention rivée sur l'écran.
C'était la première fois qu'elle admettait ressentir des pulsions de ce genre. C'était libérateur. Prononcer ces quelques mots lui avaient fait un bien fou, elle avait l'impression d'avoir crevé un abcès dont elle ignorait même l'existence.
J'ai envie qu'il me voit telle que je suis et non telle que les autres me voient. Je veux bien être parfaite, si moi aussi j'ai le droit d'avoir une personne avec qui je peux être moi-même.
Elle leva finalement les yeux vers Taiju et sourit.
Elle avait sa réponse.
Je l'aime.
Lorsqu'ils sortirent du cinéma, le ciel était noir et les lumières de Tokyo avaient remplacé la lumière du jour. Taiju avait passé son bras autour de sa taille aussitôt qu'ils avaient quitté la salle et il ne l'avait plus retiré. Il semblait aimer son contact tout autant qu'elle aimait le sien. Les regards désapprobateurs montèrent sur leur chemin – au Japon les contacts physiques en public étaient proscrits – mais ni l'un ni l'autre n'en avait rien à faire.
– Tu veux faire quoi maintenant ? Lui dit-il. Tu veux aller manger ?
Yukino était justement en train de se poser la question. Elle aussi aurait aimé que cette soirée se prolonge, toutefois...
– Si je rentre trop tard, lui fit-elle remarquer, il n'y aura plus de train.
– Je te ramènerai, lui répondit-il.
Elle leva les yeux vers lui et avant qu'elle ait eu le temps de répondre, il ajouta :
– Et j'ai pris un casque pour toi au cas où tu te poserais la question.
Tous les deux allèrent s'installer dans un petit izakaya le long du parc qui abritait le zoo de Ueno fermé à cette heure et ils restèrent là une partie de la nuit à discuter de tout et de rien en grignotant des brochettes de viande, des chips et des karaages.
(NDA : Izakaya, bar, bistrot au Japon et karaage, beignet de poulet, crevettes ou encore légumes.)
– Mais si ! Lui dit-elle. Je t'assure que c'est ce qu'il a dit ! Et puis il s'est repris aussitôt et il a fait comme si de rien n'était !
Taiju, assis en face d'elle, piocha dans les karaages.
– J'ai toujours dit que ce prof était un hypocrite, dit-il.
Il avait choisi le morceau que Yukino avait repérée un instant plus tôt et elle tendit la main pour bloquer ses baguettes avec les siennes.
– C'est ma part, dit-elle en explication à son regard surpris, je l'ai vue la première.
– Oh ? Répondit-il sans baisser les yeux. Tu te crois de taille à te mesurer à moi ?
Il tourna le poignet pour bloquer ses baguettes et lui faire lâcher prise, mais Yukino en profita pour saisir le karaage avec les doigts et le fourrer dans sa bouche.
Puis elle éclata de rire et Taiju se laissa aller en arrière en soupirant.
– Tu es une sale gosse en fait, lui dit-il, tu le sais ?
Il disait cela, mais il souriait.
– Je crois oui, reconnut-elle en s'essuyant les doigts.
L'instant d'après, il se redressa et posa sa main sur la sienne.
– Et j'aime bien ça, ajouta-t-il de ce timbre grave et chaud.
Puis il détourna les yeux, comme s'il en avait trop dit, et Yukino ne put réprimer le frisson qui lui courut le long de la colonne.
À une heure avancée de la nuit, Ils reprirent le chemin de la gare à côté de laquelle Taiju avait garé sa moto. Yukino était blottie contre lui pour se protéger de la fraîcheur de la nuit, mais lui ne semblait pas la sentir. Il avait d'ailleurs gardé sa veste posée sur son bras toute la soirée.
L'aube commençait à poindre au-dessus des toits, vit-elle, surprise.
On a vraiment passé toute la nuit dehors ?
Elle n'avait pas vu le temps passer.
C'était encore mieux que la dernière fois.
Chaque jour en sa compagnie lui paraissait plus incroyable que le précédent. Elle ne comprenait pas comment c'était possible.
Quel que soit le passé ou les actes de ce garçon, Yukino était forcée de reconnaître qu'elle l'aimait.
Reste à savoir s'il m'aime lui aussi.
Arrivé près de la moto, désormais la seule sur le parking à deux-roues, Taiju détacha son casque et il le lui tendit.
Tandis que Yukino le mettait, il jeta un œil à ses jambes.
– Tu es sûre que ça ne te dérange pas de monter en jupe ? Dit-il. Elle est courte tout de même.
Yukino boucla le casque sous son menton.
– C'est bon, dit-elle, il n'y a plus personne à cette heure-ci.
– Mais moi je suis là, lui fit-il remarquer.
Il affichait un petit sourire effronté et elle lui répondit du tac au tac :
– Et je compte sur toi pour détourner les yeux comme le gentleman que tu es.
Il sourit davantage, mais ne dit rien.
Il se mit en selle, démarra et lui tendit la main pour l'aider à s'installer derrière lui.
Lorsqu'elle fut assise, Yukino rajusta sa jupe et il en profita pour poser la main sur son genou.
Elle s'immobilisa.
– Qu'est-ce que tu fais ? Lui demanda-t-elle en se penchant vers lui.
La main de Taiju caressa sa peau, puis il la ramena sur le guidon devant lui.
– Rien, dit-il.
On pouvait entendre le sourire dans sa voix.
– Je vérifiais juste que tu avais la peau aussi douce que je l'imaginais, ajouta-t-il.
Ils se mirent en route.
Vérifier si j'ai la peau douce ? Rit-elle en silence. Qu'est-ce que c'est que cette histoire ?
Elle avait plutôt l'impression qu'il avait saisi l'occasion de la toucher avec cette insolence qu'elle lui connaissait maintenant.
Parvenus au pied du sanctuaire, elle mit pied à terre et lui rendit le casque.
– Va te reposer, lui dit-elle. Tu dois être fatigué, il fait presque jour.
– Toi aussi, lui répondit-il.
Ni l'un ni l'autre ne firent pourtant le moindre mouvement.
Au-dessus d'eux, le ciel s'était éclairci à l'est, mais ils ne le voyaient pas.
Finalement, Yukino se hissa sur la pointe des pieds, prit son visage dans le creux de sa main et posa ses lèvres sur les siennes.
Le contact de sa bouche faisait toujours naître une multitude d'étincelles dans son ventre, comme si elle était parcourue par un léger courant électrique qui aiguillonnait chacune de ses cellules.
C'était déroutant, mais surtout agréable.
Un instant plus tard, sa langue partit à la recherche de celle de Taiju.
Lui, ne bougea pas. Les yeux fermés, il goûta la chaleur de ses lèvres sur les siennes et la douceur de sa main sur sa joue. Il aimait le parfum sucré et un peu piquant qui montait de sa peau et la saveur de sa langue qui dansait sur la sienne.
Yukino glissa la main dans sa nuque pour l'amener plus près d'elle et il en profita pour passer un bras autour de sa taille et la serrer contre lui.
Leur baiser se fit plus sauvage et le cœur de Yukino battit la chamade dans sa poitrine.
Lorsqu'ils se séparèrent, elle avait le souffle coupé.
Taiju ne s'éloigna pas et son bras ne lâcha pas sa taille.
Ses lèvres contre les siennes, il murmura :
– Je t'aime Yuki.
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