13 - Rendez-vous
Trois jours plus tard, Taiju téléphona à Yukino en début de soirée.
– Est-ce que samedi, ça te va ? Lui dit-il.
– Oui, samedi, ce sera parfait.
Elle ne se tenait plus d'impatience à la pensée de cette sortie, comme s'il s'agissait de son premier rendez-vous.
Je me demande ce qu'on va faire... ?
Elle n'arrivait pas à imaginer quel genre de sorties pouvait aimer un garçon comme Taiju Shiba.
– Au fait, reprit-il, mets un pantalon ce jour-là, ça serait mieux.
– Un pantalon ? Répéta-t-elle, interloquée.
Il poursuivit sans la laisser finir.
– Tu aimes manger des trucs en particulier ? Je sais que les filles aiment bien les trucs sucrés.
– Oui, j'aime bien les gâteaux...
– Ok, à samedi alors.
Puis il raccrocha.
Pendant un instant, Yukino regarda son téléphone, surprise que la communication ait été coupée si brutalement. Avant d'éclater de rire.
Alors c'est comme ça qu'il fonctionne ! S'esclaffa-t-elle toute seule.
De toute évidence, la façon dont il l'avait plantée devant le sanctuaire quelque jours plus tôt n'était pas accidentelle, c'était juste une habitude chez lui.
Quel phénomène ce garçon ! Pensa-t-elle en riant.
Elle se laissa retomber sur son lit et réfléchit.
Devait-elle parler de ce rendez-vous à Yuzuha ?
L'honnêteté voudrait qu'elle le fasse. Mais les relations entre le frère et la sœur n'étaient pas simples, elle le savait, et, à la vérité, il n'y avait encore rien entre Taiju Shiba et elle. Yukino n'avait pas envie de mettre Yuzuha mal à l'aise ou de la placer dans une situation difficile alors que ce rendez-vous n'aurait peut-être aucune suite.
– Mieux vaut attendre, dit-elle enfin tout haut. S'il finit par y avoir quelque chose entre lui et moi, il sera toujours temps de lui en parler.
Yukino n'avait aucune intention de mentir à Yuzuha, mais elle savait qu'il y avait peu de chance que le sujet de son frère aîné arrive dans la conversation.
Ce point décidé, elle se remit à penser à leur rendez-vous.
Je me demande ce qu'il a prévu... S'interrogea-t-elle à nouveau.
Taiju avait eu l'air d'avoir déjà une idée arrêtée sur le programme de leur après-midi d'après le ton de sa voix.
Le samedi suivant, un peu après midi, Yukino descendit rejoindre Taiju qui lui avait donné rendez-vous devant le sanctuaire, au pied des marches.
Lorsqu'elle arriva, il était assis sur son imposante moto dont le moteur tournait au ralenti avec des airs de fauve impatient.
Elle s'arrêta à son niveau et laissa courir ses yeux sur l'engin. La moto était encore plus impressionnante vue de près, mais la silhouette de Taiju arrivait à la faire paraître presque fragile.
J'imagine qu'il ne pourrait pas tenir sur une moto plus modeste... Songea-t-elle pour elle-même en riant à demi.
– Elle te plaît ? Lâcha-t-il en remarquant son regard.
– Elle est impressionnante, reconnut-elle.
Les chromes étaient rutilants et la carrosserie, d'un noir brillant dans lequel se reflétait le soleil, prouvait que Taiju en prenait soin.
C'était une Honda VTX, un des modèles les plus imposants du marché et l'un des seuls sur lequel il se sentait à l'aise vu son gabarit. Cette moto, c'était une de ses fiertés et Taiju l'entretenait avec une rigueur maniaque.
Il décrocha le casque qu'il portait au bras et le lui tendit.
– Tiens, lui dit-il. Tu m'as dit que tu ne monterais pas sur une moto sans mettre un casque, Toma, alors en voilà un.
Yukino le prit et le retourna entre ses mains.
– Dis, Taiju, dit-elle, tu crois que tu pourrais m'appeler par mon prénom ? Moi j'utilise le tien, ça fait bizarre.
Il réfléchit.
– Ouais, c'est vrai, dit-il finalement. Yukino, c'est ça ?
Elle hocha la tête tout en continuant à examiner le casque.
Il la regarda faire avant de ricaner.
– Ne me dis pas que tu as peur ? Lui dit-il.
– Non, dit-elle, mais je ne sais pas comment on met ce genre de choses.
Taiju lui boucla le casque sous le menton, un sourire amusé aux lèvres.
– Voilà, dit-il.
– Très bien, dit-elle, merci.
Elle regarda alors à nouveau la moto.
Elle n'était jamais montée sur un engin comme celui-ci, mais elle s'était souvent demandée quel genre de sensations on ressentait à filer dessus.
Taiju, lui, ne s'était pas départi de son sourire.
– Quoi encore ? Dit-il en surprenant son regard. Tu vas me dire que tu préfères prendre le train ?
– Non, pas du tout, simplement je me demandais comment on faisait pour se tenir à l'arrière d'une moto ?
Taiju lui montra les poignées, de part et d'autre de la selle, et il lui tint la main jusqu'à ce qu'elle soit installée.
– C'est bon ? Dit-il un instant plus tard. On peut y aller ?
Il y avait toujours de l'amusement dans sa voix.
– Oui ! Répondit-elle en se hissant vers son épaule. Mais fais attention à ne pas rouler trop vite s'il te plaît. Je n'ai jamais fait de moto avant et je ne voudrais pas tomber sottement !
Tomber sottement... Répéta-t-il pour lui-même. Mais d'où est-ce qu'elle sort ses expressions ?
Il n'avait jamais autant ri que depuis qu'il fréquentait Yukino Toma, il devait l'admettre. Cette fille était en total décalage avec son époque et le pire, c'est qu'elle semblait s'en moquer royalement.
Je suis sûr que si je lui demandais si ça ne la dérange pas, elle me répondrait que l'opinion des autres n'a aucune importance ou un truc comme ça.
Il mit les gaz et tous les deux prirent la route.
– Où allons-nous ? Reprit-elle un peu plus loin.
– Tu verras, lui répondit-il par-dessus son épaule.
– Oh ? C'est une surprise ?
Taiju n'y avait pas vraiment pensé de cette façon, mais après tout on pouvait appeler ça une surprise.
– Si on veut, dit-il en atteignant l'entrée de l'autoroute.
Ils arrivèrent vingt minutes plus tard en plein cœur de l'arrondissement de Shibuya, non loin du quartier de Omotesando connu pour être un quartier jeune et branché.
Taiju se gara sur un parking réservé aux deux roues, au bord de l'avenue, et il aida Yukino à descendre.
Elle batailla durant une seconde avec la boucle du casque et il vint à son secours en rigolant.
– Laisse-moi faire, dit-il.
– Mes difficultés ont l'air de bien t'amuser, remarqua-t-elle tandis qu'il lui retirait le casque pour l'accrocher à la moto.
– Oui, reconnut-il. On dirait que tu viens du siècle dernier. C'est marrant.
Sa franchise avait quelque chose de rafraîchissant et Yukino rit avec lui.
Taiju lui jeta un regard, mais il ne dit rien.
– Allons-y, reprit-il en lui montrant la ruelle voisine.
Yukino lui emboîta le pas, intriguée.
– Tu ne veux toujours pas me dire où nous allons ? Dit-elle.
– Ça n'a rien d'un secret, répondit-il en lui montrant le bâtiment qui faisait l'angle de la rue juste à côté d'un petit restaurant de quartier.
La bâtisse, vit Yukino, avait une apparence qui semblait tout droit sortie d'un film de science-fiction. Elle ne faisait que deux étages et on aurait pu la prendre pour une maison banale si sa façade n'avait été recouverte par tout un entrelacs de tubes en métal peints de couleurs vives.
Qu'est-ce que c'est que cet endroit... ? S'interrogea-t-elle.
Le panneau, à l'entrée, répondit à sa question.
Design Festa Gallery.
– Une galerie d'art ?
Elle se tourna vers Taiju qui souriait, visiblement satisfait de lui.
– Tu ne t'y attendais pas, pas vrai ? Dit-il.
– Non, je l'avoue, reconnut-elle.
Il la dépassa, les mains dans les poches et un air ravi plaqué sur le visage.
– Il ne faut pas se fier aux apparences Toma ! Lui lança-t-il.
La galerie, un lieu d'exposition d'art contemporain, proposait à la fois des peintures, des sculptures, mais aussi, certains jours, de la danse et des performances artistiques modernes.
Cette semaine-là, une partie du bâtiment avait été réservée pour l'exposition des travaux d'une photographe dont le renom avait désormais franchi les frontières du Japon. Miwa Yanagi s'était faite connaître grâce à ses clichés numériques retravaillés qui mêlaient tradition et modernité dans une composition parfois controversée.
(NDA : Je vous mets un des clichés de l'artiste pour vous faire une idée de son travail !)
– Regarde ça ! S'extasia Yukino en s'arrêtant devant une nouvelle œuvre. On dirait de l'ikebana et pourtant cette photographie représente des femmes !
(NDA : Ikebana, 華道, art traditionnel de l'arrangement floral japonais.)
Taiju n'avait pas imaginé qu'elle ferait preuve d'un tel enthousiasme.
Il s'était bien attendu à ce qu'une jeune fille de bonne famille ait appris à apprécier l'art, mais Yukino manifestait un émerveillement presque enfantin qui le laissait sans voix.
Il la rejoignit.
– Ce cliché fait partie de sa série Elevator Girls, lui apprit-il. Ces photos ont fait scandale à l'époque où elles sont sorties.
Le regard que Yukino leva vers lui se passa de commentaires.
Taiju ricana.
– Et oui Toma, j'ai aussi un cerveau.
– Yukino, lui répondit-elle dans un souffle. Appelle-moi Yukino.
Le sourire qu'elle lui retourna lui fit un instant perdre ses moyens et Yukino en profita pour reprendre, taquine.
– Tu viens si peu en cours il faut dire... Dit-elle.
– Les cours, c'est chiant, lui rétorqua-t-il.
–D'ailleurs, poursuivit-elle avec un sourire en coin, il ne me semble pas t'avoir vu de toute la semaine à moins que tu aies trouvé un moyen de rétrécir pour passer inaperçu ?
Elle lui jeta un regard dans lequel brillait une lueur de malice et le cœur de Taiju fit une embardée dans sa poitrine.
Le silence s'éternisa entre eux et Yukino se sentit gênée.
Qu'est-ce qui lui avait pris de le taquiner ainsi sans même savoir si cela lui convenait ?
– Désolée, dit-elle. J'ai perdu une occasion de me taire on dirait...
– Non, la coupa. Non, ça ne me dérange pas, au contraire...
– Au contraire ?
Elle leva vers lui un œil surpris.
– Ouais, reprit-il, j'aime bien ce côté chez toi. Un peu... déjantée.
Un sourire espiègle fut de retour sur le visage de Yukino.
– Vraiment ? Dit-elle. Je vais prendre cela comme un compliment, méfie-toi !
NDA : C'est lors de l'exposition Tokyo Revengers qui a eu lieu à Roppongi fin 2023 que l'on a appris que Taiju était en réalité un excellent élève toujours en tête de classe !
♡⸜(ˆᗜˆ˵ )⸝♡
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