26.
Des jours et des jours entiers que je travaille mes cours à fond.
Je ne suis pas sortie avec Brooklyn ni Abi depuis près d'une semaine. Daniel et Lucy m'ont conseillé de bosser pour les examens de fin d'année, ce qui n'est pas du tout une mauvaise idée puisque ces derniers temps je ne fais que sortir en ville.
Kurt ne m'a pas reparlé non plus. Je me demande d'ailleurs s'il manigance quelque chose contre moi, du genre un complot pour que je retourne à Seattle et qu'il ait ses parents pour lui tout seul.
Brooklyn pense que je deviens légèrement paranoïaque, mais pour moi c'est exactement ce qu'envisage Kurt. Et c'est flippant, croyez-moi.
J'écris une dernière phrase dans mon classeur et le referme. Je consulte rapidement ma montre: seize heures. Pour un dimanche après-midi, je m'ennuie à mourir. Habituellement je déteste réviser et faire mes devoirs, mais cette fois je hais ça. Quand je pense à tout ce que font les jeunes de mon âge à cette heure-là, comme sortir voir leurs amis, aller au cinéma, à la patinoire... Et moi je suis ici. Dans ma chambre. Toute seule.
Quelle vie pourrie.
J'ai l'impression d'être la seule au monde à être dans ce cas-là. D'être limite une femme des cavernes qui n'a aucune vie sociale. Ouais, je fais pitié.
J'attrape mon portable et envoie un petit message à Brooklyn.
Moi: Tu fais quoi ?
Sa réponse me parvient presque immédiatement.
Brook: Rien et toi ?
Moi: Rien... Ça te dit qu'on se voit maintenant ?
Brook: Ouais, ça serait cool. Je te rejoins chez toi.
Je verrouille mon portable, le sourire aux lèvres. Ah non, je m'agace moi-même maintenant. J'ai la sensation d'être une nunuche de onze ans amoureuse du garçon le plus beau de l'école... Et je trouve ça tellement niais.
Je fourre mes affaires de cours dans mon sac puis je me lève de mon lit pour aller me rafraîchir le visage dans la salle de bain.
Heureusement, Kurt passe son week-end chez un ami à lui. Je suppose qu'il évite de me voir et c'est tant mieux car je ne veux pas le voir non plus. Je me demande toujours quand est-ce qu'il mettra "son plan" en place pour m'éjecter de Boston, mais je ne vois aucun signe de ceci. Il a peut-être juste voulu me faire peur.
Mais si c'est le cas, bravo à lui. Il a réussi. Mais ce n'est pas parce que j'ai peur que je céderais à ses menaces. Hors de question.
Une fois le visage rafraichi et légèrement maquillé, je me brosse les cheveux et enfile un sweat et mon habituel skinny. Je mets mes chaussures, attrape mon portable et descends au premier étage du duplex. Je prends ma veste en cuir, posée sur le dossier du canapé.
-Tu vas où comme ça ?
Ma tête se tourne vers Lucy qui s'affaire dans la cuisine. Ses cheveux sont relevés en queue-de-cheval et ses mains sont plongées dans de la pâte.
Je m'avance vers elle en observant ce qu'elle prépare.
-Je sors avec... une amie.
-Qui ?, me demande-t-elle d'un regard suspicieux.
J'examine son plan de travail et constate un plat à tarte et des pommes.
-Miam, une tarte aux pommes, dis-je avec enthousiasme.
Elle se remet à travailler la pâte en souriant.
-Oui, c'est la recette de ma mère et... Attends un peu, tu essaies de changer de sujet là, non ?
Lucy arque un sourcil en me scrutant.
-Hein ? Non, pas du tout !
-Alors avec qui sors-tu ? Abigail ?
-Euh, oui.
Je souris pour avoir l'air un peu plus convaincante.
-Oh c'est cool ! Tu peux lui proposer de manger la tarte aux pommes avec nous, je suis sûre qu'elle aimera ça.
Lucy se concentra sur sa tarte tout en me parlant. Vite, un mensonge...
-Elle est allergique aux pommes.
Lucy prit un air déçu.
-Ah. Mais on a autre chose dans le placard, elle peut quand même rester pendant...
-On va au cinéma donc on n'aimerait pas être en retard pour le film.
-Ah oui, je comprends.
Lucy a l'air de gober absolument tout ce que je dis. Mais j'ai bien dit "a l'air" car à tous les coups elle ne me croit pas. Et elle aurait bien raison.
Pour couper court à notre conversation, je retourne dans le salon et m'assois dans le canapé. Je consulte mon portable et découvre un nouveau message de Brooklyn.
Brook: Je suis en bas de chez toi
Je me lève brusquement en attrapant mon trousseau de clés.
-Abi est là, à plus !
-Dis-lui bonjour de ma part !, lance-t-elle lorsque j'ouvre la porte d'entrée.
Je lui hoche la tête et descends le plus vite possible pour rejoindre Brooklyn.
Il est là. Comme d'habitude, ses cheveux bruns frémissent sous le vent. Sa veste en cuir s'associe à la mienne et ses mains sont fourrées dans ses poches. Sa magnifique moto pose derrière lui.
Non, ce n'est pas la moto qui est magnifique. C'est lui.
Je secoue la tête, m'efforcant d'éjecter cette pensée de mon crâne. Mais à quoi je pense bordel ?
Je m'avance rapidement vers lui, sans m'empêcher de sourire. J'ai l'impression de prendre une soudaine bouffée d'oxygène quand je suis avec lui. Il sourit aussi et m'étreint furtivement en plaquant sa joue contre la mienne pour me faire la bise.
-On va faire quoi ?, demandais-je alors qu'il me tendit un casque de moto.
-Je t'emmène au parc. Tu sais faire du skate ?
-Hum, non.
Je distingua son sourire en coin sous son casque. Il grimpa sur sa moto.
-Alors je vais t'apprendre.
*****
Nous nous garons près d'un grand parc fleuri et aux arbres verdoyants. Je n'étais jamais venue ici auparavant, mais maintenant que je connais cette endroit, je suis sûre d'y revenir dans peu de temps.
Brooklyn sort son skate du coffre de la moto. Des autocollants rouges et dessins le colorent et le rendent unique.
Nous nous immergeons dans cette nature créée de toutes pièces, sur un chemin de dalle traversant les pelouses et tapis de fleurs. Il y a un monde fou: des couples, des familles, des enfants, des adolescents, des personnes âgés. Tout le monde sourit, a l'air heureux.
Brooklyn pose son skate par-terre, tout sourire lui-aussi. Il me tend la main, me faisant comprendre de monter dessus.
-Euh je te préviens que je ne suis douée du tout, dis-je en prenant sa main, les yeux rivés sur le skate.
-Je te tiendrais, t'inquiète.
Je lui jette un rapide coup d'oeil.
Je lui fais confiance. Une confiance aveugle, même.
Je pose un pied sur la planche et celle-ci bouge légèrement. Les doigts de Brooklyn se resserrent sur mes mains, ce qui me met plus en confiance. Je pose ensuite mon autre pied et cette fois, je l'accroche à ses épaules par réflexe. Il sourit tout en fixant mes pieds.
-Tu as réussi à monter, c'est déjà bien !
-Ne te fous pas de moi.
-Jamais, répondit-il avec ironie. Tu me connais, je ne te ferais jamais ça.
On se "défie" du regard pendant quelques secondes, le sourire au coin des lèvres. Au bout de quelques temps, il se met à me tirer tout doucement, de façon à ce que le skateboard roule centimètre par centimètre. Je continue à fixer la planche sous mes pieds: j'ai vraiment peur de tomber.
Au bout d'un moment, il me lâche et j'arrive à tenir en équilibre. Je pousse du pied pour avancer, toujours lentement mais sûrement.
Brooklyn se tient à quelques pas de moi, près à me retenir si je tombe.
-J'y arrive !, m'exclamais-je.
-C'est bien !
Il s'approcha de moi et me prit par les épaules pour que je descende. OK, il n'y a qu'un petit écart entre la planche et le sol, mais j'ai vraiment peur de m'écraser le nez sur le bitume.
Je posa mes mains sur ses bras, sentant ses muscles se contracter légèrement sous mes paumes. Je descendis et releva la tête. Son visage s'offrit à moi. Il n'y avait qu'une dizaine de centimètres entre nous.
Mes yeux divaguèrent entre ses lèvres et ses yeux. Oui, ses yeux d'un brun intense. Je n'y avais jamais prêté attention, mais ils sont magnifiques. Soulignés de cils noirs, ni trop courts ni trop longs pour faire éfféminé. Ceux-ci rendent ses yeux plus sombres, hypnotisants. Mais de toute façon, qu'ils soient verts, bleus, marrons, je les trouverais beaux.
Et ses lèvres. Charnues et entrouvertes, laissant échapper un souffle chaud et irrésistiblement irrégulier. Elles ne demandent qu'à être embrassées.
À quoi je pense encore une fois ?!
Je recule lentement mon visage du sien, de façon à mettre de la distance entre nous. Je m'écarte subtilement de Brooklyn en ramassant le skateboard.
Celui-ci a l'air complètement décontenancé, perturbé. Je ne sais pas s'il a eu la même sensation que moi. Les battements du coeur qui s'accélèrent incontrôlablement, comme s'il savait qu'un baiser était proche. D'ailleurs, je sens le mien se ralentir progressivement. Comme s'il était tout-à-coup apaisé.
Je fais mine de jeter un coup d'oeil à ma montre. Il est déjà dix-huit heures. Le temps passe trop vite lorsque je suis avec lui.
Je me racle la gorge.
-Hum, il faut que j'y aille. Ils doivent m'attendre à la maison...
-Tu veux que je te ramène ?, me demande-t-il d'une voix légèrement éraillée par le froid.
-Non-merci. Ça ira...
Je lui redonne le skateboard et lui fais un rapide bisou sur la joue pour le saluer. Et me voilà partie vers la station de métro la plus proche, les mains dans les poches de mon blouson en cuir.
Ce qui vient de se passer... C'était étrange. Comme si nous étions tous les deux aimantés sans le vouloir. Est -ce que Brooklyn a ressenti la même chose ? Je n'en ai aucune idée. Peut-être qu'il nous voit comme de simples amis. D'ailleurs, c'est ce que nous sommes. Alors pourquoi je ressens cette sorte de tension entre nous deux ?
J'ai peur d'enlever cet espace entre nos lèvres quand nous sommes sur le point de nous embrasser, tout simplement car j'ai peur que notre amitié soit finie. Attendez, je ne pourrais jamais plus le regarder dans les yeux si nous nous embrassons et qu'ensuite nous restons amis ! Rien ne serait plus jamais pareil.
Et puis, est-ce que Brooklyn a des sentiments pour moi ?
Mais surtout, est-ce que moi j'en ai ?
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