Vêtue de son uniforme de lycéenne flambant neuf, Yukino franchit les grilles du lycée au milieu du brouhaha des autres étudiants.

Elle se dirigea vers le porche, sous lequel avaient été accrochées les listes des classes, et chercha son nom.

Une fois qu'elle l'eut trouvé, elle laissa la cour pour le bâtiment et suivit les panneaux indiquant la direction des différentes classes.

Derrière elle, une élève de deuxième année traînait presque une de ses camarades par le bras.

Elle ne se tenait plus de joie et elle lui montra la liste des nouveaux élèves d'un doigt fébrile.

– Là ! Dit-elle. Tu vois ? Dans la classe quatre, la huitième ligne, regarde !

Son amie, Yuzuha Shiba, ne jeta qu'un rapide coup d'œil aux panneaux.

– Je vois, répondit-elle d'un air morne. Bon on peut y aller maintenant ?

Elle tourna les talons et l'autre lui emboîta le pas, l'air toujours aussi excité.

– Ne me dis pas que ça ne te fais rien Yuzuha ! Lui dit-elle en remontant à son niveau. Yukino Toma est dans notre lycée ! La championne de kyūdō ! La fille qui a conduit son collège à la victoire trois années de suite est ici !

Yuzuha ne répondit que par un soupir et son amie poursuivit sur sa lancée.

– On dirait que tu as déjà oublié la défaite que notre club a essuyé l'année dernière ! Dit-elle. Nos senpai étaient en larmes et j'entends encore l'équipe du lycée Kazemai se moquer de nous...

Cette fois Yuzuha esquissa un sourire.

– Ils ne se moquaient pas de nous Nanao, dit-elle. Ils ont juste posé pour le photographe sportif qui était venu assister aux quarts de finale...

– C'est ce que j'appelle se moquer moi ! S'exclama l'autre. Se faire photographier alors que nous sommes là, juste à côté ! C'est de la provocation !

– Si tu le dis, pouffa Yuzuha. Mais ça ne change rien, tu ne sais pas s'il s'agit vraiment de Yukino Toma – c'est peut-être une fille qui porte juste le même nom, je te rappelle que Toma vit à Kyoto et pas ici – et tu ne sais pas non plus si elle va s'inscrire dans notre club de tir à l'arc.

À côté d'elle, Nanao se rongea l'ongle du pouce en jetant des regards autour d'elle.

– Je me demande à quoi elle ressemble... ? Dit-elle. Si ça se trouve, je l'ai déjà croisée et je ne le sais même pas...

Elle scruta nerveusement les visages alentour en essayant de deviner qui était sa fameuse idole.

Yuzuha, elle, se dirigea vers les escaliers qui menaient à l'étage des deuxièmes années sans ajouter un mot et Nanao la suivit.

Cette dernière reprit.

– Imagine que ce soit bien elle, dit-elle, et imagine qu'elle veuille s'inscrire dans notre club... Tu sais ce que ça veut dire Yuzu ?

– Hmm ? Demanda Yuzuha.

– Ça veut dire que le titre national est à notre portée ! Lui expliqua Nanao.

Avec une championne à la tête de l'équipe, la victoire lui semblait assurée.

Tout cela, néanmoins, ne semblait pas vraiment intéresser Yuzuha et elle n'écoutait Nanao qu'à demi-mot.

Pourtant, c'était à elle que les troisièmes années avaient confié la présidence du club de tir à l'arc du lycée Ikubunkan après leur défaite quelques mois plus tôt.

Mais la vérité, c'est que Yuzuha Shiba ne comptait pas sur l'hypothétique inscription d'une toute aussi hypothétique championne pour prendre leur revanche.

Il n'y a que le travail et l'entraînement qui nous permettront de montrer ce que l'on vaut... Uniquement le travail et l'entraînement !

Elle désespérait cependant de le faire comprendre à Nanao.

Arrivées devant la porte de leur nouvelle classe, toutes les deux retrouvèrent leurs camarades de l'année passée et le club de tir à l'arc passa au second plan de leurs préoccupations.

Après les cours, en milieu d'après-midi, Yukino remonta l'allée bordée d'érables qui conduisait à l'arrière des bâtiments et aux infrastructures sportives du lycée parmi ses camarades de première année.

Plus tôt, les professeurs leur avaient donné la liste des clubs de l'établissement. Les élèves avaient jusqu'à la fin de la semaine pour faire leur choix. 

L'inscription à un club était obligatoire ici.

Cela ne posait pas de problème à Yukino. Elle avait choisi Ikubunkan pour cela aussi. Son club de kyūdō.

Même si elle avait déménagé, Yukino ne se voyait pas abandonner le tir à l'arc. C'était une discipline qu'elle aimait et qui avait le don de l'apaiser. Au moment où elle ne faisait plus qu'un avec sa flèche et son arc, c'était comme si les problèmes s'évanouissaient de son esprit, comme si elle se détachait de son corps pour accéder à un plan supérieur d'existence. Une sorte de rituel purificateur, de prière.

C'était ainsi que son père le lui avait appris et jamais Yukino n'avait oublié ses enseignements.

Elle trouva rapidement le kyūdojo (NDA : Dojo réservé à la pratique du kyūdō) et gravit les trois marches qui permettaient d'y accéder en compagnie d'une poignée d'élèves de première année, garçons et filles, venus se renseigner sur le club.

Le kyūdō se différenciait des autres disciplines sportives par sa pratique mixte. Les filles, comme les garçons pouvaient s'exercer côte à côte et les équipes étaient souvent composés de membres des deux sexes.

Yukino retira ses chaussures et elle les rangea dans les casiers prévus à cet effet. Puis elle et les autres élèves de premières années rejoignirent la salle principale.

Un kyūdōjo était différent d'un dojo classique. Il s'ouvrait sur une vaste étendue herbeuse terminée par une butte de terre sur laquelle étaient fixées des cibles rondes d'une cinquantaine de centimètres.

Les membres du club les attendaient en tenue, keikogi et hakama.

(NDA : le keikogi est la veste blanche et le hakama, le pantalon noir semblable à une jupe culotte.)

L'un d'entre eux, une fille aux cheveux longs presque roux, portait le brassard de capitaine. Elle avait le regard ferme et une sorte de noblesse dans son attitude, remarqua Yukino. Ça ne devait pas être le genre de filles à se laisser marcher sur les pieds.

Lorsque tous les premières années furent entrés, les membres du club les firent asseoir au fond du dojo.

La plupart des nouveaux n'avaient jamais pratiqué le tir à l'arc et ils étaient venus par simple curiosité.

Après leur avoir expliqué les bases, l'un des membres leur proposa une démonstration.

Ce fut le capitaine qui s'avança.

Assise sur ses talons, Yukino se tendit pour ne pas en perdre une miette. Assister à un beau tir était presque aussi agréable que d'en réussir un.

Yuzuha se mit en place et Yukino admira sa posture et ses gestes au travers des huit étapes du tir.

L'enracinement des pieds... l'affermissement de la posture... l'éveil de la vigilance... l'élévation de l'arc... l'extension... l'union... la séparation et enfin la persistance de l'esprit.

Une fois sa flèche fichée dans la cible, Yuzuha abaissa son arc en expirant et elle se tourna vers eux.

– Voilà, ceux d'entre vous qui souhaitent faire un essai avant de prendre votre décision, vous pouvez vous adresser à Rika Seo, dit-elle en désignant l'une de ses camarades. Nous avons des arcs, des muneate pour les filles (NDA : Protection destinées à la poitrine) et des gants (NDA : Yugake, gant à trois ou quatre doigts en peau de cerf). Ceux qui veulent s'inscrire, allez voir Nanao Kisaragi – elle désigna une autre fille – et précisez-lui si vous avez déjà pratiqué le tir à l'arc. Les autres, vous pouvez vous en aller.

Trois garçons se levèrent et se dirigèrent vers la porte après avoir salué. Ils avaient la liste des clubs en main et ils avaient certainement l'intention d'en visiter d'autres avant la fin de l'après-midi. Deux filles les imitèrent un instant plus tard et quelques autres se dirigèrent vers celle qui devaient leur faire faire un essai.

Yukino était toujours assise le long du mur, le dos droit.

Elle était encore sous le coup de l'impression de force et d'assurance que lui avait laissé le tir de Yuzuha.

Depuis toujours, elle avait appris à décrypter la personnalité des gens en les regardant pratiquer le kyūdō, et Yuzuha Shiba lui avait fait l'effet d'un roc imperturbable sur lequel on pouvait s'appuyer.

Ce doit être une fille formidable... Songea Yukino en la regardant.

Elle avisa le petit groupe qui s'était formé devant l'adolescente qui prenait les inscriptions et elle se leva pour les rejoindre.

Quand son tour arriva, Nanao lui demanda si elle avait déjà pratiqué le kyūdō sans lever les yeux de son bloc.

– Oui, répondit Yukino, j'en fais depuis que je suis petite.

– Ton nom ?

– Yukino Toma.

Nanao leva la tête avec lenteur et elle déglutit.

– Toma... Dit-elle. Comme Toma ?

– Euh... Oui... je suppose, répondit Yukino sans comprendre.

– Yuzu... Appela Nanao d'une voix croassante sans quitter Yukino des yeux. Yuzu tu peux venir une minute !

Yuzuha s'approcha après avoir répondu au question d'une fille de première année et Nanao l'attrapa par la manche.

– Tu peux me répéter ton nom ? Dit-elle à Yukino.

– Yukino Toma, mais...

– La Yukino Toma ? La coupa Nanao.

Yuzuha leva les yeux au ciel et elle prit le relais.

– Bienvenue au club de kyūdō, dit-elle. C'est bien toi qui faisait partie de l'équipe qui a remporté le titre national des collèges l'année dernière ?

– Oui ! Répondit Yukino.

Elle venait enfin de comprendre la réaction de Nanao.

– Tu as un très bon niveau, reprit Yuzuha. J'espère que tu te plairas parmi nous.

Yukino sourit.

– Oui, je suis sûre que je vais me plaire ici !

Elle en était même certaine à présent.

NDA : C'est dans un des characters books que j'ai appris que Yuzuha était la capitaine de son club de Kyūdō et c'est de là que m'est venue en partie cette histoire. Je me suis aussi inspiré du manga Tsurune, une pépite ! D'ailleurs, le mot tsurune (弦音), vient du son que fait la corde de l'arc une fois lâchée ^^