41. Noah : Liebchen

Nous quittons l'ambassade, Shelley et moi, ses doigts glissant dans ma main. La neige tombe doucement, les flocons virevoltant dans l'air glacé. Il fait un froid sec, mais supportable. La lumière des réverbères se reflète sur les pavés alors que nous marchons sur Unter den Linden. À chaque pas, mes capteurs analysent la texture du sol, la température de l'air, le rythme de son souffle. Je regarde Shelley du coin de l'œil, sa silhouette enveloppée dans son manteau épais. Ses joues sont rougies, ses lèvres tremblent un peu. Je ne ressens pas le froid comme elle. Je peux le mesurer, l'analyser, mais il ne me traverse pas.

Nous observons un instant la Porte de Brandebourg, ses chevaux de pierre immobiles, figés dans une posture héroïque. Des guirlandes de lumière serpentent autour des lampadaires, décorant les façades et baignant les rues d'une lueur dorée. Je perçois chaque détail – la vibration légère de la lumière, le scintillement des flocons dans l'air – mais ce sont les battements de cœur de Shelley, à côté de moi, qui captent vraiment mon attention.

Nous descendons l'avenue, nos pas nous menant entre les bâtiments anciens et les boutiques attrape-touristes qui tentent d'attirer les derniers passants. Mon attention se tourne vers elle quand elle lève les yeux vers moi, une question dans le regard, mais je ne dis rien. Le silence qui nous entoure semble parfait à cet instant.

Un peu plus loin, un petit marché de Noël s'étend dans la cour d'un musée. L'odeur du vin chaud et des beignets à la cannelle nous parvient, et je sens l'excitation de Shelley monter d'un cran. Je sais ce qu'elle pense avant qu'elle ne parle.

— On entre ? murmure-t-elle.

Je hoche la tête, et nous traversons l'arche, attirés par la chaleur humaine et les couleurs vives du marché. Des guirlandes scintillent, projetant leurs reflets sur la neige fraîche, tandis que des gens rient et discutent autour des stands.

— Comment as-tu fait pour venir ce soir ? demande-t-elle en prenant mon bras, me rapprochant d'elle.

— J'ai accumulé assez de points pour acheter ma nuit. Je les ai utilisés pour te revoir. Je voulais être ici, avec toi. C'est comme une monnaie pour nous, tu vois... on accumule des points, selon ce qu'on accepte de faire avec les clients. Plus c'est... difficile, plus on en gagne.

Elle fronce les sourcils, mais me laisse continuer.

— Ces points me permettent d'acheter des heures de liberté. Si on en gagne assez, on peut même... acheter notre liberté tout court. Vivre comme vous, comme des humains.

Shelley ralentit. Doucement, elle presse sa tête contre mon épaule ; sa chaleur traverse ma veste de costume. Sa main cherche la mienne, ses lèvres effleurent mes doigts, déposant un baiser léger. La tendresse de ce geste me fait vaciller.

Je me penche vers elle, mais elle garde son visage caché contre moi, laissant le silence parler pour elle. Ses doigts restent enroulés autour des miens. Nous continuons à marcher entre les étals, où des objets artisanaux et friandises défilent sous les lumières. La fumée du vin chaud flotte dans l'air froid, se mêlant à l'odeur sucrée des churros.

Shelley s'arrête devant un stand et se tourne vers moi.

— Tu peux boire de l'alcool ? demande-t-elle.

Je laisse un sourire se dessiner sur mes lèvres.

— En petite dose, oui. Comme la nourriture.

Elle commande deux verres fumants. Je regarde la vapeur monter dans l'air, se dissiper comme un souffle, et je me demande ce que ça fait, vraiment, de ressentir la chaleur du liquide dans sa gorge pour un humain. Je porte le verre à mes lèvres, goûte, analyse. Je peux identifier les épices, le sucre, la chaleur, mais l'expérience m'échappe toujours un peu. Pourtant, à cet instant, ça n'a pas d'importance. Elle est à mes côtés, et c'est ça qui compte.

Nous déambulons entre les étals, buvant lentement, sans trop parler. Je sens la tension en elle, le mélange de gêne et de contentement, mais je ne dis rien. C'est suffisant d'être là, avec elle, dans cet instant. Quand nous avons terminé nos verres, elle part les rendre à la consigne, et je la regarde s'éloigner, ses pas légers dans la neige.

Le marché de Noël continue à vivre autour de moi, les odeurs sucrées et épicées flottant dans l'air, les discussions emplissant l'espace. Je me tourne, observant les stands tout proches, et mon regard s'arrête sur un étal en particulier. Des cœurs en pain d'épices y sont suspendus, colorés, ornés de sucre glace avec des mots doux écrits dessus.

Je m'approche, mes yeux se fixant sur l'un d'eux, décoré avec le mot « Liebchen ». Petite chérie. Un sourire imperceptible naît sur mes lèvres, et je l'achète, glissant discrètement le cœur dans mon dos juste avant que Shelley ne revienne vers moi.

Quand elle est de nouveau à mes côtés, ses lèvres bleuies par le froid, je sors le cœur en pain d'épices et le lui tends.

— Pour toi, dis-je simplement.

Elle s'arrête, ses yeux passant du cœur à moi, une émotion traversant son regard. Elle prend le cœur et le met autour de son cou. Il pend contre son manteau, ses doigts tremblant légèrement en caressant le ruban pourpre.

— Merci, Noah... murmure-t-elle, sa voix basse mais pleine de chaleur.

Je la regarde, et je la vois se rapprocher. Elle se hausse sur la pointe des pieds, puis m'embrasse. Ses lèvres, imprégnées du goût du vin chaud et des épices, rencontrent les miennes avec une douceur qui me tue. Ce simple contact me traverse, plus fort que n'importe quelle sensation programmée. Je la tiens par la taille, serrant son corps contre le mien.

Un désir profond monte en moi, un besoin primal de la rapprocher davantage, de la sentir contre moi d'une manière plus intime. Mais je repousse cette pensée. Ce n'est pas ce qu'elle veut, pas maintenant. Ce moment est fragile, et ce n'est pas le désir qui le nourrit, c'est autre chose. Quelque chose que je commence à peine à comprendre.


Nous reprenons notre marche, la neige tombant de plus en plus fort, étouffant les bruits de la ville. Friedrichstraße apparaît bientôt devant nous, et Shelley ralentit le pas.

— Il est tard... je dois rentrer, dit-elle avec regret. Tu veux me raccompagner ?

Je hoche la tête sans réfléchir. Bien sûr que je veux. Chaque seconde avec elle est une seconde de plus que je peux ajouter à mes souvenirs. Même si je sais que ces souvenirs ne m'appartiennent jamais totalement, je veux les graver.

Nous continuons, nos pas résonnant sur les pavés, le vent se faisant plus mordant. Je sens la température de son corps chuter, même si elle ne dit rien. Je lui presse la main, l'obligeant à s'arrêter. Sans un mot, je l'attire contre moi et fais monter la température de mon système. Elle soupire, trouvant refuge dans cette chaleur, son corps se détendant contre mon torse. Autour de nous, devant la gare, des centaines de personnes passent, mais à cet instant, nous sommes seuls dans notre monde.


Un quart d'heure plus tard, nous arrivons devant un complexe d'immeubles haut de gamme. Elle s'arrête, ses doigts jouant nerveusement avec le ruban du cœur en pain d'épices autour de son cou.

— Nous y sommes, dit-elle. J'habite ici... J'ai passé une merveilleuse soirée avec toi.

Je la regarde et perçois la timidité dans ses yeux, la gêne qui s'efforce toujours de se glisser entre nous.

— Moi aussi, je réponds. Mais... elle n'a pas à se terminer maintenant.

Elle me fixe avec cette intensité que je commence à connaître. Un moment de doute traverse ses yeux bruns.

— Quoi... tu veux... tu veux monter ?

Je hoche la tête.

— J'ai toute la nuit devant moi, Shelley.

Un silence, pesant, mais pas désagréable. Finalement, elle sourit, rougit, et acquiesce. Nous entrons ensemble dans son immeuble, dans son univers, et je sens quelque chose changer. Mais je ne sais pas encore quoi.


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Nous espérons que vous avez passé de merveilleuses fêtes de fin d'année ! Après cette période bien remplie et un retour à la normale, nous sommes enfin de retour ! 🎉 Entre les festivités, les retrouvailles en famille et le travail éditorial sur le tome 2 de notre trilogie "Animaux", qui est sorti le 10 janvier chez Glamencia Éditions, il nous a fallu un peu de temps pour reprendre notre rythme.

Mais bonne nouvelle : nous allons reprendre les publications régulièrement ici sur Wattpad. Merci pour votre patience et votre soutien qui nous touchent énormément 🧡 N'hésitez pas à nous dire ce que vous avez pensé de ce chapitre dans les commentaires – vos retours sont toujours une grande source de motivation pour nous.

Et d'ailleurs, pour nous faire pardonner de l'attente, on vous publie un second chapitre juste à la suite ! Belle lecture <3

Mel et River

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