CHAPITRE DIX

Dans le passé

— Ne te retourne pas mais elle arrive avec deux de ses rats, chuchote Barbara.

Elle avait entendu le reste de ses amies acquiescer en regardant d'un air mauvais ce qui se trouvait derrière elle. D'ailleurs, elle entendait ses chaussures claquer de plus en plus fort sur le sol dans sa direction. Les bruits avaient cessé en quelques secondes et elle vit que toutes ses amies avaient retenu leur souffle, crispées contre leurs livres et leurs cahiers.

— Dégage de mon chemin la naine, graille sa super meilleure ennemie.

Elle s'était alors retournée pour la regarder d'un mauvais œil. Un sourire fortement hypocrite s'était alors esquissé sur ses lèvres pulpeuses.

— Tiens voilà Dino, Enyo et Pemphrédo.

Elle se félicitait d'avoir lu un livre sur la mythologie grecque il y a quelques jours de ça. Dino voulait dire « l'effrayante », Enyo « la belliqueuse » et Pemphrédo « la méchante ». Elles étaient les sœurs des Gorgones. Elles reflétaient parfaitement le groupe de pétasses du lycée dans le monde moderne.

— On ne comprend pas ton charabia de sorcière, lance alors Nancy, une main posée sur ses hanches.

Ses filles étaient vraiment choquantes. Nous étions en 1950 tout de même ! Mais leurs hauts et leurs jupes étaient vraiment courtes... On voyait le début de leurs genoux ! La leader du groupe se met à rire et jette ses cheveux blonds en arrière. Même ses ongles étaient vulgaires. L'assemblée de filles dans le couloir se faisait de plus en plus dense.

— Tu veux te battre ? lui lance Mary, l'autre acolyte fantastique.

— Mesdemoiselles Wann et Perwinkle ! lance une forte voix.

Toutes les filles avaient créé un chemin pour laisser passer la surveillante générale, Mademoiselle Shaunee. Elle avait toujours un chignon strict et des vêtements tristes. Elle pointait de son bâton les deux jeunes femmes.

— Dans mon bureau ! s'égosille-t-elle.

En quelques minutes, les voilà toutes les trois assises devant un bureau. Mademoiselle Shaunee les regardait une à une.

— C'est scandaleux ! Vous devriez avoir honte de votre comportement. Ce n'est pas digne d'une future épouse.

— Nous n'avons rien fait, provoque Mirabelle.

Whitley l'observait. Elle regardait sa manucure sans daigner poser un œil sur Mademoiselle Shaunee. Cette dernière frappe son bâton sur le bureau en bois.

— Mademoiselle Wann ! Votre comportement est inadmissible ainsi que votre tenue vestimentaire ! Combien de fois vais-je devoir vous rappeler à l'ordre ?

— Autant de fois que vous pourriez.

— Oh ! s'indigne Mademoiselle Shaunee.

Whitley la regardait en secouant la tête. Cette fille avait un sacré problème. Dès qu'elle croisait Whitley ou que cette dernière la croisait, elles s'insultaient ou se battaient.

— Ne vous inquiétez pas Mademoiselle Shaunee. Quand je sortirai d'ici, je deviendrai une créatrice populaire et je vous donnerai un relooking gratuitement.

— Une créatrice ? Quelle idée farfelue pour une jeune fille ! Tu deviendras une épouse un point c'est tout.

— Conneries, pas besoin d'hommes pour vivre normalement.

— Oh ! s'indigne une nouvelle fois la surveillante.

Whitley sentant qu'elle allait punir brutalement Mirabelle et c'était bien fait pour elle.

— Quant à vous Mademoiselle Periwinkle ! pointe-t-elle du bâton.

— Moi ? répète-t-elle innocemment.

— Oui, vous ! Votre père sera au courant de votre comportement ici.

— Elle me provoque sans arrêt ! accuse-t-elle.

— C'est toi ! retorque Whitley.

— Ça suffit !

Elle frappait son bureau et Whitley crut un instant que son bâton allait se casser en deux.

— Vous serez de corvées toutes les deux pendant un mois.

— Niquel.

Sans attendre la permission de sortir, Mirabelle avait claqué la porte du bureau. Mademoiselle Shaunee semblait bouillir. Whitley se lève lentement.

— Au revoir Mademoiselle.

Elle ne fit même pas quelques pas dans le couloir qu'un pied avait provoqué sa chute. En relevant le regard, elle vit Mirabelle, fière d'elle et en train de mâcher un chewing-gum vulgairement.

— Tu peux faire la Sainte-Nitouche avec Mademoiselle Shaunee, mais on sait toutes les deux que tu es la plus garce de toutes.

Whitley se redresse avec un sourire beaucoup trop poli aux lèvres. Elle se dépoussière sa jupe dans un rire méprisant.

— Tu es une salope Mirabelle.

Une grosse claque venait de marquer son visage. Sa joue chauffait encore quand elle se la frottait.

— Qui de nous deux s'est envoyé en l'air avec le livreur dans le bureau de Shaunee hein ? précise-t-elle un doigt menaçant vers Whitley.

— Mais je t'ai fait accuser, répond fièrement Periwinkle.

— Quelle connasse, j'en étais sûre !

Mirabelle crache au sol, en regardant d'un air mauvais Whitley, avant de déguerpir pour son prochain cours.

Les semaines suivantes furent un véritable enfer (pour les autres élèves). Dès qu'elles se voyaient, elles se frappaient, roulaient au sol, s'arrachaient presque les cheveux. Elles furent punies au bâton plusieurs fois mais ça ne les empêchait pas de recommencer encore et encore.

Au fur et à mesure, la haine se transformait en amour. C'était deux sentiments très proches l'un de l'autre. Les deux filles ne s'en rendaient pas compte et pourtant, laissaient faire les choses naturellement. Les deux « clans » des filles populaires s'étaient réunis en un. Toutes les deux manipulaient menaient le monde à leur baguette sans arrêter de se détester. Mais à deux, elles étaient plus fortes, plus puissantes.

C'est en pleine corvée que Mirabelle, surnommée maintenant Rima par Whitley, avait embrassé cette dernière. La fille Periwinkle s'était écartée sous le choc.

— Ah mais je ne suis pas lesbienne ! souffle-t-elle comme si c'était un gros mot.

— Moi non plus, lui répond Rima, mais tu me plais.

— C'est contre nature Rima ! C'est dégoutant ! s'entente-t-elle à dire.

— Mais tu as aimé ça, je le sais.

Elles n'en n'avaient pas reparlé pendant plusieurs semaines avant que l'expérience ne recommence mais cette fois-ci, dans les dortoirs, à l'abri de toutes.

— Tes lèvres sont si douces et sucrées, lâche Whitley, où trouves-tu ces baumes parfumés ?

— Je connais un gars qui connait un autre gars. Son père les fait et il m'en passe.

— Tu les revends ? demande-t-elle les yeux tout ronds.

— Tu crois que j'achète comment mes fringues ?

Elles s'étaient mises à rire toute la nuit.

— C'est l'anniversaire de ma copine, donc je lui aie acheté un joli cadeau. Ma copine est une bombe, souffle Rima en lui mettant un collier autour du cou.

Elle s'était rapprochée d'un miroir pour l'admirer. C'était un collier en forme de cœur. Rima s'était mise à côté d'elle avec un sourire.

— J'ai pris le même, montre-t-elle, ses idiotes de filles vont penser que c'est un collier de meilleures amies.

— Il vaut mieux, ajoute Whitley.

— Oui, répond tristement Rima.

Elle l'embrasse sur la joue et s'éloigne.

A leur sortie du lycée, elles avaient toutes les deux décider de faire un voyage en Europe. Le père de Whitley avait été dur à convaincre, mais il avait finalement cédé à sa petite fille adorée. Sans honte, elles se promenaient main dans la main dans les rues de Paris, Madrid, Londres, Amsterdam... Elles pensaient être libres. Libres de leur famille et de leur proche mais la réalité les avait vite rattrapées.

On les avait harcelés, frappés, insultés. Elles étaient prisonnières d'un amour qui était interdit et embarrassant pour tout le monde. Elles ne pouvaient même pas se marier ! C'est en revenant, deux années plus tard de leur voyage, qu'elles décidèrent de garder leur relation - et ses merveilleux souvenirs - secrète.

Le temps passe longuement. Whitley rencontre Earl Kenneth, l'homme qu'elle épousera pendant presque dix ans. Avec lui, elle a cinq beaux enfants. Mais elle reste triste. Seule dans son cœur. Elle continue de fréquenter Rima, mais les deux jeunes femmes restent amies aux yeux de leurs proches. Quand elles sont seules, elles pleurent le futur qu'elles ne pourraient jamais avoir.

— Elle est magnifique Rima, comment s'appelle-t-elle ?

Whitley caressait le crâne doux du nouveau-né dans les bras de sa meilleure amie. Celle-ci souriait lentement.

— Zelma.

Leurs yeux se croisèrent et il y avait tant d'amour entre elles que se fut presque douloureux.

— Comment s'appelle le père ? demande soudainement son mari.

— Earl ! siffle Whitley.

— Bah quoi ?

— Il s'appelait Gary il me semble, répond Rima sans réelle émotion.

Whitley souriait lentement. Rima avait toujours été une fille moderne, spéciale aux yeux de tous parce qu'elle ne suivait jamais les règles. Elle avait décidé d'avoir un enfant seul et de l'élever seule. Il avait juste fallu un coup d'un soir et le tour était joué.

Puis les années passent à nouveau. Les enfants grandissent mais elle et Earl se séparent à cause de la douleur de Whitley. Alors, Rima et Whitley passent du temps ensemble, avec leurs enfants respectifs. Ils auraient pu grandir comme des frères et sœurs s'il n'y avait pas eu la carrière fleurissante de Rima et les commérages. Alors, à nouveau, elles s'étaient éloignées, se voyant seulement pendant les fêtes familiales.

Plusieurs décennies passent. Plusieurs évènements naissent dans ce monde. C'est au téléphone – chouette invention de cette ère – que Rima annonce la nouvelle à sa meilleure amie.

— J'ai une petite-fille !

Aussitôt, elle avait roulé jusqu'à l'hôpital. Rima était venue à sa rencontre et la tirait jusqu'à la chambre de sa fille. Lorsque Zelma a vu débarqué Whitley, elle a perdu tout sourire et a lancé un regard accusateur à sa mère, qui l'avait ignoré royalement.

— Ma petite-fille ! prend-t-elle dans ses bras.

Elle l'amène à Whitley dans un sourire tendre et larmoyant.

— Je vous présente : Whitley voici Majorelle. Majorelle, voici Whitley.

— Bonjour mon cœur ! murmure-t-elle en caressant son crâne velu.

Elles sourient toutes les deux.

— Tu verras, quand tu seras grande, tu seras amie avec tous mes petits enfants !

— Les meilleurs amis du monde, lâche Rima en la regardant droit dans les yeux.

Whitley acquiesce silencieusement. Elles se frottent le nez, comme elles avaient l'habitude de faire autrefois. Un geste qui déplut fortement à Zelma.

— Redonne-moi ma fille Maman, désapprouve-t-elle.

A contre cœur, Rima rend sa petite-fille. Garrett, le mari de Zelma, regardait aussi Whitley d'une manière détestable.

— Félicitations Zelma et Garrett, complimente avec toute la chaleur du monde Whitley.

— Merci, répondent-ils froidement.

Deux décennies passent encore. Mais cette fois-ci la joie et le bonheur n'est plus au rendez-vous. Comme si le ciel comprenait la tristesse de Whitley, il pleuvait. Parce que sa Rima n'était plus de ce monde. Dans l'église, elle avait retrouvé Majorelle, ressemblant trait pour trait à sa meilleure amie et amante quand elle était plus jeune, à chaud de larmes. Elle ne s'arrêtait plus et était secouée par des spasmes. Quant à sa mère, Zelma, elle était triste mais son visage était fermé. Whitley pleurait avec Majorelle, toutes les deux dans les bras l'une de l'autre. Rima avait été comme une mère pour Majorelle. La pauvre enfant... Comment vivre dans un monde si cruel ? Comment Whitley allait vivre sans l'Amour de sa vie ? Comment combler se vide, panser cette souffrance pour toutes les deux ? Comment garder sa mémoire, ses souvenirs, sa vie ? Comment ne pas l'oublier ?

Un mémorial vivant...  

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