31. Shelley : Lux

La ruelle est étroite et obscure, encadrée de murs en brique humides qui renvoient une odeur de moisissure. J'avance prudemment, mes pas étouffés par les débris éparpillés au sol. Le silence de la nuit est ponctué par le ronronnement lointain des voitures sur l'avenue principale, mais ici, tout est figé. Une légère brume flotte autour des bennes à ordures, et l'air est lourd, chargé de l'odeur viciée des poubelles.

Je m'arrête à l'endroit que Noah m'a indiqué. Derrière le club. Juste là, à côté des bennes métalliques. J'ai l'impression que le bâtiment tout entier respire lentement au-dessus de moi, comme un monstre gigantesque. Une goutte d'eau s'écrase contre ma joue, froide et inattendue. Je l'essuie d'un geste nerveux, le cœur battant à tout rompre.

Je regarde autour de moi. Rien ne bouge. Seulement la lumière tremblotante d'un réverbère à l'autre bout de la ruelle. Chaque bruit – un craquement, le froissement d'un sac plastique – me fait sursauter. Mes mains sont glacées malgré les gants que je serre autour de mes doigts. Il fait un froid mordant pour une nuit d'octobre.

L'heure tourne. Je jette un coup d'œil à ma montre : 2 h 42. Noah avait dit qu'il serait là. J'essaie de calmer l'inquiétude qui monte, mais je ne peux m'empêcher d'imaginer les pires scénarios. Et s'il ne venait pas ? S'il avait changé d'avis ? Ou pire, s'il lui était arrivé quelque chose ? Le souvenir de son visage me revient en tête, sa voix qui m'a assurée que tout se passerait bien. Pourtant, ici, à cette heure, tout semble hostile.

Je réajuste ma veste, tirant le col contre ma gorge, puis entends un bruit derrière moi, un frottement. Je me retourne d'un coup sec, le cœur serré, mais il n'y a rien. Juste une boîte en carton que le vent a déplacée.

L'odeur des ordures devient plus âcre. Je ferme les yeux, tentant de me concentrer sur autre chose. Sur lui, sur Lux. Juste un instant... quelques minutes, peut-être. Pour le revoir, même si ce n'est qu'un mensonge fabriqué par un casque obsolète. C'est tout ce que je demande. Lux. Je serre les dents en pensant à ses cheveux blonds et à son regard innocent. Je sens le poids des larmes derrière mes paupières, mais je refuse de les laisser couler. Pas ici. Pas maintenant. J'expire lentement, concentrant mon regard sur la porte du club. Et j'attends.


Après cinq bonnes minutes, une silhouette apparaît enfin en haut de l'escalier de secours, une ombre parmi les ombres. Noah. Je le reconnais tout de suite. Il lève discrètement la main, m'invitant à le rejoindre. Mon souffle s'accélère, mêlé d'excitation et de nervosité. C'est le moment ! J'avance vers l'escalier métallique, le cœur battant à mes tempes.

Les barreaux de l'échelle sont glacés et rugueux sous mes gants fins. Chaque grincement résonne un peu trop fort à mon goût, me rappelant combien tout ça est risqué.

Mes semelles glissent sur le métal mouillé, mais je m'efforce de garder mon équilibre. Je sens le regard de Noah sur moi, il attend, patient et silencieux. Quand j'arrive enfin à sa hauteur, il tend la main et m'aide à gravir les dernières marches. Son contact me réconforte un peu, comme si son calme absorbait mon angoisse.

Je me redresse à ses côtés, encore un peu essoufflée, et lui lance un regard, cherchant un signe, un éclat d'émotion qui montrerait que, lui aussi, perçoit le danger. Mais son visage reste imperturbable. Pas froid, non, mais parfaitement contrôlé, presque rassurant dans sa maîtrise. À cet instant, je comprends vraiment ce qu'il est. Ce n'est pas déstabilisant, en fait, ça me rassure. Peut-être que c'est mieux ainsi, cette capacité à rester impassible quand moi, je bouillonne d'inquiétude.

— Ne fais pas de bruit, d'accord ? murmure-t-il en posant un doigt sur ses lèvres.

Je hoche la tête, resserrant ma veste pour me donner un peu de courage.

Il m'indique de le suivre, et nous nous glissons dans le club. Le silence de la rue s'efface, remplacé par une tension différente, sourde, qui imprègne les couloirs de service où le moindre bruit se répercute. Noah avance avec une assurance tranquille, connaissant chaque recoin comme sa poche. Je garde la tête baissée, tentant de me fondre dans l'ombre. De temps à autre, un néon vacillant éclaire un mur dont la peinture se détache par plaques, contrastant avec le luxe ostentatoire du côté des clients. Chaque porte que nous frôlons me glace d'effroi, craignant qu'elle ne s'ouvre sur un employé.

Pourtant, tout reste désert. Étrangement vide.


Noah s'arrête devant une porte, jetant un dernier regard dans ma direction avant de l'ouvrir. Je retiens ma respiration en passant le seuil, et un soulagement m'envahit lorsque je reconnais sa chambre. Mes pas se font plus assurés, maintenant que je suis à l'abri des regards. Derrière moi, Noah referme la porte. La pièce m'accueille comme un refuge familier.

— Je suis content que tu sois venue, murmure-t-il, sa voix se fondant dans le calme.

— J'ai longtemps hésité, avoué-je.

Il hoche la tête, ses yeux capturant les miens. Nous sommes proches, si proches, mais sans nous toucher. C'est étrange, cette distance entre nous à chaque fois que nous nous retrouvons. Comme si les baisers échangés n'étaient plus que des chimères.

— C'est sans danger, me rassure-t-il. Ne t'inquiète pas.

— Tu es sûr que personne n'entrera ici ?

— Absolument certain.

Il me fixe avec intensité, et je me perds dans son regard, incapable de savoir ce qu'il pense. Son silence me fait froncer les sourcils, et je m'apprête à lui demander ce qui ne va pas, quand il reprend la parole.

— Est-ce que je peux t'embrasser ? lâche-t-il.

Je ris doucement, un peu nerveuse.

— Pourquoi tu me demandes ça ? On s'est déjà embrassés plusieurs fois, non ?

Ses yeux restent fixés sur moi, sérieux.

— Je préfère être sûr, murmure-t-il.

Un silence s'installe, puis il reprend :

— Est-ce que tu viens uniquement pour revoir ton fils... ou est-ce que j'ai raison de penser que c'est aussi un peu pour moi ?

La vulnérabilité dans sa voix me frappe de plein fouet. Ses mots sont hésitants, et je sens tout ce qu'il n'ose pas dire. Plutôt que de répondre, je m'avance vers lui. Mes lèvres trouvent les siennes dans un baiser tendre, rempli de tout ce que je n'arrive pas à formuler. Ses bras m'enlacent, m'attirant plus près de lui. Ses muscles se tendent sous son pull, laissant entrevoir la force qu'il possède. L'odeur de son parfum se mêle à celle de sa peau synthétique, me donnant envie de plonger mon visage dans son cou et de respirer profondément.

— Je n'ai pas cessé de penser à toi cette semaine... murmuré-je, blottie contre lui.

Je sens son sourire éclore, et une vague de bonheur me traverse. Le goût de ses lèvres reste sur les miennes, une saveur douce et enivrante.

— Voyez-vous ça... Tu n'as pas cessé de penser à moi ?

Sa voix a légèrement changé cette fois, quelque chose de subtil, mais je le remarque. Ses yeux vairons brillent d'un éclat différent.

Je souris, un peu embarrassée, avant de lui demander :

— Dis-moi, combien de versions de toi ai-je déjà embrassées, Noah ?

Il rit doucement, puis me répond :

— Crois-moi, tu ne veux pas savoir ça.

Je ris à mon tour, et je vois cet éclat tendre s'intensifier dans son regard.

— Non, plus sérieusement. J'en sais rien moi-même, avoue-t-il. J'ai compris ce que tu voulais dire, et pourquoi je n'arrivais pas à me rappeler certaines choses tout de suite...

Il hésite un instant, ses yeux scrutant mon visage comme s'il cherchait les mots justes. Puis, d'une voix basse et hésitante, il poursuit :

— Ces derniers jours, je l'ai beaucoup entendu... cette autre voix. Dans ma tête. Ce n'est pas vraiment moi, mais en même temps, ça l'est. C'est comme si... comme si une autre version de moi-même essayait de vivre sa vie.

Ses bras se resserrent davantage autour de moi, comme s'il cherchait à se rassurer, à garder une part de lui-même intacte.

— Et qu'est-ce qu'il te dit, cet autre toi ?

— C'est difficile à expliquer. Il a ses propres pensées. Parfois, il prend le dessus. Je me réveille avec des souvenirs d'endroits où je n'ai jamais mis les pieds, de gens que je n'ai jamais rencontrés. C'est comme si... comme si quelqu'un d'autre vivait en moi, utilisant mon corps quand je ne fais pas attention. C'est... déconcertant.

Il marque une pause, ses doigts effleurant ma joue avec une douceur troublante.

— Il craque pour toi... mais je ne suis pas censé te le dire.

Je sens mes joues s'échauffer, un sourire se forme et s'étire jusqu'à me dévorer le visage. D'un ton légèrement taquin, je lance :

— Et toi ?

Il sourit, l'air amusé.

— Moi, quoi...?

Je le fixe, nos regards s'enlacent, remplis d'une complicité silencieuse. Avant que je ne puisse parler à nouveau, il ajoute :

— T'es super timide, hein ?

Je ris doucement, sentant mes joues s'empourprer davantage.

— Moi ? Timide ? Je ne vois pas de quoi tu parles, répliqué-je, feignant l'innocence.

Noah se penche vers moi, son visage à quelques centimètres du mien.

— Ah non ? Alors pourquoi tu rougis ?

— C'est juste... la chaleur de la pièce.

— Bien sûr, acquiesce-t-il d'un air faussement sérieux. La chaleur. Dans cette suite de luxe climatisée.

Il a raison, je suis timide, surtout avec lui. Je comprends bien qu'il n'est pas exactement le jeune homme aux fraises Tagada que j'ai embrassé la première fois, mais plutôt une version de lui-même plus dure et plus sombre. Pourtant, je le reconnais. Je le retrouve dans ses regards, dans certains de ses sourires, dans ses gestes tendres. Je sais qu'il est là, caché sous la surface de cet autre lui, comme si cette façade était là pour le protéger.

— Peut-être un peu, j'admets dans un murmure.

Noah rit doucement, son souffle chaud contre ma peau. Ses doigts glissent sous mon menton, me forçant délicatement à le regarder à nouveau.

— J'aime ça, dit-il, ses yeux ancrés dans les miens. Ça me donne une folle envie de te découvrir, encore et encore... De toutes les manières possibles.

Je sens mon cœur s'emballer ; il a le don de me faire perdre mes moyens. Ses lèvres effleurent les miennes, et je ferme les yeux. Mais une petite voix au fond de moi me rappelle à l'ordre. Lux. Je suis là pour Lux.

Doucement, je m'écarte, posant une main sur son torse.

— Noah... le casque. Tu l'as ?

Il acquiesce, ses mains glissant le long de mes bras.

— Bien sûr. Viens.

Il me guide un peu plus loin dans l'alcôve où repose une valise chromée sur un meuble. Ses doigts effleurent le mécanisme, et le couvercle s'ouvre dans un léger sifflement. À l'intérieur, deux casques métalliques scintillent dans leur écrin de mousse noire. Mon cœur s'emballe en les voyant.

Noah en prend un et me le tend.

— Tu es prête à revoir ton fils ? demande-t-il en scrutant mon visage.

Je hoche la tête, incapable de prononcer un mot. Mes doigts tremblent légèrement alors que je saisis le casque.


*   *   *

Merci pour ta lecture. À ton avis, ça va bien se passer cette fois ?

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À très vite,

Mel & River

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