┆ ┆ ┆જ ✾

Toute la journée, Taehyun s'était fait le commentaire que quelque chose n'allait pas avec Kai. Il l'avait eu au téléphone une bonne heure ce matin et quelque chose dans sa voix l'avait alerté. Sans vouloir mettre les deux pieds dans le plat, Taehyun avait tâté le terrain, sans finalement rien en tirer. Kai restait un mystère, mais surtout, Kai restait une tombe vis-à-vis de ce qui n'allait de toute évidence pas chez lui. Il n'avait pas osé insister, sentant chez l'autre garçon un certain agacement. Le reste de sa journée, devant son ordinateur à postuler pour de nouveaux emplois ou bien le nez sur sa tablette graphique, Taehyun essaya de ne plus trop y penser.

En début de soirée, Beomgyu rentra épuisé du travail. Taehyun le suivit du regard jusqu'à leur salle de bain, attendant qu'il termine sa douche avant de l'embrasser chastement, ne voulant pas presser les choses. Il savait ô combien Beomgyu détestait être touché quand il était dans cet état-là : dégoulinant, fatigué, et le visage marqué par sa journée beaucoup trop longue. Désormais, il se trouvait à ses côtés, beaucoup plus à l'aise et surtout, enfin serré contre lui, les jambes repliées contre son torse.

– Tu as fait quoi de beau aujourd'hui ? lui demanda-t-il.
– J'ai postulé à de nouvelles offres et j'ai continué la commande que ce type m'a passée la semaine dernière.

Il passa sous silence l'épisode Kai, ne voulant pas l'inquiéter sans en savoir plus avant.

– Je suis fier de toi Thyun, souffla-t-il en passant une main dans ses cheveux.

Et comme toujours, Taehyun sentit son cœur s'emballer. Les compliments de Beomgyu étaient les meilleurs, car ils étaient sincères et lui venaient toujours naturellement, sans qu'il ne prenne le temps de les formuler d'une manière trop faussée.

– J'espère que j'obtiendrais des réponses, marmonna-t-il.
– Je n'en doute pas, ok ?
– Mouais... Ah, aussi, demain je vois Soobin pour un café.
– Que tous les deux ?
– Ouais, va savoir, il avait envie... Tu penses que je devrais m'inquiéter ?
– Au contraire, la situation s'est peut-être améliorée ?

Il haussa les épaules, peu convaincu.

– Tu me rejoindrais au jardin botanique, à Incheon, juste après ?

Beomgyu leva un sourcil, curieux.

– Ça fait longtemps qu'on n'y est pas allé tous les deux.
– Avec plaisir.

Il esquissa un sourire immense, s'y voyant déjà. Il adorait cet endroit et en cette saison, les couleurs étaient parfaites pour ce qu'il avait en tête. Ils mangèrent rapidement, avant qu'il ne se penche pour attraper la télécommande de leur télévision, se retournant vers lui les yeux brillants.

– On se matte quoi ce soir ?
– Tu veux vraiment mater un truc ? J'avais d'autres idées en tête.

Sa mâchoire manqua de se décrocher et la télécommande lui glissa des doigts. Beomgyu et sa meilleure amie pudeur ne proposaient que trop rarement d'initier les choses entre eux.

– Je... Oui.

Beomgyu s'empourpra jusqu'à la racine des cheveux, peinant à dissimuler son sourire de fierté et laissa échapper un rire amusé. Taehyun avait répondu bien plus vite que ce qu'il avait imaginé, mais il s'en fichait : de toute façon, Beomgyu le connaissait par cœur et ne devait pas attendre d'autres réactions de sa part. Il grimpa sur ses genoux sans attendre, ses mains sur ses épaules.

– Ce que tu veux.

Beomgyu rigola, son front contre le sien.

– Déjà, pas ici. Il faut vraiment qu'on change de canapé il est devenu trop inconfortable.
– La faute à qui ?
– À qui ? Je... Je n'ai pas fait exprès de casser cette latte !

Le jour où Beomgyu avait sauté sur ce canapé de seconde main pour le surprendre et que la latte avait rendu l'âme dans le même temps, datait du tout début de leur aménagement. Depuis, ni lui ni son petit ami n'avait eu le courage de le changer. Le canapé avait survécu à Kai et Yeonjun se battant dessus, à une tasse de café brûlant renversé au grand désespoir de Beomgyu et sa maniaquerie... Taehyun explosa de rire et Beomgyu plaqua sa main sur sa bouche, le tout en se levant avec difficulté.

– Espèce de crétin, grommela-t-il.

Suspendu à son cou Taehyun pressa le pas jusqu'à leur lit.

Taehyun lâchait rarement prise pendant leurs ébats. C'était un fait, incontesté, que même Beomgyu connaissait et pourtant, ce fait n'évoluait pas. La plupart du temps, Taehyun n'avait d'yeux que pour lui, et rien que lui. Il restait sur la retenue, comme au tout début de leur relation, craignant de trop en faire, de trop en demander. Il s'en contentait et le répétait inlassablement à son petit ami pour le rassurer. Ce n'était pas l'envie qui lui manquait, mais le bien-être de Beomgyu passait au-dessus du sien à quatre-vingt-dix-neuf pour cent du temps.

Et il y avait les soirs plus rares comme celui-ci où enfin Taehyun acceptait de s'oublier un peu. Ces soirs où, de son côté, rien n'allait pour Beomgyu.

– Taehyun...

La voix de son compagnon le ramena bien vite sur terre. Il pesta contre son cou, pourtant si bien entre ses jambes, son torse collé au sien. Il détestait cette voix. Il la haïssait autant que Beomgyu la haïssait lui aussi. Il releva la tête, le front en sueur et les lèvres entrouvertes. Pas maintenant... si ? Le regard brillant de Beomgyu termina de le couper dans son élan.

– R-retire toi s'il te plait je...
– Merde Beomie...

L'instant d'après, Beomgyu avait plaqué la paume de ses deux mains sur ses yeux pour empêcher les larmes de couler.

– Putain je... Je suis désolé !
– T'excuse pas, expira-t-il.
– Je t'ai fait mal ?
– N-non...
– Ça n'en a pas l'air alors tu-
– Thyun s'il te p-plait.

Taehyun soupira et se leva du lit, cherchant des yeux le premier bas de jogging ou caleçon qu'il pourrait enfiler. Il jeta un coup d'œil à leur table de chevet et eut envie de se maudire davantage en réalisant que pour la première fois depuis longtemps, il n'avait rien anticipé du tout. Taehyun et Beomgyu avaient leurs habitudes. Et leurs habitudes étaient solides : celles de toujours avoir de quoi se nettoyer et la crème de massage favorite de Beomgyu à portée de main. Taehyun prévoyait toujours car avec Beomgyu les crises n'étaient jamais loin. Et les massages le calmaient toujours.

– Je vais chercher de quoi-
– A-arrête bon sang...

Il l'ignora et se dirigea vers la salle de bain, le visage rouge, les membres engourdis, le corps encore en feu et en s'insultant de tous les noms possibles. Il fouilla rapidement dans leurs placards, attrapa de quoi faire et jeta un coup d'œil à son reflet dans le miroir. Il détesta ce qu'il y vit ; une version de lui-même qui se demandait encore ce qui avait bien pu se passer dans sa tête alors qu'ils passaient un moment rien que tous les deux.

Quand il retourna dans leur chambre, Beomgyu s'était assis dans le lit, les yeux rivés sur les draps qu'il avait ramenés sur son corps encore nu.

– Eh...

Il passa une main dans ses cheveux et déposa un baiser sur son front. Beomgyu ne broncha pas. Sa respiration était plus forte et le sentant à deux doigts d'éclater en sanglots, il reprit d'une voix douce :

– Tu veux que je-
– Je vais me doucher. Tout seul.

Sans un mot il le regarda quitter le lit furieusement, le regard brillant, sans un regard en arrière et claquer la porte de leur salle de bain si fort que les murs en tremblèrent légèrement. Taehyun resta un instant dans le lit, en silence, sans bouger, sa serviette chaude dans une main, sa crème dans l'autre, à regarder la porte close. Il lui sembla attendre une éternité avant d'entendre l'eau couler, puis se couper, puis couler à nouveau... Jusqu'à ne jamais s'arrêter. Il se leva, les jambes en coton et s'avança prudemment de la salle de bain, sans oser faire un seul bruit. L'eau coulait toujours. Son corps était toujours brûlant.

– Beomie ?

Aucune réponse. Il ouvrit la porte avec lenteur, comme pour lui laisser le temps de lui demander de la refermer si besoin, mais rien ne vint. Quand il le découvrit, Beomgyu était recroquevillé sous un filet d'eau chaude, le pommeau de douche fixé au-dessus de sa tête. Une impression de déjà vue le traversa froidement et il referma la porte avant de s'avancer vers lui.

– Eh...

Sans se préoccuper du bas de jogging qu'il trempait avec l'eau de la douche, il se cala contre lui et leva prudemment une main au-dessus de ses genoux serrés.

– Je peux te toucher ?

Un hochement de tête discret lui répondit, et Taehyun effleura ses genoux avec douceur.

– Tu veux en parler ?
– Non.
– D'accord. Ça va un peu mieux ?
– Non.
– Beomie...
– Je suis une merde.
– Ne dis pas ça.
– Sinon quoi ? Hein ?
– Je...

... vais être triste ? Beomgyu releva son visage, les lèvres pincées et se jeta à son cou.

– Je suis désolé Taehyun, vraiment désolé...
– Ce n'est pas grave, j'ai... j'ai vraiment eu peur de t'avoir fait mal.

La tête nichée dans le creux de ses épaules, Beomgyu haussa les épaules. Bien sûr qu'il a eu mal, comme presque toujours, lui chuchota une petite voix sournoise.

– L'autre jour c'était incroyable, renifla-t-il. Pourquoi ça ne peut pas le rester putain...

Cette question, Taehyun se la posait à chaque fois. Sans cesser les caresses sur le sommet de ses genoux, il le laissa se serrer un peu plus contre lui. Dans ces moments-là, les mêmes remarques lui revenaient en boucle. Après tout ce temps... Je ne suis peut-être pas la bonne personne ? Est-ce que je m'y prends mal ? Est-ce que ça va aller mieux un jour ? D'un geste discret il coupa l'eau et Beomgyu râla un peu, sans se déloger pour autant. Il se redressa, et l'invita à faire de même, avant d'attraper une serviette sèche. Il le regarda sortir de la douche comme un zombi, ses yeux humides rivés sur le sol. Il l'enroula avec douceur dans le tissu et esquissa un sourire avant de passer un doigt dans ses cheveux humides.

– Je t'apporte des fringues, ok ?

Beomgyu ne répondit pas, ne bougea pas. Rapidement Taehyun tourna les talons et attrapa à la volée les premiers habits confortables qui lui tombèrent sous la main. Il en profita pour se changer à la va-vite et retourna dans la salle d'eau où son petit ami n'avait pas bougé d'un poil. Il fixait toujours le sol, ce petit bout de carrelage, comme si quelque chose que seul lui pouvait lire y était inscrit.

– Beomie ?

Il posa les habits sur le bord de l'évier et se posta devant lui, inquiet.

– S'il te plait, réponds-moi... Je n'aime pas quand-
– Je vais prendre un rendez-vous... Un jour, je te promets, souffla Beomgyu en guise de réponse.
– Fais-le pour toi, pas pour moi, d'accord ?
– Tu en pâtis autant que moi Thyun.
– Tu sais très bien que ce n'est pas vrai. Moi ça ne me gêne pas de...
– De ne pas pouvoir t'envoyer en l'air comme tu le souhaites ?

Taehyun baissa les yeux, penaud.

– C'est un énorme mensonge et tu le sais, murmura Beomgyu. J'ai très bien entendu ton « fais chier » tout à l'heure.
– Beomgyu...
– J'me suis insulté aussi, honnêtement je ne t'en veux même pas.

Il termina de se sécher en silence sous son regard mortifié et s'habilla. Beomgyu attrapa sa main en silence et Taehyun le suivit, les joues rouges, jusque dans leur chambre. Il n'y eut plus un mot échangé jusqu'à que la chambre se retrouve plongée dans le noir et le silence complet. Taehyun le connaissait assez pour savoir qu'il cherchait ses mots et quant à lui... l'intégralité de la scène tournait en boucle dans sa tête. Elle le torturait encore et encore quand la voix de Beomgyu s'éleva.

– Je suis vraiment désolé.

Taehyun soupira et se tourna vers lui. Au même instant, Beomgyu se pressa dans ses bras, laissant échapper un soupir tremblant.

– Je ne sais même pas comment s'est arrivé cette fois-ci...
– La prochaine fois je prendrai plus mon temps Beomie, et–

Beomgyu se redressa dans leur lit, les sourcils froncés et lui frappa le torse avec force.

– Arrête ça !
– Que-
– Admet que c'est moi qui déconne, pas toi ! Bordel Taehyun !

Il s'apprêta à répliquer quelque chose, mais devant le visage dévasté de son petit ami, il se résigna.

– C'est dans ma putain de tête que ça se passe ! C'est moi qui pense trop, pas toi...

Il se ratatina légèrement à ses côtés et sans ajouter un mot se retourna dans ses draps, sans aucune envie de poursuivre la discussion.

– D'accord. Bonne nuit Beomgyu.

Fuir était plus simple ce soir. Mais il s'en voulut immédiatement. Beomgyu se recoucha à son tour et puis... Plus rien. Il aurait presque pu l'entendre penser tant son souffle demeura irrégulier les minutes qui suivirent. Il se concentra sur sa propre respiration en essayant de l'ignorer, autant les que les larmes qui s'agglutinaient au coin de ses yeux. Ça va aller Thyun, vous allez gérer ça comme toujours. Il est fatigué, en colère contre lui-même, tu sais comment il est dans ces moments-là.

– Thyun ?
– Mmm ?

Le nez de Beomgyu frôla sa nuque dégagée et ses mains effleurèrent ses hanches. Ses gestes discrets lui arrachèrent un sourire et il renifla, un peu trop fort, mais juste assez pour l'alerter malgré lui.

– Je t'aime.
– Je sais, souffla-t-il.
– Non, Thyun... Je t'aime comme je n'ai jamais aimé avant.

Cette fois-ci, il fut incapable de retenir ses larmes plus longtemps.

┆ ┆ ┆

Sa nuit avait été affreuse. Lui et Beomgyu n'avaient presque pas dormi. Au matin, Beomgyu s'était excusé encore une fois et Taehyun avait de nouveau senti son cœur se serrer. Beomgyu l'avait embrassé avant de partir travailler et pour la première fois, la boule de tristesse dans son ventre ne l'avait pas quitté. Peut-être parce que Beomgyu semblait triste et tendu lui aussi, ou simplement parce que cela était la première fois qu'il se sentait ainsi. Bouleversé. C'était le mot exact. Jamais depuis que Beomgyu et lui vivaient ensemble, ou se fréquentaient, il n'avait ressenti une chose pareille. Il avait été inquiet par le passé, en colère, triste... Mais bouleversé au point d'anticiper sa prochaine nuit avec Beomgyu... Jamais.

– Hey ! Taehyunie !

Il releva la tête et se leva de son banc, rigide comme jamais. Soobin semblait en forme. Alors pour ne pas l'inquiéter, il chassa les mauvaises ondes et lui adressa un sourire tendre.

– Tu sembles en forme, ça fait plaisir à voir !

Soobin haussa les épaules et ils se dirigèrent vers le café qu'ils avaient choisi la veille d'un pas décidé. Comme toujours, Taehyun commanda la même chose, et Soobin l'imita. Soobin avait un chic pour copier les commandes des autres, sauf quand ils commandaient du thé (il n'en buvait jamais) et cela l'avait toujours beaucoup amusé.

– Alors, pourquoi ce rendez-vous, hein ?
– Rendez-vous... Je voulais juste voir l'un de mes meilleurs amis !
– Soo', mon petit...

Soobin lui jeta un regard amusé. Le plus petit des deux n'était certainement pas lui, mais Taehyun l'ignora.

– Tu semblais en avoir beaucoup sur le cœur. Vas-y, déballe.
– Je... Ouais... Mais je ne sais pas par où commencer.
– Je pense déjà connaître le cœur du problème.
– Vraiment ?
– Comment faire pour que Kai remarque que j'en pince pour lui ?

Soobin se figea, ses doigts se resserrèrent légèrement autour de son verre. À son regard il devina avoir touché un point sensible et soupira.

– Comment..., murmura le plus grand.
– Beomgyu. Il l'a remarqué dès son retour et me l'a dit.
– Je ne sais même pas comment j'en suis arrivée là Taehyun...

Il lui tapota le sommet de la main, l'encourageant à continuer.

– Je... Je ne sais même pas quoi dire... Ouais, j'en pince pour lui. Depuis longtemps... beaucoup trop longtemps et je... J'ai aucune idée de comment gérer ça. Et puis, il y a Yeonjun et–
– Oh, eh, doucement, chaque chose en son temps... Yeonjun et Kai ne sont pas ensemble, ok ?
– J'ai l'impression que c'est tout comme.
– Mais tu sais que non.

Soobin soupira et passa une main dans ses cheveux sombres. Il devait bien l'avouer, la relation entre les deux autres garçons était singulière et les interrogations de Soobin légitimes.

– Parfois... Je dois avouer que je suis un peu jaloux de toi et Beomgyu.
– Pardon ?
– Votre couple... Il est parfait. Ok, vous avez mis longtemps à vous tourner autour, à franchir le cap mais... À chaque fois que je vous vois, je ne peux pas m'empêcher de me dire que c'est ça que je veux.
– Soobin... Tous les couples ont leurs petits tracas. Ne pense pas que tout est rose pour lui et moi.

Soobin ouvrit de grands yeux et Taehyun se reprit immédiatement.

– C'est génial hein ? Je l'aime comme un dingue, et c'est réciproque. J'aime notre vie à deux et jamais je ne la troquerais pour quelque chose d'autre, que l'on s'entende bien. Mais pour en arriver là, tu sais, on est passé par tout un tas de choses pas cool.
– Vraiment ?

Il se rembrunit légèrement, s'enfonçant davantage dans son siège. Il ignorait de si Beomgyu avait parlé à son meilleur ami de la montagne de problèmes par lesquels ils étaient passés. Il le savait assez pudique sur sa vie privée, et doutait fortement que Yeonjun ait entendu ne serait-ce qu'un quart de l'histoire. Il jeta un coup d'œil à Soobin, qui attendait visiblement une réponse et soupira ; Soobin garderait les choses pour lui et il le savait.

– Mmh, tu sais, il n'avait jamais vraiment dit à sa famille qu'il aimait les hommes... ça été rude au départ, son père était persuadé qu'il plaisantait et... Tu connais Beomie.

Beomgyu n'était pas très tactile en public. Beomgyu démontrait peu son affection aux yeux du monde. Taehyun n'en avait jamais été gêné, mais ce jour-là, la chose s'était retournée contre eux. Il avait baissé les yeux devant son père, sans savoir comment réagir et Taehyun avait pris les devants, la voix tremblante, pour les défendre tous les deux.

– Rajoute à ça la majorité de ses... anciens autres amis.

Soobin secoua la tête, navré.

– Combien de fois on a eu le droit au même discours ? J'étais la petite pédale qui l'avait fait changer de bord, « Beomgyu n'aime pas les hommes », « Beomgyu a changé depuis qu'il est avec toi »...
– Taehyun...
– C'est rien, honnêtement... C'est lui que ça a blessé. Il a découvert le visage de personne qu'il pensait connaître, à qui il n'avait jamais dit qu'il avait déjà été dans une relation avec un autre garçon. Il leur a annoncé pour nous, pour me faire plaisir. Parce que ça lui tenait à cœur aussi... Et ça n'est pas passé. Un soir il conversait par message avec une de ses amies, elle a parlé de gâchis. De gâchis, Soobin. Je ne l'ai jamais vu autant en colère. Non, ça n'a pas été simple Soobin. Ni au début, ni quelques mois après, ni maintenant.

Sa voix s'étrangla et il baissa les yeux sur ses mains qu'il avait jointes sur ses genoux.

– Taehyun...

Du coin de l'œil il vit Soobin se lever, se glisser à ses côtés et le prendre dans ses bras. Il se fit violence pour ne pas relâcher la pression, ici, devant tout le monde. Mais sa gorge demeurait nouée, et il fut incapable de continuer à parler sans sentir de nouveaux sanglots arriver.

– Je suis venu te parler de mes problèmes mais tu sais... Tu peux également me confier les tiens, tu sais ? J'ai l'impression d'être toujours celui qui se plaint de tout, sans t'aider en retour dans notre relation. Je sais que tu as tendance à tout garder pour toi, mais extérioriser ne te ferait pas de mal parfois, ok ?

Il secoua la tête, les yeux brillants.

– J'ai... J'ai de plus en plus l'impression de ne pas être à la hauteur, murmura-t-il.
– Comment ça ? Taehyun, sérieusement ? Des connaissances, membres de ma famille, amis... Des gens en couple j'en ai vu défiler un tas et crois-moi, tu es largement au-dessus du lot. Rassure-moi, tu le sais ça, hein ? Beomgyu le sait en tout cas. Je l'ai déjà entendu le dire à Yeonjun.

Il releva la tête, les lèvres pincées.

– V-vraiment ?
– Erf, tu... Je ne t'apprends rien, tu connais ton copain et son incapacité à s'exprimer correctement mais... Un jour, il a lâché qu'aucun autre gars ne t'arrivait à la cheville, en préparant à manger. J'me souviens que j'étais en train de jouer à ce moment-là, je me suis retourné un peu étonné parce que, disons-le franchement, il parle peu de vous et n'aime pas s'étaler et Yeonjun avait ouvert de grands yeux. Je crois qu'il attendait la suite... Beomgyu s'est juste contenté de sourire et n'a rien dit de plus mais... Je t'assure Taehyun que tu n'es pas « pas à la hauteur ». On connait Beom depuis le lycée et je ne l'ai jamais vu aussi épanoui.

Une larme lui échappa et Soobin l'essuya juste à temps avec un coin de sa petite serviette en papier.

– Allons, allons... Tu lui en as parlé ?

Taehyun haussa les épaules.

– Taehyun, tu es le premier à donner ce conseil.
– C'est compliqué... On en parle, de temps en temps, mais le sujet le gêne. Hier soir j'ai eu l'impression de revenir au tout début de notre relation, Soobin.
– C'est-à-dire ? Qu'est-ce qui n'allait pas au début ?

Il lâcha un rire nerveux.

– Oh. Ok, tu n'es pas obligé de m'en parler.
– Merci, souffla-t-il.
– Ça va aller, ok ? Je sais que vous allez gérer ça comme des chefs. Si jamais tu veux en parler, tu sais que je serais toujours là, d'accord ? Je peux tout entendre.

Taehyun haussa un sourcil, amusé, avant de le prendre de nouveau dans ses bras.

– On doit se voir tout à l'heure...
– Et ça va aller, d'accord ? Parlez-en, de ce qui ne va pas.
– Je vais essayer.

Taehyun attrapa son verre pour boire une gorgée et esquissa un sourire triste.

– Je me plains mais... Moi aussi je n'ai jamais été aussi heureux.

Soobin le regarda avec de grands yeux brillants.

– Je te souhaite vraiment d'avoir ça un jour Soobin... Avoir quelqu'un comme Beomgyu, sur qui compter, qui me connait moi et mes limites, qui compose avec ma montagne de défauts...

Soobin lâcha un rire nerveux.

– Eh bah, c'est mal barré pour moi mais euh, on verra, hein...
– Ne dis pas ça imbécile. C'est vrai que ton cœur n'a pas choisi le mec le plus simple du lot mais... Je suis là, ok ?
– Merci Taehyun.

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Les yeux rivés sur le contenu de son sac, Taehyun n'entendit pas son petit ami approcher derrière lui. Il cherchait des yeux sa palette, espérant ne pas avoir oublié ses pinceaux favoris quand soudain, un baiser dans ses cheveux le fit sursauter.

– Bon sang !

Beomgyu éclata de rire, le contourna et se laissa glisser sur le banc à ses côtés.

– Concentré à ce que je vois, lança-t-il.
– Tu m'as fait peur Beomie, maugréa-t-il.
– Tu as passé une bonne journée ? Soobin va bien ?
– Ça peut aller.

Taehyun referma son sac et se leva, attrapant l'une de ses mains au passage. Oublier la froideur de ce matin, ne plus y penser. Beomgyu en semblait déjà bien loin.

– On va se poser quelque part ?
– Il n'est pas assez bien ce banc ?
– Beomie...
– J'te taquine, je te suis !

Il se leva, sourire aux lèvres et soudainement, Taehyun se sentit plus léger. Lui et Beomgyu venaient souvent ici. Lui pour peindre, Beomgyu simplement pour lui tenir compagnie. Il le guida à l'ombre, sous une rangée d'arbres bien taillés, non loin du hanok traditionnel perché dans les hauteurs du jardin.

– Que vas-tu peindre aujourd'hui ?

Beomgyu s'installa, le dos contre le tronc de l'arbre.

– Toi.
– Moi ?

Il sembla surpris, pourtant, ce n'était pas la première fois que Taehyun se prêtait à l'exercice. Il avait déjà esquissé Beomgyu dans leur lit, dans leur salon, lors d'un voyage sur la côte ouest du pays...

– Si ça te va, évidemment.
– Tu sais que oui Thyun, allez, guide-moi !

Et avec grand plaisir, il s'exécuta.

Il lutta contre l'envie de l'embrasser une dizaine de fois en le voyant là, poser à l'ombre des arbres, les paupières closes. Beomgyu était son meilleur modèle, celui qui l'inspirait le plus et cela l'ayant aidé à renouer avec la peinture. Il avait traversé une époque de vide artistique importante juste avant d'emménager avec les autres garçons. Un jour sans qu'il ne le sache pourquoi, Beomgyu lui avait proposé de le prendre comme modèle, pour s'entraîner et tout lui était revenu. Quand il dessinait Beomgyu il n'y avait plus de craintes, plus de limites et Taehyun renouait avec sa passion.

Quand il regarda son travail en cours, il esquissa un sourire satisfait. Ce qui prenait forme sous ses yeux lui plaisait. Il reposa avec douceur son carnet et ses crayons dans l'herbe et se pencha en toute discrétion vers son modèle, les yeux brillants.

– Je sais ce que tu t'apprêtes à faire, grommela le jeune homme aux cheveux rouges.
– Et je peux ?
– Tu connais déjà la réponse, rigola-t-il.

Taehyun déposa ses lèvres sur les siennes, brièvement, mais juste assez pour dissiper la fadeur de leur baiser matinal.

– Beomie, je voudrais m'excuser pour hier soir.
– Thyun...
– D'avoir tout pris personnellement.

Beomgyu rouvrit les yeux.

– Laisse-moi parler d'accord ? Je sais que tu penses que tout est uniquement de ta faute, mais ça ne l'est pas. Je ne parle pas uniquement pour hier soir, mais pour tous les autres soirs. Tu as été honnête avec dès le départ Beomie, je sais exactement ce que tu apprécies, ce que tu ne peux pas tolérer... Et pourtant, j'ai souvent cette impression que tu te forces pour moi et je n'aime pas ça. En attendant que tu puisses voir quelqu'un de confiance qui t'aidera à surmonter ton traumatisme Beomie, parce que s'en est un, on peut faire autrement. Je ne vais pas en mourir.
– Je ne veux pas te... faire ce genre de chose.
– Je n'allais pas te le proposer. Je te l'ai dit, je sais ce que tu n'aimes pas faire et si l'envie me prend je suis un grand garçon, je peux me satisfaire tout seul.

Beomgyu lâcha un rire nerveux et se redressa, avant de passer une main dans sa nuque. Il le sentit réfléchir, à toute allure et Taehyun le connaissait suffisamment pour savoir que oui, Beomgyu tentait encore et toujours de trouver une solution qui ne lui conviendrait pas.

– On va y arriver, d'accord ? Tous les deux.

L'instant d'après, ses lèvres étaient plaquées sur les siennes et Taehyun ouvrit de grands yeux, surpris. Il lutta pour ne pas lui rendre son baiser au centuple, ni l'inviter à l'approfondir davantage ; Beomgyu qui l'embrassait ainsi dans un lieu public était un fait trop rare pour être gâché.

– Tout le monde mérite un Kang Taehyun dans sa vie, murmura Beomgyu contre ses lèvres.
– Ne dis pas n'importe quoi, s'amusa-t-il.
– Je ne dis pas n'importe quoi, et je te fais même une promesse...

Beomgyu éloigna très légèrement son visage du sien, un air doux sur le visage. Sans qu'il ne puisse le contrôler, les larmes lui grimpèrent aux yeux : Beomgyu avait de nouveau cet air si doux qui lui allait bien, le même que lorsqu'il se confessait et qu'il lui répétait ô combien il l'aimait.

– Dans quelques années, si notre situation nous le permet, je t'épouserais Kang Taehyun.

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