8. Shelley : Suite N.8
Les portes de l'ascenseur s'ouvrent et je suis accueillie par une vision totalement différente de ce à quoi je m'attendais. Fini le marbre ébène et les surfaces miroitantes ; devant moi s'étend un long couloir baigné de tons pastel. Les murs sont peints de nuances de lavande et de bleu, soulignées par des arcs de néon rose et turquoise qui tracent des lignes élégantes autour de chaque porte. Des fauteuils tapissés de velours sont disposés à intervalles réguliers dans des alcôves.
Je m'avance, mes talons s'enfonçant légèrement dans la moquette couleur crème, ornée d'arabesques délicates. Les portes, uniformément espacées, donnent au couloir une profondeur sans fin. Je déglutis, à la fois émerveillée et intimidée par ce drôle d'endroit.
Je m'arrête devant la suite numéro 8.
Prenant une profonde inspiration, je lève la carte vers le scanner. Mais juste avant de la passer, mon regard est attiré par un petit voyant violet qui clignote doucement à côté de la serrure. Intriguée, je tourne la tête pour regarder les autres portes. Certaines affichent des voyants verts, d'autres des voyants violets, comme la mienne. Je fronce les sourcils, hésitant sur la marche à suivre. Ai-je manqué une information importante ? Pourquoi certaines suites ont-elles des voyants verts et d'autres violets ? La mienne est-elle encore occupée ?
Je recule d'un pas, regardant de chaque côté du couloir, espérant voir quelqu'un qui pourrait m'aider. Personne. Mon cœur bat plus vite alors que l'incertitude s'installe.
— Éva ? dis-je à voix haute, espérant que la voix virtuelle fonctionne dans les étages. Éva, y a-t-il un problème avec la suite 8 ?
Mais je n'obtiens aucune réponse, seulement la musique relaxante qui passe en sourdine dans le couloir. Je reporte mon attention sur la porte, puis décide de m'asseoir dans le fauteuil près de ma suite. Peut-être que le voyant va bientôt passer au vert et que ce n'est qu'une question de minutes ? Je m'installe, essayant de me détendre, mais chaque seconde qui passe semble étirer le temps vers l'infini.
Mes doigts tapotent nerveusement le bord de la carte, et je jette des regards furtifs à ma porte, espérant voir le voyant passer au vert. Mais rien ne change. Cinq minutes passent, puis dix. Mon impatience grandit, se mêlant à une pointe d'anxiété.
Je plonge dans mes pensées, tentant de me rappeler si Éva a mentionné quelque chose à propos d'un code de couleur. Mais c'est le trou noir. C'est bien ma veine de ne pas avoir écouté pile quand c'était important ! Je vais avoir l'air idiote si je redescends dire que je suis paumée... D'ailleurs, est-ce que je peux redescendre par là où je suis venue ?
L'idée de ne pas contrôler la situation me paralyse.
Juste au moment où je me demande si je devrais retourner à l'ascenseur, la porte de la suite en face de moi, la suite numéro 4, coulisse et s'ouvre.
Un jeune androïde apparaît sur le seuil, ses cheveux rose fuchsia attirant immédiatement mon attention. D'un mouvement élégant, il secoue la tête, et ses cheveux passent au brun foncé. Lorsque je baisse les yeux, je découvre une tenue noire moulante, confectionnée dans un tissu transparent ressemblant à du mesh, qui dévoile les contours de son corps athlétique. Des lanières de latex, luisantes sous l'éclairage des néons pastel, enlacent avec audace ses pectoraux et ses biceps, montent en collier autour de son cou, épousent ses cuisses comme des jarretières et masquent sa zone la plus privée.
Je reporte rapidement mon attention vers son visage, le feu aux joues. Mon regard se perd dans la dualité de ses yeux vairons ; l'un est bleu clair, l'autre vert anglais.
— Besoin d'aide ? demande-t-il, ses lèvres ourlées sur un petit sourire.
Je me redresse, essayant de retrouver un peu de contenance.
— Euh, oui, en fait... Je ne suis pas sûre de comprendre le système des voyants, dis-je en désignant ma porte. Je pensais que je pouvais entrer, mais ce voyant violet m'intrigue.
Le feu de l'amusement traverse son regard, puis il redevient sérieux, ses traits s'adoucissant dans la lumière tamisée.
— Je vois.
— Tu vois...? répété-je, confuse.
Je l'observe s'appuyer sur l'encadrement de sa porte. Son allure dégage une aura de confiance et de nonchalance qui le rend incroyablement... tête à claques.
— C'est ta première fois ici.
Son demi-sourire revient, et alors, je réagis.
— Tu es... commencé-je en sourcillant. Tu es l'androïde de la publicité, n'est-ce pas ?
— En chair et en os, lance-t-il, ses mains s'animant dans un geste théâtral. Ou plutôt en métal et en latex, mais c'est bizarre de dire ça, ajoute-t-il avec un clin d'œil complice.
Je fronce encore les sourcils, un sourire involontaire naissant sur mes lèvres.
— Tu es un Troy ?
— Affirmatif. Mais tu peux m'appeler Noah.
Son regard glisse vers mon décolleté et s'y attarde, sans une once d'embarras.
— Quelle jolie petite robe... souffle-t-il, pétillant de malice.
Je me surprends à rougir comme une écolière et tente de reprendre contenance.
— Hum... Et concernant le voyant sur ma porte ? dis-je, espérant le rappeler à l'ordre.
Il finit par relever lentement les yeux vers mon visage, l'air ennuyé d'avoir été « dérangé » dans sa contemplation. Irritée par son comportement, je croise mes bras sur ma poitrine, puis me rends compte que ça ne fait que bomber mon décolleté. Je les laisse retomber contre mes flancs.
— Le voyant violet signifie que ta suite est disponible, réplique-t-il.
Je hoche la tête, un peu étonnée de cette réponse.
— Disponible ? Tu es sûr ? Pourquoi y a-t-il des portes allumées en vert, alors ?
Il s'assoit dans le fauteuil en face de moi, les cuisses bien écartées sur le latex qui se tend plus que de raison. Cette soirée s'annonce différente de ce que j'avais imaginé.
— Quoi, tu ne me fais pas confiance ? lâche-t-il, son expression une simagrée de déception. Croix de bois, croix de fer... Si je mens, je vais en enfer.
J'inspire par le nez, essayant de calmer l'irritation qui monte en flèche. Cette boîte de conserve se moque de moi et je n'aime pas ça. Voyant que je le fusille du regard, il finit par lever les yeux au ciel, puis reprend avec un sourire en coin :
— Je plaisante juste un peu avec toi, parce que je m'ennuie comme un rat mort en attendant ma copine ! Excuse-moi.
Sa copine ? Un robot a une copine ? Le robot gigolo qui mate mes seins a une copine ? Ce robot-là ? Combien de Tramadol ai-je pris ?
Je le regarde ramener ses cuisses l'une contre l'autre et croiser élégamment ses jambes interminables, comme s'il décidait d'arrêter ses idioties.
— Le voyant vert, ça veut dire que la suite est libre et non réservée, m'explique-t-il d'une voix plus bienveillante. Le voyant violet, ça signifie que la suite est réservée. Ton androïde t'attend et tu as perdu pas mal de temps. Tu ferais mieux d'y aller.
J'acquiesce doucement. Après tout, les robots ne peuvent ni mentir ni manipuler ; tout le monde le sait. Pourtant, celui-là vient de jouer avec moi, non ?
Je me lève et observe la porte, puis lui jette un coup d'œil par-dessus mon épaule. Il me fait un vague signe de tête, comme pour m'encourager à me lancer. J'inspire profondément, puis scanne ma carte sur le lecteur.
La porte glisse vers la gauche, révélant une scène inattendue. Des gémissements et des râles masculins assaillent mes oreilles. Devant moi, à quelques mètres sur un lit ovale, un homme âgé, assez vieux pour être mon grand-père, est penché sur le matelas, se faisant culbuter par un androïde vêtu uniquement de santiags.
Je porte ma main à ma bouche, laissant échapper une exclamation de choc. Le vieux et l'androïde tournent la tête vers moi en même temps. Le client me pointe du doigt en hurlant de fermer la porte. Paniquée, je lève les mains en signe d'excuse, laissant tomber ma carte à mes pieds. La porte reste grande ouverte.
— C'est une honte ! s'égosille le client en repoussant l'androïde. Une honte !
Je bégaie en m'excusant sans cesse et recule jusqu'à buter contre quelque chose. Un énorme rire éclate derrière moi, me faisant pivoter.
— TOI ! Tu savais très bien que je ne pouvais pas entrer ! m'écrié-je.
Noah se tord de rire, finissant par lâcher un « Oups » en haussant les épaules.
— T'es fier de toi ? Ça t'amuse en plus ?
— Beaucoup, oui, réplique-t-il avec une petite moue. Tu viens de refaire ma semaine. Merci énormément.
Je le regarde, sidérée, alors qu'il continue de rire en se tenant le ventre comme un humain. Soudain, j'entends des bruits de roues, puis sens quelqu'un me bousculer.
Je tourne la tête et aperçois un employé, un homme noir avec un chariot. Il s'approche du vieil homme, qui s'est rhabillé et gueule toujours sur le seuil, visiblement après moi.
— Monsieur, lui dit-il, laissez-moi prévenir ma responsable. Elle sera là dans une minute. Croyez-moi, nous sommes sincèrement désolés de...
— Où sont-elles, vos promesses de discrétion ? s'époumone le client, rouge comme un crabe qu'on fait bouillir. C'est une honte ! UNE HONTE ! Croyez-moi, je ne vais pas vous faire de la bonne publicité ! Vous savez qui je suis ? Je vais vous anéantir !
Près de moi, Noah s'esclaffe de plus belle. À ma grande surprise, je remarque qu'il pleure de rire ; des larmes ruissellent sur sa peau lactescente.
Le vieillard remonte le couloir à grandes enjambées vers l'ascenseur, tandis que l'employé le poursuit, abandonnant son chariot près de la chambre ouverte sur l'androïde en santiags qui semble « s'éteindre » près du lit.
— Attendez, Monsieur ! Passez au moins par la voie de sortie. Laissez-moi vous guider vers ma responsable pour arranger cela...
— Trop tard pour s'inquiéter de mon intimité avec votre voie de sortie ! Je prends cet ascenseur et vous allez me dégager le chemin, c'est clair ?
Les portes se referment sur le visage furieux du client.
L'employé revient, son regard noir fixé sur Noah, qui a cessé de rire.
— Oh, allez, Lorenzo... dit l'androïde. Je suis sûr que ça t'amuse aussi un peu.
— Tu veux que je perde mon job, c'est ça ? Je t'ai dit d'arrêter ces conneries, Noah ! souffle l'employé avant de me lancer un regard nerveux. Madame, je suis désolé. Nous allons vous rembourser intégralement et... et... Nous pouvons vous offrir des sessions gratuites.
— Pas la peine, je ne reviendrai pas, dis-je, évitant le petit malin à ma droite. Je veux juste rentrer chez moi et oublier ce que je viens de voir.
Je l'entends pouffer de nouveau.
— Va dans ta chambre, Noah ! s'exclame l'employé comme à un gosse.
— Ça va, y'a pas mort d'homme. Quel rabat-joie... murmure le Troy en s'éloignant.
Nos regards se croisent une dernière fois : il m'adresse un clin d'œil effronté.
* * *
Merci pour ta lecture <3
Tu as atteint le dernier chapitre du PDV de Shelley pour ce premier arc.
Les prochains seront du PDV de Noah, l'androide au sacré caractère que tu viens de rencontrer. Ils seront écrits par mon partenaire d'écriture : River.
N'hésite pas à nous dire ce que tu as pensé de cette rencontre... explosive :D
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