19 - Inquiétude

– Au fait, dit Yuzuha, je vous présente Yukino Toma, c'est la petite amie de Taiju.

Puis elle disparut dans les vestiaires.

Sa déclaration parut faire tomber la foudre sur les trois garçons. Takemichi dévisageait Yukino avec des yeux abasourdis et la mâchoire de Chifuyu sembla une seconde s'être décrochée.

Yukino se tourna vers Hakkai pour tenter de dissiper le malaise.

– Tu es le petit frère de Yuzuha, n'est-ce pas ? Dit-elle pour engager la conversation. Elle m'a dit que tu envisageais de devenir mannequin ?

Aussitôt, Hakkai se raidit et détourna la tête.

L'ambiance, pesante un instant plus tôt, s'alourdit encore un peu plus. Yukino s'efforça de croiser le regard de Hakkai tandis que lui, de son côté, la fuyait.

Heureusement, Chifuyu vint à son secours.

– Hakkai ne parle pas aux filles, lui expliqua-t-il. Je crois qu'elles lui font peur.

Takemichi ajouta :

– Même ma petite amie n'a pas réussi à lui soutirer un mot, dit-il. Il n'y a qu'à Yuzuha qu'il parle.

Yukino les regarda tour à tour, surprise. Puis elle se souvint que Yuzuha l'avait prévenue.

Il n'a jamais adressé la parole à une fille... c'est tout juste s'il ne fait pas un malaise quand il y en a une qui vient lui parler !

Elle fit aussitôt un pas en arrière.

– Je suis désolée Hakkai ! Dit-elle. Je ne voulais pas te mettre mal à l'aise ! Vraiment, je m'excuse...

Elle s'en voulait d'avoir heurté la sensibilité du jeune garçon alors qu'on l'avait mise en garde.

Elle se faisait l'effet d'enchaîner gaffe sur gaffe avec chacun des membres de la famille Shiba.

Ça n'est pas croyable... Comment est-ce que je me débrouille pour mettre les pieds dans le plat à chaque fois ?

Yuzuha la tira de ce mauvais pas en sortant des vestiaires.

Elle administra une claque derrière la tête de son frère et lança :

– Arrête de faire ça Hakkai ! Dit-elle. T'es plus un gosse ! Comment tu vas faire en shooting photos si tu continues ? Entre les maquilleuses, les coiffeuses, les habilleuses... Énuméra-t-elle sur ses doigts. Tu vas croiser des filles tous les deux pas ! Tu comptes te figer comme ça chaque fois que l'une d'entre elles t'adressera la parole ?

Peine perdue, Hakkai demeura tétanisé et Yuzuha soupira.

– Qui est-ce qui m'a foutu deux frangins pareils ? Dit-elle en se passant une main sur le visage.

Takemichi prit la défense de Hakkai.

– C'est bon Yuzuha chan, dit-il, ça n'est pas très grave. Il est comme ça, c'est tout.

Chifuyu de son côté, regardait Hakkai sous le nez pour voir s'il pouvait le faire réagir. Il claqua des doigts plusieurs fois devant son visage, mais Hakkai contemplait obstinément le mur dans la direction opposée à Yukino.

En le voyant faire, Yukino fut prise d'une envie de rire, c'était tellement risible par certains côtés, mais elle se retint.

Comment deux frères peuvent-ils être aussi différents ?

Chifuyu délaissa Hakkai pour revenir vers elle, les mains dans les poches.

– T'es vraiment la petite copine de Taiju ? Lui dit-il.

Il se la jouait racaille avec ses cheveux blonds et sa boucle d'oreille, mais il avait les plus jolis yeux bleu vert qu'elle n'avait jamais vus.

– Oui, dit-elle.

Il se redressa, la bouche marquée par un pli impressionné.

– Wow, respect.

Takemichi intervint.

– Bon on y va ?

Il craignait apparemment que Chifuyu commette un impair.

Yuzuha rejoignit Yukino et elle lui donna la clé.

– Tu es sûre que ça ne te dérange pas de fermer pour moi ? Dit-elle.

– Non, vas-y, pas de problème. À demain !




Une fois dehors, Hakkai parut reprendre vie.

– Où est-ce que vous voulez qu'on aille ? Dit-il. Au centre commercial ou plutôt en ville ?

Sa sœur lui jeta un regard dégoûté.

Il n'y avait vraiment rien à faire avec ce garçon.

– Nous allons en ville, dit-elle, j'ai déjà repéré quelques boutiques intéressantes.

À côté d'elle, Chifuyu se rengorgea.

– Oui, dit-il, moi aussi j'en ai vu plusieurs, vous allez voir ça ! On y trouve des trucs incroyables !

Le regard de Yuzuha se tourna vers lui, mais son expression écœurée resta plaquée sur son visage. Takemichi s'en aperçut et il essaya de désamorcer la situation.

– Tu sais Chifuyu, dit-il, la galanterie voudrait que l'on écoute Yuzuha en premier, d'autant que nous l'avons invitée justement pour ça.

Chifuyu réfléchit, mais il ne trouva rien à répondre et Takemicchou souffla, soulagé. Il n'avait pas envie d'avoir à gérer les problèmes entre ces deux-là en plus du comportement de Hakkai chaque fois qu'il croisait le regard d'une fille.

Ce dernier avait participé à ses premiers shooting photos quelques semaines plus tôt et il arrivait désormais que des personnes le reconnaissent dans la rue. Lorsqu'il s'agissait de femmes, c'était une catastrophe. Hakkai se pétrifiait et il n'était plus possible d'en tirer un mot au point que ses fans se demandaient ce qu'il leur reprochait. Le problème avait atteint de telles proportions que Yuzuha avait commencé à sortir avec lui pour être sûre qu'il ne ruine pas sa carrière avant même de l'avoir débutée.

Cette après-midi ne va pas être de tout repos, se dit Takemichi en atteignant le portail du lycée.

Une autre idée lui trottait dans la tête.

– Dis Yuzuha, reprit-il, est-ce que tu crois que c'est une bonne idée de laisser ton amie sortir avec Taiju ?

Il répugnait à poser la question, mais ça lui semblait important de le faire. Taiju n'était pas n'importe qui. C'était l'ancien boss du Black Dragon et l'homme qui avait battu pendant des années son petit frère et sa petite sœur.

Autour de lui, Hakkai et Chifuyu se turent.

– Ouais, dit enfin Chifuyu. Je me dis la même chose. Je sais que c'est votre frère, mais bon, c'est Taiju quand même. On est tous bien placés ici pour savoir de quoi il est capable.

Hakkai hocha la tête et ajouta :

– J'aurais peur pour elle à ta place.

– Je sais ce que vous pensez, dit Yuzuha, et je suis d'accord avec vous. D'ailleurs, j'ai mis Yukino en garde. Mais elle est adulte et Taiju aussi. Ils font bien ce qu'ils veulent.

Elle hésita et reprit.

– Et puis de toute façon, dit-elle avec un léger sourire, j'ai l'impression que celui qui va donner le plus de fil à retordre à l'autre, n'est pas celui qu'on croit.




Yukino sortit des vestiaires, son sac de sport sur l'épaule et son cartable à la main. Tout le monde était déjà parti et il ne restait plus qu'elle.

Son téléphone sonna au moment où elle fermait à clé la porte du dojo et elle se contorsionna pour l'attraper avant que l'appel ne bascule sur la messagerie.

C'était Taiju.

– Salut, dit-elle en se sentant sourire.

Hey, ça y est ? C'est fini l'entraînement ?

– Oui, j'en sors à l'instant.

Cool, tu es libre là alors ?

– Je comptais rentrer faire mes devoirs, dit-elle, je ne les ai pas encore fait.

Un silence lui répondit et Yukino reprit en riant.

– Ça n'est pas parce que tu peux réussir ton année sans étudier que tout le monde est dans le même cas monsieur le génie !

Elle l'entendit rire à son tour au bout du fil.

Ok, tu marques un point, dit-il. Alors quand est-ce qu'on peut se voir ?

Il semblait empressé. Yukino le comprenait. Elle aussi avait envie de le voir.

– Samedi ? Dit-elle en se dirigeant vers le hall d'entrée du lycée pour aller rapporter la clé. On pourrait passer la journée ensemble.

Samedi, je ne peux pas, j'ai plusieurs affaires à voir avec les gars.

Des affaires ?

C'était la première fois qu'il lui en reparlait depuis qu'ils étaient ensemble.

Oui, des trucs en cours que je ne peux pas reporter.

– Oh, je vois.

Dimanche ?

– Impossible, dit-elle, nous avons prévu un camp d'entraînement qui devrait nous prendre toute la journée. Les compétitions approchent et nous devons être au top.

Un camp d'entraînement ? Répéta-t-il.

– C'est ça.

À nouveau, Taiju garda le silence.

Les paroles de Yuzuha revinrent à Yukino.

Taiju risque de ne pas apprécier de passer au second plan ainsi.

Elle étouffa un rire et décida de le taquiner.

– Serais-tu jaloux de ta petite sœur ? Dit-elle. Cela dit, je comprends tout à fait, c'est une fille tellement très séduisante... Je me demande même si je ne suis pas en train de tomber sous son charme...

Un grognement monta du combiné et, cette fois, elle éclata de rire.

Tu blagues, pas vrai ? Dit-il.

– Évidemment ! S'esclaffa-t-elle avant de reprendre : moi aussi j'ai envie qu'on se voit. On pourrait essayer de se retrouver un soir cette semaine, qu'est-ce que tu en dis ?

Un ciné vendredi ?

– Ça serait parfait. Je te laisse choisir le film ?

Je refuse d'aller voir un truc à l'eau de rose, dit-il.

– J'aime bien les policiers et les films d'espionnage.

Ok.

– Taiju ?

Hmm ?

– Je suis sérieuse, moi aussi, j'ai très envie de te voir.

Lorsqu'elle raccrocha, Yukino savourait l'espèce de chaleur diffuse qui s'attardait en elle.

C'est vraiment la première fois qu'un garçon me fait cet effet-là.

Elle espérait toutefois que ses sentiments ne l'empêcheraient pas de garder la tête froide.

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