1. Shelley : Un lundi matin
À Westkreuz, les branches des saules pleureurs caressent les vitres du S-Bahn en passant, créant une pluie de feuillage. Personne n'y prête attention. Les gens pianotent sur leurs écrans virtuels. J'aperçois la danse des doigts dans les reflets, un ballet de gestes synchronisés. Nous roulons... nous roulons... Le ciel se couvre par-delà les buildings.
La vie est grise.
Ma vie est grise.
Demain, je ferai le même chemin pour me rendre au travail. Demain, je regarderai les autres pianoter à nouveau. Demain, je me demanderai encore une fois ce que je fais là. Ce que je fais encore là. J'hésite, vous savez. J'ai jamais été doué pour prendre des décisions.
C'est dur de rester en vie. C'est encore plus dur de passer à l'acte. Alors, j'hésite.
J'hésite...
Arrivée à Friedrichstraße, je suis la cohue hors de la rame du S7. Je marche au pas, parfaitement synchronisée avec la foule réglée au millimètre. Le monde va toujours tellement vite. Ça vous donne l'impression de ne pas avoir le droit à l'erreur. J'emprunte l'escalator, puis encore un bouquet d'escaliers, et arrive au croisement de la gare, entre les différents tunnels où des milliers de Berlinois se croisent chaque heure dans un ballet frénétique et sans âme.
Je dépasse le petit café bon marché, le kiosque de livres et de magazines, puis m'engouffre à nouveau dans les escaliers. Je descends un autre tunnel, noir de monde. La couleur jaune inonde tout. Rangées de boissons froides et chaudes, sandwichs, beignets. La vie palpite sous mes pieds, mais je ne la ressens plus. Le charivari des wagons.
Tagamdam ! Tagadam !
Le rythme de la ville continue, imperturbable, tandis que je me dirige vers le métro. Timo, le robot sans-abri, me lance un « Belle journée, Shelley ! » Le bruit des roues de son chariot sur le pavé résonne comme un rappel constant du chaos. Boom, boom, boom. Berlin respire, tout comme moi, suffoquée par la foule. Le chaos m'embrasse, étouffant, comme un amoureux en manque. Et moi, c'est ça, en manque de vie, de rire, d'amour, de « Viens, allons boire un verre », en manque de vibrations.
Drôle, non ? Dans la ville grise, dénuée de couleurs en hiver, qui ne cesse jamais de vibrer au rythme de la fête. Les gens font la queue pendant des heures, en porte-jarretelles et en tenues latex, sous d'épais manteaux, même par -15 degrés, pour entrer dans le dernier club à la mode, où les lumières stroboscopiques dansent sur des visages masqués par la nuit. Vivre ici, c'est s'immerger dans un océan de lumières artificielles et de sons électriques, au milieu de milliers d'âmes inconnues qui voguent dans leurs bulles d'excitation et d'ivresse.
Je tourne sur la gauche et descends sur le quai du métro U6 en direction d'Alt Mariendorf. Deux minutes avant l'arrivée du U-Bahn, je suis captivée par les publicités qui illuminent le mur en verre devant moi. Une série d'hologrammes défile, évoquant un futur doré. Parmi eux, une publicité attire particulièrement mon attention, énigmatique : « Impossible ? Jusqu'à ce que ce soit fait ! » proclame la société d'État Prometheus, dans une tentative audacieuse de mêler âme et robotique. À nous la vie éternelle ! Tu parles d'une aubaine.
Le métro arrive. Et encore une fois, tout le monde au pas. Hop ! Hop ! Hop ! Hop ! Comme des moutons se précipitant vers l'abattoir. J'aime l'odeur du U6, sa lumière chaude.
STOP ! On est déjà arrivé.
Les portes s'ouvrent. Un flot humain s'échappe avec moi. La marée humaine se déverse à Stadtmitte, la station où je m'arrête deux fois par semaine pour ma séance de thérapie. Le quai. Gauche ou droite ? Comme si ça avait une quelconque importance dans ce monde régi par le consumérisme effréné et l'illusion du choix. J'ai appris à ne plus me tromper. Gauche, toute ! Les escaliers. La lumière éblouissante. Les klaxons. Les taxis beiges. Les boutiques chics. Friedrichstraße est l'un des épicentres du luxe à Berlin. Ça dégouline de luxe, de quoi vous dégoûter ou vous faire rêver si vous avez une vision plus positive. Mais le luxe, c'est juste une autre façon de vous vendre le bonheur emballé dans du papier doré.
Positif ! Positif ! Il faut être positif ! Ouais, bien sûr. La toxicité positive est à la mode, paraît-il. Mais chut... je n'ai pas le droit de le dire. Je m'arrête pour un bubble-espresso (c'est comme un bubble tea, mais pour ceux qui ont du mal à se réveiller, comme moi). On prétend que c'est une nouvelle forme d'ecstasy, sans dépendance. Faites confiance à votre pays ! Parce que la confiance aveugle n'a jamais mené à des désastres, pas vrai ? D'accord. D'accord. Oui, chef !
Des ambulances passent, leurs sirènes secouent l'avenue, un rappel brutal de la fragilité de la vie. Parfois, je ne regarde pas quand je traverse. Mon psy a qualifié cette attitude de suicidaire passive. Je laisse le destin décider si je dois continuer ou non.
Jusqu'à présent, le hasard m'a épargné, me préservant de l'agonie de l'asphalte berlinois. Mais chaque jour est un jeu de roulette russe.
Je fais ça parce que... mon cerveau brûle de toi. Chaque pensée est un brasier dévorant, ravivant les souvenirs, Lux. Ton nom aurait illuminé notre existence. Lux ! Ça t'irait à merveille, j'en suis sûre. Mon cerveau brûle de toi, consumé par le vide de ton absence.
Je secoue la tête, tentant de chasser ces pensées, puis lève les yeux. Devant moi se dresse l'immeuble de mon psychiatre. Le ventre noué, j'appuie sur le bouton de l'interphone.
— Oui ? me répond une voix masculine.
— Bonjour... C'est Shelley.
Un bref bourdonnement. Je prends une profonde inspiration et pousse la porte, me préparant mentalement à une autre séance où je vais devoir affronter mes démons.
* * *
Merci d'avoir lu le prologue et le premier chapitre de notre nouvelle histoire !
Votre soutien signifie énormément pour nous, et nous aimerions connaître vos impressions. Si ce début vous a intrigué, n'oubliez pas de :
👍 Liker : ça nous encourage à continuer et à publier la suite plus rapidement.
💬 Commenter : vos avis et réactions sont précieux et nous motivent.
📚 Ajouter cette histoire à votre liste de lecture pour ne rien manquer des prochains chapitres.
À très bientôt pour la suite <3
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top