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Soobin n'aimait pas se sentir au pied du mur. Pourtant, c'était exactement la sensation qu'il ressentait à présent, en face à face avec Kai. Si la soirée chez Beomgyu et Taehyun s'était bien déroulée, il craignait désormais d'affronter la réalité en face. La distance entre lui et ses deux colocataires ne lui plaisait pas, le souvenir du refus des avances de Kai restait gravé dans son esprit... Soobin était à bout.

– Tu voulais me parler ?

Et pourtant Kai faisait comme si de rien n'était. Comme si Soobin ne l'avait pas rejeté quelques jours auparavant. Kai restait Kai, gentil et serviable comme toujours. Kai se tenait dans l'encadrement de la porte, leur panière de linge dans les bras et attendait que Soobin s'explique.

– Je euh... Ouais.

Il le vit hausser un sourcil, avant d'esquisser un sourire fin.

– C'est par rapport à l'autre jour, hein ? lança Kai.
– Ouais.
– C'est pas grave tu sais, je vais m'en remettre.
– Tu sais très bien que j'ai dit n'importe quoi, soupira Soobin.
– Vraiment ?

Il aurait presque pu voir ses doigts se serrer davantage sur les hanses de la panière. Bien sûr que Kai savait.

– J'ai paniqué.

Kai ne répondit rien. S'il te plait... Fais quelque chose, dis quelque chose... Soobin passa une main dans sa nuque, embarrassé. Devenant cramoisi à mesure que les secondes défilaient, il se leva de son bureau et s'avança à petits pas, les yeux rivés vers le sol. Lentement, Kai déposa sa panière et attrapa ses mains.

– Eh, Binnie...

La dernière fois que Kai avait usé de ce surnom remontait à plusieurs semaines ; il se sentit frissonner. Tout devenait plus compliqué à nouveau. Pourquoi se trouvait-il à nouveau incapable de lui confier ce qu'il ressentait ?

– Je vais recommencer, d'accord ? Cette fois-ci, ne panique pas.
– D'accord et... Yeonjun ?

C'était plus fort que lui. Inclure Yeonjun. Encore et toujours. Kai s'avança une nouvelle fois et il eut l'impression de sentir son souffle fruité, celui qu'il avait toujours après avoir mastiqué pendant des heures un de ces chewing-gums à la pêche, tout près de lui. Kai s'était rapproché suffisamment pour qu'il puisse déposer ses lèvres sur les siennes sans le moindre effort.

– On va en parler avec Jun dès qu'il rentre du boulot, ok ? Mais Soobin j'aimerai vraiment, vraiment, arrêter de te présenter aux gens comme mon colocataire.

Cette fois-ci il fut incapable de retenir son sourire. Il le sentit, en face de lui, Kai fit de même. Il serra ses mains un peu plus fort dans les siennes, dissipant la rougeur de ses joues. Quand les lèvres de Kai effleurèrent une à une ses joues rebondies, il se figea, ouvrant de grands yeux. Il le laissa faire une fois, puis deux, avant de l'embrasser chastement à son tour. Il aurait pu rester là des heures, son corps à seulement quelques centimètres du sien, ses lèvres effleurant encore et encore la peau douce de son visage...

...Mais la tempête du nom de Choi Yeonjun claqua fort la porte de leur appartement, visiblement hors de lui.

– Je vous jure que je vais pousser un vieux dans les escaliers un de ces jours !

Sa voix les fit sursauter tous les deux et ils bondirent loin l'un de l'autre, par réflexe. Tout se dissipa autour de lui : le contact des mains de Kai dans les siennes, celui de ses lèvres sur ses joues... Yeonjun se rua dans la cuisine pour laver ses mains une fois ses claquettes aux pieds, jurant encore et encore dans sa barbe, avant de venir se laisser tomber dans le canapé de leur salon.

– Jun... ?
– Oh, pardon, je... Désolé, ouais, salut vous deux.

Soobin le regarda pincer l'arrête de son nez, réflexe que Yeonjun avait depuis toujours quand il était agacé. D'un commun accord silencieux, Kai et Soobin se glissèrent à ses côtés, inquiets.

– Il s'est passé quoi ?
– J'ai raté mon premier métro ce matin en laissant passer un groupe de vieilles personnes. Et c'est pas grave, parce que c'est comme ça, ça ne me gêne pas, c'est la moindre des choses... Mais ce soir ? Elle m'a fixé super mal pendant tout le trajet, tout le trajet tu m'entends Kai ? Tout. Le. Trajet.
– Yeonjun, reprends ton souffle, murmura Soobin.
– Et, je suis trop sympa moi hein ? Je la vois en difficulté avec ses gros sacs, alors je l'aide ! Ah ! La bonne blague !
– Elle ne t'a pas remercié ?
– Ah ! Si ça n'était que ça, siffla-t-il. Non, je l'aide, nous sortons du métro, et voilà pas que madame commence à jurer dans sa barbe en me disant d'avancer plus vite ? Non mais je rêve. Elle a insisté pour que l'amène jusqu'à chez elle en plus ! J'ai commencé à refuser, et elle m'a insulté ! Dans une rue bondée ! Vous auriez vu le regard des gens, oh mon dieu...

Soobin esquissa un sourire désolé, connaissant pertinemment la hantise de Yeonjun concernant le monde et le jugement.

– Quelle honte...
– Hey, Yeonjun... Tu as déjà beaucoup aidé cette dame...

Soobin lui tapota avec maladresse une épaule et Kai l'imita. Yeonjun sembla se détendre à peine, la tête renversée sur le dossier du canapé. Soobin le connaissait suffisamment pour savoir que les regards portés sur lui en cette fin de journée ne le quitteraient pas avant le lendemain matin : Yeonjun était doué pour ressasser des évènements pas si graves pour tout le monde, désastreux à ses propres yeux. Chassant sa morosité d'un geste de la main, il reprit, d'une voix plus joyeuse :

– Et vous... votre journée ?
– Oh, euh...
– J'ai interrompu un truc, non ?

Yeonjun avait vu. Sa petite histoire n'avait fait que retarder l'inévitable : cette discussion que lui comme les deux autres garçons repoussait. Soobin sentit sa mâchoire se crisper légèrement. Après tout, sa chambre était la plus visible depuis l'entrée de leur appartement.

– Justement, on comptait en parler avec toi, commença Kai.

Il le laissa parler, peu sûr de par où débuter.

– Oh non... C'est la discussion hein ?

Soobin laissa échapper un rire nerveux, sentant le feu lui grimper aux joues. Yeonjun sembla se ratatiner un peu plus dans le canapé, et Kai se gratta la gorge, visiblement nerveux.

– Bon dieu que c'est gênant, murmura Yeonjun.
– Tu ne me facilites pas la tâche, glapit Kai. Écoutez, ça ne sert plus rien à rien de faire les autruches comme ça. On sait tous les trois de quoi il retourne. On n'a pas été foutu d'en parler ensemble, je suppose que tout le monde l'a fait de son côté avec nos pauvres meilleurs amis...

Soobin acquiesça, Yeonjun l'imita et Kai laissa échapper un rire léger.

– Qu'est-ce que je disais, reprit-il. Je sais que ce n'est pas le genre de relation conventionnelle que l'on s'imaginait, que ça ressemble à la pire idée du siècle parce que nous vivons déjà tous les trois ensemble mais-
– Elle me plait cette idée, le coupa Soobin.

Les deux autres garçons se tournèrent vers lui, les yeux ronds. Sans doute car il avait été le plus distant des trois, et – il le savait – celui dont chacun des deux garçons avait douté des sentiments.

– Ça sonne peut-être comme quelque chose de foireux, mais c'est nous. Et je veux nous donner une chance, continua-t-il.

Il y eut un léger silence, assez long pour le faire douter, avant que Kai ne se jette dans ses bras, les yeux brillants. Quelques instants plus tard, Yeonjun se joignit à eux, la tête posée sur ses épaules. Il les serra contre lui maladroitement, le visage en feu, le cœur battant bien trop vite, bien trop fort.

Seulement à cet instant, la pression retomba. Elle quitta son dos en le laissant enfin plus léger, plus libre. Il s'autorisa à fermer les yeux, son front contre les leurs. Il se sentit sourire, heureux, incroyablement soulagé.

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– Soobin... Psst... Tu m'étouffes...

Kai ne reçut aucune réaction. Il redressa légèrement la tête, juste assez pour comprendre que ledit Soobin dormait toujours profondément. Avec délicatesse, il dénoua ses doigts autour de l'élastique de son short, retira sa main et la déposa sur le matelas. En guise de réponse, Soobin respira un peu plus fort, la bouche entrouverte, comme à chaque fois qu'il était plongé dans un profond sommeil. En se redressant un peu plus, son regard croisa les cheveux en bataille de Yeonjun, lui aussi tout aussi endormi, la tête enfoncée dans le dos de l'autre garçon. Enroulé autour de Soobin comme il avait eu usage de le faire avec son traversin ou lui-même, Yeonjun ne semblait pas prêt de se réveiller. Il n'y en a pas un pour rattraper l'autre. Il les délaissa à regret, sentant son ventre émettre de nouveaux cris de famine. La soirée avait été aussi longue qu'éprouvante après leur discussion, qui s'était soldée par de nouveaux questionnements à propos d'eux. Que faire, que dire, comment agir... Kai avait convenu de laisser les choses s'installer comme elles le feraient naturellement.

Il s'installa à leur petite table, un bol de céréales bien rempli sous le nez, ses yeux encore un peu fatigués rivés sur l'écran de son téléphone. Beomgyu lui avait envoyé plein de messages au milieu de la nuit, et Kai ne mit pas bien longtemps à comprendre de quoi il retournait : sans doute son meilleur ami lui avait-il fait un débriefing complet de sa soirée. Il esquissa un sourire amusé en les lisant. Une bonne journée s'annonçait. Une journée de repos pour lui, pour Yeonjun, et certainement pour Soobin.

Une minuscule heure plus tard, après sa douche et constatant que les deux autres jeunes hommes dormaient toujours à poings fermés, Kai entama son ménage. Sans doute Beomgyu aurait-il fait une syncope en voyant l'état du petit tapis du salon : sa maniaquerie les avait agacés tant de fois à l'époque où il habitait ici mais désormais, livrés à eux-mêmes, ils devaient bien admettre qu'elle avait eu du bon.

– Est-ce que... Tu es en train de passer la balayette sur notre tapis... ?

La voix encore à moitié endormie de Soobin le tira de ses pensées. Il ne l'avait pas entendu approcher à pas de loup, jusqu'à derrière lui.

– Euh je... Ouais. C'était crade.

Soobin esquissa un sourire amusé avant de frotter ses yeux, affrontant son dur réveil. Kai se redressa, délaissant sa petite balayette rose pour déposer un baiser léger sur l'une de ses joues. Le geste nouveau sembla le surprendre, et Kai esquissa un sourire amusé.

– Yeonjun m'a étouffé, grogna Soobin, non sans rougir légèrement.
– Bienvenu au club, bientôt tu auras également le privilège de l'entendre ronfler dans ton oreille.
– Il dit n'importe quoi, je ne ronfle pas.

La voix de Yeonjun le fit sursauter. En le voyant ici, les yeux encore collés et les sourcils froncés, tâtonnant presque les murs pour se déplacer, Kai éclata de rire. Le regardant entrer dans la cuisine sans quitter sa moue matinale, il capitula pour son ménage.

– KAI !
– Oui ?

La voix de Yeonjun n'avait plus rien d'endormi.

– TU AS FINI LES CÉRÉALES !
– Je...
– NOS DÉCLARATIONS DE LA VEILLE T'ONT FAIT POUSSER DES AILES OU QUOI ?

Soobin en profita pour filer dans la salle de bain et bientôt il se retrouva nez à nez avec un Yeonjun aux cheveux en pétard, visiblement mécontent.

– Tu SAIS que ce sont mes favorites... Mes favorites ! Espèce d'ingrat !
– Allons, allons...

Yeonjun revint vers lui le regard noir et Kai se tassa légèrement sur place. Après ces années de colocation, il le savait mieux que personne : un Yeonjun aigri dès le matin était un Yeonjun aigri pour le reste de sa journée. Il voulut fuir lui aussi, insultant mentalement Soobin qui venait de refermer la porte de la salle de bain à clef, quand une main se posa sur son épaule, le faisant se tendre davantage.

– Crétin.

Yeonjun le serra dans ses bras en guise de réprimande.

– C'est bien parce que tu peux te faire pardonner avec ton regard de biche va.

Il esquissa un sourire amusé.

– Et parce que tu pars bientôt.

Kai se tendit légèrement, le nez enfoui dans son épaule, mais ne le reprit pas. Yeonjun avait raison, Yeonjun ne faisait qu'admettre ce qui lui faisait mal, ne faisait que l'accepter.

– J'aurais le droit de piquer dans tes céréales favorites jusqu'à mon départ alors ? marmonna-t-il, taquin.
– N'abuse pas non, rigola Yeonjun.

Il haussa les épaules, à peine convaincu. Il en aurait désormais le droit et en était maintenant pleinement conscient.

– Tu te sens mieux ? murmura Yeonjun.
– Si tu savais.

Yeonjun se décolla légèrement de lui, un sourire aux lèvres.

– C'est ça que je veux voir, ce beau sourire !

Il se sentit rougir malgré lui.

– Allez Soobin, sors de cette salle de bain, ma terrible colère est passée ! clama Yeonjun en se dirigeant de nouveau vers leur cuisine.

Timidement, la tête de Soobin apparut.

– Il reste des glaces dans le frigo, ananas mangue coco !
– Ce mélange est immonde, soupira Soobin en s'affalant.
– Et un reste de gâteau.
– Envoie.

Yeonjun le lui lança dessus sans aucune douceur.

– YEONJUN BON SANG !
– Tu as dit « envoie » !
– Mais...

Kai éclata de rire et se rua sur la boite à son tour.

– C'est le reste du Kouignamann ? Miam !

Soobin râla de nouveau et le lui laissa en marmonnant un « il est à l'ail de toute façon, c'est dégueu » mais Kai n'en avait que faire, il était un estomac insatiable le matin.

– Quoi de prévu pour vous aujourd'hui ? demanda Soobin.
– Repos, je ne veux rien faire de ma journée, marmonna Yeonjun, la bouche pleine de glace, avachi dans le coin du canapé qu'il lui restait.
– Je reste ici, répondit Kai. Ça fait longtemps que nous n'avons pas passé du temps juste tous les trois...

Soobin glissa une main dans l'une des siennes.

– Avec plaisir, répondit-il.

Heureux, il essuya les miettes sur ses doigts et reposa la petite boite cartonnée désormais vide devant eux. Soobin ne le quittait pas des yeux, il le sentait, et il réalisa lentement que son sourire, ce sourire, lui avait manqué. Celui d'un Soobin heureux et léger, qui ne semblait pas renfrogné et mal à l'aise d'être dans la même salle que lui et Yeonjun. Nous aurions dû avoir cette discussion il y a quelques mois, hein Binnie ? Alors, avec douceur, il attira son visage contre le sien pour lui donner un baiser léger, si doux qu'il lui sembla à peine effleurer ses lèvres. En face de lui, le brun cligna des yeux, avant que son sourire s'étire davantage.

Il le réalisa en cet instant : il n'avait jamais embrassé Soobin de la sorte.

Le visage de Soobin était en feu et ce fut en suivant son regard et en rencontrant celui de Yeonjun qu'il comprit. Ce dernier, un sourcil levé, n'avait pas arrêté de les regarder.

– Quoi ? Je vous en prie, faites, faites !
– C'est trop bizarre, marmonna Soobin.

Yeonjun haussa les épaules, avant de lever les yeux au plafond et de se tourner à nouveau vers eux.

– J'ai rarement vu quelque chose d'aussi mignon, mais bon.

Le visage de Kai termina de s'enflammer à son tour, celui de Soobin de virer au rouge écarlate.

– Eh, je vous l'ai dit hier soir : à titre personnel, vous faites ce que vous voulez que je sois là ou non. Je ne suis pas la personne la plus pudique de cet appartement.
– Désolé, murmura Soobin.
– Soobin, ce n'était pas une réprimande, rigola Yeonjun. Simplement de la communication.

Kai acquiesça, soudain plus léger. Yeonjun avait été celui qui avait sans doute le plus appuyé sur ce mot lors de leur discussion de la veille. Communiquer était la clef. En soi, comme pour n'importe quelle relation, avait rajouté Soobin.

Ce soir-là, Kai avait réalisé la chance qu'il avait de les avoir trouvés.

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