14 - Premier baiser
Yukino revint examiner le cliché de l'artiste exposé devant eux.
Elle préférait ne pas se montrer trop familière avec Taiju. Certaines personnes n'appréciaient pas son tempérament taquin, parfois même un peu effronté, et son père lui avait déjà dit plus d'une fois de faire attention à ne pas froisser les sentiments des gens avec ses remarques.
Elle regarda la photographie.
– Je peux comprendre que ce genre d'œuvres ait fait scandale, dit-elle. Elle représente la femme objet... un être humain destiné à être une œuvre d'art silencieuse... contrainte à une éternelle perfection sous peine d'être mise au rebut.
Taiju s'approcha et il se pencha à son oreille.
– Tu as peur d'être mise au rebut si tu n'es pas parfaite ? Rigola-t-il.
Yukino se redressa et vit qu'il affichait un petit sourire insolent qui ressemblait trait pour trait au sien une seconde plus tôt.
Elle le lui retourna.
– Il faudrait peut-être que je songe à rembourrer mon soutien-gorge dans ce cas... Lui répondit-elle dans un souffle en feignant de réfléchir.
Taiju éclata de rire, faisant se retourner les têtes autour d'eux.
– T'es vraiment pas croyable ! Dit-il.
– Oui, je me dis la même chose à ton sujet, lui répondit-elle avec un sourire.
Vers le milieu de l'après-midi, tous les deux quittèrent la galerie et ils prirent la direction du parking où Taiju avait laissé sa moto.
– Où allons-nous à présent ? Lui demanda-t-elle.
– Ça te dit d'aller manger un morceau ?
– Bonne idée ! Dit-elle. J'ai faim !
Taiju détacha le casque et il le lui tendit.
– Tu as besoin d'un coup de main ? Dit-il.
Yukino prit le casque et elle le boucla sur sa tête comme elle l'avait vu faire plus tôt.
– C'est bon tu vois ? J'ai compris l'astuce à présent !
Il se mit en selle et lui tendit la main pour l'aider à s'installer derrière lui.
– Tu as encore peur ou bien je peux aller plus vite ? L'interrogea-t-il en mettant le contact.
– Non, je n'ai plus peur, dit-elle. En fait, je crois que j'aime beaucoup la moto !
À l'aller, elle n'avait pas vu le temps passer tellement elle avait été occupée à regarder les rues de Tokyo qui défilaient autour d'eux.
Ça n'a rien à voir avec la voiture ou le train ! C'est vraiment très excitant ! J'aime beaucoup ça !
Elle s'était mise en selle derrière lui avec plus d'assurance cette fois et le sourire qui barrait son visage fit rigoler Taiju.
– On va faire de toi une vraie racaille si ça continue ! Dit-il.
Lorsqu'elle était sortie du sanctuaire, il n'avait pas manqué de remarquer qu'elle avait mis un pantalon, comme il le lui avait recommandé.
Elle a de jolies jambes en fait... N'avait-il pu s'empêcher de noter.
– Où allons-nous manger ? Dit-elle. Est-ce que c'est une surprise aussi ?
La moto s'inséra dans la circulation et Taiju répondit :
– Tu verras bien.
Ils traversèrent tout le quartier de Omotesando d'ouest en est, avant de rejoindre le sud de Roppongi, Azabujūban et ses résidences chics ponctuées de boutiques traditionnelles.
Yukino passa tout le trajet le nez en l'air.
Vraiment, la vue que l'on avait depuis une moto ne ressemblait à aucune autre.
Mais en hiver lorsqu'il fait froid, ça doit être moins agréable.
Pour l'heure, le printemps commençait à peine sur la capitale, les températures étaient agréables et elle passait un bon moment en compagnie d'un garçon surprenant.
En fait, lui et moi on se ressemble plus que je le croyais, songea-t-elle. Il s'y connaît en art, il a de l'humour...
L'idée que Taiju Shiba puisse être plus qu'une brute à l'apparence impressionnante lui plaisait et lui rappelait que, elle aussi, était plus qu'une jeune fille de bonne famille bien élevée.
Il ne faut pas se fier aux apparences.
Il s'était plu à lui rappeler ses propres mots durant leur visite de la galerie d'art et Yukino pouffa de rire assise derrière lui.
Nous sommes sur la même longueur d'onde et j'aime bien passer du temps avec lui.
En plus de ça, il avait choisi une galerie d'art pour leur premier rendez-vous. Peu de garçons auraient eu ce courage, mais Taiju Shiba devait bien se moquer de ce que l'on pensait de lui.
Ou du moins, il ne craint pas qu'on le pense fragile ou efféminé pour avoir fait ce genre de choix !
Arrivé dans le sud de Azabujūban, il se gara et Yukino en profita pour jeter un œil autour d'elle.
Elle ne connaissait pas encore ce quartier, mais il lui semblait plutôt luxueux. Ici, les immeubles de standing côtoyaient des magasins qui semblaient établis là depuis des décennies, ce qui conférait aux lieux une atmosphère étrange.
C'est plutôt agréable.
Il lui tendit la main pour l'aider à descendre et déboucla son casque sans attendre qu'elle le fasse.
– Je sais comment il faut faire, protesta-t-elle, faussement indignée.
– Ouais, je sais.
Il le lui retira néanmoins lui-même, comme s'il ne parvenait pas à garder très longtemps ses doigts de sa peau. Yukino frémit quand il lui effleura le menton.
Qu'est-ce qui m'arrive ?
La sensation toutefois, ne dura qu'un instant et, la seconde suivante, il la précéda dans une rue voisine.
Il se dirigea vers un petit restaurant traditionnel, le Amanoya, et fit glisser la porte coulissante avant de s'écarter pour la laisser entrer.
Comme souvent, il dut se baisser pour ne pas se cogner contre le chambranle en entrant à son tour et Yukino étouffa un rire.
– Hmm ? Dit-il en la regardant.
– Je me disais qu'il ne devait pas y avoir grand-chose d'adapté à ta taille au Japon, répondit-elle.
– Pays de nabots, marmonna-t-il.
– Quelle idée d'être si ridiculement grand aussi, lui répliqua-t-elle du tac au tac.
Tous les deux échangèrent un regard et sourirent, ravis de cette complicité naissante.
Ils s'installèrent en fond de salle, là où Taiju avait réservé une table découvrit-elle, et la serveuse vint leur apporter le menu.
Le restaurant était petit, mais chaleureux. Il ressemblait à toutes ces petites gargotes que l'on voyait à Kyoto et dans lesquelles ont avait l'impression d'être chez soi.
– Tokyo aussi a ce genre de restaurants... Dit-elle.
Taiju lui désigna une ligne sur la carte.
– Ils font les meilleurs ohagi de Tokyo, lui dit-il, même si ça n'est pas trop la saison. Et leurs desserts sont réputés. Je me suis dit que ça te plairait, que ça te rappellerait Kyoto.
(NDA : Ohagi, pâtisserie traditionnelle à base d'anko – pâte de haricot rouge sucrée – et de riz.)
Attentionné.... Fut le mot qui vint à l'esprit de Yukino.
– Voyons cela, dit-elle.
Lorsqu'ils ressortirent, le soir était en train de tomber et Yukino avait la poitrine emplie d'une agréable chaleur.
J'ai vraiment passé un bon après-midi.
En fait, c'était même plus que cela, elle avait passé la meilleure journée de sa vie lui semblait-il. Chacun des instants qu'ils avaient partagés lui avait paru chargé d'une émotion nouvelle et elle n'avait pas envie que cela se termine.
Tous les deux vagabondèrent en silence dans les rues voisines et ils finirent par atteindre la promenade qui courait le long de la rivière au bord du quartier, l'un des nombreux cours d'eau qui sillonnaient Tokyo.
Ils s'immobilisèrent près de l'ancien pont dont les piliers étaient toujours présents et constituaient une curiosité historique locale.
– J'ai passé un très bon moment, dit enfin Yukino, rompant le silence.
Quand elle se retourna, elle s'aperçut que Taiju était beaucoup plus près qu'elle l'imaginait et son cœur manqua un battement. Pourtant, elle ne s'écarta pas.
Taiju leva la main et il repoussa une mèche de cheveux qui s'était égarée sur sa joue sans dire un mot.
Le contact de ses doigts laissa une trace brûlante sur la peau de Yukino et elle inspira brusquement.
– Ouais, dit-il enfin. Moi aussi.
Le timbre grave et chaud de sa voix lui fit courir un frisson le long de la colonne. Taiju s'en aperçut.
– J'ai envie de t'embrasser, dit-il au bout d'un moment en passant le doigt sur sa bouche.
– Et moi, j'ai envie que tu m'embrasses, répondit-elle sur le même ton.
La main de Taiju n'avait pas encore quitté sa joue et il referma ses doigts sur sa mâchoire pour caresser sa peau du bout du pouce.
Il avait les mains calleuses, mais ses gestes étaient doux.
Ses lèvres survolèrent d'abord les siennes et son souffle chaud coula sur sa joue, faisant battre le cœur de Yukino à la volée.
J'ai envie qu'il m'embrasse... Se répéta-t-elle. Je veux sentir ses lèvres sur les miennes...
Comme elle pensait ces mots, Taiju se pencha et sa bouche vint à la rencontre de la sienne.
D'abord, il parut vouloir prendre son temps et picora ses lèvres de caresses à peine esquissées. Mais Yukino ne l'entendait pas de cette oreille.
Elle passa une main dans sa nuque pour l'attirer plus près d'elle et prit le contrôle de leur baiser.
Un instant surpris, Taiju la laissa faire et leurs bouches entamèrent une valse fiévreuse dont Yukino paraissait la seule initiatrice. Puis Taiju la rejoignit. Son bras se coula autour de sa taille et il la pressa contre lui, son corps brûlant dévoré par cette faim qu'elle lui avait fait découvrir.
Sa langue se fraya un chemin jusqu'à la sienne et toutes les deux se cherchèrent avec délectation.
La seconde suivante, Taiju se redressa et ils se regardèrent avec l'impression de se voir pour la première fois. Puis l'ardeur de leurs sens reprit le dessus et Yukino s'abandonna à ses lèvres, les deux bras passés autour de son cou et dressée sur la pointe des pieds pour se livrer complètement à ce baiser qu'ils désiraient tous deux si ardemment.
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