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J'ai mal au ventre mais putain, ça c'est non, c'est hors de question. J'entoure le ventre de la jeune femme de mon bras comme un rempart de protection. Ils ne la toucheront pas.
- Tu rêves ! Tu ne la touches pas, tu ne vas certainement pas lui faire une césarienne sans anesthésie tout ça pour sauver un gamin qui est peut-être déjà mort dans son ventre, putain ! T'es complètement malade, t'as pas le sens des priorités ! T'es un malade de pro-life, ou quoi ? TU NE LA TOUCHES PAS !
J'ai complètement pété un câble et la pauvre à l'air complètement paniquée. Harry reste bouche bée deux secondes, puis il lui fait des gestes d'apaisement et lui parle en Dari pour la rassurer. Puis il me fait les mêmes gestes, l'air complètement dépassé. Il dit seulement :
- D'accord, Lou. D'accord. Tu as raison. Calme-toi. Je vais... Je ne pourrais pas sauver le bébé. Mais je vais essayer.
Et moi j'ai mal partout parce que mon cœur veut s'échapper de ma poitrine et que mes yeux refusent de pleurer. Je suis épuisé. Je tiens les mains de la jeune femme, je lui souris, je repousse ses cheveux de son front. Ça va aller. Ça va aller.
Je surveille Harry du coin de l'œil. Il repousse complètement la robe de la jeune femme, découvrant son ventre nu. Avec ses mains, il dirige le bébé depuis l'extérieur. Il pleure en même temps, ça coule sur ses joues et je sais qu'il n'a pas beaucoup d'espoir, mais au moins elle ne hurle pas comme tout à l'heure. Harry fait ce truc avec ces mains que je ne comprends pas. Et puis brusquement, la jeune femme se tend en avant, les yeux exorbités. Ceux d'Harry s'exorbitent aussi pendant une seconde, puis il retourne entre ses jambes et...
- Oh mon dieu ! Il sort, il sort ! Il est en train de... Mon dieu...
La suite tient du miracle. Poussé par les mains d'Harry, le bébé à fini par se décoincer, et il est parvenu à sortir avant de s'étouffer. Il pousse son premier cri serré contre la blouse d'Harry. Sa mère est sans force, Harry me tend le bébé, retire sa blouse, son tee-shirt, y enveloppe le bébé et le donne tout doucement à la mère. Elle a perdu beaucoup de sang, elle est épuisée mais vivante. Et sa petite fille aussi.
L'accouchement a été si compliqué et a duré si longtemps que lorsque l'on laisse aller la jeune femme, prise en charge par d'autres médecins, presque tous les blessés ont été évacués et surtout, l'armée française est arrivée pour nous évacuer. On grimpe dans un camion tous les deux, avec d'autres gens comme nous. On roule une bonne heure. On est incapable de se parler, je crois qu'on est trop choqués pour ça. On se contente de se tenir appuyés l'un contre l'autre. Ma tête tourne à plein régime, elle est remplie d'horreurs et rien n'accepte de s'effacer.
On arrive à l'ambassade après deux heures et demie de route. Il fait presque nuit. On apprend que l'on va être rapatrié en urgence en France, qu'il y a eu une fusillade à Paris, que la guerre a été déclarée avec...
A ce moment-là, j'arrête d'écouter. On est dans une salle de réunion, je colle mes mains sur mes oreilles et sors. Non, non, non, je ne veux pas savoir. Je me fous de savoir ce que les politicards de mon pays ont décidés pendant que j'essayais de sauver des innocents. Je ne veux pas savoir qui a tiré sur mon pays et sur qui mon pays va tirer en représailles. Je ne veux pas savoir parce que je sais déjà le plus important : Des enfants sauteront sur des mines. Des femmes enceintes accoucheront devant les ruines des hôpitaux. Des couples mêleront leurs sangs sous la fusillade.
Je ne veux pas savoir qui sera le prochain à servir de chair à canon dans une guerre qui ne me concernera jamais.
Les vers de Boris Vian me viennent à l'esprit. Je marche au hasard, une main touchant le mur, hagard. Je les prononce tout haut, le cœur au bord des lèvres.
- Monsieur le président, ce n'est pas pour vous fâcher, il faut que je vous dise, je m'en vais déserter. Monsieur le président, si vous me poursuivez, prévenez vos gendarmes, que j'aurais une arme...
La main fraiche d'Harry se pose sur ma joue. Il redresse lentement mon visage et finit à ma place :
- ...Et que je vais tirer.
Puis il se penche vers moi et m'embrasse doucement sur les lèvres.
Rends-toi au paragraphe 31.
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