CHAPITRE QUATORZE

Deux semaines plus tard

— Quoi ? Partir ? Sans diplôme ? Sans moi ?

Alma n'arrêtait pas de gesticuler autour d'elle alors que Joe rassemblait ses dernières affaires dans le dernier carton et sa grosse valise.

— J'arrête l'architecture intérieure, proclame-t-elle, toute souriante.

— Ça, j'avais remarqué !

Joe boucle sa valise.

— L'Univers m'a envoyé un signe.

— L'Univers a essayé de te zigouiller, lui rappelle sa colocataire de chambre et amie depuis plusieurs années.

Joe roule des yeux.

— Tu vas faire quoi alors ? questionne Alma.

La jeune femme se dirige vers la porte de leur chambre avec son carton en main. Elle hausse alors les épaules.

— Je ne sais pas... Improviser ?

— C'est pire que je ne pensais !

Elles traversent le campus. Quelques souvenirs de Joe remontent à la surface. Elle rejoint la voiture de ses parents. Le trajet San Francisco – Auburn allait être très long, mais sa mère avait proposé cette idée pour qu'elles se rapprochent et se redécouvrent le temps de ce voyage.

— Tu ne veux pas y réfléchir encore ?

Malgré elle, Alma l'avait suivi en faisant rouler sa valise. Joe prend alors cette dernière et la met dans le coffre avant de le refermer.

— Tu vas me manquer, déclare Joe en ouvrant ses bras.

— Joe !

Alma fait une moue triste mais lui rend tout de même son étreinte. Joe se détache d'elle dans un sourire. Elle lui frottait gentiment les épaules.

— Tu vas devenir une grande architecte et s'il te plait... Ne fais pas de trucs carrés, OK ?

— J'essaierai de m'en souvenir. Quant à moi, j'espère ne jamais te voir dans les gros titres des journaux.

— J'essaierai aussi !

Joe lui fait un dernier signe de main avant de grimper dans la voiture, sur le siège à côté du conducteur. Sa mère démarre le moteur et lentement, elle voit ses années d'étudiantes défiler devant ses yeux. D'un côté elle était contente de partir, mais de l'autre, elle se disait que c'était du temps et de l'argent gâchés. Elle avait été à deux doigts d'avoir son diplôme... Mais bon. Elle n'allait pas se forcer à faire quelque chose qu'elle n'aimait pas, si ?

— On fera plusieurs pauses, lui indique sa mère, on s'arrêtera à Redding, puis à Eugene et enfin à Portland.

— Très bon programme !

Sa mère rit doucement.

— Plusieurs jours avec ta mère, ça ne te dérange pas ?

— Pas du tout ! J'ai même été surprise quand tu m'as dit que tu avais pris des vacances. Tu n'en avais jamais pris avant.

— Oui, je sais.

Majorelle était vraiment enthousiaste à l'idée de passer du temps avec sa mère. Ce serait bien la première fois depuis... Eh bien, depuis l'école élémentaire peut-être ? Elle connaissait sa fille en tant qu'enfant mais pas en tant que femme. Ça rendait toujours Joe triste de penser à ça.

La première étape de leur voyage était San Francisco – Redding. Elles mirent trois heures trente à traverser une partie de l'Ouest américain. Elles s'étaient arrêtées pour déjeuner et en avait profité pour faire un tour sur le Sundial Bridge. Elles marchaient toutes les deux lentement à cause de la transparence du tablier. Elles se tenaient sur les rambardes du pont en riant. Joe avait l'impression qu'à tout moment, le verre allait se briser et qu'elles allaient tomber dans le fleuve Sacramento.

Mère et fille reprennent ensuite la route direction Eugene pendant plus de cinq heures. Elles arrivent à la nuit tombée. Sa mère étant toute aussi organisée qu'elle, une réservation avait été faite au Inn at the 5th. Elles avaient mangé un repas digne d'un baptême royal. Le lendemain, elles étaient restées un peu en ville pour goûter aux glaces du Prince Puckler.

Après quasiment deux heures de route, elles s'étaient arrêtées à leur avant dernière destination : Portland. Elles avaient visité le fameux jardin japonais et celui des roses aussi. C'était une ville si belle et calme ! Alors, Joe avait pris son vieil appareil photo et elles s'étaient amusées à faire une sorte de shooting de fortune. Elles ont mangé un morceau dans un restaurant appelé le Kingsland Kitchen. Avant d'entreprendre leur dernier voyage.

Trois heures après leur départ de Portland, elles étaient arrivées à Auburn, devant la maison d'enfance de Majorelle. Sa mère s'était garée devant le garage. Derrière sa vitre, Joe observait la maison comme si c'était la première fois qu'elle la voyait. La voiture de son père était là aussi. Il faisait déjà nuit.

— Tout va bien ?

Elle se tourne vers sa mère avec un petit sourire.

— Oui, ça fait juste longtemps que je ne suis pas venue.

Sa mère hoche silencieusement la tête avant de se détacher. Elle éteint le moteur et s'apprêtait à sortir de la voiture quand Joe l'interrompt.

— Maman ?

— Oui ?

— Papa et toi vous ne me l'avez jamais raconté alors... Comment vous vous êtes rencontrés ?

Un sourire nostalgique semble s'étirer sur ses lèvres.

— On était dans le même lycée à Seattle. On était tous les deux dans le club d'organisation du bal de promo.

— Sérieux ?

— Oui, cette année-là, personne ne s'était présenté alors ils avaient tiré au sort des élèves.

— Tu ne voulais pas ?

— Non, à vrai dire, je m'en fichais un peu. J'étais trop absorbé dans mes livres et ton père dans ses clubs historiques.

— Historique ? répète Joe.

— Oui, il... Le club reconstituait des moments de l'Histoire importants.

Jamais elle n'aurait pensé ça de son père... En fait, ils étaient tous les deux des intellos, bien loin du cliché pompon girl et joueur de football américain. Ou du gars populaire et de la fille toute timide.

— Bref, on s'est rencontré comme ça et au départ, on ne se parlait pas du tout parce qu'il était amoureux de cette pétasse – pardon – de cette fille... Heather.

— Comment était Heather ?

— Plus jolie que moi et ton père était fou d'elle depuis le collègue.

— Ah ! Un amour d'enfance.

— Je me suis rendu compte que j'étais très vite jalouse quand ils se parlaient. Et un jour, je l'ai chopé par le col et j'ai embrassé ton père dans les cuisines du réfectoire.

— Pas possible !

— Evidemment, on s'est fait engueuler et on a été collé pour au moins deux semaines. Après ça, ton père n'a jamais réussi à m'échapper.

— J'aimerais bien connaître sa version de l'histoire...

— Tu pourras lui demander, regarde, il nous attend.

Elle se tourne et aperçoit son père en train de faire des signes de main depuis la porte d'entrée. Physiquement, lui et sa mère allaient parfaitement ensemble : c'était une grande blonde. Elle aurait pu faire mannequin. Quant à lui, c'était un grand brun avec la naissance d'une barbe. Joe l'avait toujours connu comme ça. Et puis, imaginer sa mère l'attraper et l'embrasser fougueusement la faisait rire intérieurement.

Elle sourit à cette pensée puis se détache. Sa mère ouvre le coffre et tous les trois commencent à retirer toutes les affaires de Joe. En entrant dans la maison, la jeune femme eut un choc, dans le bon sens du terme. Elle pensait que la décoration allait être entièrement refaite mais non. C'était la même maison, les mêmes souvenirs.

Excitée, elle monte dans sa chambre et constate que rien n'a bougé depuis ses années de collégiennes, du moins, la chambre restait tout de même propre. Elle pose toutes ses affaires au milieu de la pièce. De toute manière, elle était trop crevée pour ranger quoi que ce soit ce soir.

Le dîner s'était bien passé, même très bien, et Joe se sentait vraiment chez elle. Elle était à l'aise et son cœur débordait d'euphorie. Avant de se coucher, elle voulait descendre pour dire bonne nuit à ses parents, comme elle avait eu l'habitude de faire auparavant. Mais une conversation l'avait fait arrêter en haut des marches.

Ses parents discutaient tout en essuyant la vaisselle.

— J'ai vraiment eu l'impression que la maison revivait ce soir, pas toi ?

— Oui, tout avait changé depuis le départ de Majorelle.

— Il y avait un vide, confie sa mère d'un air triste.

— Oui je sais mon cœur... Et je suis désolé qu'on n'en a pas discuter avant.

— Depuis que Joe s'est confié l'autre fois dans la voiture, je me suis vraiment rendu compte de nos erreurs.

Silencieuse, Joe s'assoit sur les marches. Ses pieds nus touchaient le bois des escaliers. Ses bras soutenaient sa tête.

— On a vraiment été injuste avec ma mère et Joe... Je m'en veux terriblement.

— C'est vrai... Mais c'est le passé. Il faut aller de l'avant. Joe est à nouveau avec nous. Comment était-ce ces derniers jours ?

— C'était super Garrett ! J'ai eu la sensation qu'on s'est rapproché d'un seul coup, comme avant. Elle m'a terriblement manqué et... Oh ! Elle me fait tant penser à Maman.

— C'est vrai que c'est son portrait craché. Et puis, Rima l'a élevé la moitié de sa vie, donc elle a sûrement copié involontairement certaines de ses mimiques ou même sa manière de parler.

— Oui... Oh... Je m'en veux !

Ils ne parlent plus pendant un moment et Joe se rend compte que son père câline sa mère. Elle fait une moue triste donc... Depuis son départ, ça avait été un couple au bord de la dérive ? Voilà qui pouvait expliquer que la décoration était restée la même : ils s'étaient perdus et ne vivaient que pour leur carrière respective.

— Maintenant qu'elle est là, renifle sa mère, je vais moins travailler et passer le plus de temps possible avec elle. Tu devrais faire pareil Garrett.

— On va faire ça. C'est un nouveau départ, acquiesce-t-il.

— Elle a grandi tellement vite et maintenant c'est une jeune femme merveilleuse...

Joe sourit lentement puis, toujours aussi silencieuse, entre dans sa chambre. L'amour entre ses parents était de nouveau fort, ressoudé. L'amour... L'Amour. Soudainement, elle se sent triste et coupable. Elle n'avait pas pensé à Zack ces dernières semaines... Ses sourcils se froncent et elle se retourne dans son lit. Non... Elle ne devait pas penser à lui. Sinon, elle allait pleurer et toute la joie qu'elle avait ressentie aujourd'hui allait disparaître. Elle ne voulait pas ça !

Evidemment, elle avait fait une nuit blanche. Evidemment, elle s'était retenue de pleurer toute la nuit.

Majorelle s'était levée très tôt le matin pour ranger ses affaires et sa chambre. Elle n'était pas descendue pour le petit déjeuner ni pour le déjeuner. Sa mère frappait à sa porte, inquiète.

— Majorelle ? Je peux entrer ?

— Oui bien sûr !

Sa mère pousse la porte de sa chambre et écarquille les yeux. Le sol était jonché de tas de vêtements ou d'objets en tout genre.

— Ah oui, je... Je n'ai pas vu le temps passer. J'ai commencé à ranger mes affaires du campus puis j'ai vu qu'il y avait de vieilles fringues alors... J'ai commencé à faire le tri, explique-t-elle tout en roulant discrètement un poster du groupe One Direction.

Sa mère observe le sol, pour voir où elle pouvait s'installer. Elle trouve une place à côté de la pile des cahiers de scolarité. Elle s'agenouille et observe sa fille faire tout en prenant parfois un objet dans ses mains pour le scanner. A côté d'elle, il y avait son ordinateur portable. Une playlist avait été lancée et Joe regrettait déjà d'avoir laisser cette playlist à la vue de tous. Sa mère plisse les yeux pour la lire.

— « I met a girl » ? « Love at first sight » ? « You had me from Hello » ?

Zelma se tourne vers sa fille.

— Ma parole, t'es amoureuse Majorelle ?

Elle avait repris son air de mère stricte. Joe la voit fermer les yeux pour respirer, comme si elle regrettait déjà ses paroles. Elle se disait sans doute que ça n'avait pas été une bonne manière de le dire. Elle reprend alors avec un faible sourire.

— Tu es amoureuse ma puce ?

— Oui, dit-elle sans avoir réfléchis au préalable.

— Qui est-ce ?

— Un garçon que j'ai rencontré là-bas... Non pardon, pas un garçon. Un homme.

Elle avait peur de ce que sa mère allait penser...

— Il est beaucoup plus âgé que moi mais je l'aime ! A vrai dire, je n'avais même pas fait gaffe à son âge avant. Il me fait rire, il me rend heureuse. Avec lui, je me sens moi-même Maman...

— Comment il s'appelle ?

— Zack. Zackary. C'est le petit-fils de Whitley.

— Ce nom me dit quelque chose...

En réfléchissant, quand Joe est née, Zack devait être en pleine adolescence. Rima et Whitley se voyaient quand même régulièrement alors... Elle avait dû entendre parler de Zack, voire le rencontrer à des évènements familiaux peut-être ?

— C'était sans doute un ado rebelle et turbulent à l'époque. Peut-être même qui fait des blagues aux adultes.

— Je crois que Whitley se plaignait gentiment de l'un d'eux oui...

Joe sourit lentement tout en posant un tee-shirt des Spice Girls dans la pile « à donner ».

— Qu'est-ce qui ne va pas alors ? questionne sa mère.

— On s'est rencontré trop tard Maman.

— Il n'est jamais trop tard tu sais, la preuve avec nous deux.

— Oui mais... Il habite à New York et il travaille déjà. Moi je suis quoi ? Une adulte de vingt ans qui ne sait pas ce qu'elle va faire plus tard.

— Attends... C'est tout ce qui t'empêche d'être avec lui ? s'offusque sa mère.

— Oui... ?

— Ah les jeunes !

— Quoi ? J'aurais dû faire comme toi, l'attraper et le garder avec moi pour toujours ?

— Les femmes peuvent très bien faire le premier pas ! On est dans une époque moderne.

— On s'est quitté dans la tristesse et l'amour... Et on ne s'est pas donné de nouvelles depuis deux semaines.

Soudain, Joe se rend compte de sa terrible erreur. Elle se frappe le front.

— Mais quelle conne ! Je n'ai même pas son numéro de portable.

— Si c'est un Perwinkle, il est connu non ?

— Peut-être...

— Internet peut t'aider ?

— Bien vu !

Comme deux gamines, elles se précipitent sur l'ordinateur. Joe tape, les mains tremblantes, « Zackary Perinwikle » sur Internet. Une photo de lui professionnelle était apparue sur la gauche. Il avait vraiment l'air sérieux sur la photo. Trop sérieux.

— C'est lui ? commente sa mère.

— Oui.

Elle fait une sorte de grimace.

— Il a un peu une tête d'abruti, non ?

— Si tu savais ! Enfin, je veux dire... Maman ! C'est pas très gentil.

Elles s'observent longuement.

— C'est ce qui fait son charme. D'habitude, il sourit toujours bêtement mais là sur la photo, il est trop sérieux, c'est pas le vrai lui.

— Ouais...

Elle clique sur un lien menant à un site professionnel. Mais il n'y avait aucun numéro de téléphone. Pour un avocat... C'était illogique. Ou alors il l'avait fait exprès pour ne pas avoir de clients, vu qu'il n'aimait pas son métier.

— Un géni déguisé... murmure Joe.

— Quoi ?

— Rien...

Elle referme son ordinateur dans un soupire et le pose sur son lit. Sa mère lui frotte gentiment l'épaule.

— Ça va aller ma puce...

Elle se lève.

— Merci de t'être confiée, ça me touche.

— Merci de m'avoir conseillé.

— Fais une pause et descends manger un morceau, d'accord ?

— D'accord, j'arrive tout de suite.

Joe attend que sa mère sorte pour chercher son portable. Elle l'attrape et hésite à demander à Whitley de lui envoyer le numéro de Zackary... Mais elle se résigne et jette son portable à côté de son ordinateur.

Sa mère avait raison en fin de compte. Joe gâchait une potentielle formidable histoire d'amour, même l'amour de sa vie, pour une histoire de distance et de... Et de conneries. Elle devait le retrouver, elle devait lui parler. Sa tête et son cœur en avaient besoin. 

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