7. Shelley : Le Club Frankenstein
Je franchis le seuil du Club, les portes de verre se refermant doucement sur mon passage. Des lumières LED encastrées dans le marbre sombre luisant créent un éclairage indirect qui souligne les contours et les surfaces polies, tandis que des néons lilas tracent le nom du club en lettres élégantes au-dessus de la réception. L'Air sur la corde de sol de Jean-Sébastien Bach joue en sourdine, ajoutant une touche de solennité à l'opulence.
Derrière son comptoir ébène, la réceptionniste, vêtue d'une tenue élégante, est penchée sur un écran lumineux. Je songe à faire demi-tour et retrouver la familiarité rassurante des rues. Mais alors que je m'apprête à tourner les talons, la voix modulée de la réceptionniste me coupe net.
— Madame, puis-je vous aider ?
Je me fige, prise entre l'envie de fuir comme une voleuse et la curiosité qui m'a menée ici. La réceptionniste lève les yeux, son regard perçant croisant le mien.
— Vous avez rendez-vous ? demande-t-elle, son ton courtois mais inquisiteur.
J'hésite, cherchant une réponse dans les méandres de mon esprit embué par le Tramadol. Les mots me manquent, ma voix se coince dans ma gorge. Mon regard se fixe sur les écrans holographiques. Ils projettent des visages androïdes, masculins et féminins. L'un après l'autre, ils apparaissent et disparaissent, chacun plus impeccable que le précédent.
La réceptionniste reprend, sa voix plus insistante cette fois :
— Madame...?
Je sursaute légèrement, arrachée à ma contemplation. Je sens le regard de la réceptionniste, fixé sur moi, ses yeux scrutant chaque nuance de mes émotions.
Je m'approche, hésitante, mes pas résonnant sur le marbre.
— Comment... comment fonctionne votre club ? articulé-je.
Elle sourit, un sourire parfaitement calibré, commercial.
— Nous proposons une collection variée d'androïdes pour répondre aux préférences et désirs de chaque client, commence-t-elle d'une voix professionnelle. Par exemple, nous avons le modèle Aria 22, un androïde conçu pour offrir une compagnie agréable et engageante. Doté d'une intelligence émotionnelle élevée, cet androïde peut participer à des conversations profondes ou légères, selon vos souhaits.
Elle marque une pause, m'invitant à digérer l'information avant de continuer.
— Nous proposons également le modèle Nemo 9, parfait pour ceux qui recherchent une expérience haut de gamme. Avec une apparence plus sophistiquée et des manières raffinées.
Je hoche la tête, intriguée malgré moi.
— Pour les plus aventureux, nous avons le modèle Xeno 5, poursuit-elle. Ces androïdes offrent des interactions uniques grâce à des fonctionnalités avant-gardistes et des personnalités originales.
— Et si je voulais quelque chose de très spécifique ? demandé-je, ma curiosité prenant le dessus.
— Nous avons par ailleurs le modèle Mira X, un androïde personnalisable, explique la réceptionniste avec un sourire. Vous pouvez paramétrer l'apparence et le comportement de cet androïde pour créer une expérience sur mesure. Que ce soit des préférences physiques ou des traits de personnalité particuliers, cet androïde répondra exactement à vos attentes.
Elle marque une pause, puis ajoute avec une pointe de fierté :
— Enfin, notre modèle le plus prestigieux, le Troy 3320. C'est une merveille de technologie ! Son apparence est indiscernable d'un humain. Doté d'une intelligence artificielle avancée, il est capable de faire des choix autonomes pour vous offrir une expérience plus authentique. Malgré son autonomie, il est conçu pour vous garantir une sécurité totale, avec des protocoles stricts pour prévenir tout comportement... imprévu.
Je prends une profonde inspiration. Tout cela semble si irréel, si éloigné de ce que j'avais imaginé en entrant ici. La réceptionniste m'observe avec une attention tranquille.
— Est-ce que vous avez des questions supplémentaires ou des préférences spécifiques ? demande-t-elle.
Je réfléchis un instant, mes pensées s'entrechoquant dans un mélange de fascination et d'incertitude.
— Je... je ne suis pas sûre. Tout ça est nouveau pour moi.
La réceptionniste hoche la tête avec compréhension.
— Si vous souhaitez explorer plus avant, je peux vous présenter quelques options en fonction de ce que vous recherchez, propose-t-elle. Nous sommes ici pour vous aider à trouver l'expérience qui vous convient le mieux.
Je sens un frisson courir le long de ma colonne vertébrale. Le monde extérieur semble s'effacer, remplacé par cette bulle de possibilités étranges.
— Très bien, dis-je enfin, ma voix plus ferme. Je veux voir ce que vous proposez.
La réceptionniste me sourit, un éclat de satisfaction dans ses yeux clairs.
— Suivez-moi, Madame, dit-elle en se levant de derrière le comptoir.
Je la suis, mon cœur battant d'un rythme nouveau. Nous avançons à travers le salon principal, un espace ouvert où des canapés en cuir noir sont disposés autour de tables basses minimalistes. Des œuvres d'art contemporaines ornent les murs. La réceptionniste m'entraîne ensuite vers une porte discrète sur le côté. Nous nous enfonçons dans un couloir bordé de plusieurs autres portes numérotées. L'air y est frais et légèrement parfumé, un mélange subtil de bois flotté et d'agrume. Nous nous arrêtons devant la porte numéro 3.
La pièce est vaste, tout en marbre ébène qui reflète les lumières tamisées, créant un effet de profondeur. Au centre de la salle trône un siège cocon, une sorte de fauteuil flottant grâce à un procédé d'électricité statique. La réceptionniste me fait signe de m'installer.
Le siège s'adapte parfaitement à la forme de mon corps, m'enveloppant dans un confort inattendu. D'un mouvement de la main droite, la réceptionniste désigne l'immense écran holographique qui occupe tout un pan de mur. Des visages d'androïdes apparaissent, leurs traits parfaits et leurs regards perçants me fixant avec une intensité déroutante.
— Voici quelques-uns des modèles disponibles ce soir, commence-t-elle.
Se tenant à côté de moi, elle commence à m'expliquer comment utiliser le panneau interactif. Tout est intuitif, guidé pas à pas par une voix virtuelle. Cette voix répondra à la moindre de mes questions, assurant une navigation « fluide et sans effort ».
— Si vous décidez de passer commande, il vous suffira de suivre les instructions sur les écrans ou bien de demander conseil à la voix, m'indique-t-elle d'un ton professionnel.
Je hoche la tête, submergée par toutes ces informations, puis la regarde quitter la pièce. Ma « porte de sortie » se referme doucement derrière elle, me laissant seule dans l'impressionnante salle. Le silence est palpable, uniquement troublé par les bourdonnement léger de la technologie.
Quelques secondes passent, me laissant avec mes pensées et mes hésitations. Puis, une voix artificielle et féminine me sort de ma torpeur :
— Bonsoir. Comment dois-je vous appeler ?
— Shelley, dis-je après un bref moment d'hésitation. Tu peux m'appeler Shelley.
— Enchantée de faire votre connaissance, Shelley. Je suis Éva. Comment puis-je vous assister ce soir ?
Je prends une profonde inspiration, essayant de rassembler mes pensées. Les visages des différents modèles défilent toujours sur l'écran holographique.
— J'aimerais... J'aimerais en savoir plus sur les différents modèles, dis-je enfin, ma voix résonnant doucement dans la pièce.
— Bien sûr, Shelley. Permettez-moi de vous guider, répond la voix avec une assurance tranquille. Je vais vous présenter les options disponibles.
L'écran se divise en plusieurs sections, chacune mettant en lumière un modèle spécifique. Éva commence à détailler chaque option, répondant à mes questions avant même que je ne les formule. Chaque description est accompagnée de mini-vidéos démonstratives et de témoignages de clients, rendant l'expérience extrêmement immersive.
— Souhaitez-vous en savoir plus sur un modèle en particulier, Shelley ? demande la voix après avoir terminé la présentation.
Je réfléchis un instant, mon regard se posant sur le visage du modèle Troy 3320. Il y a quelque chose dans ses traits, une humanité troublante qui m'attire et me perturbe à la fois.
— Oui, murmuré-je. Parle-moi plus en détail du Troy 3320.
L'écran se recentre sur le visage du Troy, et Éva commence une description plus approfondie de ses capacités et de ses caractéristiques.
— Les Troy 3320 sont les plus avancés en termes d'intelligence artificielle. Ils peuvent prendre des décisions indépendantes et développer des préférences personnelles. Leur programmation avancée leur permet d'apprendre de leurs interactions et de s'adapter à une multitude de situations, leur conférant une flexibilité et une adaptabilité exceptionnelles.
— Puis-je les programmer un peu ?
— Seulement leur apparence. Vous ne pouvez pas programmer leur personnalité.
Le fait que ce modèle puisse faire ses propres choix m'attire autant qu'il me terrifie. L'idée d'une interaction presque humaine est intrigante, mais si je ne suis pas prête à avoir une relation avec un autre être humain, comment pourrais-je l'être avec un androïde qui se prend pour ce qu'il n'est pas ? Un frisson d'appréhension me traverse, je sens ma détermination vaciller.
La voix d'Éva résonne, comme si elle venait de lire mes pensées :
— Shelley, que désirez-vous exactement ?
Je m'apprête à répondre, mais les mots se bloquent dans ma gorge. Une vague d'incertitude me submerge. Puis, une question plus pressante surgit dans mon esprit.
— Peux-tu m'expliquer comment fonctionnent les règles de confidentialité dans le club ? demandé-je.
— Bien sûr, Shelley. Premièrement, vos données personnelles sont en sécurité avec nous et ne seront jamais divulguées sans votre consentement explicite. Deuxièmement, votre anonymat est garanti ; vous ne rencontrerez aucun autre client dans les étages et les espaces privés. Troisièmement, l'effacement des données est systématique après chaque session. Enfin, la sécurité des interactions est assurée ; nos androïdes sont programmés pour prévenir tout comportement abusif ou non consensuel.
Les mesures de sécurité et de confidentialité semblent solides, mais une part de moi reste réticente. Je me demande si je suis vraiment prête à franchir cette étape, à explorer ce territoire inconnu. S'agit-il de prostitution si c'est un robot ?
La voix me ramène à la réalité :
— Shelley, puis-je vous aider à choisir un modèle ou répondre à d'autres questions ?
Je regarde à nouveau l'écran, les visages des androïdes défilant lentement.
— Je... je ne suis pas sûre, répondé-je finalement, ma voix trahissant mon trouble. Et si je ne suis pas prête à m'engager dans une relation... sexuelle ?
— C'est quelque chose que vous pouvez configurer dans vos préférences lors de la commande, répond Éva d'une voix apaisante. Nos androïdes peuvent servir de support émotionnel si vous le souhaitez. Vous avez le contrôle total sur le type d'interaction que vous désirez, que ce soit conversationnel, une compagnie apaisante, ou une expérience charnelle.
Je hoche la tête, un peu rassurée mais toujours hésitante. L'idée de pouvoir configurer les interactions selon mes préférences allège une partie de mon appréhension.
— Montre-moi les meilleures options de support émotionnel, murmuré-je.
Éva fait apparaître un nouvel écran, montrant des modèles Mira X, leurs visages souriants et bienveillants défilant devant moi.
Je reste assise là, dans le siège cocon, en proie à un mélange de curiosité et de crainte qui me donne le vertige. Un instant, j'ai l'impression d'entendre les pleurs de Lux. La pression monte en moi, et soudain, je cède.
— D'accord ! dis-je, ma voix trahissant une colère inattendue.
— Que voulez-vous dire, Shelley ? répond Éva, calme.
— Je veux choisir ce modèle. Un Mira X. Je le veux personnalisé. Il doit être doux. Aucun contact corporel si je ne le sollicite pas moi-même.
— Merci de préciser votre âge, genre et orientation sexuelle, Shelley.
Tandis que je réfléchis à ma réponse, je vois des jauges et des barres de paramètres changer sur l'écran, ajustées selon mes demandes.
— Je, euh... Femme. Je suis une femme, dis-je avec une dureté qui m'échappe. Hétérosexuelle. J'ai 31 ans.
Le visage d'un androïde blond apparaît dans le coin supérieur gauche de l'écran, son regard serein et bienveillant.
— Quels doivent être ses centres d'intérêts ? demande Éva.
— Ce... ce n'est pas important.
Les mots « activités de plein air », « musique », « voyages », « enfants » apparaissent à l'écran dans une petite case. Mon cœur se serre à la vue de ce dernier mot.
— Non, pas « enfants », dis-je brusquement. Enlève ce mot.
— Excusez-moi. Le mot « enfants » a été enlevé.
J'inspire, essayant de calmer la tempête intérieure. Les paramètres se mettent à jour, mais malgré tout, une part de moi reste incapable de se détacher de l'angoisse qui m'étreint.
— Maintenant, Shelley, il est temps de déterminer l'apparence de votre Mira X.
L'écran se recentre sur l'androïde, offrant une multitude de choix. Je peux absolument tout paramétrer : la couleur de la peau, des cheveux, des yeux, la taille, le poids, les traits du visage, le type de corps, la musculature, l'âge... Puis, un détail me fait écarquiller les yeux et sourire. Juste à côté d'une jauge, les mots « longueur et circonférence du pénis » apparaissent.
Sur la droite de l'écran, une garde-robe virtuelle s'ouvre, offrant un éventail de choix classés par genres, allant de la tenue la plus basique aux harnais de cuir, latex, ainsi que d'autres « costumes » très sexuels. La diversité des options me rappelle à quel point ce club est conçu pour répondre à tous les désirs, surtout les plus intimes.
Finalement, je choisis quelque chose de simple : jeans et t-shirt. Un reflet de la normalité que je cherche désespérément à retrouver dans ce fatras d'émotions contradictoires.
— Souhaitez-vous configurer un scénario ? reprend Éva.
Je fronce les sourcils, intriguée.
— Quel genre de scénario ?
— Cela peut être tout ce qui vous passe par la tête. De simples retrouvailles mari-femme après le travail, une visite à un ami d'enfance, un ex avec qui vous souhaitez parler de choses importantes... Les possibilités sont infinies, Shelley.
Je m'arrête un instant pour réfléchir. Un scénario pourrait rendre l'expérience plus facile, plus naturelle, mais quel scénario choisir ? J'ai besoin de quelque chose de léger, quelque chose qui ne soit pas trop chargé émotionnellement.
— Configure-le comme si c'était un ami perdu de vue, dis-je finalement.
— Très bien, Shelley. Je vais configurer le modèle Mira X selon vos préférences et le scénario choisi. Un ami perdu de vue – retrouvailles après plusieurs années.
Tandis que les paramètres se mettent à jour sur l'écran, je me prends à espérer que cette expérience puisse apporter un peu de réconfort et de clarté dans mon cœur.
— Comment souhaitez-vous appeler votre androïde, Shelley ?
Je réfléchis un instant, mais les noms se bousculent sans parvenir à s'imposer.
— Je... je ne sais pas, dis-je finalement. Éva, peux-tu choisir un nom pour moi ?
— Bien sûr. Laissez-moi réfléchir une seconde.
L'écran holographique affiche une série de noms possibles, puis Éva finit par en sélectionner un avec une certaine douceur dans sa voix.
— Que diriez-vous de Liam ?
— Liam... Oui, c'est bien, dis-je, trouvant que ce nom résonne avec l'image de l'androïde blond qui se dessine sur l'écran.
Éva ajuste les derniers paramètres.
— Très bien, Liam sera prêt pour vous dans quelques instants.
Je reste assise là, me perdant dans la contemplation du visage de l'androïde. Le fameux Liam a des cheveux blonds comme du miel des fleurs, une peau hâlée avec les joues et le bout du nez légèrement rosis. Sa peau est presque translucide, une perfection artificielle qui le rend fascinant à observer. Il a l'air amical et bienveillant, exactement ce dont j'ai besoin. Pendant ce temps, je suis vaguement consciente qu'Éva continue d'expliquer certaines choses, mais je ne me concentre plus assez pour réellement l'entendre.
— Shelley, avez-vous besoin que je répète mes instructions ?
Je cligne des yeux et secoue la tête.
— Non... Non, ça va.
— Vous pouvez désormais récupérer la carte qui vous donnera accès à votre suite. L'ascenseur à votre droite est doté d'un capteur. Scannez votre carte et il vous emmènera vers votre étage. Le numéro de votre suite sera indiqué sur l'écran. Le paiement s'effectue dès que vous scannerez votre carte. Avez-vous des questions ?
Je me sens comme dans du coton, l'esprit embrouillé par toutes ces informations et ce qui vient de se passer depuis mon entrée dans le club et la soirée en elle-même.
— Non, je n'ai plus de questions.
Le siège cocon descend, me ramenant vers le sol. Mes pieds retrouvent le marbre ébène, et je vacille légèrement sur mes talons. Je réalise enfin à quel point je plane. Mon Dieu, combien je viens de payer pour ça ? Je laisse échapper un rire nerveux, trouvant un peu de légèreté dans l'absurdité de la situation.
Je prends la carte, fraîchement imprimée par un appareil 3D de haute technologie, bien plus performant que ce que nous utilisons à l'ambassade. Le nom du Club est élégamment inscrit en lettres cursives, rehaussé par une fine bordure lumineuse qui change doucement de couleur, passant du violet au bleu.
— Je vous souhaite une agréable expérience, Shelley.
Les portes de l'ascenseur s'ouvrent, révélant une cabine en verre fumé, parfaitement intégrée dans les parois de marbre sombre, invisible jusqu'à présent. La sensation de flottement due au Tramadol rend chaque pas irréel, comme si je traversais un rêve.
Les portes se referment derrière moi.
* * *
Nous te remercions pour ta lecture ! <3
Ca y est, tu es très officiellement entré·e dans le très privé Club Frankenstein... Et toi, à ton avis, que ferais-tu à la place de Shelley ?
Laisse-nous tes impressions en commentaires :D
À bientôt pour la suite 🤎
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