Chapitre 3
Durant mon trajet jusqu'à l'école primaire de Lola, j'ai la boule au ventre. Une multitude de questions tourne en boucle dans ma tête. Comment vais-je retrouver ma fille ? Aura-t-elle besoin d'aller aux urgences ? Ont-ils fait appel aux pompiers ? Ou à une ambulance ? A un médecin ? On-t-il seulement le droit de faire appel au service médical sans l'accord des parents ? C'est sûrement pour ça qu'ils me font venir. L'anxiété me gagne peu à peu, a chaque nouveau kilomètre qui me rapproche d'elle.
Comme tous parents dans ma situation, je flippe, je ne vois pas d'autre mot plus adéquat pour décrire ce que je ressens actuellement. Ah si, j'en ai peut-être un autre, j'angoisse et pas qu'un peu. Enfin bref, si vous êtes parents et que l'école vous a déjà appelé pour un cas similaire, vous voyez parfaitement de quoi je parle. Je dois faire le vide dans mon esprit afin de mon concentrer uniquement et pleinement sur ma conduite. Ce n'est pas le moment d'avoir un accident de voiture. Lola a besoin de moi en un seul morceau.
Je me rends donc à l'école aussi rapidement que je le peux. Sur le chemin, je pense de plus en plus que cette école est vraiment trop loin de moi, de mon travail, de ma maison. Pour le choix du collège de l'année prochaine, il faut que je le choisisse bien plus proche de mon lieu de travail et de chez moi. Ce qui va encore donner lieu à une dispute avec Natasha. Je sais par avance les arguments qu'elle va me donner, le principal sera, pourquoi faudrait forcement qu'il soit plus proche de moi plutôt que d'elle. Et moi je vais m'y opposer. Comme aujourd'hui, c'est presque, non, c'est toujours moi qui vais à l'école en cas de problème. Et je ne pense pas que cela va changer dans un avenir plus ou moins proche. Je dirais même mieux ça ne risque pas de changer du tout.
Je me gare n'importe comment sur le parking quasi désert, accolé à l'école de Lola. Je rejoins la grille de l'établissement au pas de course. Vous n'avez jamais remarqué comment ces établissements peuvent être austères, surtout dans l'enseignement catholique. Vu de l'extérieur, on n'a pas l'impression qu'il regorge d'enfants de tout âge. En attendant qu'on vienne m'ouvrir la grille d'entrée, j'observe plus en détail l'école dans laquelle je dépose ma fille. Je n'ai jamais eu le temps de le faire auparavant. Faut dire que lorsque je passe ici, c'est souvent en coup de vent, soit pour déposer Lola, soit pour la récupérer.
Le coté strict est accentué par l'âge de la bâtisse, qui est plus vieille que moi, et peut être même que mes parents. Un bon coup de jeune, de rénovation ne lui ferait pas de mal. Après la grille noire et basique aux barres verticales de bien plus de deux mètres de haut, se trouve le bâtiment principal, élevé de trois étages. D'immenses fenêtres à petits carreaux avec des barreaux dessus apportent la luminosité à l'intérieur. Pile, en face de la grille d'entrée à deux voir trois cents mètres, en haut de cinq marches, se trouve une imposante porte en bois avec des moulures dessus, qui se découpe en quatre morceaux, pour, je suppose, s'ouvrir plus facilement dans sa totalité.
Le bâtiment en lui-même est en pierre grise, mais pour lui donner un semblant de gaieté, ils font pousser des plantes grimpantes dessus, qui fleurissent au printemps. D'ailleurs tout autour du bâtiment, il y a une grande et épaisse haie de cyprès qui a surement pour but de cacher la vue de l'enceinte de l'école au passant. D'après ce que m'a raconté Lola, derrière ce bâtiment, il y a la cour ou elle passe les meilleurs moments de sa journée. Ce qui était également mon cas au même âge, ce n'est pas ma fille pour rien. Je suis tiré de ma contemplation par un bip suivit d'un grincement, son qui m'indique que la grille vient d'être déverrouillée à distance.
A peine, j'ai franchi la grille de l'école, que la directrice est là pour m'accueillir, Mlle Sanchez. Elle est le stéréotype même de la directrice d'école, en version vieille fille. Particulièrement aujourd'hui, elle a enfilé un tailleur jupe en laine bleu marine sur des collants opaques noirs bien épais. Son chemisier blanc est boutonné jusqu'en haut de son col, il ne laisse passer que sa croix chrétienne en or autour de son cou. Ces cheveux châtains foncés sont attachés en un chignon strict, d'où pas une seule mèche ne dépasse. Son bureau doit être dans le même état que ses cheveux, ordonné et discipliné. J'imagine la crise cardiaque qu'elle aurait en voyant l'état du mien.
A ses pieds des ballerines noires, en toute simplicité. Et pour parfaire l'image, des lunettes avec une énorme monture noire qui lui couvre la moitié de son visage, sans aucune trace de maquillage. Il n'y a pas plus glamour et sexy que Mlle Sanchez, noté bien l'ironie dans mes propos. Il ne faut pas s'étonner si après quarante ans bien passés, elle reste Mademoiselle. Elle doit avoir un chat ou même plusieurs pour lui tenir compagnie le soir et le week-end dans son minuscule appartement, non loin de l'école, j'en suis sûr.
— Bonjour M. Blanc, je suis vraiment navré de ce qui est arrivé à Lola.
Elle débite son explication avec une telle rapidité que je sens que je vais louper des informations si je ne me concentre pas un peu plus sur ces paroles. Or il s'agit de ma fille, je me dois de ne rien laissé au hasard.
Je ne suis ni trop grand ni trop petit, je me considère dans la moyenne avec mon 1m75. Il y a bien plus grand que moi et bien plus petit aussi. Je suis juste à la bonne taille pour accéder au chose en haut des meubles et assez petit pour ne pas à avoir à me baisser quand je passe quelque part. Par contre, Mlle Sanchez est clairement petite, je fais sans effort deux bonnes têtes de plus qu'elle. Ce qui m'oblige à baisser la tête pour la regardé quand elle me parle.
— Comme j'ai expliqué au téléphone à Mme Martinez. Ce n'est qu'un regrettable accident. Lola a fait une chute en cours de sport, lors d'une initiation à l'escalade.
Super, elle a déjà tout expliqué à Natasha. Je suis persuadé qu'elle a fait exprès de rien me dire pour que je cède plus facilement à son dernier caprice en date, à savoir aller à l'école à sa place durant sa semaine de garde. Le doute et l'incertitude me font toujours faire ce qu'elle désire. Et cette garce le sait parfaitement depuis tout ce temps qu'on se connait.
La directrice poursuit son explication tout en me guidant dans le dédalle des couloirs immenses de l'école.
— Son camarade qui devait l'assurer a paniqué lorsqu'elle a lâché les prises et n'a pas su maitriser la corde. Elle a fait une chute d'environ 1m50.
— Ah oui, quand-même !
Je ne peux pas cacher plus longtemps ma surprise à Mlle Sanchez, surtout face à cette information. A mon affirmation, l'étonnement se peint sur son visage, mais très vite, elle se reprend. Toujours très professionnelle cette Mlle Sanchez.
Comment une école peut laisser une aussi grosse responsabilité à un gamin ? Je veux dire, à coté de cette enfant, il aurait dû y avoir un adulte pour rattraper la corde en cas de problème comme celui-ci. Surtout qu'il s'agit de leur premier cours d'escalade, ils n'y connaissent donc rien. Il était dû devoir de l'école de mettre en place des adultes pour assurer la sécurité des élèves. J'attends de voir Lola avant de râler auprès de Mlle Sanchez.
— Oui, j'ai expliqué tout cela à Mme Martinez lorsque je l'ai eu au téléphone un peu plus tôt dans la matinée. Elle ne vous a rien dit ?
Pour le coup, je ne remets pas la parole en doute de Mademoiselle. Par le passé, je n'ai jamais eu à le faire, je ne vois pas pourquoi ça changerait à partir d'aujourd'hui, surtout pour un sujet aussi grave que celui qui m'amène dans son établissement.
Par contre, ce qui n'est pas le cas de la mère de Lola, qui adore mentir ou garder pour elle des informations plus ou moins importante. Je préfère clarifier la situation avec la directrice, elle n'y est pour rien dans l'absence de communication entre Natasha et moi. Ça a toujours été ainsi, dès le début de notre relation. Ce n'est pas maintenant que ça va changer.
— Non, elle ne m'a rien expliqué. A part que je devais venir chercher Lola de toute urgence à l'école, car elle était dans l'incapacité de le faire elle-même.
J'adoucis mes propos et mon amertume que j'ai envers la mère de ma fille à cet instant. Mlle Sanchez n'a pas besoin de se retrouver au milieu de nos guéguerres familiales personnelles. Je n'imagine même pas si elle devait prendre parti dans tous les règlements de compte entre parents divorcés ou séparés des enfants que compte son école. Elle n'en finirait jamais, la pauvre. Même si je suis persuadé que certains parents non pas la même sagesse et délicatesse que moi, de la cantonner à son rôle de directrice d'école. Ils doivent régulièrement la prendre à partir. Je me demande même si Natasha n'a pas essayé de la soudoyer lors de notre bataille pour la mise en place de la garde de notre fille.
— Oui, effectivement, elle m'a informé qu'elle avait quitté la région pendant quelques jours avec son mari.
Cette annonce anodine de Mademoiselle la directrice a un effet désastreux sur mon cerveau. On dirait qu'un tsunami viens de passer et a tout ravagé sur son passage. La garce, elle est partie avec son mari durant sa semaine de garde, sans me prévenir, évidemment. Et Lola, elle vit où en son absence ? Chez une amie ?
Ah, je n'en peux plus de cette bonne femme, elle m'aura tout fait. Ma rage envers cette femme doit bien se lire sur mon visage. Je dois avoir de la fumée qui s'échappe de mes oreilles, les yeux exorbités par la surprise et le visage tout rouge, car Mlle Sanchez reprend.
— Ah, ça non plus, vous n'étiez pas au courant.
Ce n'est pas une question, mais plus une affirmation de sa part. J'acquiesce d'un hochement de tête. Je ne préfère pas ouvrir la bouche, j'ai peur de ce qui pourrait s'échapper de mes lèvres, sauf que je dois déverser ma haine sur Natasha et pas sur la directrice de l'école de ma fille.
Mes pieds se remettent à suivre la directrice d'eux même. Je ne m'étaismême pas rendu compte que je m'étais arrêté au beau milieu du couloir suite àl'annonce de la bombe atomique de Mlle Sanchez.
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