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Je me blottis contre le torse d'Harry, il me caresse les cheveux.
- Une douche, quelque chose à manger et une bonne nuit de sommeil, ça te tente ?
Je hoche lentement la tête, il me prend la main. En chemin vers la chambre ou l'on va passer la nuit, il m'explique que nos affaires ont été ramenées ici par Liam, que l'armée nous escortera demain jusqu'à l'aéroport et que l'on va être rapatriés en France. J'écoute sans trop y croire, sans tout comprendre réellement. Je finis par murmurer :
- Je n'ai même pas tenu deux semaines.
- Arrête tes conneries. Tu as été très courageux, tu as fait un travail merveilleux. C'est la guerre. Ça n'a rien à voir avec toi. Et même si tu ne repars jamais... Ce que tu as fait a changé les choses. Des gens ont été sauvés. Grace à toi. D'accord ?
J'avale difficilement ma salive, mais je finis par hocher la tête.
- D'accord.
Il me sourit doucement, on arrive dans la chambre. Je me douche en premier, enfile des fringues propres, puis j'attends Harry en me séchant les cheveux. Il sort en caleçon, les membres encore humides, et viens s'asseoir à côté de moi.
- Ils vont nous monter à manger tout à l'heure. Et puis tu vas dormir. Tu penses que tu vas y arriver ? J'ai des somnifères si tu as besoin.
- Je n'en sais rien... Est-ce que tu peux dormir avec moi ?
- On n'a qu'une seule chambre, de toute façon.
- Non, je veux dire... Vraiment avec moi. Contre moi.
Il me regarde, il est tellement triste, je ne comprends pas pourquoi mais je ne dis rien. Il hoche la tête, murmure :
- Tu ne quitteras pas mes bras.
On toque à la porte. Il m'embrasse sur le front, enfile un tee-shirt et va ouvrir. Il revient avec des plateaux-repas. Je n'ai pas faim, je me force à manger. Je me sens complètement vide. Il me caresse les cheveux à intervalles réguliers et après, il est encore tôt mais je ne veux pas descendre, je ne veux pas parler avec les autres. Harry allume la lumière de la salle de bains, laisse la porte ouverte. J'ai peur d'avoir peur du noir. On se glisse sous la couette, il me prend dans ses bras. Je suis blotti contre son torse, il me donne un long baiser très tendre de bonne nuit.
Puis je cherche le sommeil.
Mais je ne le trouve pas. Et je ne veux pas parler de ce qui s'est passé, de ce que j'ai eu mal, ou peur. Je ne veux pas parler des gens qui sont morts, de ceux que j'ai sauvés, et les enfants que l'on laisse derrière nous. Je ne veux pas penser aux innocents sacrifiés sur l'autel de la violence et de la haine, je ne veux pas penser à ce pays que je laisse derrière moi à feu et à sang, je ne veux pas penser au mal que mon propre pays endure et aux représailles que ses mains toutes puissantes vont faire pleuvoir.
Je ne veux pas en parler. Je ne veux pas faire de politique, je ne veux pas essayer d'imposer mes idées ou de changer le monde. Je ne veux pas lire toute la récupération politique raciste immonde qui doit s'étaler dans les journaux de mon pays, je ne veux pas connaitre le nom des victimes alors que tout le monde se fout du nom de celles qui sont mortes aujourd'hui près de moi.
Je ne veux plus penser à la vie humaine, aux deux poids deux mesures.
Je voudrais balancer sur mon sol des centaines de mines anti-personnel,
Je voudrais que les gens comprennent,
Je voudrais ne plus être en colère, ne plus me sentir impuissant, dépassé, fou de rage, malheureux, démoli. Je voudrais que l'on cesse de tuer des enfants, je voudrais que l'on cesse de tuer des adultes, je voudrais que l'on cesse de se haïr.
Je voudrais ne plus pleurer, je voudrais ignorer l'existence de ces gens qui ne sont que des chiffres par-delà la méditerranée. Je voudrais n'être jamais venu ici, n'avoir rien connu de leurs souffrances, de leurs joies, de leurs rêves. Je voudrais qu'ils ne soient qu'une grande plaie quémandant mon attention et ma pitié. Je voudrais qu'ils ne m'aient rien donné, rien appris.
J'aurais voulu voir des humains, sans voir l'humanité,
Sans douter de la mienne.
Je ne peux pas dormir et je crois que, je ne dormirais plus jamais comme avant.
Quand on toque à la porte au petit matin, pour nous réveiller, nous faire nous préparer pour le départ, je n'ai pas dormi. Je ne dis pas un mot à Harry. Mais dans son regard je lis qu'il a partagé ma nuit, mes pensées. Que cette plaie en moi court jusqu'à lui, que de nos quatre mains peut être que l'on parviendra à la maintenir fermée.
Je grimpe dans l'avion sans regarder en arrière. Je fais comme tous les autres. Je ferme les yeux.
J'ai dans la bouche un goût amer.
Rends-toi au paragraphe 100 pour terminer l'aventure.
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